Conclusion
Texte intégral
1Le point de départ de ce mémoire se trouvait être une forme, celle du cercle, présente dans l’agencement des motets de Machaut. Au-dessus d’un tenor réglé par la mesure et la répétition, les voix supérieures adoptent une organisation cyclique similaire, bien que constamment décalée. Cette structure isopériodique, dont le déphasage des silences est un vestige, ordonne l’un des genres musicaux les plus intellectualisés de la culture médiévale. Machaut n’est pas le seul à trouver un intérêt pour la composition circulaire et semble se placer en précurseur. Alors que la présence du cercle est remarquable dès ses premiers motets, nous en retrouvons également la trace vers le milieu du XIVe siècle dans d’autres pièces souvent anonymes. À la base de cette pratique se situe vraisemblablement un besoin : celui d’organiser convenablement un genre dont l’autonomie des voix, devenue de plus en plus importante, ébranle la cohérence de l’ensemble et dont la pluritextualité échappe, par principe, à l’autorité des formes poétiques. Abandonnant ainsi la périodicité synchrone des polyphonies plus anciennes, certains compositeurs optent préférablement pour la rotation conceptuelle des voix et mènent le geste créateur vers un procédé fiable et simple malgré une apparente complexité. La manière reflète une tradition musicale caractéristique du XIVe siècle : la circularité se retrouve aussi bien dans les motets et les rondeaux que dans les écritures imitatives qui se répandent progressivement au cours de l’ars nova.
2La forme circulaire dans les polyphonies dépasse toutefois les frontières de la musique. Elle est le fruit d’une évolution globale des pensées et des savoir-faire. Alors que le motet adopte une composition dynamique et périodique, le XIVe siècle voit naître une révolution technique conséquente : l’horlogerie mécanique. Ce progrès s’accompagne d’une popularité grandissante pour l’astronomie et l’astrologie. La mécanisation du temps s’installe dans les lieux de culte, les cours royales et les cités comme dans les mentalités, car l’effort est avant tout intellectuel. L’homme divise, quantifie et rationalise, à l’aide de valeurs discrètes, une entité aussi abstraite que le temps. La prouesse ne se réserve pas seulement au décompte temporel des astronomes. En marge des découpages célestes entrepris par les artisans du ciel dès la seconde moitié du XIIIe siècle, une autre science intègre les récentes formulations de la certa mensura temporis. Les théoriciens de la musica mensurata tendent à convertir le temps musical en valeurs normées, rationalisant de la même manière l’articulation temporelle des cantus. Si le parallèle commence avec l’ars antiqua, il faut attendre les théoriciens du XIVe siècle pour déceler des analogies explicites entre la quantification du temps ordinaire et celle du temps musical (Speculum musicae, Quatuor principalis, etc.). Le motet est l’une des conséquences les plus appréciables de cette évolution qui trouve son apogée durant l’ars nova. Il est une expérimentation musicale apte à rendre compte des nouvelles performances théoriques et pratiques relatives à la précision des figures rythmiques. Au-delà des principes métriques, la polyphonie du motet transpose acoustiquement, d’un point de vue proprement spéculatif, la hiérarchie cosmologique dès le XIIIe siècle. Les relations qu’entretiennent la polyphonie et l’astronomie dépassent, pour Michel Scot comme pour Robert Grosseteste, les préceptes de l’harmonie des sphères et investissent les métaphores conceptuelles. À travers la superposition des corps célestes, les répertoires polyphoniques, comme le motet, trouvent un modèle adéquat afin de combler une genèse lacunaire et peu comprise par les théoriciens eux-mêmes.
3En dehors des considérations exclusivement abstractives, l’étude du contexte culturel et technique du XIVe siècle renseigne de nombreux points communs entre le développement du motet et la démocratisation des horloges mécaniques en Occident. D’une part, les premiers cadrans se révèlent des objets artistiques davantage prisés pour leurs automates et leurs simulations des astres que pour leur capacité incertaine à mesurer le temps. L’horloge répond à un plaisir des sens dont le rapprochement avec l’art musical se renforce à mesure que la mécanique fait intervenir des sonneries. Dans un environnement où les rotations des cadrans et les effets sonores deviennent communs, le motet en quête de forme puise simultanément dans la périodicité du temps un modèle convenable où les voix exercent leur révolution structurelle à la manière d’un microcosme musical. En outre, il n’est pas impossible que les lieux d’interprétation du motet rejoignent les principaux endroits où se trouvaient, le plus souvent, les premiers mécanismes d’horlogerie (lieux de culte, résidences nobiliaires et royales, etc.).
4Tout comme les corps célestes guident l’observateur, ils orientent le compositeur-poète sur les chemins de l’inspiration. La dimension textuelle du motet est souvent concernée par le savoir astrologique et astronomique. Il est même une clé essentielle afin de comprendre certains contenus littéraires. À travers les récits, les mythes et les métaphores où se rencontrent les signes du Zodiaque, Fortune, la Lune, le Soleil ou encore l’éclipse, le motet met en scène des phénomènes célestes à des fins poétiques. Dans certains cas, comme dans Febus mundo oriens, la manière est explicite, bien qu’elle serve à dissimuler avec habileté la véritable teneur des textes. Dans d’autres, comme chez Machaut, les références sont plus discrètes et se révèlent de subtiles facettes de cet intérêt global pour les astres. Beaucoup d’autres cas demeurent cependant à étudier pour avoir une vision plus nette du phénomène et de son ampleur. De même, l’analyse de motets en dehors du répertoire de provenance française pourrait éclairer certains choix ou différences stylistiques au regard du contexte technique et intellectuel spécifique. Une telle approche permettrait peut-être d’affiner les principes et liens pluridisciplinaires à l’origine de la composition du motet, voire d’en discerner de nouveaux. Quoi qu’il en soit, il apparaît que l’observation des astres et la rationalisation du temps, mécanique comme théorique, ont influencé de bien des façons la réalisation du motet et font, de fait, partie intégrante de l’histoire du genre et de son développement.
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