1. Introduction

1.1. Présentation du site

1Le camp néolithique de Chassey (fig. 1, carte 1) se trouve sur la commune de Chassey-le-Camp en Saône-et-Loire, sur le sommet de la colline de Chassey. La partie fortifiée de la colline, c’est-à-dire le secteur formant le plateau, domine à l’ouest sur plus de 200 m la large vallée de la Dheune et à l’est sur plus de 140 à 150 m l’étroit vallon des « Bas Roches ». Le camp mesure 750 m de longueur sur 230 m de largeur. Le plateau est bordé de façon discontinue de rochers escarpés. Au sud, un rempart en forme de croissant que l’on nomme La Redoute ferme la pointe du plateau (Thévenot, 2005).

2Le locus fouillé par Jean-Paul Thévenot (1969-1979) se situe au sud de l’éperon (fig. 1, carte 1), dans l’axe de la branche orientale de la Redoute. Cette fouille a permis de dater l’ensemble avec précision grâce à la stratigraphie, au mobilier archéologique et au radiocarbone. Chaque niveau néolithique a fait l’objet d’une ou de plusieurs datations.

3Le niveau le plus ancien (couche 10, fig. 2) date du Néolithique Moyen Chasséen ; la couche la plus récente (couche 1) est une couche de surface moderne comportant parfois du mobilier archéologique hors de son contexte (Thevenot, 2005). La présence d’un corpus relativement important et stratifié et la question de la molette débordante, qui n’a pas été abordée jusqu’ici lors de la précédente étude (ibid.), font l’intérêt de cette étude.

1.2. Présentation du corpus

4L’ensemble découvert sur le site néolithique et protohistorique de Chassey-le-Camp se compose de 104 fragments d’instruments de mouture (vingt et un fragments de polissoir, cinq percuteurs et broyons) datés du Néolithique Moyen I Chasséen au Néolithique final. Sur les 104 éléments, huit sont attribuables, sans aucun doute, à des meules et dix-huit autres à des molettes. Le corpus lithique du site comporte plus de 285 pièces. Toutefois, ces dernières n’ont pas de rapport avec la mouture ou le macro-outillage et ne seront pas mentionnées dans cette étude. Le matériel de mouture des couches protohistoriques ne sera pas présenté dans cet article. Enfin vingt pièces n’ont pas de contexte stratigraphique.

2. Les matières premières

5Le mobilier est issu de plusieurs faciès de granite. Il s’agit de roches pour la plupart porphyroïdes à quartz, feldspaths et micas. Le plus courant est un granite rose possédant une forte quantité de phénocristaux d’orthose et deux micas, la biotite et la muscovite. Deux autres granites ont été identifiés : le premier est un granite gris à deux micas identiques à ceux cités précédemment ; le second est représenté par une pièce en granite blanc à biotite. On relève également un unique exemple de roche magmatique volcanique effusive, la rhyolite. Celle-ci est riche en verre de teinte claire et possède dans notre échantillon des phénocristaux de quartz automorphes. Une roche métamorphique verdâtre foliacée a été identifiée, que nous avons associée à un gneiss ou un para-gneiss. La catégorie des roches sédimentaires est représentée par des grès de divers faciès. Leurs couleurs ont souvent été altérées par le feu. Les grès grossiers carbonifères ou permiens (du Paléozoïque) sont des roches grenues, probablement grises quand elles n’ont pas été altérées, à grains de quartz souvent polycristallins et émoussés (Garcia, Petit, 2005). Les grès feldspathiques ou arkoses du Trias sont également grenus, hétérométriques, moyens ou grossiers. Ils sont composés de quartz et de nombreux grains d’orthose. Il s’agit de roches caractéristiques du faciès Buntstandstein ou grès bariolé (Foucault, Raoult, 2010) ; leurs couleurs varient du gris au rose en passant par le blanc. Enfin les grès fins, représentés en majorité par le type qualifié de blond du « Rhétien », sont beiges à jaunes, finement grenus et lités, ponctués de quartz émoussés infra-millimétriques (Garcia, Petit, 2005). On trouve également d’autres grès fins gris ou blancs.

6Nous avons pu observer, à travers ce corpus, la prépondérance d’outils en granite rose à deux micas, qui ne se vérifie pas lorsque l’on observe l’ensemble du mobilier lithique. Si les outils déterminés actuellement sont en granite, de nombreux fragments sont en grès ; ils représentent alors un nombre d’outils important qui ne peut pas être décompté. Le granite entièrement cristallisé semble bien résister aux chocs et à l’usure que provoque le mouvement de va-et-vient. En revanche, le grès, parfois mal cimenté, se briserait plus rapidement. Les matériaux rugueux, grenus et à forte cohésion sont réservés à la mouture (granite, grès moyen-grossier, grès feldspathique). En revanche, les matériaux rugueux, grenus et à faible cohésion sont ici réservés aux polissoirs. Pour le cas des percuteurs, broyons et « bouchardes », les matériaux les plus compacts et tenaces sont privilégiés. Bien que l’on retrouve des matériaux de provenance lointaine comme la rhyolite, la majorité d’entre eux sont situés à proximité du site de Chassey (fig. 1, carte 2), au maximum à dix kilomètres pour le gneiss.

3. Typologie des moulins va-et-vient à Chassey

7La longueur des meules issues de la couche 9 (fig. 2) est comprise entre 29 et 32 cm. L’épaisseur ne montre aucune variation forte et remarquable à travers le Néolithique, allant de 8,7 à 13,5 cm pour la meule la plus ancienne et à 8,3 cm pour la plus récente. La largeur varie de 23,2 cm à 28,5 cm, ce qui peut correspondre à un léger changement dans le mode de fabrication. Cependant, le niveau 6 (fig. 2) possède une meule « XLII-54,257 » beaucoup plus étroite que les autres (fig. 3), sa largeur étant de 15 cm, il s’agit pour Chassey du seul exemple Néolithique Moyen Bourguignon. Les flancs et les extrémités de toutes les meules du Néolithique Moyen sont le plus souvent mis en forme par enlèvements et bouchardage. Les courbures des surfaces actives sont toujours très usées, concaves ou plano-concaves longitudinalement, alors qu’elles sont plano-convexes ou plano-concaves transversalement. La dernière meule XLI-57,82 (fig. 3) en contexte archéologique appartient au Néolithique final. Ses deux flancs et l’extrémité conservée sont bruts. La mise en forme de l’outil apparaît comme étant beaucoup plus limitée que pour les meules du Néolithique Moyen. La surface active est en grande partie érodée, le restant est moyennement poli. Son profil transversal est rectangulaire avec une surface active plane. La coupe longitudinale montre une surface active oblique, parallèle au litage du grès.

8Trois molettes sont complètes ou quasiment complètes (fig. 3). La première, XLV-61,125, a été trouvée dans la couche 9, la seconde, LI-52, 164 dans la couche 7, la troisième, XLV-56, 125, dans la couche 5. La longueur de ce dernier exemplaire est de 27,5 cm et il s’agit de la pièce la plus longue du corpus. Pour les deux autres exemples, XLV-61,125 et LI-52, 164 (fig. 3), la longueur maximale se situe entre 21 et 25 cm. Ces deux pièces, découvertes dans les niveaux du Néolithique Moyen, qu’ils soient Chasséens ou du NMB, ont en commun des surfaces actives dont la courbure longitudinale est concave à plane, alors que la courbure transversale est plane à convexe. Pour le Néolithique Moyen, une surface active concave longitudinalement de molette s’adapte à une surface active de meule convexe transversalement. Elle est caractéristique des moulins va-et-vient à molette débordante (Duda, 2013). Il apparaît donc que l’ensemble des molettes des couches du Néolithique Moyen de Chassey semble se caractériser par la présence de molettes débordantes.

9Pour les molettes du Néolithique final, seules trois pièces ont été prises en compte. Leur façonnage est limité dans la majorité des cas, les flancs et les extrémités sont toujours bouchardés ; la section est semi-ovalaire ; la courbure transversale de la surface active est plano-convexe ou convexe et la courbure longitudinale est plane. Les pièces présentent un poli moyen. La dernière pièce est quasiment complète (XLII-53, 289 ; fig. 3). Sa forme est ovalaire et sa section semi-ovalaire. L’un de ses flancs est brut, l’autre est bouchardé, son extrémité a subi le même traitement. Sa surface active montre un poli moyen sur la grande partie de la pièce, et ce poli est plus prononcé quand on se rapproche des extrémités. La surface active est plane transversalement et concave longitudinalement. Cette molette du Néolithique final, exemplaire unique du site de Chassey, possède de nombreuses ressemblances avec des standards du Néolithique Moyen.

10Si nous revenons à la problématique des molettes débordantes, il faut comparer la largeur d’une meule à la longueur totale des molettes complètes ou quasiment complètes (fig. 4). Nous pouvons alors observer que dans la majorité des cas les valeurs sont assez proches. Cependant, seule la meule XLII-54, 257 de la couche 6 (fig. 3), appartenant au Néolithique Moyen Bourguignon, est moins large que l’ensemble des molettes (fig. 4). Ainsi, seul le niveau NMB nous confirme la présence d’un modèle de meule à molette débordante. Pour le reste du corpus, il est impossible de se prononcer.

11Le grand changement que nous pouvons observer entre les meules du Néolithique Moyen et final concerne la courbure des surfaces actives, qui passe d’une forme plano-convexe transversalement et concave longitudinalement, à une surface totalement plane pour la période la plus récente. Enfin, les pièces les plus récentes ont un degré de mise en œuvre bien moins important que les meules les plus anciennes.

Conclusion

12Ainsi à Chassey les matières premières sont adaptées à la création des différents outils : les grès et les granites pour les moulins va-et-vient, et les grès blonds fins pour les polissoirs. Toutes ces matières sont acquises à proximité du site, grâce à des gisements importants. Ce type d’approvisionnement est caractéristique et typique des sites Néolithique Moyen de l’est de la France. Pour cette période, les pièces sont entièrement mises en œuvre par un bouchardage des flancs et du dos, après une préparation des surfaces par une succession d’enlèvements d’éclats pour une première mise en forme. La concavité des pièces nous montre une utilisation longue et un ravivage permanent des moulins néolithiques. De plus, nous avons aussi attesté la présence de molettes débordantes en contexte Néolithique Moyen Bourguignon, en comparant longueur et largeur des meules et molettes. Le site de Chassey participe ainsi au phénomène déjà attesté en France orientale avec les sites de Chalain-Claivaux (Milleville, 2007), en Franche-Comté (Jaccottey, 2011c) et en Suisse avec le site du Petit-Chasseur (Jaccottey, Milleville, 2011) ; il s’inscrit dans la même mouvance culturelle que les régions voisines par l’utilisation du moulin va-et-vient à molettes débordantes.

13Au Néolithique final, le granite pourrait devenir la matière première privilégiée. Le corpus semble très différent, pour les meules comme pour les molettes. Les changements sont visibles dans la mise en forme de l’objet, très sommaire, qui se limite à l’avivage de la surface active. De plus la durée de vie de ces pièces semble très courte : une fois la surface active lissée, l’outil est abandonné, la surface active est plane et ne présente aucune concavité. Ces transformations sont à relier à un changement culturel important. Il faut cependant relativiser ces conclusions, car la majorité des outils sont dans un état fragmentaire. Pour confirmer nos propositions, l’étude de sites néolithiques de la même région géographique serait nécessaire.