URL originale : https://books.openedition.org/artehis/3577
Les molettes débordantes du Néolithique : définition et premier état des lieux
p. 301-316
Résumés
Plusieurs systèmes de moulin va-et-vient coexistent durant le Néolithique, dont un type dit à « molette débordante », qui associe un outil mobile plus long que la largeur de la meule qui lui est appariée. L’objectif de cet article est de donner une définition et des clefs d’identification technologique les plus précises possibles pour ces molettes dites « débordantes ». À partir de l’analyse non exhaustive de quelques séries clefs, plusieurs types de molettes débordantes peuvent être définis. Ces types correspondent probablement à des fonctionnements différents entre les Néolithique ancien et moyen. De même, la présence ou l’absence de ce type de molette pourrait correspondre à des influx culturels différents.
In France, several types of saddle querns coexisted during the Neolithic. One type is known as the “overlapping upper stone” as its length is superior to the width of its lower stone. The objective of this paper is to offer this type’s accurate definition and key technological characteristics. From the study of a number of key assemblages, several varieties of “overlapping upper stone” saddle querns stand out. They probably coincide with different forms of milling from the Early to the Middle Neolithic. Similarly, the presence or absence of this type could correspond to different cultural impulses.
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Mots-clés : Néolithique, débordante, molette, système de mouture
Keywords : Neolithic, saddle quern, overlapping upper stone, grinding system
Texte intégral
INTRODUCTION
1Plusieurs types de moulins va-et-vient coexistent durant le Néolithique et les âges des Métaux à travers l’Europe. L’un d’eux, dit à « molette débordante », associe une partie mobile plus longue que la largeur de la meule qui y est associée (Constantin, 1985 ; Zimmermann, 1988). Jusque-là essentiellement mis en évidence dans des contextes rubanés, ce type de moulin a été récemment identifié dans des corpus d’outils de mouture plus tardifs à travers toute la France. L’objectif de cet article est donc de donner une définition et des clefs d’identification technologique les plus précises possibles pour ces molettes dites « débordantes ». Cette dénomination regroupe en effet des outils aux caractéristiques typologiques et technologiques plus variées qu’initialement observé.
2Ces molettes sont mises en évidence dans différentes régions et dans différents horizons chrono-culturels du Néolithique français. Elles sont utilisées de façon exclusive ou en coexistence avec des molettes de type « court ». Elles semblent également totalement absentes de certains contextes culturels, sans qu’une explication unique puisse être avancée.
3À partir de l’analyse, non exhaustive, de quelques sites clefs, nous nous interrogerons donc sur la signification de leur absence, de leur présence ou de leur complémentarité. Cela peut-il être interprété en termes fonctionnels, à la lumière des analyses tracéologiques et des comparaisons ethnographiques existantes ? L’usage de ce type de molette est-il contingent à des facteurs plus culturels, et dans ce cas trouve-t-on des éléments de comparaison dans les régions limitrophes ?
1. Le moulin à molette débordante : éléments de définition
4Les termes molettes courtes et débordantes ont été initialement définis par C. Constantin dans sa thèse en 1985. Il y mettait en évidence la coexistence de deux types de moulin dans le Rubané et le BVSG (Blicquy/Villeneuve-Saint-Germain) du Hainaut (Belgique) (fig. 1). À partir de l’étude de l’outillage de mouture de Langweiler (Rhénanie-Palatinat, Allemagne), A. Zimmermann (1988) a ensuite proposé une classification des outils de mouture en trois types, basée sur la longueur relative de la molette par rapport à celle de la meule associée (ig. 2). L’existence du type de moulin à molette débordante a, par la suite, été confirmée dans plusieurs contextes rubanés européens (Pavlu, 2000 ; Weiner, Schalich, 2006 ; Hamon, Goemaere, 2007 ; Van Gijn, Verbaas, 2009 ; Graefe, 2004).
5De nombreuses découvertes et études récentes dans des corpus néolithiques, en particulier français, incitent aujourd’hui à reconsidérer ou du moins à compléter la définition initiale de ce type de molette.
6Le premier critère à considérer est celui de la morphologie et de la courbure de la surface active. Les molettes dites débordantes présentent un profil concave longitudinalement, adapté à la surface active transversalement convexe de la meule associée. Leur profil transversal oscille de plan à convexe. Les molettes débordantes constitueraient donc un type à part entière, délibérément façonnées comme telles par les fabricants de meules néolithiques. Cependant, différents degrés de concavité peuvent être mis en évidence. Ils posent alors la question du préformage de la surface active : cette courbure est-elle préalablement façonnée ou résulte-t-elle de l’utilisation de l’outil et d’un certain degré d’usure ?
7L’analyse de plusieurs exemples des Néolithique ancien et moyen montre que différents cas de figure existent. Au Rubané, la forte concavité des molettes (plusieurs centimètres) et l’existence de véritables poignées latérales suggèrent un façonnage en même temps que le reste de la surface active (fig. 3). À l’inverse la faible concavité, continue d’une extrémité à l’autre, de plusieurs exemples de molettes du Néolithique moyen Chasséen éponyme du nord-est de la France, du Michelsberg, du Groupe de Spiere, du Cortaillod et du Néolithique moyen Bourguignon, suggère que l’usure et les ravivages successifs ont créé la concavité (fig. 4). Le critère de préformage de la concavité semble donc difficile à exploiter comme élément de définition stricte d’une molette débordante. Plusieurs exemples ethnographiques suggèrent d’ailleurs qu’aucun préformage n’est nécessaire pour obtenir des molettes débordantes à poignées distales (Hamon, Le Gall, 2013 ; Katz, 2003). Certains indiquent même que cette concavité constitue une déformation peu favorable à l’efficacité de la molette : ainsi,« le percutant (la molette) doit rester le plus horizontal possible pour assurer une bonne efficacité du broyage. Le réavivage affecte toute la largeur du plan de travail » (Baudais, Lundström-Baudais, 2002, p. 168). Pour résumer, la concavité des surfaces actives des molettes débordantes résulterait donc soit d’un préformage, soit d’un degré d’utilisation (incluant alternance usage/entretien/réfection) sans que l’existence de cette étape dans la chaîne opératoire soit discriminante pour identifier une molette débordante.
8Le second critère de reconnaissance important repose sur la distribution des traces d’utilisation sur la surface active des molettes débordantes (fig. 5). En effet, une usure particulièrement marquée affecte une bande située à quelques centimètres de chaque extrémité, sur la zone en contact répété avec le bord de la surface active de la meule.
9La formation d’un véritable lustré résultant de ce contact pierre contre pierre est par ailleurs évoquée dans des contextes actuels : « Là où le grain n’est pas présent, il suffit d’une légère pression asymétrique sur le broyeur (la molette) pour que les surfaces de travail entrent en contact l’une avec l’autre et se polissent progressivement sur les bords » (Baudais, Lundström-Baudais, 2002, p. 168). Cette usure apparaît parfois continue entre cette bande et l’extrémité de l’outil. Cette distribution de l’usure peut à notre sens s’expliquer ainsi : au début de l’utilisation de la molette, la concavité de la surface active est moins marquée et ses extrémités sont donc plus sollicitées ; puis en fin d’utilisation de la molette, la concavité de la surface active sera marquée et empêchera la formation de ce lustre. Par ailleurs, le centre des molettes débordantes a probablement été plus fréquemment ravivé que ses extrémités, ce qui expliquerait d’une part le creusement progressif de la surface active, et d’autre part la formation d’un véritable lustré sur les parties distales de ces molettes débordantes.
10Un troisième paramètre doit être pris en compte lors de l’analyse de ce type de molettes débordantes : celui de son mode de manipulation (Hamon, 2007, fig. 5). Trois modes de manipulation peuvent être employés pour actionner les molettes (fig. 6) :
sur le dessus, les mains disposées au centre comme pour les molettes courtes ;
sur le dessus, les mains décalées vers les extrémités au niveau de la jonction meule/molette ;
sur le côté, les mains sont disposées sur le côté des « poignées », comme en témoigne plusieurs exemples actuels (Baudais, Lundström-Baudais, 2002, fig. 14 ; Hamon, Le Gall, 2013).
11Cette question est importante, car la répartition de la pression des mains et, par extension, du corps entier, ne se distribue pas de façon identique selon le mode de manipulation. Par ailleurs, le geste de broyage et la pression appliquée peuvent correspondre à différents types de matières broyées. Mais le mode de manipulation reste difficile à aborder par la seule lecture des traces sur le dos et la surface externe des molettes (flancs, extrémités) car elles ne sont pas systématiquement visibles et résultent d’une durée d’utilisation importante pour être détectables à l’œil nu. Sur un exemple de molette débordante rubanée (fig. 7), on observe clairement un poli de manipulation plus marqué sur le dessus et le côté des extrémités des molettes, indiquant une préhension sur le côté des poignées (mode de manipulation 3). Sur un exemple de Mathay (Jaccottey, Milleville, 2014, p. 236), un bourrelet localisé sur chacune des extrémités au dos d’une molette présente un lustré de manipulation (mode de manipulation 2). Nous pensons qu’il est également possible d’aborder le mode d’actionnement d’une molette débordante à partir de la distribution et de l’intensité de l’usure sur des couples de meules et molettes appariés. La question principale vise à savoir si, en fonction de la façon dont on manipule la molette, les traces d’usure se localisent différemment.
12Les traces sur molettes débordantes dépendent d’une combinaison d’au moins 2 facteurs :
du degré de concavité de la surface active : avec un moulin de type débordant, la convexité de la surface active de la meule implique que les fractions les plus grossières des grains de céréales glissent très rapidement du centre de la surface active vers les bords par effet de gravité, ce qui est également le cas mais avec une rapidité moindre pour les fractions plus fines de farine. Dans ce cas, l’usure apparaît moins intense au centre de la surface active que sur les bords de la meule et aux extrémités longitudinales de la molette en contact avec la meule (poli pierre contre pierre) ;
du mode de manipulation : si on a affaire à une manipulation sur le dessus (dos ou flanc proximal), l’usure tout le long du bord proximal de la molette va être plus marquée car cette zone reçoit plus de pression au moment de l’actionnement de la molette (fig. 8). Par contre, si la manipulation s’effectue par les extrémités, l’usure sur les bords apparaîtra plus homogène, ou l’usure du bord proximal et distal apparaîtra équivalente. Ce geste permet également de faire pivoter plus la molette.
13Comme l’ont montré Baudais et Lundström-Baudais (2002), le développement de l’usure semble résulter du mode de manipulation et de la position des grains sur la surface active. D’après eux, l’usure se développe plus aux extrémités si le grain est concentré au centre et/ou s’il y a des pressions asymétriques occasionnelles qui impliquent un contact pierre/pierre entre l’extrémité de la molette et le bord de la meule. Cette pression asymétrique est également possible en tenant la molette au centre (façon molette courte). Seule la position asymétrique des deux mains par rapport au centre de la molette peut affecter directement la formation préférentielle d’une usure sur une extrémité ou l’autre. Reste que certaines molettes néolithiques semblent bien avoir été manipulées de façon asymétrique. Des molettes dissymétriques existent, ce qui implique un geste de broyage mal réparti, de même que des molettes uniquement débordantes d’un côté (fig. 9 et fig. 6 in Hamon et alii, ce vol.). Ces molettes dissymétriques restent cependant minoritaires.
14Les critères à examiner pour définir une molette débordante se résumeraient donc ainsi :
la seule morphologie de la surface active ne permet pas de déterminer si on a affaire à une molette débordante ;
l’existence de ressauts aux extrémités n’est pas en soi un critère obligatoire, puisque certaines molettes débordantes présentent une concavité très régulière de leur surface active ;
a contrario toutes les molettes à concavité longitudinale ne sont pas forcément débordantes même si elles fonctionnent (forcément) nécessairement ? avec une meule convexe ;
l’usure des molettes débordantes et leurs cycles de ravivage tendent à augmenter la concavité ou, au contraire, à la réduire (selon qu’on abat les rebords distaux en cours de formation ou non, si le ravivage affecte uniquement la zone centrale de la surface active ou non, etc.) (fig. 3). Ceci peut engendrer un plus fort degré de fragmentation de ces outils.
15C’est donc la combinaison d’une certaine concavité (ou mieux d’un ressaut aux extrémités) et de la distribution de l’usure de la surface active qui permettrait de définir une molette débordante. En conséquence nous proposons, à partir des types proposés par Zimmermann (1988), de définir quatre sous-types de molettes débordantes uniquement basés sur la morphologie et le degré de concavité des surfaces actives :
Zimmermann 1a : avec « ressaut / poignées » sur le côté et forte concavité de la partie centrale délibérément façonnée ; l’actionnement se fait par maintien latéral des molettes ;
Zimmermann 1b : la surface active est régulièrement concave, qu’elle soit façonnée ou non ;
Zimmermann 1c : la surface active est concave et symétrique, avec de légers ressauts aux deux extrémités ;
Zimmermann 1d : la surface active est concave et dissymétrique, avec un léger ressaut à une extrémité.
16Il faut évidemment souligner, sur cette base, la difficulté de déterminer si une molette est débordante lorsqu’on dispose seulement d’un fragment.
2. PREMIERS ÉLÉMENTS D’ANALYSE CHRONOLOGIQUE ET GÉOGRAPHIQUE À PARTIR D’EXEMPLES RÉGIONAUX
2.1. Corpus rassemblé
17Les études sur les outils de mouture ont été entreprises dans certaines régions et phases chronologiques, mais dans d’autres secteurs géographiques et/ou chrono-culturels les informations restent très partielles, voire absentes. Il s’agit donc ici de dresser un premier état des lieux à partir des données disponibles sur la question des molettes débordantes, dans la mesure où ce type particulier de système de mouture a été identifié comme tel lors de l’étude des séries. Notre propos n’a donc pas vocation à être exhaustif et les observations formulées devront être affinées par l’étude de nouvelles séries.
18Nous avons rassemblé les données sur les molettes débordantes connues sur soixante-neuf sites en France (fig. 10). Cent trente-trois molettes débordantes et vingt-deux meules à molettes débordantes y ont été recensées. Sur les sites où des molettes débordantes ont été recensées, elles constituent donc 39 % du total des molettes (334 ex.), et les meules associées 19 % du corpus total de meules (115 ex.) recensées sur ces sites.
19En terme chronologique, ces pièces sont connues à la fois dans des contextes du Néolithique ancien et du Néolithique moyen ; pour l’instant aucun outil n’a été identifié pour des occupations du Néolithique final. Les molettes débordantes néolithiques sont connues dans des assemblages de la moitié nord de France (Bretagne, Île-de-France, Picardie, Champagne-Ardenne, Bourgogne, Franche-Comté, Alsace), ainsi qu’en régions Rhône-Alpes et Auvergne. Elles sont en revanche absentes des séries du pourtour méditerranéen et de l’Aquitaine.
20Il faut également noter que près de la moitié des exemplaires connus provient de Franche-Comté, en particulier du Néolithique moyen (80 %), où un Programme collectif de Recherche (Jaccottey, Milleville, 2009) a permis d’étudier la totalité du matériel de mouture régional.
2.2. Distribution chronologique et géographique
2.2.1. Néolithique ancien
21Au Néolithique ancien (5100-4700 av. J.-C.), le type 1a de molette débordante est connu dans toute l’Europe rubanée. De très nombreuses régions d’Europe du nord-ouest livrent ainsi ce type de molettes, notamment en Hesbaye belge (Jadin dir., 2003, fig. 5.1-61 ; Hamon, Goemare, 2007), en Hainaut (Constantin, 1985 ; Hamon, 2008), dans le Limbourg hollandais (Moddermann, 1970 ; Van Gijn, Verbaas, 2009), au Luxembourg (Hauzeur, 2006) et dans la vallée du Rhin (Zimmermann, 1988 ; Graefe, 2004). En France, ce type de molette est bien connu dans les Rubané ancien et moyen alsaciens, comme par exemple dans les sites d’habitat d’Ungersheim (Châtelet et alii, 2006) ou Osthouse-Kleinfeld (Perrin, 2013, p. 123), ou dans les nécropoles comme à Vendenheim (Jeunesse dir., 2002). Il a également été récemment reconnu dans le Rubané récent champenois : un exemplaire a été identifié à Juvigny (Hamon et alii, ce vol.).
22Mais la particularité de la distribution de ce type de molette au Néolithique ancien réside dans sa complète disparition des nombreux corpus de la fin du Rubané (RFBS) et du BVSG en Nord-Picardie, Île-de-France et Massif armoricain, alors même que de très nombreuses séries de meules et molettes y ont été étudiées de façon détaillée (fig. 11 ; voir par exemple Blanchet et alii, 2010 ; Hamon 2006 ; Billard et alii, 2014 ; Praud et alii, 2009). Cette différence est également visible plus à l’est, où une seule molette débordante a été exhumée pour quatre molettes courtes dans le niveau XI de Gonvillars (Jaccottey, Milleville, 2014, p. 231) où des influences VSG et Cerny ont été notées (4700-4600 av. J.-C.). Plusieurs hypothèses ont été proposées pour expliquer ce phénomène. L’abandon des molettes débordantes pourrait être lié à un choix culturel, notamment à des influx d’origine méditerranéenne, ou bien encore à l’introduction et la consommation plus courante de céréales nues (orge, blé tendre) jusque-là peu cultivées dans l’aire rubanée (Hamon, 2008b).
2.2.2. Néolithique moyen I
23Au Néolithique moyen I, les molettes débordantes sont présentes dans plusieurs séries étudiées.
24Dans le centre-est de la France, elles sont nettement majoritaires dans les séries Rössen de la frange orientale de la Franche-Comté, datées de 4500 à 4300 av. J.-C. (Jaccottey, Milleville, 2014). La filiation des molettes débordantes avec le Hinkelstein et le Grossgartach, puis le Rössen d’Alsace est probable mais ne peut être assurée. Les molettes débordantes sont en effet présentes dans le Hinkelstein, mais aussi le Grossgartach de la vallée du Rhin, comme à Lingolsheim (Farruggia, 1992) ou Rosheim (Bakaj et alii, 1998 ; Gelliot, 2002). De tels exemples sont également connus pour le Rössen outre-Rhin (Gehlen et alii, 2009, fig. 87A, p. 568).
25En Bourgogne, les niveaux chasséens (4500-4300 av. J.-C.) du camp de Chassey (Duda, 2013) et du site de Brochon (étude Duda et Jaccottey, inédite) ont également livré en majorité des molettes débordantes.
26Pour cette période, ce type de moulin reste pour le moment absent dans l’ouest de la France, tout comme en Auvergne et en Rhône-Alpes pour le Chasséen ancien. Cette absence doit cependant être relativisée en raison du déséquilibre des données existantes entre les deux phases du Néolithique moyen dans ces régions.
2.2.3. Néolithique moyen II
27À partir de 4300-4200 av. J.-C., la mouture sur les sites NMB du camp de Chassey (Duda, 2013) et de Péronne en Bourgogne, des sites de bord de lac de Clairvaux (Milleville, 2007), de l’habitat ouvert de Mathay (Jaccottey, Milleville, 2014), des enceintes de Moulin-Rouge à Lavans-lès-Dole, du Mont-Bart à Bavans, de la Roche d’Or à Besançon, du camp du Château à Montmorot et Salins-les-Bains… (Jaccottey, 2011c), de l’enceinte de la Vergentière à Cohons au sud de la Champagne (ce volume) ou de Saint-Priest dans la région lyonnaise (Gisclon et alii, ce vol.) se caractérise par la présence quasi exclusive de molettes débordantes (fig. 12).
28Dans le nord de la France, on les rencontre en contexte Épi-Rössen (4400-3900 av J.-C. ; Osly-Courtil ’La Terre Saint-Mard’ in Monchablon, à paraître), Chasséen septentrional (4500-3500 av. J.-C. ; Villers-Carbonnel ’La Sole d’Happlincourt’, in Bostyn et alii, 2014b), Michelsberg (4450 et 4250 av. J.-C. ; Bazoches-sur-Vesles ’Le Bois de Muisemont’, à paraître) et du Groupe de Spiere (4200-4000 av. J.-C. env. ; Escalles ’Le Mont d’Hubert ; Praud et alii, 2014). L’enceinte de Carvin ’La Gare d’Eau’ (Pas-de-Calais, Groupe de Spiere, Monchablon et alii, 2014) fait figure d’exception parmi ces enceintes avec dix-neuf des vingt-six molettes recensées de type débordant. En revanche, sur les autres séries mentionnées, elles ne sont pas majoritaires (dix-sept sur soixante-cinq molettes), mais toutes rappellent d’autres exemples documentés pour ces contextes outre-Rhin (Behrends, 1998). Cependant, leur fragmentation fréquente peut induire un biais dans la reconnaissance de leur type, court ou débordant.
29Pour l’ouest de la France, la Bretagne a livré quatre cas incontestables de molettes débordantes, toutes complètes, provenant de trois occupations du Néolithique moyen II. À Pléchâtel ’Le Bois’ (4000-3800 av. J.-C. ; Juhel, Donnart, 2014) et à Lillemer (4300-4000 av. J.-C. ; Laporte et alii, 2013), elles sont associées à leur meule. À Pleumeleuc ’Zac de l’Orme’ (Sicard, 2014), deux exemplaires sont issus de structures à pierres chauffées : l’une a été datée de 4325 à 4065 av. J.-C., alors que la seconde renvoie plutôt à un Néolithique moyen I (entre 4490-4355 av. J.-C.).
30En Auvergne, deux occupations datées du Chasséen récent (3900-3500 av. J.-C.) ont livré chacune une molette débordante à double surface active : il s’agit de ’Champ-Chalatras ’aux Martres-d’Artière (Brisotto, Jaccottey, à paraître), et du Colombier à Beaumont ’Champ-Madame’ (Saintot et alii, 2016). S’y ajoutent probablement quatre fragments pour ’Champ Chalatras’ ainsi que deux autres pour l’occupation des Foisses à Beaumont ’Champ-Madame’ (Saintot et alii, 2016). Enfin, pour le site de Feurs (Loire), ce sont quatre individus qui ont été recensés en contexte Néolithique moyen (Thévenin, 2010).
31Dans la moyenne vallée du Rhône, le site Chasséen récent rhodanien (3900-3750 av. J.-C.) de Daurelle-Autajon à Montélimar (Ferber, 2014) a fourni à lui seul vingt-six exemplaires avérés, pour dix molettes courtes et vingt-deux molettes indéterminées (Cousseran-Néré et alii, ce vol.). À cette série s’ajoute un individu reconnu comme tel, qui a été prélevé sur une occupation voisine et contemporaine (Cordier, 2006). Pour ce site ce sont sans doute plusieurs autres pièces à surface concave, alors interprétées comme de petites meules, qu’il conviendrait d’étudier à nouveau, notamment en examinant la localisation des traces d’usure. Il en est de même pour un autre site Chasséen récent de Montélimar à Portes de Provence (Treffort, 2011), où le matériel nous est parvenu très fragmenté (fig. 13).
32Dans le sud-ouest de la France, le site Chasséen ancien et récent (4500-4000 av. J.-C.) de Saint-Michel-du-Touch a livré plusieurs molettes à surface active concave ou plane longitudinalement et plano-convexe transversalement. Leur usure marquée aux extrémités évoque des molettes débordantes (voir SMT - A35-8, A109-26, A122-6 in Rivals, 2006).
33La mise en évidence de molettes débordantes durant le Néolithique moyen II n’est cependant pas nouvelle. Sur le territoire helvétique, les outils de mouture du site Cortaillod du Petit Chasseur à Sion (4000 à 3750 av. J.-C.) ne livrent que des molettes débordantes (Jaccottey, Milleville, 2011). Toutes ces molettes, ainsi qu’une meule, sont fabriquées à partir de galets de gneiss. Une pièce similaire a été repérée dans les séries plus anciennes du site Cortaillod de Saint-Léonard (4500 à 4000 av. J.-C. ; Winiger, 2009).
34Des meules, dont la forme globale, les dimensions et la section longitudinale sont similaires aux molettes débordantes du Petit Chasseur, proviennent de l’habitat lacustre de Concise (Suisse ; 3650 av. J.-C.). L’étude de ces outils précisait qu’« une partie des meules du type m1 pourrait être des molettes débordantes », mais l’hypothèse retenue était celle de meules de petit module (Burri, 2010, p. 187). Enfin, certaines des molettes publiées de Port-Stüedli (3700-3500 av J.-C.) sont débordantes (Zwahlen, 2003).
2.2.4. À partir du Néolithique récent/final
35À partir du Néolithique final, on observe une complète disparition de l’utilisation des molettes débordantes de la Bretagne à la Franche-Comté. Une molette débordante a cependant été retrouvée dans la couche 5 du camp de Chassey, mais elle semble être un réemploi d’outils provenant des niveaux d’occupations antérieurs (Duda, 2013, p. 38). Les raisons de l’abandon de ce système de broyage sont difficiles à expliquer. À cette période, un autre changement important est perceptible dans les séries d’outils de mouture : l’utilisation fréquente des meules à cuvettes ou rebord sur support massif notamment (Donnart, 2011 ; Monchablon, 2014 ; Hamon et alii, ce vol.). Mais aucun lien entre ces deux évolutions ne peut être actuellement établi. Cette absence des molettes débordantes se poursuit tout au long de l’âge du Bronze, même si ponctuellement quelques exemplaires ont été reconnus. Un exemplaire a été identifié en contexte Bronze final (Rhin-Suisse-France-Orientale) dans l’Aisne (Hénon et alii, 2014) et un autre en contexte Bronze final / Hallstatt ancien à Villers-Carbonnel (Somme ; Bostyn et alii, 2014b). À la fin de l’âge du Fer, les molettes débordantes font leur réapparition, dans un contexte de foisonnement et d’invention de nouveaux systèmes de préhension et d’actionnement (Defressigne et alii, 1992 ; Jaccottey et alii, 2011a ; Lagadec, 2008).
2.3. Caractéristiques générales des moulins débordants
2.3.1. Matières premières
36De façon générale, les matériaux utilisés pour la confection des molettes débordantes sont divers, y compris au sein d’une même occupation : grès et arkose, granite, gneiss, calcaire, basalte, rhyolithe. Ils suivent en cela, globalement, les règles chronologiques et/ou régionales en vigueur pour tous les types de molette.
37Dans le Néolithique ancien d’Alsace et de Champagne, tout comme en Hainaut et Hesbaye, les grès quartzitiques sont utilisés de façon exclusive : on ne note pas de différence dans la sélection des matériaux entre les molettes courtes et débordantes.
38Les molettes débordantes des niveaux chasséens du camp de Chassey sont essentiellement façonnées en granite et, dans une moindre mesure, en grès, comme le reste de l’outillage de mouture (Duda, 2013). La molette débordante de Brochon (Côte-d’Or) est en grès, les autres molettes sont en grès ou en granite.
39Dans le Néolithique moyen II franc-comtois, comme pour la période précédente, les roches employées pour la fabrication des molettes débordantes et des meules associées sont essentiellement les grès vosgiens (parfois tirés de galets morainiques), les grès du massif de La Serre pour la Franche-Comté et les granites et grès de la bordure du Morvan à Chassey. Les outils de mouture découverts à Clairvaux (Jura) sont tous fabriqués dans du calcaire local (Milleville, 2007). Cette utilisation du calcaire a également été notée sur les enceintes de Lavans-lès-Dole et Bourguignon-lès-Morey (Haute-Saône). On remarque parfois l’utilisation de rhyolites vosgiennes et de granite de La Serre dans ces assemblages (Jaccottey, 2011a). L’intégralité des molettes débordantes du site du Petit Chasseur dans le Valais suisse est fabriquée en gneiss, dont la moitié à partir de galets, tandis que les meules sont façonnées dans des roches variées (gneiss, roche-verte…) (Jaccottey, Milleville, 2011). Dans le sud-est de la Champagne, les molettes débordantes sont également en grès de La Serre, mais aussi en granite local (Hamon et alii, ce vol.). Ces choix sont à l’image du reste des outils de mouture.
40En contexte Michelsberg, les molettes débordantes sont systématiquement en calcaire, au contraire des courtes plutôt en grès sur les mêmes occupations (Monchablon, à paraître). Sur les sites chasséens et du Groupe de Spiere, il ne semble pas y avoir de différences dans les matériaux choisis entre molettes courtes ou débordantes, les substrats locaux offrant quasi exclusivement des grès.
41Pour les sites bretons, grès, poudingue et granite sont employés dans la fabrication des molettes débordantes, comme pour le reste des instruments de mouture du Néolithique moyen.
42Au Néolithique moyen, dans la moyenne vallée du Rhône, la diversité des matières premières reflète la disponibilité de plusieurs types de roches, qui bien que d’origines différente sont accessibles sous forme de galets ou de blocs roulés dans les hautes et moyennes terrasses du Rhône. Pour le site de Daurelle-Autajon qui offre la meilleure représentativité (dix-neuf pièces), le basalte est majoritaire (avec neuf éléments) pour une quantité de grès et de granite moindre (cinq individus chacun). Cette préférence pour le basalte vaut également pour les meules et les molettes courtes de cette série, même si, pour ces dernières, le granite est bien représenté. À Feurs (Loire), c’est le granite qui se trouve sélectionné pour les molettes débordantes et de façon plus générale pour l’ensemble du matériel de mouture, alors qu’en Auvergne, le grès feldspathique apparaît majoritaire aussi bien pour les molettes débordantes que pour les autres catégories de pièces de mouture.
43On notera donc, dans l’ensemble, que les choix des matières premières pour la confection des molettes débordantes est similaire à celui des molettes courtes, quelles que soient les régions et les périodes. Les matières premières des molettes débordantes n’auraient donc pas fait l’objet d’une stratégie de sélection particulière. Seuls quelques contextes, comme les sites du Michelsberg, semblent montrer un choix préférentiel des calcaires pour les molettes débordantes, choix différent de celui des molettes courtes. Il conviendra de préciser ce mode de gestion spécifique de la matière première (Monchablon, à paraître).
2.3.2. Technologie et morphologie
44Sur l’ensemble du corpus rassemblé, les formes comptent essentiellement des pièces ovalaires ou quadrangulaires, plus rarement naviformes. Seules seize pièces sont complètes, soit seulement 12 % du corpus. La moitié de l’ensemble du corpus de molettes livre des informations sur leur mode de façonnage, dans l’ensemble très poussé : 10 % d’entre elles présentent un dos brut, 30 % des enlèvements, 50 % des traces de mise en forme par bouchardage ou martelage et 10 % sont façonnées avec une association de plusieurs techniques.
45On observe cependant quelques variations régionales.
46Les molettes du Néolithique ancien d’Europe de l’Ouest sont de forme et de section quadrangulaires, elles présentent deux rebords distaux aménagés pour la manipulation, sortes de « poignées ». Elles montrent toutes un fort degré de mise en forme par enlèvements, sur les flancs et le dos, parfois associé à un fin piquetage de régularisation (Constantin, 1985 ; Hamon, 2008).
47Les molettes du Néolithique moyen en Bourgogne et Franche-Comté sont assez étroites avec des bords parallèles, le plus souvent de forme quadrangulaire, et plus rarement ovalaires ou naviformes (Jaccottey, 2011a). À Sion, l’utilisation de galets pour la fabrication des molettes implique que celles-ci ont des formes ovalaires et des sections triangulaires à semi-ovalaires (Jaccottey, Milleville, 2014). En revanche à Chassey et Brochon, les formes ovalaires dominent, devant les molettes quadrangulaires et quelques pièces naviformes. Elles montrent une mise en forme qui est généralement importante, par enlèvements suivis d’un martelage pour adoucir les arêtes, voire un bouchardage plus intégral.
48Les molettes débordantes du Néolithique moyen II de Picardie et du Pas-de-Calais présentent une morphologie à tendance quadrangulaire (fig. 8), parfois ovalaire. Cependant, peu d’exemplaires sont complets, aussi est-il délicat de généraliser. Les sections varient de ovalaires à rectangulaires en passant par quelques exemplaires à section trapézoïdale et d’autres triangulaires asymétriques. La mise en forme est patente : enlèvements nombreux au dos repris par un bouchardage soigné. De plus, un poli de manipulation, au dos ou sur les bords selon le choix du type de préhension, est souvent perceptible (fig. 8).
49Dans l’Ouest les formes ovalaires dominent. Le façonnage des flancs s’effectue par enlèvements et martelage, alors que les dos sont soit martelés, soit bruts. À Pléchatel ’Le Bois’, la morphologie naviforme de la molette, avec un rétrécissement aux extrémités pourrait avoir facilité la préhension de l’outil.
50En Auvergne et en Rhône-Alpes, ces molettes sont majoritairement de forme ovalaire et de section semi-ovalaire.
51Le faible corpus de pièces entières permet difficilement de raisonner en termes de morphologie. Tout au plus pouvons-nous souligner le caractère souvent très prononcé du façonnage de ces molettes débordantes, parfois façonnées de façon plus aboutie que les molettes courtes.
2.3.3. Dimensions
52Aucun standard de module ou de dimensions ne peut être mis en évidence. Les molettes complètes, toutes régions et périodes confondues, sont comprises entre 22 et 38 cm de longueur et entre 11 et 17 cm de largeur, tandis que leurs épaisseurs moyennes sont d’environ 6 cm (entre 4 et 7 cm).
53Les molettes identifiées dans les corpus du Néolithique ancien français sont souvent trop fragmentées pour être caractérisées, mais à titre de comparaison, les deux molettes du dépôt 10 d’Aubechies mesurent entre 38 et 41 cm de longueur, pour 18 cm de largeur et 10 cm d’épaisseur (Constantin, 1985 ; Hamon, 2008).
54Dans le Néolithique moyen I franc-comtois, les molettes ont une longueur de 26 à 30 cm pour une largeur de 12 à 19 cm et des épaisseurs de 4 à 8 cm. Au Néolithique moyen II, les molettes ont une longueur comprise entre 19 et 38 cm, pour une largeur de 12 à 17 cm. Les dimensions générales de ces pièces sont assez « standardisées » et sont assez proches de celles des molettes du Néolithique moyen I. Au Petit Chasseur cependant, les molettes ont une largeur comprise entre 9 et 13,6 cm.
55En Picardie et Pas-de-Calais, les quelques exemplaires complets présentent des longueurs comprises entre 11,6 et 36,5 cm et des largeurs oscillant de 7 à 18 cm. Les épaisseurs tournent très majoritairement autour des 5 cm (avec une amplitude de 2,5 à 8 cm). La moyenne des mesures complètes des molettes débordantes est donc de 19,5 x 12,1 x 5,1 cm (contre 14,5 x 12 x 5,9 cm pour les molettes courtes des mêmes occupations).
56Pour cette même période, les dimensions des molettes bretonnes sont comparables avec des longueurs entre 25 et 29 cm. Leurs largeurs oscillent autour de 13,5 cm et leurs épaisseurs rejoignent les valeurs générales (entre 5 et 7 cm).
57En Rhône-Alpes et Auvergne, seules cinq molettes de Daurelle nous renseignent sur la longueur des pièces qui peut atteindre jusqu’à 25,5 cm. Pour ce même site, les largeurs conservées oscillent entre 11,2 et 17 cm. Ce constat semble valable pour l’ensemble des molettes débordantes de cette région, tout au moins pour les largeurs comprises entre 9,6 et 18 cm. L’épaisseur maximale des pièces, plus souvent préservée, est quant à elle comprise entre 3 et 11 cm avec une moyenne de 6,2 cm. Les dimensions de ces molettes pour cette région apparaissent donc modestes, par comparaison notamment avec celles du Néolithique moyen Bourguignon.
58Pour résumer, les longueurs peuvent atteindre jusqu’à 40 cm et les largeurs sont en général comprises entre 10 et 20 cm. Les épaisseurs restent faibles puisqu’elles ne dépassent que très rarement les 10 cm et sont plutôt comprises entre 5 et 7 cm. Le faible corpus de pièces entières par période et région ne permet cependant pas de raisonner sur la distribution des classes de dimensions et sur leur signification de façon détaillée.
2.3.4. Surfaces actives
59Vingt-cinq molettes débordantes, soit 18 % du corpus rassemblé, présentent deux surfaces actives (fig. 14). Ce type de molette est totalement absent des contextes rubanés, Rössen et Michelsberg alors qu’il est bien présent dans le Chasséen septentrional et rhodanien, ainsi que dans le Néolithique moyen Bourguignon/Cortaillod.
60Le profil longitudinal des surfaces actives des molettes débordantes est, d’une certaine manière par définition, concave (40 %) à plan (8 %). Leur profil transversal est à 40 % convexe, 50 % plano-convexe et 5 % plan.
61Toutes ces molettes du Néolithique ancien d’Europe de l’Ouest sont de type 1a et présentent une forte concavité, probablement préformée. Dans le Néolithique moyen I franc-comtois, la concavité de la surface active est régulière (type Zimmermann 1b), à l’exception d’une pièce asymétrique (type Zimmermann 1d). Pour le Néolithique moyen II, dans les régions de l’Ouest, d’Auvergne et de Rhône-Alpes, comme à Sion, c’est également le type 1b qui prévaut.
2.3.5. Appariement et meules
62Les quelques meules identifiées comme associées à des molettes débordantes sont globalement plutôt étroites et avec une surface active concave, longitudinalement, et convexe à plano-convexe, transversalement. En raison de ces caractéristiques et d’un volume parfois plus petit que celui des meules des autres types de moulins va-et-vient, elles peuvent parfois être confondues avec des molettes.
63Pour le Néolithique ancien du Hainaut, les meules des dépôts 10 et 38 d’Aubechies présentent une surface active plano-concave (moins de 0,5 cm de concavité). Elles mesurent de 36 à 53 cm de longueur, pour 20 à 27 cm de largeur et 7 à 11 cm d’épaisseur (Constantin, 1985 ; Hamon, 2008).
64Les meules du Néolithique moyen franc-comtois ont des dimensions de 34,5 à 60 cm pour des largeurs de 14,5 à 29 cm ; assez étroites, elles ont une surface active concave longitudinalement et convexe à plano-convexe transversalement.
65À Chassey, les meules des niveaux chasséens sont quadrangulaires ou ovalaires, d’une largeur comprise entre 32 et 36 cm, pour une épaisseur de 10 à 16 cm. Les flancs et les extrémités sont totalement mis en forme et martelés. Les surfaces actives sont plano-concaves à planes longitudinalement et plano-convexes transversalement. Les meules du Néolithique moyen Bourguignon sont plutôt naviformes et d’une largeur plus faible comprise entre 15 et 21 cm, pour une épaisseur de 10 à 15 cm.
66Dans le nord de la France, une seule meule à molette débordante a été reconnue, à Villers-Carbonnel (Somme) (40 x 15 x 7 cm) (fig. 15). La mise en forme par enlèvements sur les flancs et le dos est soignée mais cependant un peu moins poussée que pour les molettes associées. Un poli de frottement est lisible au dos de cette meule nettement rectangulaire.
67En Bretagne, les meules à molettes débordantes du Néolithique moyen sont de forme rectangulaire et assez étroites. Leurs longueurs sont d’environ 50 à 60 cm pour des largeurs allant de 20 à 25 cm. Les surfaces actives sont planes à plano-concaves longitudinalement et plano-convexes transversalement.
68Les meules du site de Daurelle ont des surfaces actives planes à concaves longitudinalement et plutôt convexes transversalement. Elles sont de forme ovalaire ou quadrangulaire.
69À la lumière de cette caractérisation des appariements de meules et molettes dites débordantes, il conviendra probablement de réexaminer les corpus anciennement étudiés, afin de bien mettre en évidence les meules ayant pu fonctionner avec des molettes débordantes.
3. CONCLUSION
70Il est encore trop tôt pour définir, sur la base du corpus de molettes débordantes actuellement rassemblé, des différences morphométriques par région ou par période chronologique. Quelques grandes lignes peuvent cependant être dégagées, sans que l’on sache encore précisément si les changements, dans les sous-types ici définis, sont d’ordre strictement chronologique ou géographique. Le sous-type 1a correspondrait au Néolithique ancien, tandis que les 1b, 1c et 1d relèveraient plus du Néolithique moyen. Au Néolithique moyen, la distribution des molettes débordantes apparaît relativement déséquilibrée entre les régions : leur présence importante en Franche-Comté permet de décrire une grande homogénéité morphologique, ce que n’autorise pas leur forte fragmentation dans le nord de la France.
71En termes de présence/absence, il faut à nouveau souligner leur existence sur tous les sites du Rubané européen, y compris les Rubanés ancien et moyen alsaciens et le Rubané récent Champenois, et leur absence sur les sites du Rubané final du bassin de la Seine et sur les sites Blicquy/Villeneuve-Saint-Germain.
72À partir du Néolithique moyen, ces molettes sont majoritaires dans le Jura, connues dans la vallée du Rhône, moins nombreuses que leurs consœurs « courtes » dans le nord de la France et présentes de façon quasi anecdotique dans les séries de la façade atlantique. Cette distribution plaiderait donc en faveur d’une logique culturelle sous-tendant l’utilisation ou non de ces molettes débordantes, avec un gradient décroissant de l’est à l’ouest de la France et l’existence d’un influx « oriental ».
73Quoi qu’il en soit, ces différences de morphologie dans les molettes débordantes suggèrent un fonctionnement également différent. Peut-on en déduire qu’il reflète une fonction différente de ces moulins ? La question de la matière transformée, pourtant cruciale, reste à l’heure actuelle sans réponse ferme. Des études carpologiques récentes ont mis en évidence un changement dans les céréales cultivées entre le Néolithique ancien et le Néolithique moyen (Dietsch-Sellami, 2004). Il serait tentant de justifier la résurgence de molettes débordantes au Néolithique moyen par ce changement céréalier. Cependant, comment dès lors expliquer la présence de ce même type de moulin sur les sites plus anciens de Belgique, du Luxembourg, d’Allemagne ? De même, la coexistence des deux types de moulins, à molette courte ou débordante, sur certaines occupations semble contredire la seule explication par une modification dans les céréales broyées. Plus qu’une évolution de la matière d’œuvre, on pourrait avoir affaire à des préparations alimentaires différentes selon le type de moulin choisi (gruau versus farine, par exemple) ?
74Reste que plusieurs exemples ethnographiques suggèrent que l’usage de différents types de moulins semble plutôt lié à des choix et des influences d’ordre culturel qu’à de véritables différences fonctionnelles (Baudais, Lundström-Baudais, 2002 ; Hamon, Le Gall, 2013 ; Katz, 2003).
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Les meules du Néolithique à l’époque médiévale : technique, culture, diffusion
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