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Les meules du Néolithique à l’époque médiévale : technique, culture, diffusion

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Olivier Buchsenschutz
, 
Stéphanie Lepareux-Couturier
, 
Gilles Fronteau

Deuxième partie. Carrières, matériaux, productions

Les productions de meules en « grès des Vosges » de La Tène finale à la fin de l’Antiquité

Typologie, chronologie, diffusion

Luc Jaccottey, Florent Jodry und Timothy Anderson

Zusammenfassung

Le massif vosgien s’étire sur près de 150 km de longueur entre Alsace, Franche-Comté et Lorraine. Les meules en grès des Vosges sont largement présentes dans les corpus archéologiques depuis le Néolithique jusqu’au Moyen Âge d’Alsace, de Franche-Comté et du nord de la Suisse. C’est notamment le cas des meules rotatives de la fin de l’âge du Fer et de la période romaine. Pour ces périodes, plusieurs indices d’exploitation sont connus, témoignant de la diversité des zones de production. L’objectif de ce travail est, à partir des collections archéologiques, de mettre en évidence les évolutions typologiques et morphologiques de ces outils sur l’ensemble du pourtour du massif vosgien. L’étude de différentes spécificités typologiques (perforation latérale, œil de la meta, œil pour le catillus…) doit permettre d’individualiser différentes productions spécifiques à certains secteurs géographiques.

Volltext

1Les différents matériaux lithiques présents au sein du massif des Vosges ont été exploités pour la production de meules va-et-vient et rotatives (Jodry, Carzon, 2006, 2012). Parmi ceux-ci, divers types de granites ont été employés dès le Néolithique. Les rhyolites, et notamment celle des carrières de La Salle, ont fait l’objet d’importantes exploitations pour le façonnage de meules de l’âge du Fer à l’époque romaine (Farget, 2006 ; Farget, Fronteau, 2011). Enfin, le grès a servi à la fabrication d’un grand nombre de meules depuis les débuts du Néolithique jusqu’à l’époque moderne. Il s’agit d’une roche sédimentaire détritique composée essentiellement de grains de quartz dans une matrice siliceuse. Les grès vosgiens sont issus des formations du Trias. Ils se caractérisent par une coloration rose violacée facilement identifiable.

2Très rapidement le grès des Vosges, autrement connu sous l’appellation « grès rose » ou Buntsandstein, a été reconnu dans les corpus meuliers, notamment pour les productions de meules rotatives à la fin de l’âge du Fer (La Tène C et D) et à l’époque romaine. Repérées dans les séries archéologiques helvétiques (Anderson et alii, 2003 ; 2004), les meules rotatives à main ont fait l’objet d’un premier recensement à l’échelle de la Suisse et des régions françaises de l’Alsace et de la Franche-Comté (Jaccottey et alii, 2007a). Dans ce travail, 276 meules en grès des Vosges avaient été identifiées en Alsace, dans la moitié nord de la Franche-Comté et le quart nord-est de la Suisse. L’extension de la diffusion de ce type de roche n’avait alors pas été évaluée en Allemagne (notamment en bordure de la Forêt Noire) et en Lorraine, qui occupe le flanc occidental du massif vosgien. La zone de diffusion des grès des Vosges alors observée était particulièrement large, s’étalant sur une distance de plus de 250 km.

3À partir de ce premier constat, la question se pose de savoir si l’ensemble des meules en grès des Vosges est issu d’une seule zone de production qui aurait alimenté toutes les régions concernées durant les époques gauloise et antique, ou si, à l’inverse, différentes zones d’exploitation existaient et fournissaient les outils de mouture dans des secteurs distincts. En effet, de part l’étendue géographique des affleurements exploitables, il existe la possibilité d’une multiplicité des zones de production. Dans le cas de l’existence de plusieurs de ces zones, est-il possible de différencier les productions de chacune de celles-ci ? À partir de quels critères ? Les diffusions observées peuvent-elles être comparées aux limites des peuples de la fin de l’époque gauloise et des cités antiques ? Ces diffusions peuvent-elles être comparées aux indices de carrières et d’ateliers de taille qui commencent à être mis en évidence ?

Fig. 1. Carte de la zone étudiée (L. Jaccottey).

4Notre propos, après avoir présenté les différents corpus pris en compte, est donc de définir les productions de chacune des régions prises en compte et de mettre en évidence les spécificités de celles-ci.

  • 1 Documents cartographiques aimablement fournis par P. Barral et P. Nouvel (Université de Franche-Com (...)

5Pour mener à bien cette enquête, après avoir identifié et inventorié les meules en grès dit des Vosges par périodes chronologiques et pour chacune des régions, nous prendrons en compte quelques critères typologiques afin de mettre en évidence, soit une certaine uniformité sur le territoire concerné, soit des différences par zones géographiques. Les données sur les meules étudiées en Alsace et Franche-Comté sont intégrées à la base de données des meules rotatives du programme collectif de recherche (PCR) « Évolution typologique et technique des meules du Néolithique à l’an mille » où toute une série de critères ont été définis conjointement (Buchsenschutz et alii, 2011). Les meules découvertes sur le territoire suisse ont été inventoriées lors de l’étude des meules de Châbles dans le canton de Fribourg (Anderson et alii, 2003), dans une base de données spécifiques, créée à la fin des années 1990. Les critères de ces deux bases de données ne sont donc pas tous identiques. Toutefois, il est possible de définir une série d’entre eux qui sont communs aux deux bases : œil perforant ou non des meta, forme et type de perforation liés à l’entraînement du catillus et œil du catillus. La cartographie de ces différents éléments a ensuite été reportée sur une carte avec la localisation des peuples gaulois et les limites des cités antiques de la zone géographique concernée1.

1. Le grès des Vosges

6Le massif des Vosges, situé sur les régions d’Alsace, de Franche-Comté et de Lorraine, a une surface de plus de 14 000 km2 (fig. 1). Il s’étend sur près de 150 km depuis la Planche des Belles Filles au sud, jusqu’à Wissembourg au nord de l’Alsace, et sur une largeur de plus de 60 km entre les plateaux lorrains et la plaine rhénane. La partie sud-est est essentiellement cristalline (formations du Protozoïque, orogénèses cadomienne et hercynienne, Paléozoïque supérieur) alors que le nord et l’ouest sont essentiellement gréseux (formations du Trias) (fig. 2).

7La superficie des affleurements gréseux susceptibles d’avoir été exploités est importante, couvrant toute la partie nord du massif, son flanc ouest et sa bordure sud-ouest.

8Cette accumulation de sédiments détritiques, maximale dans le nord des Vosges où l’épaisseur atteint 400 m près de Wissembourg, forme l’essentiel des affleurements du Buntsandstein. Ce sous-étage du Trias inférieur (245-241 millions d’années) se compose de subdivisions stratigraphiques dont les plus importantes sont le Buntsandstein moyen, composé du Grès vosgien (t1b) et du Conglomérat principal (t1c) et le supérieur, divisé en Couches intermédiaires (t2a) sur lesquelles est assis le Grès à Voltzia (t2b). En Allemagne, les grès du Buntsandstein sont présents au nord de Bâle et du Kaiserstuhl, mais aussi sur tout le flanc nord-est du massif de la Forêt Noire. L’appellation grès des Vosges, que nous employons ici, peut également concerner des pièces extraites en Forêt Noire.

9Visuellement le grès vosgien offre une palette riche en couleurs ou en granulométrie. Mais c’est aussi la cimentation des grains entre eux qui est sensiblement différente si l’on se place dans le cœur du massif (entre Saverne et Wissembourg) ou le long de la faille rhénane (entre Husseren-les-Châteaux et Guebwiller). C’est dans cette dernière zone géographique que l’on trouve les grès vosgiens à ciment quartzitique, par opposition aux précédents dont le ciment est plus argileux.

Fig. 2. Carte géologique simplifiée des Vosges et de la Forêt Noire (P. Picavet, fond : http://portal.onegeology.org/​ d’après BRGM et Bundesanstalt für Geowissenschaften und Rohstoffe).

2. Corpus étudiés

10Notre propos n’intéresse que les meules rotatives et ne porte que sur les régions Alsace et Franche-Comté, ainsi que sur le territoire helvétique (fig. 3). La diffusion des meules en grès des Vosges et de la Forêt Noire est importante et elle irrigue plusieurs territoires dont ceux des Rauraques, des Séquanes et des Médiomatriques à la fin de la période gauloise, et ceux des Rauraques, des Séquanes et des Triboques à l’époque romaine.

11Aucune étude sur une éventuelle diffusion des meules en territoire germanique n’a pour l’instant été entreprise. Enfin, le travail débute en Lorraine (S. Galland), mais le nombre de pièces recensées à ce jour est trop faible pour permettre une interprétation.

2.1. Le corpus alsacien

12Le corpus des pièces gauloises et antiques en grès vosgien étudiées pour la région rassemble 180 meules (74 dans le Bas-Rhin et 106 dans le Haut-Rhin), pour un corpus de 334 meules. L’utilisation du grès reste très concentrée sur la période antique (Haut-Empire) qui présente un ensemble de 172 pièces dont 66 pièces pour le département du Bas-Rhin et 106 pièces pour le département du Haut-Rhin où l’utilisation exclusive du grès quartzitique est attestée. Cette roche est par ailleurs utilisée à La Tène finale (LT D) mais nous ne possédons qu’un faible corpus de meules en grès : seulement huit meules sont attribuées à cette période.

13Ce lot est composé de 134 meules manuelles, trente-huit utilisent un entraînement hydraulique ou à traction animale. Neuf pièces de notre corpus ne peuvent pas être renseignées pour des raisons d’état de conservation.

2.2. Le corpus franc-comtois (et des départements voisins)

14Les pièces en grès pour cette région sont au nombre de 126 sur les 402 pièces recensées. Quatre-vingt-quatre meules en grès des Vosges ont été découvertes dans le département du Doubs, vingt-trois en Haute-Saône, dix dans le Jura, cinq dans le Territoire de Belfort, deux dans la partie sud de la Haute-Marne et deux autres au nord de l’Ain. La majorité des pièces provient de contextes mal datés : neuf sont issues d’occupation de la fin de La Tène et de la période augustéenne, dix-huit du Haut-Empire et cinq du Bas-Empire.

Fig. 3. Carte des meules rotatives en grès vosgien dans la zone étudiée (L. Jaccottey).

15Ce lot est composé de 90 meules manuelles ; trente-cinq sont à entraînement hydraulique ou à traction animale.

2.3. Le corpus suisse

16Le recensement mené au début des années 2000 par C. Doswald et T. Anderson a permis de prendre en compte 203 meules en grès des Vosges, pour 1472 meules inventoriées sur le territoire helvétique. 152 meules proviennent du canton de Bâle, trente et une du canton d’Argovie, huit du Jura, six dans le canton de Soleure, une dans le canton de Schaffhouse et une dans le canton de Zurich. Les datations précises de ces sites n’ont pas été prises en compte, tout au plus pouvons nous recenser une vingtaine de pièces se rapportant à la fin de l’époque gauloise.

17Il est possible d’individualiser 141 meules à main, trente-huit meules hydrauliques ou à traction animale et vingt-trois pièces indéterminées.

3. Les meules de la fin de la période gauloise et de l’époque augustéenne (fig. 4)

18Pour l’Alsace, huit meules en grès à ciment quartzitique font partie de cet ensemble. Il s’agit de meta découvertes à Ungersheim, Saverne et Niederbonn-les-Bains, de catillus provenant de Saverne et d’un moulin manuel mis au jour en situation fonctionnelle à Schaeffersheim (Boës, 2006 ; Jodry, Thomann, 2013). Les deux meules ont un diamètre identique de 36 cm.

19En Franche-Comté, le lot compte quinze pièces, dont trois meta qui proviennent de contextes bien datés (Besançon, Jallerange et Mandeure) et cinq autres de fouilles anciennes (Mandeure) ou de contextes non datés (Luxeuil, Luxiol et L’Hôpital-Saint-Lieffroy). Sur les sept catillus, six ont été découverts dans des niveaux de La Tène D ou de l’époque augustéenne issus de fouilles récentes (Baumeles-Dames, Besançon, Mandeure, Lure et Trémoins) et un dernier vient d’un fond ancien (Mandeure).

20Le lot helvétique, moins précis au niveau de ces datations, a livré treize meta et treize catillus de moins de 40 cm pouvant se rapporter à des moulins de La Tène, dont quatre en provenance des niveaux laténiens de Bâle.

3.1. Les meta

21Les données assez peu nombreuses (cinq pièces en Alsace, huit en Franche-Comté et treize en Suisse) concernant les meta de la fin de l’époque gauloise et de la période augustéenne (fig. 5) semblent mettre en évidence une différence entre les pièces découvertes dans le Bas-Rhin (Niederbronn-les-Bains, Saverne et Schaeffersheim) qui possèdent un œil aveugle, alors qu’en Franche-Comté (Mandeure) et dans les régions voisines, Andilly et Izernore mais aussi le sud de l’Alsace (Ungersheim), les meules à œil perforant sont les seules présentes. Dans la région du coude du Rhin (Augst et Bâle), les meta à œil perforant prédominent, même si elles sont accompagnées par des pièces dont l’œil est aveugle.

22La faiblesse du corpus incite à rester prudent avec cette observation.

3.2. Les catillus

23Vingt-trois pièces ont été recensées (trois en Alsace, sept en Franche-Comté et treize en Suisse). L’état de fragmentation des catillus franc-comtois permet peu d’observations pour cette région.

Fig. 4. Exemples de meules de la fin de l’époque gauloise et de la période augustéenne en grès vosgien (T. Anderson, L. Jaccottey et F. Jodry, Zurzach-Tenedo d’après Hänggi et alii, 1994).

24Tous les catillus suffisamment bien conservés (trois en Alsace, deux en Franche-Comté et huit en Suisse) possèdent une perforation latérale circulaire et horizontale (type 1, Jodry et alii, 2011) sur le flanc (Augst, Bâle, Lure, Mandeure, Saverne, Schaffersheim). Ce critère ne permet aucune discrimination.

25En revanche, il apparaît une nette différence dans la forme de l’œil des catillus (fig. 6) du nord de l’Alsace qui possèdent un œil circulaire (type 1A, Robin, Boyer, 2011) parfois associé à des logements d’anille arrondis (type 2A, ibid.), et les œils quadrangulaires simples (type 1C, ibid.) (Augst) ou avec des logements d’anille rectangulaires (type 2B, ibid.) de la partie helvétique (Augst, Bâle, Boécourt et Zurzach). Quelques œils arrondis sont également décomptés à Augst, mais ils possèdent des logements d’anille anguleux (en queue d’aronde, type 2C, ibid.) ou des anilles barres (type 5B, ibid.). On observe donc une très nette différence entre le nord de l’Alsace (secteur médiomatrique) avec des pièces à œil curviligne alors que dans la région bâloise (territoire rauraque) il est plutôt anguleux.

4. Les meules manuelles antiques (fig. 7)

26Elles sont relativement nombreuses dans les trois régions prises en compte.

27En Alsace, parmi les 134 meules antiques, cinquante-sept ne possèdent pas d’attribution chronologique précise et soixante-dix-sept sont datées du Haut-Empire (ier et iie s.). Sur ces soixante-dix-sept meules manuelles, cinq sont issues de contextes du ier s. et soixante-douze du iie s. Vingt-sept sont des meules dormantes et cinquante sont des meules tournantes.

28Quatre-vingt-trois meules manuelles en grès vosgien ont été identifiées en Franche-Comté, dont trente et une meta, trente-cinq catillus et dix-sept pièces indéterminées. Neuf meta proviennent de niveaux archéologiques correctement datés, essentiellement des contextes urbains du Haut-Empire (Besançon et Mandeure). Quatorze catillus ont été exhumés de contextes du Haut-Empire sur des sites urbains (Mandeure-Mathay) ou des sites ruraux de la même période (Baume-les-Dames, Jallerange et Valentigney).

Fig. 5. Répartition des types d’œil des meta manuelles en grès vosgien attribuées à La Tène D et la période augustéenne.

Fig. 6. Répartition des types d’œil des catillus manuels en grès vosgien attribués à La Tène D et la période augustéenne.

29Cent trente-neuf meules manuelles antiques ont été recensées sur le territoire suisse. Ce lot se compose de soixante-seize meta et soixante-trois catillus, dont une très grande majorité provient de l’agglomération antique de Augst (cinquante-sept meta et quarante-deux catillus) et dans une moindre mesure du site de Vindonissa (sept meta et six catillus). Peu de pièces sont datées : c’est notamment le cas des meules découvertes à Augst pour lesquelles les contextes de fouille n’ont pas été détaillés.

4.1. Les meta

30Les meta des moulins manuels possèdent le plus souvent un œil perforant (quarante-huit pièces, contre quarante et une à œil non perforant) (fig. 8). Les meules à œil perforant sont les plus nombreuses en Franche-Comté (Besançon, Étrelles, Osselle, Mandeure, Saint-Georges-Armont et Urcerey), en Suisse (Augst, Baden, Hagendorf et Olten) et en Alsace (Biesheim, Eckbolsheim, Ensisheim, Ungersheim, Wiwersheim). En revanche les pièces à œil aveugle sont majoritaires dans quelques sites du nord de l’Alsace (Saverne et Strasbourg) et plus particulièrement Horbourg-Wihr où elles sont en grès quartzitique. C’est dans cette commune que des indices d’un atelier de taille de meule ont été découverts (Nilles et alii, 2013 ; Jaccottey, Jodry, à paraître) : deux meules dormantes en cours de taille dont une sans œil et une avec un œil aveugle y ont été mises au jour.

4.2. Les catillus

31Concernant les catillus, la perforation liée à l’entraînement est, comme pour l’époque précédente, toujours horizontale, circulaire et non perforante (type 1, Jodry et alii, 2011), à l’exception d’une pièce découverte à Andilly (Haute-Marne) où la perforation oblique rejoint le réceptacle (type 4, ibid.).

32Mais c’est surtout l’étude de l’œil des catillus qui est riche d’enseignements, et plusieurs zones se dessinent très nettement (fig. 9). Dans la région du coude du Rhin, chez les Rauraques, les œils sont essentiellement anguleux, principalement cruciformes (type 2B, Robin, Boyer, 2011 ; Augst, Bâle, Vindonissa et Zurzach) ou rectangulaires (type 1C, ibid. ; Augst). Il s’agit là aussi d’un critère qui perdure au-delà de la romanisation. En Alsace et en Franche-Comté, les œils des meules manuelles sont en revanche tous curvilignes, à l’exception d’une pièce découverte dans la partie sud de l’Alsace (Biesheim), qui appartient également au territoire Rauraque. Les catillus découverts en Alsace possèdent essentiellement un œil circulaire à queue d’aronde (type 2C, ibid. ; Biesheim, Horbourg-Wihr et Strasbourg) ou circulaire (type 1A, ibid. ; Horbourg-Wihr et Saverne), comme cela avait été noté pour la phase chronologique précédente. La répartition de ce type d’œil correspond à la cité des Triboques et à l’extrémité nord de la zone Rauraque (Horbourg-Wihr). Quelques pièces à œil circulaire à queue d’aronde ont également été exhumées dans la partie nord-est de la Franche-Comté (Luxeuil et Trémoins) et témoignent d’influences possibles avec l’Alsace. En revanche, en territoire Séquane (Izernore, Mandeure et Tavaux), les meules possèdent principalement un œil flanqué de deux perforations latérales correspondant à des anilles crampons (type 5A, ibid.). Ce type de perforation est similaire à celles qui sont observées sur d’autres pièces façonnées dans des grès de la Serre (Jaccottey, Milleville, ce vol.) ou en grès de l’Autunois. Quelques meules en grès vosgiens avec un œil à anille crampon sont présentes à Augst, mais l’autre spécificité des catillus manuels de ce secteur géographique est de posséder un œil flanqué d’une anille barrette supérieure venant se ficher dans le réceptacle entre l’œil et le bandeau (type 5B, Robin, Boyer, 2011 ; Augst et Zurzach). Ces anilles crampons (type 5A) et barrettes (type B) apparaissent comme des nouveautés pour les meules de l’époque antique, par rapport à la période gauloise. Ce travail sur l’œil des catillus manuels confirme donc amplement la présence de trois zones d’influences distinctes avec des meules qui possèdent des spécificités dans chacun de ces secteurs.

Fig. 7. Exemples de meules manuelles antiques en grès vosgien (T. Anderson, L. Jaccottey et F. Jodry, Zurzach-Tenedo d’après Hänggi et alii, 1994).

Fig. 8. Répartition des types d’œil des meta manuelles antiques en grès vosgien (L. Jaccottey).

Fig. 9. Répartition des types d’œil des catillus manuels antiques en grès vosgien (L. Jaccottey).

5. Les meules antiques de grand diamètre (fig. 10)

33En Alsace, vingt-sept meules peuvent être considérées comme hydrauliques (dont deux sont attestées sur le site de Wiwersheim) ou à traction animale (dont deux attestées sur le site d’Ingenheim). Il s’agit de seize meules dormantes et onze meules tournantes. Les œils des meules tournantes ne sont pas toujours bien conservés et nous ne pouvons correctement les renseigner. Toutefois nous voyons, à travers certains exemplaires, la variété des perforations centrales circulaires associées à différents types d’anilles, qu’elles soient inférieures ou supérieures.

34Trente-six meules de grand diamètre proviennent des collections comtoises. Dix-huit pourraient correspondre à des meules à traction animale, dont dix meta et huit catillus. Quatre de ces meta, découvertes lors de fouilles récentes, proviennent de sites du Haut-Empire (Besançon) ou du Bas-Empire (Burgille et Roche-lez-Beaupré). Huit autres meules (cinq meta et trois catillus) pourraient avoir appartenu à des moulins hydrauliques ; elles proviennent des sites urbains de Besançon et Mandeure.

35Le lot découvert en Suisse est composé de trente-deux meules qui pourraient correspondre à des meules hydrauliques (dix meta et vingt-deux catillus), provenant essentiellement des sites d’Augst (six meta et douze catillus) et de Vindonissa (deux meta et sept catillus). Trois meules à traction animale de type Haltern-Rheingönheim (une meta et deux catillus) proviennent également de l’agglomération d’Augst.

Fig. 10. Exemples de meules de grand diamètre antiques en grès vosgien (T. Anderson, L. Jaccottey et F. Jodry, Augst d’après Hürbin, 1982).

Fig. 11. Répartition des types d’œil des catillus antiques de grand diamètre en grès vosgien.

36Dans la zone étudiée, seul le moulin hydraulique de Rödersdorf, dans le canton de Soleure, (Harb, 2015) a livré une meta en grès. D’autres pièces similaires ont été découvertes dans divers sites mais leur appartenance à un moulin hydraulique, bien que probable, n’est pas avérée. L’œil de ces meta, permettant le passage du gros fer, est toujours traversant et de fort diamètre (10 à 12 cm). Les catillus en grès vosgien découverts en Franche-Comté et attribués à des moulins hydrauliques (Jaccottey, 2016) ont tous une conicité importante de la surface active (de 22 à 23°), un œil d’un diamètre important (10 à 15 cm) et possèdent un système de double anilles crampon (type 5A), similaire à celui observé sur les meules hydrauliques de type Avenches (Castella et alii, 1994). Les meules de ce type en grès vosgien se concentrent dans la partie orientale de la Séquanie (Mandeure-Mathay), alors que dans le reste de cette région, elles sont en roche basaltique. D’assez nombreuses meules du même type ont été repérées dans les collections archéologiques des sites Rauraques d’Augst (treize pièces) et de Vindonissa (six pièces). D’autres exemplaires sont présents à Boécourt, Frick et de Wittelsheim. Dans le Bas-Rhin, des œils à anille inférieure en queue d’aronde (type 4B, Robin, Boyer, 2011) et cruciforme (type C) ont été identifiés à Strasbourg et Dambach-la-Ville (fig. 11).

37En Franche-Comté, des meules de grand diamètre, interprétées comme des meules à traction animale, ont été identifiées à Besançon et Jallerange (Jaccottey, 2016). Elles ont une forme proche des meules manuelles avec une conicité assez faible (7 à 15°) et un œil quadrangulaire (type 1A ou 2D, Robin, Boyer, 2011). Ce type de pièce n’est connu qu’en Séquanie. Enfin, deux meules de type Haltern-Rheingönheim, avec encoches opposées en queues d’aronde sur le flanc et œil circulaire (type 1A) ont été identifiées à Augst. Ces exemplaires témoignent d’influences orientales. Elles sont associées à des meta dont l’œil est non perforant, comme certains exemplaires comtois en grès des Vosges (Burgille et Besançon) qui sont utilisées avec les meules à traction animale.

Conclusion

38Après un premier travail sur la diffusion des meules rotatives en grès des Vosges (Jaccottey et alii, 2007a), cette seconde approche permet de préciser les résultats. On remarque tout d’abord que le grès des Vosges a été exploité de manière intensive à l’époque gauloise et encore plus à l’époque romaine, même si sa diffusion n’est encore que partiellement connue. Il conviendrait d’étudier les meules rotatives façonnées dans ces matériaux, en Allemagne et en Lorraine.

39L’importance des affleurements a permis la mise en place de plusieurs productions différentes dans les régions étudiées. Ces différences se traduisent notamment par des caractéristiques typologiques différentes en fonction des régions (fig. 12). En effet, si certains critères sont communs aux trois régions (perforation latérale circulaire non traversante liée à l’entraînement du catillus manuel), d’autres sont plus spécifiques. Parmi ceux-ci, l’œil anguleux des catillus manuels des meules de la région de Bâle (territoire rauraque) et l’œil curviligne des catillus de la partie nord de l’Alsace (territoire médiomatrique, puis triboque) et de la Franche-Comté (Séquanie) semble être un bon exemple. Pour les meta, la prédominance des œils perforants en Franche-Comté, dans la région du coude du Rhin, et en majorité aveugles en Alsace, est aussi un bon critère de distinction. Cette différence n’épouse cependant pas la limite restituée des territoires, car depuis l’espace triboque au nord de l’Alsace, elle déborde en territoire rauraque jusqu’à Horbourg-Wihr à l’époque romaine. L’œil aveugle ou perforant des meta, tout comme l’œil anguleux ou curviligne des catillus, sont pour les zones étudiées des spécificités présentes à la fin de la période gauloise qui se retrouvent durant l’antiquité romaine. Certains critères perdurent donc au-delà de la romanisation. La présence d’anille crampon pour les meules à main séquanes et d’anille barrette supérieure pour leurs homologues rauraques montre également les caractères propres aux meules de deux territoires voisins, mais il s’agit là de type d’anilles qui ne sont pas connus pour les catillus laténiens et qui apparaissent à l’époque romaine. Les différences entre les productions sont donc également observables sur de nouveaux types de meules. Cette différence s’observe aussi pour les meules à traction animale, dont les catillus séquanes qui possèdent un œil quadrangulaire ou à queue d’aronde, alors qu’à Augst n’ont été observées que des meules de type Haltern-Rheingönheim, avec des encoches à queue d’aronde sur le flanc et un œil circulaire.

Fig. 12. Présentation schématique des différents types de catillus dans les régions étudiées (L. Jaccottey).

40Il apparaît que la prise en compte de critères typologiques précis n’ayant pas forcément un impact sur le fonctionnement du moulin, comme le choix d’un type d’œil, permet de révéler des zones de diffusion de différents types de meule. L’analyse typologique détaillée, avec le choix de critères pour chacune des parties du moulin, tel qu’il est conduit avec la base de données sur les meules rotatives du PCR « Évolution typologique et technique des meules du Néolithique à l’an mille » permet de sélectionner les critères adaptés pour chaque zone de diffusion. Il convient de tenter de préciser au mieux les limites de ces zones de diffusion, en multipliant les études et en prenant en compte de nouvelles pièces. Il apparaît également important d’étudier les corpus des régions voisines afin de bien mettre en évidence à la fois les limites de la diffusion du grès des Vosges, mais aussi l’extension des différents types morphologiques des meules. La multiplication des découvertes devra aussi permettre de préciser la chronologie de différentes variantes de ces outils.

Fig. 13. Localisation des carrières et indices d’activités meulières pour les productions de meules en grès des Vosges (L. Jaccottey).

41Enfin, la recherche des éventuelles carrières qui ont pu servir pour ces productions meulières est un axe important à développer. Les premiers travaux engagés dans les Vosges ont d’ores et déjà permis de retrouver plusieurs carrières attestées ou potentielles (fig. 13). Même si ces recherches débutent, elles ont permis de recenser toute une série de secteurs d’extraction où sont également présentes des ébauches de meules : Rosheim (Jaccottey, Jodry, à paraître ; Jodry, Holderbach, ce vol.), Rotbach, Saverne, Saint-Jean-Saverne (Jaccottey et alii, 2011f). D’autres sites de production ne sont caractérisés, pour l’instant, que par la présence d’ébauches (Lutzelhouse), parfois isolées (Mutzig et Ecromagny) (ibid.). À ces carrières s’ajoutent un probable atelier urbain antique mis en évidence à Horbourg-Wihr (Nilles et alii, 2013 ; Jaccottey, Jodry, à paraître) et des indices d’un atelier de la fin de La Tène à Obernai (Jaccottey, Jodry, à paraître). Ce premier recensement met clairement en évidence la multiplicité de petites zones de production, particulièrement dans la partie nord des Vosges, en territoire médiomatrique et triboque, où les affleurements sont les plus vastes. Mais d’autres indices existent également à proximité d’Horbourg-Wihr, dans la partie centrale de l’Alsace, chez les Rauraques, et sur la bordure sud des Vosges et son versant séquane. Cette vue, encore partielle, des indices d’extraction meulière dans les Vosges confirme l’idée de cette multiplication des zones de production donnée par l’étude de la diffusion des meules en grès des Vosges.

Anmerkungen

1 Documents cartographiques aimablement fournis par P. Barral et P. Nouvel (Université de Franche-Comté).

Abbildungsverzeichnis

Bildunterschrift Fig. 1. Carte de la zone étudiée (L. Jaccottey).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3505/img-1.jpg
Datei image/jpeg, 532k
Bildunterschrift Fig. 2. Carte géologique simplifiée des Vosges et de la Forêt Noire (P. Picavet, fond : http://portal.onegeology.org/​ d’après BRGM et Bundesanstalt für Geowissenschaften und Rohstoffe).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3505/img-2.jpg
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Bildunterschrift Fig. 3. Carte des meules rotatives en grès vosgien dans la zone étudiée (L. Jaccottey).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3505/img-3.jpg
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Bildunterschrift Fig. 4. Exemples de meules de la fin de l’époque gauloise et de la période augustéenne en grès vosgien (T. Anderson, L. Jaccottey et F. Jodry, Zurzach-Tenedo d’après Hänggi et alii, 1994).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3505/img-4.jpg
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Bildunterschrift Fig. 5. Répartition des types d’œil des meta manuelles en grès vosgien attribuées à La Tène D et la période augustéenne.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3505/img-5.jpg
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Bildunterschrift Fig. 6. Répartition des types d’œil des catillus manuels en grès vosgien attribués à La Tène D et la période augustéenne.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3505/img-6.jpg
Datei image/jpeg, 544k
Bildunterschrift Fig. 7. Exemples de meules manuelles antiques en grès vosgien (T. Anderson, L. Jaccottey et F. Jodry, Zurzach-Tenedo d’après Hänggi et alii, 1994).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3505/img-7.jpg
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Bildunterschrift Fig. 8. Répartition des types d’œil des meta manuelles antiques en grès vosgien (L. Jaccottey).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3505/img-8.jpg
Datei image/jpeg, 544k
Bildunterschrift Fig. 9. Répartition des types d’œil des catillus manuels antiques en grès vosgien (L. Jaccottey).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3505/img-9.jpg
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Bildunterschrift Fig. 10. Exemples de meules de grand diamètre antiques en grès vosgien (T. Anderson, L. Jaccottey et F. Jodry, Augst d’après Hürbin, 1982).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3505/img-10.jpg
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Bildunterschrift Fig. 11. Répartition des types d’œil des catillus antiques de grand diamètre en grès vosgien.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3505/img-11.jpg
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Bildunterschrift Fig. 12. Présentation schématique des différents types de catillus dans les régions étudiées (L. Jaccottey).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3505/img-12.jpg
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Bildunterschrift Fig. 13. Localisation des carrières et indices d’activités meulières pour les productions de meules en grès des Vosges (L. Jaccottey).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3505/img-13.jpg
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