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Les meules du Néolithique à l’époque médiévale : technique, culture, diffusion

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Olivier Buchsenschutz
, 
Stéphanie Lepareux-Couturier
, 
Gilles Fronteau

Deuxième partie. Carrières, matériaux, productions

Les productions de meules en grès de Fosses-Belleu dans le Bassin parisien : typologie, chronologie, diffusion

Stéphanie Lepareux-Couturier, François Boyer, Gilles Fronteau, Christian Garcia, Caroline Hamon, Cécile Monchablon, Paul Picavet und Boris Robin

Zusammenfassung

Les niveaux tertiaires yprésiens du centre du Bassin de Paris présentent un niveau de grésification rare et très caractéristique par ses éléments millimétriques (grains noirs et blancs) nommé grès de « Fosses-Belleu ». Ce matériau est employé dès le Néolithique ancien pour le façonnage de meules et de molettes va-et-vient et son utilisation perdure pour ce type de moulin tout au long de la Protohistoire. Le passage au moulin rotatif montre une diffusion plus large des productions qui atteint son apogée à la période antique, touchant alors tant les moulins domestiques manuels que les meules de grand diamètre et particulièrement une production originale de meules de type Pompéi. La fin de l’Antiquité voit l’arrêt de l’utilisation de ce grès comme matériau meulier.

Volltext

1Un faciès de grès spécifique, dit de Fosses-Belleu, dont les zones d’affleurements couvrent la plaine de France, les vallées de l’Aisne et de l’Ourcq, a été exploité pour la production de meules du début du Néolithique à la fin de l’Antiquité. La caractérisation de ce grès et surtout son attribution à des séries archéologiques se sont développées progressivement depuis une trentaine d’années, à la suite de la multiplication des travaux de synthèse et des découvertes archéologiques, que ce soit en fouille ou en prospection. Présentée par périodes et par catégories de moulins, cette étude synthétise les observations, morphologiques et techniques, réalisées sur les meules façonnées dans ce matériau. L’objectif était, d’une part, de déterminer s’il existe des morphotypes spécifiques qui permettraient une première esquisse typologique et, d’autre part, d’évaluer, par périodes, les zones de diffusions principales et maximales de ces productions.

1. CARACTÉRISTIQUES GÉOLOGIQUES

1.1. Historique d’un lithocorpus

2La formation stratigraphique dite du « Grès de Belleu » a fait l’objet de nombreux débats (Gosselet, 1891 ; Cayeux, 1891, 1906 ; Mégnien et alii, 1980, p. 338). Nous devons à Claudine Pommepuy (Pommepuy, 1999, p. 119-121 et fig. 6) l’emploi de ce terme, dans une étude pionnière sur le macro-outillage de la vallée de l’Aisne. L’auteur rattache une grande majorité des meules va-et-vient de son corpus à ce grès, présent dans deux localités voisines de Soissons (Aisne) : Bazoches-sur-Vesles et celle, éponyme, de Belleu. Identifié à Belleu par Feugueur (1963, p. 75), il renferme des fragments de silex et de feldspaths, respectivement noirs et blancs qui le rendent bien identifiable macroscopiquement (fig. 1).

Fig. 1. Macrophotographie du grès affleurant à Fosses, avec ses fragments dispersés de silex noirs et de feldspaths blancs. Cliché Ch. Garcia.

Fig. 2. Paléogéographie du Cuisien supérieur d’après Feugueur, 1961, pl. 4 modifiée (fond J. Bertin). Carte S. Lepareux-Couturier.

3Ce grès constitue un faciès particulier daté de l’Yprésien supérieur (Éocène, Paléogène) et il n’est connu qu’en quelques points du Bassin parisien. La reconnaissance par l’un d’entre nous (F.B.) de ce faciès sur des meules rotatives antiques fut rapprochée dans un premier temps des affleurements de grès similaires situés à Bezu-le-Guéry (Aisne). Parallèlement, des prospections pédestres réalisées par les membres de l’association Jeunesse Préhistorique et Géologique de France (J.P.G.F.) mettaient en évidence, entre Fosses et Luzarches, dans le Val-d’Oise (Guadagnin, 1981, 2000), de nombreuses ébauches de meules rotatives attribuées à une autre formation stratigraphique de référence, dite des « Grès de Fosses » (Mégnien et alii, 1980, p. 374-375).

4La corrélation de ces différentes études et observations permet d’envisager, pour ces grès, l’existence d’une vaste aire d’affleurement, à cheval entre le nord-est de l’Île-de-France et le sud de l’Aisne (fig. 2). La similitude des Grès de Fosses et Grès de Belleu se comprend mieux si l’on se réfère à l’étude exhaustive de Feugueur (Feugueur, 1963) qui replace les faciès à feldspaths des sables et grès de l’Yprésien supérieur dans une aire circonscrite étroite, allongée du sud-ouest au nord-est, jalonnée par Fosses (Vald’Oise) et dont Belleu (Aisne) est l’extrémité septentrionale (Feugueur, 1963, pl. 4). Dans chacun de ces deux secteurs fut définie une formation géologique en théorie spécifique. Par exemple, c’est une carrière sise dans la commune de Fosses qui fournit les éléments pétrographiques de caractérisation du faciès des grès à fragments de feldspaths et de silex (ibid., p. 235-236). Cependant, la similitude pétrographique entre les grès des environs de Belleu et Fosses ne permet pas de discriminer une provenance entre ces deux affleurements pour des meules taillées dans ce matériau et retrouvées sur des sites d’utilisation. Une étude comparative des grès de ces deux provenances, réalisée par le Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (Boyer et alii, 2009) souligne cette similitude, notamment géochimique et par conséquent l’indécision qui demeure quant à l’attribution à un site ou à l’autre. C’est pourquoi, en l’absence actuelle d’élément pour différencier ces deux gisements, nous proposons de désigner le matériau meulier correspondant sous l’appellation-type « grès de Fosses-Belleu ». La particularité du matériau meulier et ses caractéristiques à la fois stratigraphiques, faciologiques et géographiques nous conduisent à la reconnaissance d’un « lithocorpus » de meules, issu d’une roche ou ressource rare (Boyer et alii, 2006, p. 12 ; Boyer, Farget, 2008, type 1, p. 132-134 ; Boyer, Fronteau, 2011, p. 131).

1.2. Caractéristiques et particularité du gisement des grès de Fosses-Belleu

5Les grès de Fosses-Belleu forment un véritable gisement, avec des caractéristiques uniques :

  • position stratigraphique précise, en partie inférieure du Tertiaire parisien (sommet de l’Yprésien supérieur = Cuisien des anciens découpages de l’échelle des temps géologiques) qui, par ailleurs, comporte à des niveaux plus élevés d’autres formations gréseuses plus développées, étendues à l’échelle de l’Île-de-France, telles que les « Grès de Beauchamp » ou « Grès de Fontainebleau » ;

  • étroite localisation paléo-géographique du faciès sableux à feldspaths et silex, interprétée comme un dépôt de milieu marin, influencé par le passage d’un fleuve à l’époque de l’Yprésien supérieur (Feugueur, 1963, pl. 4) ;

  • grésifications uniquement locales, discontinues et à des degrés variés au sein de la formation sableuse ;

    • 1 L’exploration géologique des grès et sables yprésiens et de leur contact supérieur avec les calcair (...)

    cimentation en grès très cohérente, qui n’est développée qu’exceptionnellement dans une épaisseur conséquente des sables, notamment dans la vallée de l’Ysieux1 où le gisement est bien accessible grâce à l’érosion.

1.3. L’exploitation des grès de Fosses-Belleu : un district meulier dans la vallée de l’Ysieux

6L’organisation naturelle des formations gréseuses dans la vallée de l’Ysieux doit être envisagée à plusieurs échelles, chacune impliquée spécifiquement dans la mise en valeur meulière. Plusieurs types d’observations peuvent être faits :

  1. Les affleurements de grès sont rares et en général limités.

  2. Un réseau de diaclases verticales affecte les grès et la combinaison de ces diaclases avec les plans horizontaux de stratification déterminent un pré-découpage en blocs (fig. 3). On peut supposer que le débit naturel de la roche meulière facilitait l’extraction de blocs à partir desquels les meuliers façonnaient leurs meules.

  3. La cimentation des grès est hétérogène et peut renforcer l’individualisation des blocs ou au contraire impliquer des problèmes pour la taille ou la cohérence et la durabilité du matériau.

  4. Certains blocs ont été désolidarisés du massif en place et déplacés par gravité, soit de façon modérée par ouverture des diaclases, soit de façon plus importante par glissement sur la pente.

7Les découvertes d’ébauches de meules rotatives se répartissent pour l’essentiel sur le versant nord et débordent largement le contact supérieur des sables et grès cuisiens jusqu’au plateau. Elles sont associées dans les labours à des éléments antiques (céramiques, éléments de construction, monnaies). Les sites sont attestés par des ébauches et des ratés de taille en association avec des éclats de dimensions variées. Ces données de prospections ont permis à certains d’entre nous d’émettre l’hypothèse que les ateliers se répartissent en deux groupes, selon qu’ils sont implantés ou non dans la zone d’existence géologique des grès et sables cuisiens (Boyer, Garcia, 2013). Dans le premier groupe, localisé sur le versant inférieur de la vallée, deux secteurs retiennent l’attention, centrés respectivement sur l’emplacement des villages de Fosses et de Bellefontaine. Ces deux secteurs ont en commun la présence de plusieurs affleurements de grès qui témoignent d’un développement notable aux dépens des parties sableuses. Les sites du deuxième groupe, placés sur un substrat de calcaires lutétiens ou de limons, ont été les premiers révélés en prospection par M. Cecchini à partir de 1978. Ils sont implantés au-delà de la limite supérieure du Cuisien et pourraient être qualifiés de périphériques. Ils suggèrent l’existence d’ateliers de taille déconnectés des lieux d’extraction (Boyer, Garcia, 2013 ; Guadagnin, 2014, p. 31). Le secteur de Bellefontaine se révèle le plus important de la vallée de l’Ysieux, notamment la parcelle boisée dite « Parc du Château » constituée d’une épaisse accumulation d’éclats de taille sur une surface de plus de 6 ha. Un récent défrichement a révélé une accumulation de déchets de taille sur plus de deux mètres d’épaisseur comprenant des blocs épannelés, des ébauches et des éclats de taille (fig. 4). Ces nombreuses observations laissent entendre que ce secteur était très probablement un important centre de production de meules rotatives, mais la zone d’affleurement de ces grès est vaste et l’on ne peut pas exclure l’existence d’autres ateliers. Enfin, à l’heure actuelle et en l’absence d’investigations archéologiques, il n’est toujours pas possible de proposer une date précise d’exploitation de ce secteur.

Fig. 3. Réseau des diaclases verticales dans un banc de grès de Fosses sur le talus du chemin rural no 6 à Fosses. Cliché Ch. Garcia.

Fig. 4. Verse nettoyée avec blocs et ébauche, Parc du Château. Cliché Ch. Garcia.

2. PRÉSENTATION DU CORPUS ARCHÉOLOGIQUE

8Le corpus compte 348 outils de mouture répartis en 114 éléments de moulins va-et-vient et 234 de moulins rotatifs. L’ensemble de ces objets provient de contextes archéologiques allant du Néolithique ancien à la fin de l’Antiquité. Les découvertes se concentrent autour des affleurements (fig. 5), mais certaines productions sont diffusées dans un périmètre beaucoup plus vaste du nord-est de la France qui sera analysé au cas par cas.

2.1. Les moulins va-et-vient en grès de Fosses-Belleu

9Le choix de grès des niveaux cuisiens dits de Fosses-Belleu pour la confection de moulins va-et-vient est attesté dès les débuts du Néolithique. Au Néolithique ancien, leur exploitation est principalement reconnue dans les moyennes vallées de l’Aisne et de la Marne ainsi que dans la vallée de l’Ourcq. Dans ces séries du Rubané et du Blicquy/Villeneuve-Saint-Germain (5100-4700 BC), les meules et molettes en grès de Fosses-Belleu ne sont pas exclusives et ne constituent qu’une partie du corpus global. Elles présentent les mêmes caractéristiques typologiques que les meules et molettes confectionnées dans d’autres faciès gréseux.

10Les sites rubanés localisés à l’est de la commune de Belleu livrent un nombre important de meules et molettes dans ce matériau, de Bucy-le-Long ’La Fosselle’ à Berry-au-Bac (Monchablon, 1999 ; Hamon, 2006 ; Pommepuy, 1995). On notera cependant que plus à l’ouest dans la basse vallée de l’Aisne, aucun outil de mouture en grès de Belleu ne semble avoir été utilisé, par exemple sur le site de Trosly-Breuil (Hamon, 2006).

11Dans la vallée de l’Ourcq, le site BVSG d’Ocquerre a livré deux meules (sur quatre identifiées) sur plaques en grès de Fosses-Belleu, peu épaisses, aux bords à peine épannelés, tandis que les sept molettes sur ce même grès (sur dix-huit) présentent une finition plus poussée du dos par fin piquetage couvrant (Hamon, 2009 ; fig. 6).

12Dans la vallée de la Marne, quelques fragments d’outils de mouture dans ce matériau ont été identifiés sur les sites BVSG de Luzancy (Hamon, 2013).

13Dans les séries BVSG de la plaine de France, ce grès est peu représenté. Il est absent du dépôt de meules de Saint-Denis ’Rue du Landy’ (Hamon, Samzun, 2004), tandis qu’une molette dans ce grès (sur cinq outils de mouture) est retrouvée sur le site de Roissy ’La Demi-Lune’ (Leconte, inédit ; fig. 7, no 1) à une douzaine de kilomètres au sud de Fosses. Il semble donc que l’utilisation de ces grès particuliers, et aisément reconnaissables, soit liée à la présence d’affleurements assez proches des sites d’habitats où ils ont été utilisés sous forme de meules ou molettes, comme autour des zones de Belleu et d’Ocquerre qui livrent des gisements de ce type de grès.

14Les quelques sept exemplaires du Néolithique moyen II connus à ce jour se trouvent en vallée de l’Aisne sur deux sites distincts : à Osly-Courtil (une dizaine de kilomètres au nord-est de Belleu) et à Bazoches-sur-Vesles (à proximité immédiate du gisement). Il s’agit de quatre molettes (dont trois de type débordant, cf. Hamon et alii, ce vol.) à la mise en forme soignée (enlèvements et bouchardage sur les flancs et le dos) et de trois outils de mouture indéterminés (meule ou molette). Notons en outre quatorze outils liés à d’autres activités (percuteur, palisson, abraseur) ainsi que neuf éclats et débris également en grès de Fosses-Belleu (Monchablon, en cours). Ce matériau n’est donc pas majoritaire dans les corpus étudiés et n’est pas non plus voué exclusivement à la mouture.

Fig. 5. Cartographie des découvertes d’outils de mouture en grès de Fosses-Belleu (fond J. Bertin). Carte S. Lepareux-Couturier.

Fig. 6. Molette d’Ocquerre « la Rocluche » ; noter le façonnage soigné par piquetage et le poli de manipulation très développé. Cliché C. Hamon.

15En contexte protohistorique, on connaît à Champagne-sur-Oise (Val-d’Oise) une meule va-et-vient entière issue d’un silo daté de La Tène A : « La meule va-et-vient est […] un outil classique quant à son utilisation, mais singulier quant à son élaboration. En effet, c’est un éclat de très grandes dimensions qui sert de support à cet outil : le bulbe est encore perceptible au dos, malgré un aplanissement par enlèvements multiples et martelage des arêtes (ig. 7, no 2). Cette meule de 30 x 23 x 7,5 cm est étonnamment légère (8,570 kg) : des trous naturels plus ou moins importants agrémentent le dos. Ces grandes vacuoles, présentes dans la roche, doivent alléger d’autant l’outil. L’usure qui se développe sur la surface active est forte et les proils sont franchement concaves » (Legriel et alii, 2013). Plus au nord, dans son travail sur le matériel de mouture de la vallée de l’Aisne de l’âge du Bronze à La Tène inale, Cl. Pommepuy (1999) a mis en évidence une inversion des proportions de roches exploitées qui, pour les grès, passent de 13 % à 77 % du corpus d’outils de mouture va-et-vient entre le Bronze final IIIb et le Hallstatt final / La Tène ancienne. Elle mentionne également que le grès de Belleu « ne se rencontre naturellement qu’en deux points très localisés de la région (fig. 6 ; tab. II). Cette roche n’est utilisée qu’au Hallstatt final / La Tène ancienne, où elle constitue 45 % des objets (58 % de ceux en grès). Elle est utilisée à proximité des gîtes primaires, mais sa diffusion va jusqu’à Berry-au-Bac (BVT, BCP), dans la zone crétacée ».

Fig. 7. 1. Molette courte de Roissy « La Demi-Lune » ; 2. meule sur éclat de Champagne-sur-Oise. Cliché et dessin C. Monchablon, montage N. Gomes.

2.2. Les moulins rotatifs en grès de Fosses-Belleu

16La base de données sur laquelle repose cette étude, recense 231 meules rotatives en grès de Fosses-Belleu. Nous avons rassemblés les données issues de rapports de fouilles archéologiques préventives, des travaux universitaires, les collections anciennes examinées dans le cadre du Programme collectif de Recherche ’Études typologiques et technologiques des meules du Néolithique à l’an mille’ et les travaux de Cl. Pommepuy menés dans la vallée de l’Aisne (Pommepuy, 1999).

17Les 125 catillus et les 87 meta (19 fragments ne sont pas déterminables) proviennent exclusivement de contextes détritiques ou de remplois. Leur degré de conservation est variable : 13 % sont entières, 9 % sont conservées par moitié, 27 % par secteurs et 51 % sont des fragments. Malgré un taux de fracturation important, les principaux aspects techniques peuvent être documentés : diamètre, conicité, assemblage du moulin et modalité d’entraînement.

Fig. 8. Répartition chronologique des meules rotatives en grès de Fosses-Belleu. S. Lepareux-Couturier.

18Les meules rotatives en grès de Fosses-Belleu sont attestées dès la première moitié du iie s. av. J.-C, mais restent rares jusqu’à la fin de la période laténienne (fig. 8). Elles sont en revanche abondantes tout au long de l’Antiquité qui peut être considérée comme leur période d’apogée. Pour les trois contextes médiévaux et modernes relevés, les meules sont probablement résiduelles, issues de remblais ou de remplois remaniant d’importants niveaux antiques antérieurs ; il s’agit des deux contextes urbains de Beauvais (Oise) et de Meaux (Seine-et-Marne) et d’une installation alto-médiévale sur une occupation rurale antique à Mours (Val-d’Oise). La cartographie (fig. 5) révèle une diffusion principale d’une centaine de kilomètres autour de l’Île-de-France et une diffusion maximale de 200 km, ce qui correspond approximativement au bassin de la Seine.

2.2.1. Les moulins rotatifs laténiens en grès de Fosses-Belleu

19Avec seulement quatorze pièces (six catillus, six meta et deux fragments indéterminables), les contextes laténiens sont peu représentés. L’élément le plus précoce provient de la fouille d’une ferme de La Tène moyenne située à Palaiseau (Essonne), caractérisée par une courte période d’occupation au cours de la transition La Tène C1/C2. On retrouve des meules rotatives en grès de Fosses-Belleu en région Centre, sur le site d’Allonnes (Eure-et-Loir), durant La Tène C2/D1. Ces contextes les plus anciens sont aussi les plus éloignés de la zone des affleurements : 20-25 km pour Palaiseau et 60-70 km pour Allonnes (fig. 9). Cette diffusion, locale pour l’un et régionale pour l’autre (Fronteau et alii, 2014) implique que notre vision actuelle est certainement biaisée par la faiblesse du nombre des occurrences. Des sites intermédiaires jalonnent probablement cet espace orienté vers le sud et le sud-ouest. Durant La Tène finale, les découvertes sont plus resserrées autour des affleurements, hormis pour le site de Souppes-sur-Loing (Seine-et-Marne), distant d’une soixantaine de kilomètres au sud. Il reste toutefois dans l’orientation préférentielle de la diffusion observée pour les étapes antérieures.

Fig. 9. Cartographie des sites de La Tène ayant livrés des meules rotatives en grès de Fosses-Belleu. Carte S. Lepareux-Couturier.

Fig. 10. Meules rotatives laténiennes en grès de Fosses-Belleu. 1. Catillus ; 2. meta. Dessins S. Lepareux-Couturier.

20Les diamètres, documentés pour neuf pièces, sont compris entre 30 et 40 cm. Avec une médiane de 35 cm, ils sont conformes aux premières observations générales sur les petits diamètres des moulins de l’âge du Fer (Lepareux-Couturier, Robin, ce vol.). La conicité des surfaces actives est faible, les angles sont compris entre 0° et 2°, sauf pour les deux pièces les plus anciennes où ils sont nettement supérieurs (Palaiseau : 14° ; Allonnes, Eure-et-Loir : 10°). Les sections des catillus sont légèrement tronconiques, les hauteurs maximales sont comprises entre 9 et 12 cm, ce qui, compte tenu du faible diamètre, leur donne un aspect assez trapu (fig. 10). Les faces supérieures sont planes ou très légèrement concaves. La profondeur maximale de la cuvette au niveau de l’axe central est de 2,5 cm. Les bandeaux, quand ils existent, sont très peu marqués, leur largeur n’excédant pas 2 cm ; on les retrouve uniquement sur les exemplaires les plus récents de Gonesse (Val-d’Oise ; LTD2). L’œil, déterminable pour cinq pièces seulement, est circulaire (type 1A), de profil bitronconique et mesure 5 cm de diamètre maximal. Le seul catillus présentant un œil complexe, c’est-à-dire lié à l’installation d’une anille boitard (type 2A), provient d’un contexte tardif (LTD2) de Villeneuve-Saint-Germain (Aisne). Les systèmes d’emmanchement sont documentés sur trois pièces montrant un aménagement pour un manche latéral relié à l’axe central (type 2). Dans ce système, l’axe central du moulin et le manche du catillus sont solidaires, ce dernier assurant la fonction d’anille de centrage.

21Les meta ont des sections tronconiques ou cylindriques ; elles sont caractérisées par la présence systématique d’œils circulaires perforants dont le diamètre, restituable sur trois pièces, est de 4,5 cm au niveau de la surface de mouture. Les faces inférieures sont planes à très légèrement concaves.

22Si le nombre de pièces est encore faible, des caractéristiques communes, homogènes, se dégagent. Certaines sont partagées avec les autres matériaux régionaux (meulière, calcaire et grès noduleux titanifère), comme les surfaces actives planes, les œils de type 1, les manches de type 4 et les meta perforées ; il semble, en revanche, que l’absence de cuvette profonde sur la face supérieure des catillus soit une caractéristique propre à ce matériau.

2.2.2. Les moulins rotatifs antiques en grès de Fosses-Belleu

23Le corpus des meules rotatives antiques est beaucoup plus conséquent. Composé de 203 individus : 111 catillus, 77 meta et 15 indéterminés, les pièces proviennent de contextes chronologiques couvrant l’ensemble de la période gallo-romaine. Très bien représentées dans le nord et l’est de l’Île-de-France, les meules en grès de Fosses-Belleu ont une diffusion beaucoup plus large qu’à la période précédente, puisqu’elle atteint la Normandie à Vieux (Calvados) et le département du Nord à Marquette-lez-Lille. Ces découvertes sont localisées à environ 200 km à l’ouest des zones d’affleurements pour l’un et 150 km au nord pour l’autre (fig. 11). Vers l’est, la diffusion gagne le nord du département des Ardennes (Mazerny) et la plaine champenoise, mais dans un rayon ne dépassant pas la centaine de kilomètres. Le bassin de la Seine circonscrit la limite sud (confluence Seine-Yonne), où les découvertes sont nombreuses. La ville de Chartres semble marquer, au sud-ouest, la limite de la zone de diffusion. Nous observons donc une ouverture importante de la zone couverte par les productions en grès de Fosses-Belleu orientée principalement sur le quart nord-est de la Gaule.

24Le ou les ateliers de façonnage ont donc abondamment diffusé, quel que soit le type de moulin élaboré. En effet si les productions concernent essentiellement les moulins domestiques manuels comme l’indiquent les 144 meules dont le diamètre est inférieur à 55 cm (71 % des meules romaines dans ce matériau), on retrouve aussi des pièces de grand format destinées à des moulins plus élaborés faisant intervenir l’énergie animale ou hydraulique. Notre inventaire référence vingt et une meules dont le diamètre est supérieur à 55 cm parmi lesquelles se distinguent quatorze meules cylindriques et sept meules de type Pompéi. Seuls trente-huit fragments, informatifs à d’autres égards, ne permettent pas de documenter le diamètre. Sur le diagramme corrélant les diamètres et les pentes (fig. 12), trois groupes se distinguent assez clairement.

  • Le premier est très homogène et regroupe les meules manuelles : leurs diamètres sont compris entre 36 et 46 cm (la médiane est de 40 cm) et elles présentent des surfaces actives aux pentes plutôt faibles de l’ordre de 4° à 8° (la médiane est de 5°).

  • Les grandes meules cylindriques du deuxième groupe ont des diamètres beaucoup plus hétérogènes, mais ils ne dépassent pas 75 cm, ce qui est conforme aux grandes meules de ce type référencées pour l’ensemble de la base de données durant la période romaine. Elles partagent, avec les petits moulins, des surfaces actives dont l’angulation regroupée autour de 5° est faible. Elles se différencient en cela des moulins de grand diamètre réalisés dans d’autres matériaux, notamment en roches basaltiques où l’angulation des surfaces de mouture est beaucoup plus importante. La relative planéité des surfaces actives est donc, comme pour la période précédente, une des caractéristiques de ces productions.

  • Le dernier ensemble regroupe les meules de type Pompéi, dont les pentes, qui avoisinent 40°, s’individualisent nettement.

Fig. 11. Cartographie des sites gallo-romains ayant livrés des meules rotatives en grès de Fosses-Belleu. Carte S. Lepareux-Couturier.

Fig. 12. Diagramme de corrélation des diamètres et des pentes des meules rotatives en grès de Fosses-Belleu. S. Lepareux-Couturier.

Les moulins manuels gallo-romains

25Les 144 meules manuelles de ce corpus se répartissent en 87 catillus, 56 meta et un fragment indéterminé. Quand leur provenance est assurée (99 %), on les retrouve tant sur les établissements ruraux (59 meules, soit 41 %) que dans les agglomérations et les centres urbains (84 meules, soit 59 %). Lorsque nous avons pu affiner la chronologie aux ensembles dont la fourchette de datation est inférieure au siècle (56 individus), nous n’avons pas observé de ruptures dans cette répartition Ce constat suggère qu’au delà d’une production régulière des ateliers durant l’Antiquité, la mouture domestique au moulin manuel reste relativement courante et constante quel que soit le milieu et le siècle considéré.

26L’observation de la morphologie générale des moulins permet de distinguer des catillus de section cylindrique, aux flancs droits ou légèrement rentrants (fig. 13). Ces pièces sont assez basses, avec une hauteur maximale médiane de 6,5 cm.

27Deux types morphologiques de catillus se singularisent assez nettement :

  • le premier (type 1) est caractérisé par une face supérieure concave, légère cuvette dont la profondeur au niveau de l’axe central ne dépasse pas 4 cm, qui donne aux catillus un profil biconcave. Ce premier type est associé le plus souvent à un bandeau convexe de 2 à 3 cm de largeur et à un emmanchement latéral de type 4 ;

  • le second (type 2) se différencie par une face supérieure plano-convexe sur laquelle est piquetée une rainure périphérique de 0,5 cm de largeur située à 4 cm du flanc en moyenne. Ce groupe se caractérise par l’absence d’aménagement pour la mise en rotation, mais présente en revanche des traces d’oxydation métallique liées au cerclage du flanc.

28Ces deux types cohabitent, on les retrouve indépendamment des contextes sur l’ensemble de la période gallo-romaine.

Fig. 13. Catillus des moulins manuels gallo-romains en grès de Fosses-Belleu. 1. catillus de type 1 ; 2. catillus de type 2. Dessins S. Lepareux-Couturier.

Fig. 14. Meta des moulins manuels gallo-romains en grès de Fosses-Belleu. Dessins S. Lepareux-Couturier.

29La morphologie des meta (fig. 14) est plus hétérogène et présente des sections variées, généralement cylindriques au flanc droit ou convexe. Les hauteurs maximales à l’abandon sont assez faibles et dépassent rarement 5 à 6 cm d’épaisseur. Les faces inférieures, planes, montrent assez régulièrement des stigmates de frottement, sous la forme d’un poli généralisé des aspérités, suggérant le mouvement de l’assemblage sur un plan de pose.

Fig. 15. Répartition des différents types d’œils des meules manuelles antiques. Carte B. Robin.

30La liaison entre meta et catillus prend différents aspects au cours de la période. La forme de l’œil des catillus et des aménagements pour y insérer une anille n’est documentée que pour trente-quatre pièces (40 % de l’ensemble des meules supérieures de cette catégorie de moulins). Les différents types d’œils sont classés selon la typologie établie lors de la première analyse de la base de données (Robin, Boyer, 2011). Elle a permis de distinguer des œils simples sans logement d’anille (type 1), et des logements d’anille périphériques à l’œil, nommés « œils complexes » : il s’agit des types 2 (anille boitard), 3 (anille supérieure) et 4 (anille inférieure) et des œils dont l’anille est satellite, c’est-à-dire dissociée de l’œil (type 5). Sur les meules manuelles en grès de Fosses-Belleu, on n’observe que des œils de types 1 et 2. Les œils simples présentent indifféremment des perforations circulaires, ovales ou quadrangulaires. Leur répartition géographique est dispersée. La seconde catégorie (type 2) montre des aménagements multiples, presque toutes les combinaisons d’anille ont pu être observées, mais le type majoritaires (11/18) est le type 2A. Il correspond à un œil circulaire associé à deux excroissances semi-circulaires permettant l’insertion d’une anille boitard ovale. Leur répartition (fig. 15) ne montre pas non plus de regroupement particulier. Aucun œil complexe (types 3 ou 4) avec des anilles inférieures ou supérieures, ni d’œil avec anilles satellites n’ont été observés.

31Ces aménagements sont associés à des meta dont l’œil est systématiquement perforant. Leur diamètre est compris entre 3 et 4,5 cm (médiane de 4 cm). Ces valeurs sont indépendantes du diamètre des pièces, ce qui pourrait suggérer des adaptations et des finitions au cas par cas. Les profils sont majoritairement tronconiques ou bitronconiques (28/32 conservés). Ils présentent, pour certains, un poli de frottement marqué, associé à de très fines stries circulaires impliquant que l’axe, probablement en bois, oscillait dans le système. La perforation complète n’étant pas associée à des systèmes d’anille inférieure, il est délicat, a priori, de proposer un système de réglage de l’écartement des meules selon le principe du palier mobile. Cette modalité soulève la question des divers dispositifs en matériaux périssables qui composaient le moulin domestique manuel : coffrage et/ou bâti permettant de contenir les issues de la mouture associé à un éventuel travail en hauteur que l’on peut supposer fixe pour des outils appariés avoisinant les 20 à 30 kg (en ne comptant que le poids des pierres).

32Les aménagements liés à la mise en rotation des catillus sont documentés pour 41 pièces (47 % des catillus) et sont particulièrement homogènes (fig. 16). Ils présentent à 90 % une perforation latérale subcirculaire ou quadrangulaire aux angles arrondis d’environ 4 cm de côté qui s’enfonce parallèlement à la surface active et s’ouvre sur la cuvette. L’ouverture réalisée sur la face supérieure est le plus souvent quadrangulaire aux angles arrondis et de format relativement standardisé (8-9 cm sur 4-5 cm quand elle est documentée). Cet aménagement et son module sont indépendants du diamètre de la meule. Les parties internes sont polies à lustrées et il est difficile d’imaginer un système d’anneau car la partie supérieure quadrangulaire présente régulièrement des polis marqués. Ce type d’emmanchement, qui est une variante du type 4 proposé par F. Jodry (Jodry et alii, 2011), est assez déroutante car son façonnage est délicat (risques accrus de cassures lors de la taille) et l’ensemble fragilise les pièces lors de l’utilisation. Les meules sont en effet régulièrement retrouvées fracturées à ce niveau. Ce système est observé sur l’intégralité de la séquence, de la période augustéenne à la in de l’Antiquité. Il participe d’un système de mise en rotation et peut-être d’appariement du moulin qui nous échappe encore aujourd’hui. Les cinq derniers catillus présentent l’originalité, bien qu’entiers, de ne pas avoir d’aménagement perforant pour leur mise en rotation. Les diamètres sont hétérogènes, compris entre 35 et 43 cm. Les contextes chronologiques de découverte couvrent toute la période gallo-romaine, sachant que le contexte le plus ancien est daté entre la seconde moitié du ier s. et la première moitié du iie s. Sur quatre d’entre eux s’observent, sur le milieu du flanc, des traces prononcées d’oxydation métallique associées à un lustré de frottement sur 3 à 5 cm de largeur. Ces stigmates sont liés à un système de mise en rotation par cerclage (Jaccottey et alii, 2011c). Des traces d’oxydation, liées ou non à un lustré d’usure, sont observées sur les flancs de dix-huit pièces supplémentaires, mais la fracturation ne permet pas, pour treize d’entre elles, de statuer sur la présence ou non d’emmanchement associé. Les cinq dernières pièces présentent les emmanchements caractéristiques de cette production (variante du type 4) auxquelles sont associées les traces de cerclage, il pourrait s’agir de renforts ou de réparations.

Fig. 16. Les systèmes d’emmanchement des moulins manuels en grès de Fosses-Belleu. 1. Emmanchement latéral ouvert sur la face supérieure : vue de la face supérieure et vue en section ; 2. moulin complet de type 2 présentant des traces de cerclage métallique sur le flanc du catillus ; vue des traces d’oxydations métalliques liées au cerclage du flanc. Clichés S. Lepareux-Couturier, montage N. Gomes.

Fig. 17. Les meules de grand format en grès de Fosses-Belleu, exceptionnellement réduits à l’échelle 1/20e. Dessins S. Lepareux-Couturier

Les moulins cylindriques de grand format (fig. 17)

33Quatorze meules (dix catillus et quatre meta) ont un diamètre compris entre 55 et 75,5 cm. Excédant l’amplitude théorique du bras humain, elles nécessitent des aménagements techniques particuliers liés à l’entraînement et à la liaison des deux meules. Elles sont attestées à partir du iie s. et couvrent la période romaine jusqu’au ive s.

34L’œil est documenté pour six catillus ; cinq portent des anilles inférieures (type 4) de formes diverses : rectangulaire, en double queue d’aronde, ou en croix (types 4A, B ou C). Un seul est équipé d’un œil circulaire avec logement d’anille-crampon sur la face supérieure (type 5A). Ces moulins sont donc tous dotés d’aménagements favorisant le levage de la meule et la transmission de l’énergie par le centre. Ils proviennent de contextes chronologiques tardifs (iiie-ive s.) et leur cartographie, centrée sur l’Île-de-France, n’est pas significative. Dans les deux cas où il est conservé, l’œil des meta est cylindrique et présente un diamètre important de 10 et 11,5 cm. Il perfore totalement la meule, permettant le passage d’un axe de rotation vertical en son centre. Ces différentes caractéristiques fonctionnelles sont compatibles avec une mise en rotation par le biais de systèmes hydrauliques, mais les contextes archéologiques, quand ils sont connus (8/14), n’ont pas livré de structures permettant de l’attester. Les découvertes de moulins hydrauliques antiques, encore rares dans le nord de la Gaule, se multiplient ces dernières années, notamment en milieu rural (Brun et alii, à paraître), mais une traction animale par le centre sur le modèle des moulins-manèges médiévaux et modernes (Comet, 1992 ; Baatz, 1995) est possible bien que non encore attestée pour l’Antiquité. Ces meules de grands formats sont surtout localisées dans le secteur oriental de la zone d’affleurement, la diffusion de ces grandes meules se faisant plutôt vers l’est et le nord.

Fig. 18. Les meules de type Pompéi en grès de Fosses-Belleu, dessins éch. 1/20. Dessins P. Picavet, S. Lepareux-Couturier et F. Jodry.

Les moulins de type Pompéi

  • 2 Découverte de la rue de l’Union à Amiens, par C. Le Beuf, 1881 – Vasselle, Will, 1956, d’après Pins (...)

35On note l’existence d’un type particulier de meules de grandes dimensions, dit de type « Pompéi » (fig. 18), représenté par six catillus et une meta. Ce modèle découle directement des meules observées dans les villes de l’Italie romaine comme Pompéi ou Ostie, dont il est une « copie » réalisée avec des matériaux régionaux. Ces meules proviennent de contextes urbains, à Amiens (Somme), Reims (Marne) et Meaux (Seine-et-Marne), mais sont souvent le fait de découvertes anciennes, sauf celle de Meaux mise au jour en 2003 rue Saint-Faron dans les remblais de démolition d’une abbaye moderne (diagnostic archéologique D. Couturier, Inrap). Si ces exemplaires sont attribués à la période romaine au sens large, un seul individu est plus précisément daté. Il s’agit d’un demi-catillus remployé comme coffrage d’une urne cinéraire datée entre la fin du ier et le début du iie s.2. Ces meules à entraînement périphérique « à sang » doivent être présentées à part des autres meules de grandes dimensions car leurs caractéristiques morphologiques et techniques sont très différentes des meules cylindriques. Une seule meta est connue à Amiens et mesure 46,6 cm de diamètre pour 70 cm de hauteur maximale. Les catillus ont un diamètre compris entre 52 et 76,5 cm et une hauteur comprise entre 39 et 64 cm. Ces mesures sont comprises dans la fourchette, plus large, des dimensions des meules de même type en « basalte » connues en France (Jaccottey, Longepierre, 2011b), l’hétérogénéité des dimensions de ces dernières étant probablement due aux provenances multiples des meules en roches basaltiques : gisements volcaniques de l’Italie centrale, du Massif central et du massif de l’Eifel (fig. 19).

Fig. 19. Diamètre (a.) et hauteur (b.) des meules de type Pompéi en grès de Fosses-Belleu par rapport à celles en basalte. Diagrammes P. Picavet.

Le rayonnage : caractéristique des surfaces actives des moulins antiques en grès de Fosses-Belleu

36Les meules rotatives antiques en grès de Fosses-Belleu, quel qu’en soit le diamètre, présentent pour 65,5 % d’entre elles (133 meules) un traitement particulier de leurs surfaces actives. Il s’agit d’une préparation des surfaces de mouture selon des schémas de piquetage complexes, mais récurrents. On les nomme « habillage raisonné » par opposition à l’habillage classique dit « à coups perdus » qui consiste à simplement repiquer les surfaces de travail afin d’en accentuer le mordant (Lepareux-Couturier et alii, 2011). Des habillages complexes sur les meules en grès de Fosses-Belleu sont observés dès la seconde moitié du ier s. ap. J.-C. et couvrent l’intégralité de la période. On les retrouve tant sur des établissements ruraux (56 %) que sur des sites urbains (44 %). Leur présence semble toutefois cantonnée à l’est de la Seine (Lepareux-Couturier et alii, ce vol.). Le rayonnage composé droit domine (50 %) ; il est formé de longs rayons directeurs agencés en secteurs sur lesquels s’adossent de multiples rayons parallèles de plus en plus courts. Les habillages alvéolaires, que ce soit en « nid d’abeille » (12 %) ou lui associant de courts rayons distaux (habillage mixte, 11 %), sont caractéristiques de ces productions (fig. 20). Des types plus anecdotiques comme les rayonnages courbes, simples ou composés, sont présents mais ne forment que 5 % des pièces. Le rayonnage simple droit, représenté sur d’autres matériaux, est ici totalement absent. Les 23 % restant sont des pièces fracturées dont la surface active porte des rayons, mais dont le type n’a pu être défini. Les raisons de ce traitement spécifique nous échappent encore (travail particulier ? rendements ?), mais la fonction farinière de ces moulins semble la plus probable compte tenu des polis et lustrés d’usure situés très majoritairement en position distale.

5. SYNTHÈSE ET CONCLUSION

37Le faciès des grès de Fosses-Belleu a constitué un matériau meulier privilégié et son étude diachronique permet d’ébaucher l’histoire qu’il a entretenue avec les différentes communautés qui se sont succédé à proximité de ses affleurements. Au Néolithique, son exploitation est liée à la proximité des lieux d’habitat, et ce n’est qu’à partir du Hallstatt final qu’émergent les premiers signes de diffusion, centrée principalement à l’est des affleurements de l’Île-de-France et de l’Aisne. Le développement des meules rotatives semble signer le recul de l’exploitation de ce bassin oriental, tout au moins pour la vallée de l’Aisne qui privilégie alors d’autres matériaux. Les meules en grès de Fosses-Belleu se rencontrent dès lors à l’ouest et au sud-ouest des zones d’affleurement dans un rayon maximal de 70 km. La période gallo-romaine, qui constitue l’apogée de ces productions, montre une diffusion principale d’une centaine de kilomètres de rayon et une diffusion maximale beaucoup plus vaste, allant jusqu’à 200 km autour des zones d’affleurements et touchant tout le nord-est de la Gaule.

Fig. 20. Habillage raisonné des moulins en grès de Fosses-Belleu. Cliché S. Lepareux-Couturier, montage N. Gomes.

38Dès le second âge du Fer, les moulins présentent une morphologie et surtout un type d’appariement caractéristiques suggérant la présence d’ateliers de fabrication spécialisés et probablement d’artisans qualifiés.

39Les moulins domestiques manuels antiques sont, quant à eux, très standardisés. L’analyse de leur morphologie générale permet de dégager deux types qui coexistent sur toute la période. Ils semblent, selon nous, plutôt liés à des systèmes d’appariement et de mise en rotation différents. Il est difficile de dire aujourd’hui si ces modèles dépendent d’une demande ou d’ateliers distincts. Cette période connaît parallèlement l’essor des moulins de grands formats et les productions de grès de Fosses-Belleu participent pleinement au développement de ces innovations. La réalisation de meules de type Pompéi répond exclusivement à une demande urbaine des cités de Gaule Belgique.

40Il existe donc pour la période antique un ou des ateliers qui ont produit et largement diffusé des modèles standardisés. Les meules cylindriques de grand diamètre, curieusement, ne semblent pas avoir participé à ce circuit. Leur hétérogénéité renvoie plutôt, selon nous, à des réalisations au cas par cas, suggérant des commandes ponctuelles.

41Le début du Moyen Âge signe l’arrêt complet de la production de moulins dans ce matériau. La période antique constitue donc un terminus ante quem, confirmant les datations proposées en prospection pour les ateliers de la vallée de l’Ysieux même si leur exploitation peut être plus ancienne. Il est probable que d’autres ateliers aient coexisté, la dispersion des points de grésification à l’intérieur de la zone d’affleurement des sables yprésiens permet en tout cas de le suggérer même si à l’heure actuelle seule la zone de Fosses/Bellefontaine/Luzarches est attestée.

Anmerkungen

1 L’exploration géologique des grès et sables yprésiens et de leur contact supérieur avec les calcaires lutétiens dans la vallée de l’Ysieux a été réalisée avec l’aide de Blaise Souffaché, géophysicien au laboratoire Sisyphe de l’UPMC – Paris VI.

2 Découverte de la rue de l’Union à Amiens, par C. Le Beuf, 1881 – Vasselle, Will, 1956, d’après Pinsard Ms 1374E, p. 247, Bibliothèque d’Amiens (Somme).

Abbildungsverzeichnis

Bildunterschrift Fig. 1. Macrophotographie du grès affleurant à Fosses, avec ses fragments dispersés de silex noirs et de feldspaths blancs. Cliché Ch. Garcia.
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Bildunterschrift Fig. 2. Paléogéographie du Cuisien supérieur d’après Feugueur, 1961, pl. 4 modifiée (fond J. Bertin). Carte S. Lepareux-Couturier.
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Bildunterschrift Fig. 3. Réseau des diaclases verticales dans un banc de grès de Fosses sur le talus du chemin rural no 6 à Fosses. Cliché Ch. Garcia.
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Bildunterschrift Fig. 4. Verse nettoyée avec blocs et ébauche, Parc du Château. Cliché Ch. Garcia.
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Bildunterschrift Fig. 5. Cartographie des découvertes d’outils de mouture en grès de Fosses-Belleu (fond J. Bertin). Carte S. Lepareux-Couturier.
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Bildunterschrift Fig. 6. Molette d’Ocquerre « la Rocluche » ; noter le façonnage soigné par piquetage et le poli de manipulation très développé. Cliché C. Hamon.
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Bildunterschrift Fig. 7. 1. Molette courte de Roissy « La Demi-Lune » ; 2. meule sur éclat de Champagne-sur-Oise. Cliché et dessin C. Monchablon, montage N. Gomes.
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Bildunterschrift Fig. 8. Répartition chronologique des meules rotatives en grès de Fosses-Belleu. S. Lepareux-Couturier.
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Bildunterschrift Fig. 9. Cartographie des sites de La Tène ayant livrés des meules rotatives en grès de Fosses-Belleu. Carte S. Lepareux-Couturier.
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Bildunterschrift Fig. 10. Meules rotatives laténiennes en grès de Fosses-Belleu. 1. Catillus ; 2. meta. Dessins S. Lepareux-Couturier.
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Bildunterschrift Fig. 11. Cartographie des sites gallo-romains ayant livrés des meules rotatives en grès de Fosses-Belleu. Carte S. Lepareux-Couturier.
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Bildunterschrift Fig. 12. Diagramme de corrélation des diamètres et des pentes des meules rotatives en grès de Fosses-Belleu. S. Lepareux-Couturier.
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Bildunterschrift Fig. 13. Catillus des moulins manuels gallo-romains en grès de Fosses-Belleu. 1. catillus de type 1 ; 2. catillus de type 2. Dessins S. Lepareux-Couturier.
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Bildunterschrift Fig. 14. Meta des moulins manuels gallo-romains en grès de Fosses-Belleu. Dessins S. Lepareux-Couturier.
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Bildunterschrift Fig. 15. Répartition des différents types d’œils des meules manuelles antiques. Carte B. Robin.
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Bildunterschrift Fig. 16. Les systèmes d’emmanchement des moulins manuels en grès de Fosses-Belleu. 1. Emmanchement latéral ouvert sur la face supérieure : vue de la face supérieure et vue en section ; 2. moulin complet de type 2 présentant des traces de cerclage métallique sur le flanc du catillus ; vue des traces d’oxydations métalliques liées au cerclage du flanc. Clichés S. Lepareux-Couturier, montage N. Gomes.
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Bildunterschrift Fig. 17. Les meules de grand format en grès de Fosses-Belleu, exceptionnellement réduits à l’échelle 1/20e. Dessins S. Lepareux-Couturier
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Bildunterschrift Fig. 18. Les meules de type Pompéi en grès de Fosses-Belleu, dessins éch. 1/20. Dessins P. Picavet, S. Lepareux-Couturier et F. Jodry.
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Bildunterschrift Fig. 19. Diamètre (a.) et hauteur (b.) des meules de type Pompéi en grès de Fosses-Belleu par rapport à celles en basalte. Diagrammes P. Picavet.
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Bildunterschrift Fig. 20. Habillage raisonné des moulins en grès de Fosses-Belleu. Cliché S. Lepareux-Couturier, montage N. Gomes.
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