4. L’art celtique

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Mots-clés : art celtique, statuaire animale, sanglier, cervidé, oiseau, chien, taureau, bélier, statuaire anthropomorphe debout, statuaire anthropomorphe assise, représentation de dieu, art de la période des oppida, art officiel, art aristocratique, art de série, artisanat d’art, art dans tout, art appliqué, nudité virile


Texte intégral

1J’ai découvert l’art celtique aux séminaires de l’École Pratique des Hautes Études animés par mon professeur Paul-Marie Duval. En effet, préparant le premier ouvrage de synthèse sur l’art celtique, en français, intitulé Les Celtes, dans la prestigieuse collection L’univers des formes, il nous y présentait régulièrement l’état de ses recherches et invitait les quelques chercheurs européens intéressés par le sujet à intervenir. Lors de ces interventions et pendant les discussions qui suivaient, j’ai mesuré la difficulté de définir un art et des styles pour les périodes préromaines. Cependant, ce sujet m’a toujours fasciné et me fascine encore.

2La théorie déjà ancienne de considérer que cet art est une copie des arts du monde méditerranéen, plus particulièrement d’Italie, m’a toujours semblé un postulat excluant définitivement toute possibilité de créativité personnelle des populations d’Europe moyenne à la période dite des âges des Métaux. Aussi, j’ai exploré seul ou avec quelques collègues des pistes qui, à mon sens, offraient la possibilité d’un autre discours. Ces travaux n’ont pas vraiment suscité l’intérêt de mes collègues. J’en ai vraiment compris les raisons en réalisant l’exercice que vous êtes en train de lire. En effet, depuis peu de temps, de nouvelles réflexions sont apparues concernant la vision que nous avons du monde (voir l’exposition Une autre histoire des mondes au MUCEM en 2024, des articles dans la revue Nature). Ces réflexions mettent à mal notre égocentrisme méditerranéen et notre adhésion au grand récit national français, construit autour d’une Mare Nostrum romaine et nullement gauloise.

3Cette inféodation au mirage de la salvatrice romanisation impériale est si puissante que les sciences historiques ont créé un « no man’s land » : la protohistoire, pour les peuples de l’Europe tempérée, entre la préhistoire et l’empire romain. Ces peuples ne sont capables que d’être mercenaires ou artisans, et possèdent un art primitif, sans règle, sans invention, sans école et sans langage propre, comme nous le considérions pour les peuples de nos ex-colonies

4J’ai laissé à mes collègues l’art celtique des parures et de l’armement, pour travailler sur trois thèmes : l’art celtique des deux derniers siècles avant notre ère, la statuaire animalière et la statuaire anthropomorphe.

L’art celtique des deux derniers siècles avant notre ère

5C’est l’art celtique le moins connu et le moins étudié de la période protohistorique comme l’a écrit déjà Gilbert Kaenel, dans son chapitre La fin de l’art celtique sur le continent (Collection Unesco d’œuvres représentatives, Série Album d’art en 1990) : « L’art de la fin de l’âge du Fer […] n’a pas encore suscité le même intérêt passionné des archéologues [et des historiens d’art] que les débuts de l’art celtique ». Au cours du temps, J’ai écrit quelques courts textes sur de beaux objets comme les « dieux » d’Euffigneix (Haute-Marne) et de Bouray (Essonne), dans des revues comme Archéologia et dans des catalogues d’exposition.

 

Fig. 1. Accroupi de Bouray-sur-Juine (Essonne, France) en alliage cuivreux. Ce personnage est assis, les jambes repliées, sur le sol, le buste droit, les avant-bras, les bras et les mains ont disparu. Deux arrachements avec traces de brasure sur les genoux correspondent à la fixation des mains. Habituellement, il est considéré comme un personnage nu aux jambes terminées par des sabots. Les formes très schématiques soulignées par des lignes très marquées sur le torse et le dos correspondent aux reliefs des cuirasses dites « anatomiques » avec renfort dans la partie supérieure soulignant les pectoraux et les omoplates. Les pieds en extension, sont chaussés. Ce corps est surmonté d’une tête disproportionnée au cou muni d’un torque à attache mâle et femelle. Les yeux à l’iris de couleur bleu sont en pâte de verre. Les sourcils sont bien marqués et la coiffure à mèches dégage bien les oreilles et le bas de la nuque en remontant les longues mèches d’une natte. Les deux pièces du torse sont en tôle base-cuivre et les deux parties de la tête sont en base-cuivre coulée. Cette découverte fortuite dans la Juine est un assemblage de deux pièces d’époques et de compositions différentes dont la ou les datations restent à faire (Musée d’Archéologie Nationale, Bibracte, © A. Maillier).

6C’est en 2004 que j’ai écrit un chapitre sur l’art celtique pour un ouvrage en commun avec Miklós Szabó, à la suite d’une commande de l’éditeur suisse Infolio, qui n’a jamais jamais publié. Aussi, comme l’autorise le contrat, j’ai déposé l’ensemble du texte, sans les illustrations, dans HAL (https://hal.science/​hal-04056992).

7Cet art de la fin de la période celtique se développe à une période où les témoignages écrits sur les Celtes se multiplient, mais aucun auteur antique n’y fait allusion. Dans les études depuis le XIXe siècle, sauf exception, cet art est considéré comme anecdotique après les grandes périodes décrites dans les chapitres précédents. Rarement défini, il est souvent simplement appelé « l’art des oppida ». Seul, Paul-Marie Duval le rattache aux arts précédents en le nommant « style néo-sévère ».

Pour notre part, nous avons choisi de distinguer trois courants, reflets de cette société en pleine mutation. Le premier fonctionne dans la lignée des styles artistiques précédents. Nous l’appellerons art officiel ou art aristocratique. Il exploite le vocabulaire des arts celtiques anciens sur quelques parures, la monnaie, les arts de la table ou du banquet, la statuaire et les représentations sociales comme les enseignes. Le second, rarement figuratif, peut être considéré comme le premier art de série. Les formes épurées des parures, des armes et des objets de la vie quotidienne, jouent avec des assemblages de couleurs et les transparences des matériaux. Cet artisanat d’art, pour employer un néologisme utilisé à notre époque, sera totalement balayé par les événements politiques et économiques qui suivent la conquête romaine. Nous l’appellerons l’art dans tout ou art appliqué. Le troisième est un art populaire. Il se développe dans les décors des maisons en bois, dans les objets de piété, les jouets et des objets domestiques comme la vaisselle (Extrait de l’introduction au chapitre « L’art celtique des deux derniers siècles avant notre ère », p. 2-3).

 

Fig. 2. Attache de seau en alliage cuivreux en forme de rapace stylisé (Musée Rolin d’Autun, © A. Maillier).

 

Fig. 3. Clavette de fermeture d’un coffret, en fer, à l'extrémité́ en tête animale stylisée (Fouilles récentes, Bibracte, © A. Maillier).

La statuaire animalière 

8En 1994, au colloque international de Nitra-Malé Vozokany (Slovaquie) « L’art celtique au temps des oppida (IIe-Ier siècle av. J.-C.) », je présente une communication intitulée « Quelles représentations animalières dans l’art des oppida ? ». Ce fut ma première approche globale sur le sujet. Toujours en attente de publication, j’ai déposé le texte de cette étude, sans ses illustrations, dans HAL. Depuis, Éloïse Vial s’est emparée du sujet et l’a fait reconnaître par des publications et des présentations à des colloques. Le peu de contextes fiables rend la recherche très difficile.

Guillaumet J.-P., « Quelles représentations animalières dans l'art celtique des oppida ? », communication au Colloque international L’art celtique au temps des oppida (IIe-Ier siècle av. J.-C.), tenu en 1994 à Nitra-Malé Vozokany (Slovaquie), texte inédit, URL : https://sharedocs.huma-num.fr/wl/?id=abhzAT7cM2xUPhmioeHjBqflEMsnk4JG .

 

Fig. 4. Quatre vues d’un sanglier en alliage cuivreux à l’arrêt, les quatre pieds sur une plaque. Cette particularité se retrouve seulement dans des ensembles datés de la fin du Hallstatt ou du début de La Tène (Sans provenance, Musée Denon de Chalon-sur-Saône, Bibracte, © A. Maillier).

 

Fig. 5. Figurine d’un sanglier en alliage cuivreux, au modelé dans la cire allant à l’essentiel, à l’opposé de l’art romain. Art protohistorique rappelant les figurines en terre cuite de l’âge du Bronze (Saint-Désert (Saône-et-Loire), Musée Denon de Chalon-sur-Saône, Bibracte, © A. Maillier).

9Notons que le travail collectif sur le dépôt de Neuvy-en-Sullias, composé d’animaux et d’humain, régulièrement considéré comme gaulois, a démontré de multiples façons que cet ensemble d’époque romaine ne doit rien à l’art celtique. Voir à ce sujet :

Gorget C., Guillaumet J.-P. dir., Le cheval et la danseuse. À la redécouverte du trésor de Neuvy-en-Sullias, Catalogue de l’exposition tenue à Orléans en 2007 et à Bavay en 2008, Paris, Somogy, 2007, 298 p., URL : https://shs.hal.science/hal-03311619v1.

La statuaire anthropomorphe

10J’ai réalisé divers travaux sur le sujet. Le plus innovant, écrit avec Pierre-Paul Bonenfant, Professeur à l’Université Libre de Bruxelles, Belgique, a abouti à proposer, pour l’époque hallstattienne, trois arts : figuratif, symbolique et brut.

 

Fig. 6. Représentation au tiers d’un mi-corps masculin en grès, limitée aux éléments symboliques essentiels de la représentation hallstattienne : visage entièrement glabre, main sur la poitrine et le sexe bien marqué (Mont-Saint-Vincent (Saône-et-Loire), Musée Denon de Chalon-sur-Saône, Bibracte, © A. Maillier).

Bonenfant P.-P., Guillaumet J.-P. dir., avec la collaboration de Boyer F., La statuaire anthropomorphe du premier âge du Fer, Besançon, Presses universitaires franc-comtoises, 1998, 108 p., 53 fig., résumé en fr., angl., all. (Annales littéraires de l’Université de Franche-Comté, 667. Série archéologie et préhistoire, 43), URL : https://shs.hal.science/hal-03363144v1.

11Un second article s’est penché sur les cavaliers en alliage cuivreux spécifiques au Hallstatt. Les plus connus sont les cavaliers du char de Strettweg (Autriche) encadrant le cortège de la déesse, les donateurs et les porteurs de l’offrande, un magnifique cervidé.

 

Fig. 7. Cette statue d’homme, en bois, provient de la Saône. Elle fait partie de ce petit ensemble de statues debout typiques de la période des princes du Hallstatt (Seurre (Saône-et-Loire), Musée Denon de Chalon-sur-Saône, Bibracte, © A. Maillier).

 

Fig. 8. Ce cavalier de Bas-en-Basset (Haute-Loire) est caractéristique de cette période par le traitement du visage, la main droite longue au pouce écarté pour recevoir une lance, le membre gauche coupé au niveau du coude pour fixer un bouclier rond, le traitement du visage et le sexe. Le cheval, à la tête aux yeux globuleux et la crinière peignée, a subi une déformation et une partie des pattes a disparu (Musée Crozatier du Puy-en-Velay, © M.-C. Kurzaj).

Guillaumet J.-P., « Les représentations de cavalier en métal dans la protohistoire récente, en Europe tempérée », Acta Archaeologica Academiae Scientarum Hungaricae, 57, 2006, p. 77-85, URL : https://hal.science/hal-03323499/document..

Guillaumet J.-P., « Le monument à quatre faces humaines de la Croix du Buis (Arnac-la-Poste, Haute-Vienne) », Aquitania, 1997-1998, 15, p. 141-145, 4 fig., URL : https://shs.hal.science/hal-03363120v1.

12Pour la sculpture anthropomorphe, nous avons entrepris plusieurs études souvent sous forme d’inventaire :

Bonenfant P.-P., Guillaumet J.-P., « État des recherches effectuées par les auteurs sur la sculpture préromaine en Europe », Documents d’Archéologie Méridionale, 25, 2002, p. 257-260, URL : https://shs.hal.science/hal-03323694v1.

 

Fig. 9. Mi-corps de Rodez en grès. Le visage ovale porte une moustache tombante, un nez épaté, les yeux en amande, des épais sourcils, une chevelure abondante couvrant le cou. Ses mains tiennent un torque au niveau du ventre (Musée de Rodez, © J.-P. Guillaumet).

Guillaumet J.-P., « Les personnages accroupis : essai de classement », in Buschenschutz O., Bulard A., Chardenoux M.-B., Ginoux N. dir., Décors, images et signes de l’âge du Fer européen, actes du XXVIe colloque de l’Association française pour l’Étude de l’Âge du Fer, Paris et Saint-Denis, 9-12 mai 2002, Tours, FERACF, 2003, p. 171-182 (Revue Archéologique du Centre de la France, supplément 24), URL : https://shs.hal.science/halshs-02525853v1.

 

Fig. 10. Cet accroupi d’environ deux centimètres, en alliage cuivreux, découvert sur le site de La Bauve au nord de Meaux en Seine-et-Marne, est l’un des deux plus petits connus dans le monde celtique. Dans cette position d’autorité, bien connue encore à l’époque médiévale, il devait orner le bord d’un pot en alliage cuivreux (Musée de Meaux, Bibracte, © A. Maillier).

 

Fig. 11. L’homme est assis en tailleur sur un siège bas, ouvert devant, mouluré et aux montants terminés par une tête de cheval à l’encolure peinte en rouge. Il est décapité. Sur le haut des épaules, un torque est posé sur un plastron en cuir épais, aux motifs géométriques rouge. Les mains et les bras sont brisés et sur l’avant-bras gauche reste une partie d’un bracelet en pseudo-lignite. Le torse nu, bedonnant, cache, dans un dernier pli, le haut de son pagne en tissu, aux motifs de bandes de losanges rouge et jaune terminés par des franges alternativement noir et rouge. Ouvert à l’entrejambe, il laisse bien visible son sexe. Cette statue est la représentation assez peu flatteuse mais réaliste de ce seigneur, contemporain de l’homme debout d’Hirschlanden. Des événements violents ont supprimé les principaux éléments de son pouvoir : décapitation, démembrement des bras et des mains, martelage du torque et du sexe suivi d’une dispersion de ces éléments. Nous serions à l’époque romaine, nous parlerions d’iconoclastie (Copie peinte du Musée de Bibracte, Bibracte, © A. Maillier).

13Encore actuellement, j’approfondis ma réflexion sur ces personnages accroupis qui m’apparaît comme un élément d’un art de cour aux représentations codifiée. Ces personnages étaient surtout connus par les découvertes réalisées au siècle dernier à Entremont et Roquepertuse en Gaule du Sud. Dans le dernier quart du XXe siècle, les accroupis des régions celtiques plus au nord sont systématiquement étudiés. Pour ma part, en 2000, j’ai présenté un recensement le plus complet possible de ces statues et de leur contexte de découverte dans l'ensemble de l'Europe, hors Narbonnaise. Ces personnages sont en pierre, en bois ou en métal. Nombreux en Gaule, ils sont absents des régions celtiques d'Espagne et d'Europe Centrale. À partir de ce corpus, j’ai proposé des groupes suivant les positions des jambes, des pieds et des bras et présenté le répertoire de leurs attributs et leurs contextes de découverte. En conclusion, j’ai abordé les questions chronologiques et des comparaisons avec d'autres représentations humaines des mêmes époques (résumé de Guillaumet J.-P., « Les personnages accroupis : essai de classement », 2003). Depuis ce texte, les nouvelles découvertes et la comparaison avec des traditions des peuples germaniques nous ont confirmé qu’il s’agit bien d’homme et non de dieu et que ces représentations sont, en majorité, tardives et même souvent de l’époque romaine.

 

Fig. 12. Le fragment de statue d’Euffigneix (Haute-Marne) ne permet pas de restituer la position de cet homme. La partie, qui correspond à son torse, est retravaillée par deux sculptures en faible relief, un sanglier et une tête de grèbe huppé. Les éléments de coiffure conservés à l’arrière se composent de cheveux remontés pour dégager la nuque comme l’accroupi de Bouray. Ils sont cantonnés par deux longues mèches de cheveux. Ensuite, ces mèches, glissées entre la peau du cou et le torque, sont détruites par la création d’animaux (Musée d’Archéologie Nationale, Bibracte, © A. Maillier).

 

Fig. 13. La tête de Mšecké Žehrovice (Bohème), détruite en plusieurs morceaux par un coup au niveau du haut du front, est le seul reste d’une statue grandeur nature. La coiffure est réduite à de longues nattes tressées en bandeaux sur le haut du front (Musée National Tchèque de Prague, Bibracte, © A. Maillier).

 

Fig. 14. Un celte en Anatolie : accroupi d’Halicarnasse en marbre. L’homme est assis au sol, les jambes croisées. La tête, les bras, le pied et le genou droit manquent. Il est vêtu d’une tunique serrée à la taille. Les personnages accroupis sont inconnus dans la statuaire grecque. Cette représentation est, par sa facture, hellénistique mais, par sa posture, celtique (Musée d’Halicarnasse, Turquie, © S. Verger).


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