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Les meules du Néolithique à l’époque médiévale : technique, culture, diffusion

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Olivier Buchsenschutz
, 
Stéphanie Lepareux-Couturier
, 
Gilles Fronteau

Deuxième partie. Carrières, matériaux, productions

Vers une classification et une normalisation des termes pour définir les carrières de meules

Timothy Anderson et Luc Jaccottey

Résumé

Les carrières de meules peuvent être subdivisées en deux grandes catégories, selon qu’elles exploitent des blocs de surface (MQ‑1) ou le socle rocheux (MQ-2). Parmi les meulières exploitant des blocs de surface, certaines correspondent à la collecte de petits blocs de dimensions proches des produits désirés (MQ-1a), et d’autres à l’extraction de meules, surtout au moyen de pics, à partir de blocs de grande dimension (MQ-1b). On distingue, dans les carrières qui exploitent directement le socle rocheux (MQ-2), celles qui pratiquent l’extraction directe de cylindres laissant des alvéoles caractéristiques (MQ-2a) de celles qui extraient des blocs de forme variable au moyen de leviers en utilisant le plus souvent des fissures naturelles (MQ-2b). Les différents types d’exploitation meulière peuvent également être caractérisés en fonction de leur morphologie, du type d’affleurement, ainsi que des techniques et de la progression de l’extraction. À partir d’une recherche menée dans le sud de l’Espagne, qui a déjà été présentée en langues anglaise (Anderson, 2014a) et espagnole (Anderson, 2014b), nous présentons ici une première normalisation en français du vocabulaire descriptif des carrières de meules, applicable au-delà de la Péninsule ibérique, en France et en Europe.

Texte intégral

1. Introduction

1En raison de la multiplication, à l’échelle internationale, des recherches relatives aux meules, moulins, ainsi qu’aux carrières de meules (connues aussi sous le nom de meulières), un lexique commun dans plusieurs langues est en cours d’élaboration au sein du Programme collectif de Recherche « Évolution typologique et technique des meules du Néolithique à l’an mille » également appelé « Groupe Meule » (Jodry, 2011). Ce projet est primordial pour l’avenir des recherches dans ce domaine qui dépassent les frontières politiques actuelles. Le but de cet article est de présenter une première typologie et un vocabulaire relatifs aux différentes catégories de carrières de meules. Ce travail se fonde sur des recherches récentes menées en Espagne, confrontées avec d’autres recherches effectuées essentiellement en France et en Norvège. Cet article est loin d’être exhaustif et résulte de recherches et de recensements en cours qui sont encore très partiels. Pour éviter des répétitions et sauf contre-indications, les références de tous les sites espagnols se trouvent dans une thèse doctorale soutenue récemment (Anderson, 2014a).

2. Terminologie générale et topographie des meulières

2Les recherches sur les carrières de meules ont emprunté le vocabulaire employé dans les études relatives au travail de la pierre. Ces travaux sont marqués en France par les recherches de J.-C. Bessac sur les carrières de pierre de taille, l’outillage employé et les gestes mis en œuvre (Bessac, 1982 ; 1996 ; 2003). De manière plus spécifique, la recherche sur les carrières meulières a été menée par A. Belmont (2006a-b ; 2011a), ainsi que par le Groupe Meule (Buchsenschutz et alii, 2011). Cette approche a également bénéficié des travaux effectués par des équipes anglo-saxonnes (Crawford, 1955 ; Runnels, 1981 ; Tucker, 1985 ; Peacock, 1986 ; 1987 ; Jobey, 1986), espagnoles (Pascual, García, 2011 ; Sánchez, 2011 ; Maestro Hernández, 2011) et norvégiennes (Grenne et alii, 2008 ; 2011 ; 2014a et b).

Fig. 1. Principaux termes applicables à la description d’une meulière (dessin T. Anderson).

Fig. 2. Sections schématiques de la topographie des meulières exploitant le substratum rocheux. a) en pente ; b) en falaise ou d’escarpement ; c) lit de la rivière ou ravin ; d) bord de vallée ou ravin ; e) sommet de plateau ; f) littoral (dessin T. Anderson).

Fig. 3. Classification des meulières Reconstitution schématique petits identifiées dans le sud de l’Espagne.

Fig. 4. Reconstitution schématique du ramassage de petits blocs de surface (MQ-1a) (dessin T. Anderson).

3Avant de détailler les grandes catégories de production de meules, nous présentons une série de termes généraux relatifs aux carrières figure 1. Une carrière est généralement constituée d’un « gisement », surmonté de la « découverte » (fig. 1, a), couche de terre (humus, sables, limons, etc.) et de roche altérée. Cette couche doit être enlevée pour accéder au socle rocheux (fig. 1, b), composé d’un « gisement utile » de « roche saine », susceptible d’être exploitée, mais qui peut aussi contenir de la roche inapte à l’exploitation : « stérile » ou « morts-terrains ». Le front de la carrière ou « front de taille » (fig. 1, c) est la surface plus au moins verticale située à l’avant de la carrière, résultant des extractions et marquant la limite de l’exploitation. Sa hauteur varie en fonction de l’importance des extractions. Les extractions directes circulaires créent des alvéoles multiples et superposées, à l’image de piles de pièces de monnaie ; elles constituent des « fronts tubulaires » verticaux. Lors de la progression du travail se forment des parois latérales (fig. 1d). La base de la carrière est constituée d’un sol ou « plancher » (fig. 1, e) recouvert de marques d’outils issues du détachement des cylindres ou des blocs. Les planchers sont le plus souvent remblayés avec des débris, de sorte qu’il n’est généralement pas possible de les observer sans une fouille. Certains sites possèdent plusieurs niveaux de planchers formant des paliers ou « gradins » (fig. 1, f), qui sont séparés par des fronts verticaux. Ces différents planchers permettent l’exploitation simultanée de plusieurs niveaux. Le plancher le plus profond est le sol « final » ou « ultime » (fig. 1, g). Comme dans toute carrière, l’extraction des meules génère un grand volume de débris (fig. 1, h) qui doit être évacué. Leur stockage se fait sous la forme de « haldes », des monticules circulaires ou ovalaires, ou encore en forme de cordons allongés. Parfois des secteurs d’extraction entièrement exploités peuvent servir pour recevoir les déblais d’une (autre) carrière voisine.

4La morphologie des carrières de meules et leur classification dépendent, en partie, de leur position topographique. Elles se situent notamment dans des pentes à flanc de coteau (fig. 2, a), sur les crêtes des abrupts ou des escarpements (fig. 2, b), au fond de ravins ou dans le lit des rivières (fig. 2, c), au bord de vallées ou de ravin (fig. 2, d), sur les plateaux (fig. 2, e) ou en bordure du littoral (fig. 2, f). Ces emplacement coïncident avec des zones où le socle rocheux est accessible : « affleurant » ou très proche de la surface, ou à des zones d’accumulation de blocs qui sont généralement d’origine naturelle.

3. Classification des carrières de meules

5Le cheminement qui a permis de proposer le système de classification des grandes catégories de meulières a été extrêmement complexe. Nous avons d’abord établi une typologie incluant une série de variables, comme la position topographique, la nature et les propriétés mécaniques des roches, les techniques d’extraction et la morphologie des sites. Une série de tests a montré qu’une telle classification proposait presque autant de catégories que de cas rencontrés sur le terrain. Nous avons donc opté pour une classification plus simple, fondée sur la façon dont se présente la roche exploitée (fig. 3). Sont différenciées des meulières exploitant des blocs de surface : première catégorie dénommée MQ-1 (de l’anglais Millstone Quarry), et celles qui exploitent le socle rocheux (MQ-2). Chacune de ces grandes catégories est ensuite subdivisée en deux groupes selon les techniques de prélèvement et d’extraction mises en œuvre.

3.1. Les meulières exploitant des blocs de surface (MQ-1)

6Les exploitations de blocs de surface correspondent à des emplacements topographiques spécifiques tels que des lits de rivière, des ravins, des talus, des éboulis, des moraines ou des zones de lapiaz. Ces blocs peuvent être collectés sans avoir besoin de creuser le sol ou le sous-sol. Ils ont généralement été « préformés » naturellement, leur forme et/ou leurs dimensions sont proches de celles d’un moulin à bras. Le ramassage aléatoire de blocs isolés ne permet pas d’identifier une zone de production bien définie car il n’existe pas de carrière à proprement parler, ni de traces résiduelles attestant de l’extraction.

3.1.1. Ramassage de petits blocs de surface (MQ-1a)

7Ces sites sont sans doute particulièrement abondants (fig. 4), mais difficilement identifiables sur le terrain parce qu’ils laissent peu de vestiges : ébauches ou déchets de taille. Seule la présence de cortex sur la meule témoigne du recours à ce type d’exploitation.

8Et pour des raisons énoncées ci-dessus, peu des sites ont été reconnus directement sur le terrain. Ainsi, en Bourgogne et en Franche-Comté, les parties corticales ont été systématiquement notées lors de l’étude des meules néolithiques et protohistoriques. Par exemple, les outils de mouture du début du Néolithique moyen découverts à Gonvillars (4700 à 4600 av. J.-C.) ont principalement été façonnés à partir de galets de grès vosgiens tirés des moraines ou des rivières présentes dans la région (Jaccottey, Milleville, 2014). L’exploitation des moraines vosgiennes se poursuit durant tout le Néolithique moyen (4500 à 3800 av. J.-C) et ces pièces sont présentes dans la plupart des sites. D’autres meules bourguignonnes, en grès ou granites du Morvan, ont été façonnées à partir de galets ou de blocs, identifiables s’il subsiste des plages corticales. Au Néolithique final, les moraines avec grès des Vosges sont moins exploitées, même si quelques pièces ont été recensées dans les corpus régionaux. En revanche, d’autres pièces façonnées à partir de galets issus de moraines alpines sont présentes dans les séries archéologiques des lacs de Chalain et Clairvaux (Milleville, 2007). Durant l’âge du Bronze, une part importante d’outils est toujours façonnée sur galets provenant des Vosges, du Morvan ou des moraines alpines (Jaccottey, Milleville, ce vol.). Les exemples franc-comtois et Bourguignons pourraient être étendus à bien d’autres régions, à l’image du site chasséen de Daurelle où une bonne part des meules a été façonnée à partir des galets issus des formations alluviales du Rhône (Cousseran-Néré, Gisclon, ce vol.).

9Pour la fin de l’âge du Fer, toute une gamme de moulins à bras provient de l’exploitation de blocs arrondis ramassés en surface. Ainsi, un catillus fabriqué à partir d’un petit bloc erratique a été découvert sur un habitat de La Tène finale à Courgevaux en Suisse (Anderson, Castella, 2007). Les travaux en cours sur les carrières de meules liées à l’oppidum de Bibracte, pour la fin de l’époque gauloise, ont permis d’identifier plusieurs zones d’exploitation de la fin de l’époque gauloises à Saint-Andeux, Saint-Pierre-en-Vaux, Saint-Émiland et Tintry, où les ébauches de la fin de la période gauloises ont été abandonnées au sein des éboulis (Jaccottey, 2013 ; 2014a). Plusieurs de ces ébauches conservent encore des plages corticales. Quelques rares meules antiques et médiévales étaient également présentes à Saint-Pierre-en-Vaux et Saint-Émiland. Enfin, l’étude récente des meules rotatives du musée de Stavanger en Norvège, datées entre le ier et le xvie s., montre que la plupart ont été façonnées à partir de blocs erratiques ; dans ce secteur, les pièces provenant d’extraction directe en carrière n’apparaissent qu’à partir du xiiie s., lors de l’essor de la production dans le district de Hyllestad (Dahlin Hauken, Anderson, 2015).

3.1.2. Meulières exploitant de gros blocs de surface (MQ-1b)

10Ce second type diffère du premier par le fait que les blocs de surface exploités sont, en général, très volumineux et impliquent l’extraction d’ébauches avec un outillage et un savoir-faire adapté (voir MQ-2a). Ce type d’extraction peut se subdiviser en plusieurs sous-catégories. Dans les trois premiers cas mentionnés ci-dessous, les blocs servant de « carrière » sont formés in situ, voire transportés, par la seule nature, tandis que pour le dernier cas, il s’agit d’un matériau déplacé par l’homme.

11Le type MQ-1b-1 désigne des exploitations de grands blocs accumulés naturellement, par éboulement ou effondrement, au pied d’escarpements ou de pentes abruptes (fig. 5a). Un exemple de ce type a été identifié à Pedrizas dans la région de Moclín (Grenade) où plusieurs gros blocs détachés d’une falaise ont été exploités pour produire une série de grandes meules. Le grand diamètre de ces blocs d’extraction indique qu’il s’agit d’une exploitation d’époque contemporaine, sans doute secondaire et satellite, de la vaste carrière de Moclín. Les talus du site de Catillo de Locubín (Jaén), meulière citée dans des textes du xixe s., montrent également des indices d’extraction au pic sur gros blocs détachés.

12L’exploitation de grands blocs isolés (fig. 5b), déplacés par des glaciers (blocs erratiques) et des glissements de terrain (MQ-1b-2) était courante dans certaines zones. À Toldstadkvernberget, dans le sud de la Norvège, des nombreux blocs erratiques en schiste, parfois semi-enterrés dans des moraines, ont été entaillés entre le xve et le xixe s. (Grenne et alii, 2014a). En France sont connus La Pierre Guénachère à Saint-Émiland en Bourgogne au début de la période médiévale (Jaccottey, 2013) et Brandesen-Oisans en Isère (Belmont, 2006a, p. 81) au ixe et xe s. L’exploitation de Baena (Cordoue) est installée sur un gros bloc, vraisemblablement déplacé lors d’un glissement de terrain. La proximité d’un moulin à eau cité dans des textes dès le xvie s. suggère une datation moderne ou contemporaine (Córdoba de la Llave, Varela Romero, 2011, p. 25).

13L’exploitation de blocs non transportés MQ-1b-3, mis à nu in situ au fil du temps par l’érosion, est observée dans certains paysages karstiques ou granitiques (fig. 5c). Des exemples sont connus au Torcal et à Teba dans la province de Málaga, datant vraisemblablement, selon des textes, des périodes modernes et contemporaines.

14Une dernière variante, MQ-1b-4, comporte le remploi de blocs travaillés, essentiellement des éléments architecturaux ou déjà façonnés par l’homme (fig. 5d). C’est le cas d’une ébauche de catillus pompéien façonnée dans un tambour de colonne à Baelo Claudia (Cadix) ou de l’exploitation de tables de dolmen à Orsennes dans l’Indre (Coulon, Base de données Meulières. eu, no 159) ou à Colombelès-Vesoul en Haute-Saône (Pétrequin, Piningre, 1976, p. 321).

3.2. Meulières exploitant le socle rocheux (MQ-2)

15Les carrières de meules qui exploitent le socle rocheux (MQ-2) requièrent un outillage particulier et un degré élevé de savoir-faire. En fonction du procédé d’extraction, elles se distinguent soit par des procédés d’extraction directe (MQ-2a), soit en exploitant des blocs, le plus souvent anguleux, au moyen de leviers (MQ-2b).

Fig. 5. Reconstitution schématique des meulières à extraction directe MQ-1B à partir des gros blocs. MQ-1b1 : talus ; MQ-1b2 : gros bloc unique (« erratique ») ; MQ-1B3 : blocs dans des champs karstiques ou granitiques ; MQ-1B-4 : matériaux de construction recyclés (dessins T. Anderson).

3.2.1. Meulières à extraction directe (MQ-2a)

16Dans les « véritables meulières extractives » (« true extractive quarries », Runnels, 1981, p. 72), les cylindres ont été extraits, généralement au pic, directement du socle rocheux. Elles sont caractérisées par des cavités circulaires (fig. 6). Ces productions nécessitent une utilisation habile du pic (percussion lancée) pour détourer le cylindre, ainsi que l’emploi de différentes techniques pour le détacher du socle : le « défermage ». D’autres outils, tels que les pointerolles ou les ciseaux (percussion posée), sont moins fréquents que l’usage du pic. Des sites typiques de ce genre présentent des fronts en forme de « tubes » sur lesquels sont visibles les traces obliques liées au détourage au pic. Les planchers portent des marques de détachement des cylindres qui se différencient selon la technique employée : des traces « d’emboitures » ou « d’encoignures » pour des coins (fer ou bois), des traces de ciseau, de la pointe du pic ou des mâchoires de la pince.

17Des extractions dans le sens vertical constituent une variante, moins fréquente, de ce type d’exploitation (fig. 7). Cette technique, qui progresse perpendiculairement au litage naturel de la roche (en délit), peut être mise en œuvre uniquement lorsque le banc est suffisamment compact et homogène. En contexte d’exploitation souterraine, comme dans les exploitations modernes du Mont Vouan (Haute-Savoie) (Belmont, Anderson, 2011), cette technique engendre la création de tubes horizontaux au plafond des carrières. Pour ce type d’extraction, des outils à percussion posée (pointerolles, ciseaux...), ou de petit pics ou piochons utilisés à une main en percussion lancée, sont plus aisés à employer que des pics à manche long.

18Des exemples de carrières d’extraction directe sont nombreux à travers le temps et il est impossible d’en dresser la liste complète. Pour la période romaine, trois petites carrières de meules manuelles exploitant du grès coquillier sont attestées à Châbles (Fribourg), à Chavannes-le-Chêne (Vaud), et à Würenlos (Argovie) en Suisse (Anderson, 2006). Cas exceptionnel, celle de Châbles a put être datée entre la fin du ier s. et le début du iie s. grâce aux céramiques récoltées dans son comblement (Anderson et alii, 2003). En Espagne, à la période romaine, cette technique a été employée pour extraire des meules manuelles et de grand diamètre des coulées volcaniques de Sisapo (Ciudad Real), ainsi que pour l’exploitation de bancs de biocalcarénite à Trafalgar dans la baie de Cadix.

19Des exploitations employant cette technique sont également reconnues dans le sud de la France à Saint-Quentin-la-Poterie du ve s. au courant du vie s. (Longepierre, 2013).

Fig. 6. Reconstitution schématique d’une carrière de meules à extraction directe (MQ-2a) où les extractions horizontales superposées laissent des fronts en forme de tube (dessin T. Anderson).

Fig. 7. Reconstitution schématique d’une carrière de meules à extraction directe suivant des plans verticaux (MQ-2a2) (dessin T. Anderson).

Fig. 8. Reconstitution schématique d’une carrière de meules MQ-2b1 où des blocs angulaires ont été détachés le long de plans horizontaux (dessin T. Anderson).

20Dans ce site, certains tubes peuvent atteindre jusqu’à 2,50 m de hauteur, et produire plus d’une dizaine d’ébauches chacun. Les carrières de basalte d’Embonne à Agde, datées entre le iie s. av. J.-C. et le Haut-Empire, conservent des « empreintes d’arrachement circulaire d’une quarantaine de centimètres » (Garcia, 1995, p. 26). Un autre atelier daté de la période antique est présent dans la carrière de Vauxrezis dans l’Aisne (Robert, Landreat, 2005, p. 110). Enfin, même si aucune carrière antique n’a été retrouvée dans le massif de la Serre (Jura), l’étude des traces conservées sur une ébauche de moulin à bras antique, découverte à Menotey, montre qu’il s’agit d’un cylindre extrait directement de la masse rocheuse de ce secteur géographique (Jaccottey, 2011a).

21La technique d’extraction directe se répand au Moyen Âge et peut être mise en parallèle avec la diversification des matériaux employés dans les petites meulières régionales (Belmont, 2006a). C’est le cas dans la zone 1 de l’exploitation de calcaire blanc de Claix (Charentes) où les extractions sont datées entre 460 et 800 ap. J.-C. (Belmont, 2011), des carrières des Ecouges à Saint-Gervais entre la fin du xiiie et le début du xve s. (Belmont, 2003), du gisement des Molères au Boulou dans les Pyrénées à l’époque médiévale (Martzluff et alii, 2008 ; Martzluff, 2009), des carrières médiévales et modernes d’Offlanges dans le massif de la Serre (Jaccottey, 2011a), des carrières modernes de Quaix-en-Chartreuse (Belmont, 2001) et à Vic-le-Comte, au pied du Massif central, des carrières datées du xviie ou du xviiie s. (Cabezuelo, 2006)…

22En Espagne, cette technique a été reconnue sur les sites de calcaire gréseux de Zagra (Grenade) et d’Almadén de la Plata (Seville) (Anderson et alii, 2014), sites dont la datation médiévale se base sur les dimensions des extractions correspondant à des meules manuelles plates d’environ 50 cm de diamètre. En Norvège, c’est entre le viiie et le xive s. que l’extraction directe se développe dans les meulières de schiste du district d’Hyllestad (Grenne et alii, 2008).

23Cette technique se répand progressivement à partir de la fin du Moyen Âge. Des centaines de meulières appliquant cette technique s’ouvrent dans toute l’Europe pour alimenter en pierres un nombre toujours croissant de moulins à eau et à vent.

3.2.2. Meulières d’extraction de blocs (MQ-2b)

24Les meulières dites « de blocs » se distinguent par la technique d’extraction avec des leviers qui profite souvent des fissures ou brèches naturelles dans la masse rocheuse (fig. 8). Par conséquent, les blocs détachés par ce « déroctage » sont souvent anguleux et requièrent une phase de façonnage secondaire plus élaborée. Les fronts des carrières, contrairement aux meulières à extraction directe, ne révèlent pas aisément les traces d’extraction. Certains de ces sites peuvent être confondus avec des « fronts » résultant de procédés naturels tels que la gélifraction. Comme ils sont difficiles à identifier sur le terrain, c’est généralement la présence de cylindres inachevés ou brisés, abandonnés parmi les débris, qui permet de déduire leur présence.

25Les sites où les blocs sont pris naturellement dans un substrat sédimentaire entrent également dans cette catégorie, à l’image des petites carrières situées à la base d’un éboulis, à Malange, dans le massif de la Serre (Jura) d’où ont été extraits des blocs pour la production de meules va-et-vient (Jaccottey, 2011a ; Jaccottey, Milleville, 2010).

26On soupçonne que les dalles de grès facilement détachables du socle massif dans la carrière de Zujaira (Grenade), ont fourni des blocs pour des meules va-et-vient de deux habitats voisins datant de la fin du Néolithique (fouilles inédites de T. Anderson). N. Alonso suggère par ailleurs ce mode de production pour les meules mises au jour dans l’habitat d’Arbeca en Catalogne et datant du ive s. av. J.-C. (Alonso Martínez et alii, 2011). Cette technique est confirmée par l’étude de certaines ébauches dont le sommet et la base conservent les surfaces d’origine d’une sorte de filon de calcaire ; on peut en déduire que les artisans d’Arbeca recherchaient spécifiquement ce filon ou banc possédant à la fois des propriétés abrasives et une épaisseur convenable pour la fabrication des meules.

27Pour les meules rotatives de la fin de l’âge du Fer, plusieurs centres de production de meules rotatives façonnées à partir de blocs sont connus à travers l’Europe, notamment à Lodsworth en Angleterre, à Lovosice en République tchèque, dans les carrières des Fossottes à La Salle dans les Vosges, à Saint-Andeux dans le nord du Morvan et Saint-Émiland en Bourgogne (Saône-et-Loire), dans le massif des Coirons en Ardèche, à La Marèze dans le sud-ouest de la France et à Schweigmatt en Allemagne (cf. tableau fig. 19). Ce mode d’extraction est donc couramment employé pour la production de meules rotatives à la fin de l’âge du Fer (Jaccottey, 2014b).

28Cette technique se prêtait bien aux exploitations de roche volcanique à la période romaine tirant des meules des « orgues » ou colonnes de lave dans l’Eifel (Allemagne ; Harms, Mangartz, 2002) et dans les sites volcaniques dans le sud est de l’Espagne (Anderson et alii, 2011). Elle est également connue en France, sur le site du Portus à Collonge-en-Charollais (Saône-et-Loire) pour confectionner des meules manuelles antiques (Jaccottey et alii, 2011e).

29Les gigantesques productions de dalles de schiste à staurotide à Selbu en Norvège s’échelonnent du xvie au xxe s. (Grenne et alii, 2008). Enfin, les meules tirées des grandes masses siliceuses au sein des couches argileuses tertiaires du Bassin parisien, la fameuse « meulière » ayant équipé les moulins à travers l’ensemble de l’Europe depuis plusieurs centaines d’années, ont été extraites en utilisant des variantes de ces techniques.

3.3. Meulières à systèmes de production mixtes ou « opportunistes »

30Il n’est pas toujours aisé de classer certaines carrières car celles-ci présentent plusieurs modes d’extraction variant fortement selon les opportunités, les contraintes liées au terrain ou à la qualité de la roche. Les carriers qui fabriquaient à la période romaine des meules rotatives en roche volcanique de Cerro de Limones (Níjar, Almería) exploitaient vraisemblablement à la fois des blocs de surface collectés dans le talus (MQ-1a) et des « orgues » verticaux (MQ-2b). Les meuliers d’El Campillo, Huelva, avaient le choix entre extraire des meules à partir de grande dalles de schiste en surface (MQ-1B) ou dans les bancs rocheux (MQ-2a), tandis qu’à Castillo de Locubín, Jaén, ils pouvaient choisir entre l’extraction directe depuis de grands blocs de grès détachés des talus (MQ-1b), tailler directement dans le socle rocheux (MQ-2a) ou détacher des blocs anguleux avec des leviers au pied de la falaise (MQ-2b). Les carrières du Bois des Mouilles à Saint-Émiland se caractérisent par l’exploitation de blocs dans les talus d’éboulis (MQ-1a), l’extraction de blocs quadrangulaires à partir de gros blocs détachés par l’érosion (MQ-1b) et l’extraction de blocs à partir des fissures naturelles (MQ-2b). Les catégories de classification peuvent donc se combiner sur la même zone de carrière.

4. La morphologie des carrières de meules

31Les définitions de la morphologie des meulières extractives se fondent en partie sur des termes empruntés au vocabulaire des carrières de pierre de construction. Tous ces types concernent des exploitations à ciel ouvert, sauf le dernier qui correspond aux carrières souterraines.

4.1. Les meulières « en palier » ou en « gradin » (fig. 9)

32Elles désignent une exploitation installée dans une pente dans laquelle le processus d’extraction s’enfonce pour entamer le cœur du socle rocheux. Lors de la progression, le front ainsi que les parois augmentent progressivement. Ces exploitations prennent parfois une forme en « U » ou en « fer à cheval » et laissent des fronts de taille de forme rectangulaire et des parois triangulaires. À Claix (Charentes), dans la zone 1 qui est datée du haut Moyen Âge, les meules manuelles et hydrauliques ont été extraites depuis le flanc de la butte (Belmont, 2011). L’exploitation des meules manuelles à Zagra (Grenade) au Moyen Âge est également un exemple d’exploitation à flanc de colline.

4.2. Les meulières « en poche » (fig. 10)

33Elles correspondent simplement à une version plus réduite des exploitations « en palier ». Au lieu de poursuivre le travail dans un secteur contigu (devenant progressivement une meulière « en palier »), ces exploitations modestes sont réparties sur les pentes des collines ou des montagnes. La présence de plusieurs exploitations de ce genre suggère des concessions avec différentes équipes. On observe parfois un léger surplomb le long de leur front, comme si le travail allait progresser sous terre. Ce type d’exploitation peut aussi être dû à la qualité de la roche et à une volonté d’exploiter les secteurs où la roche est la plus adaptée.

34Un exemple est connu en Espagne sur le site d’El Hacho près de Lora de Estepa (Seville) où de petites exploitations, chacune avec sa propre zone de déblais, s’organisent le long du flanc de la colline. En France, certaines carrières de La Salle couvrent une bonne partie du coteau et se recoupent parfois. Celles-ci ont permis l’extraction de blocs pour la production de meules rotatives de la fin de la période gauloise (Farget, Fronteau, 2011). Une partie des carrières antiques de Saint-Andeux se présentent sous la forme de dépressions contigües ouvertes dans la pente pour la production de meules à partir de blocs (MQ-2b). Les exemples les plus parlants de ce type d’extraction sont sans doute les carrières antiques de Mayen (Allemagne) exploitant les orgues basaltiques (MQ-2b) en plusieurs concessions voisines séparées par une zone inexploitée (Harms, Mangartz, 2002), et celles de Saint-Quentin-la-Poterie où quatre exploitations antiques produisant des meules par extraction directe (MQ-2a) ont été ouvertes côte à côte sur le flanc d’une colline (Longepierre, 2011a). Les carrières médiévales et contemporaines du massif de la Serre, fouillées à Offlanges (Jaccottey, 2011a), correspondent également à de petites exploitations « en poche » dans lesquelles ont été produites des meules par extraction directe (MQ-2a). D’autres, similaires, ont été identifiées sur le même massif à Malange et Thervay.

4.3. Les meulières « de paroi » (« edge quarry » en anglais)

35Ce sont des exploitations dont la progression se poursuit de manière latérale le long d’un bord de falaise, d’un escarpement ou d’une crête. Les exemples de ce type correspondent à des extractions directes aboutissant à des « tubes » verticaux (fig. 11), ou des extractions de blocs (fig. 12).

36Ce type d’exploitation présentant des « tubes » multiples (MQ-2a) est attesté sur certains secteurs de la vaste meulière du Mont Vouan (fouilles A. Belmont) en France, à Los Guillares, Padul dans la région de Grenade en Espagne. Des exemples spectaculaires existent dans la région de Saskenvik en Norvège, notamment à Hestgarden et Vassliheia (Grenne et alii, 2014b).

4.4. Les meulières « en fosse » (fig. 13)

37Ces termes désignent des exploitations dont la progression est essentiellement verticale afin d’atteindre une couche spécifique de roche. Ces sites se trouvent dans des terrains plats ou légèrement pentus. Les fosses sont de dimensions et profondeurs variables et sont souvent entourées de haldes.

38Les minières néolithiques de Malange correspondent à des fosses installées à la base d’un talus d’éboulis d’où ont été extraits des blocs (MQ-2b). Des structures similaires situées dans ou à la base des éboulis ont été observées à Roßbüsch sur la commune d’Oberttingen (Rhénanie-Palatinat ; Hörter, 1994, p. 14), dans le massif de l’Eifel pour la production de meules va-et-vient protohistoriques à partir de blocs (MQ-2b). Une partie des carrières de La Salle (Farget, Fronteau, 2011), située sur le plateau, présente également des fosses d’où ont été extraits les blocs (MQ-2b). En Bourgogne, les carrières antiques de Saint-Andeux (Jaccottey, 2013) sont essentiellement de vastes fosses ceintes de zones de déblais où se déroule également le façonnage des ébauches à partir de blocs (MQ-2b). Les ébauches antiques de Saint-Émiland (Jaccottey, 2014a) sont également en partie liées à une série de carrières en fosse situées sur le plateau (MQ-2b). Le site gallo-romain de Châbles, en Suisse, est également en fosse. La fouille a montré l’extraction directe (MQ-2a) sur quatre niveaux laissant des tubes verticaux sur les fronts (Anderson et alii, 2003). Pour l’époque antique, les fosses ovales peu profondes du Cerro de Limones, Almería (Anderson et alii, 2011), qui sont désormais encombrées de débris de taille, exploitent sans doute le sommet des « orgues » volcaniques (MQ-2b). Enfin pour la période moderne et contemporaine, une variante de ce type correspond aux fosses creusées dans l’argile à meulières du Bassin parisien, par exemple à La-Ferté-sous-Jouarre (Belmont 2006b) (MQ-2b). Un des inconvénients de ce type d’exploitation est l’accumulation de l’eau dans la fosse, ce qui nécessitait l’installation d’un système d’évacuation.

Fig. 9. Meulière en palier (dessin T. Anderson).

Fig. 10. Meulière en poche (dessin T. Anderson).

Fig. 11.Meulière de paroi avec extraction directe (dessin T. Anderson).

Fig. 12.Meulière de paroi avec extraction de blocs à tailler ultérieurement (dessin T. Anderson).

Fig. 13.Meulière en fosse (dessin T. Anderson).

Fig. 14. Meulière en tranchée (dessin T. Anderson).

Fig. 15. Meulières extensives superficielles contigües (dessin T. Anderson).

Fig. 16.Meulières extensives superficielles dispersées (dessin T. Anderson).

Fig. 17.Meulière souterraine (dessin T. Anderson).

4.5. Les meulières « en tranchée » (fig. 14)

39Elles désignent des exploitations caractérisées par une progression étroite, linéaire, suivant un banc rocheux spécifique sur un terrain en général plat ou légèrement incliné. Ces sites, de profondeur variable, comprennent des tranchées multiples et parallèles qui sont caractérisées par des cordons allongés de déblais aménagés de chaque côté des tranchées.

40Des productions massives en longues et profondes tranchées sont connues à Selbu, région peu accessible dans le centre de la Norvège, où des meules ont été tirées des dalles de schistes à staurotide depuis le xvie s. (MQ-2b) (Grenne et alii, 2008 ; Grenne et alii, 2011). Dans le sud de l’Espagne, ce type d’exploitation a été identifié à la Cantera de la Rambla, à Caniles (Grenade) et à Lachar, Jimena (Jaén). Ces sites exploitaient, respectivement, des bancs de conglomérat (poudingue) et de calcaire blanc compact (MQ-2b).

4.6. Les meulières « extensives superficielles à extractions contigües » (fig. 15)

41Elles désignent des sites à extractions multiples s’étendant côte à côte sur une grande surface en suivant le sommet du substrat rocheux. Le travail d’extraction progressait simplement sur la surface sans avoir à gérer les inconvénients des extractions profondes (creusements, évacuation des déblais, remontée d’eau). Les limites externes de ces sites ne sont pas toujours nettes, surtout quand le banc est recouvert par une couche de terre.

42Parmi ces exploitations, certaines sont situées en bord de mer, comme les carrières de Nord Talgje, dans le sud-ouest de la Norvège (Prøsch-Danielsen, Heldal, 2014) et à Trafalgar dans la région de Cadix ; elles exploitaient respectivement du schiste et du calcaire (biocalcarénite). Ces gisements (MQ-2a) profitent de la présence de l’eau pour évacuer les débris. Il existe des exemples en montagne, comme la vaste exploitation de Puerto de la Cadena (Murcia) et La Cantera de la Rambla Honda, Almería (Martínez et alii, 2011).

43En France, cette technique a été identifiée sur le site médiéval de Jacob-Bellecombette dans les Alpes où l’on exploitait le calcaire (MQ-2a) (Ayala, 2012). Plusieurs carrières médiévales, modernes ou contemporaines permettant l’extraction directe de meules (MQ-2a) en grès des Vosges ont été identifiées à L’étang de Plate-Pierre à La Voivre, L’Avocat et La Ferme des Gouttes à Ternuay (Haute-Saône), aux Cuveaux à Eloyes et à La Roche des Huguenots (Martinvelle, Vosges). En Bretagne, les granites de la Pointe de Men-Meur (Finistère) ont permis l’extraction directe de meules (MQ-2a) de la fin du Moyen Âge au xviie s.

4.7. Les meulières « extensives dispersées » (fig. 16)

44Ce terme est inspiré des recherches de J.-C. Bessac (2003), qui désigne des exploitations où les meuliers exploitaient de multiples petits affleurements séparés les uns des autres. Le travail sur chaque affleurement est toujours peu profond et constitué d’une poignée ou, plus rarement, d’une seule extraction. Les distances entre les secteurs de travail sont variées et leurs limites externes sont mal définies. Elles diffèrent des meulières « en poche » par le fait qu’elles sont limitées à un seul niveau d’extraction. Ces meulières dispersées sont caractéristiques des paysages calcaires karstiques (dissolution des calcaires) ou des sites granitiques ou gréseux très érodés, avec des organisations en chaos de blocs résiduels. Des exemples sont connus dans les paysages karstiques à El Torcal, Teba, Sierra Utrera dans la province de Málaga et Loja à Grenade et dans des affleurements granitiques ponctuels à Miraflores de la Sierra (Madrid) et Guijo de Galisteo (Cáceres). Ce type de carrière est également courant à l’époque médiévale en France, que ce soit à la Pierre Guénachère (Jaccottey, 2013) à Saint-Émiland, au Portus en Bourgogne (Jaccottey et alii, 2011e) ou à Brandes-en-Oisans (Belmont, 2006a) pour des productions de meules en extraction directe depuis des blocs (MQ-1b).

4.8. Les meulières « souterraines » (fig. 17)

45Ce sont des exploitations d’un banc de pierre spécifique sous forme de cavité ou de galerie artificielle souterraine. Les meuliers ont appliqué cette technique dans le cas où l’épaisseur de la découverte qui recouvre le banc désiré était trop importante. Des meulières souterraines permettant l’extraction de blocs ou de cylindres se présentent sous diverses formes : depuis la simple cavité peu profonde jusqu’aux longues galeries multiples avec chambres d’extraction, qui nécessitent une infrastructure complexe pour évacuer les produits et les déblais. Quand elles atteignent une certaine dimension, ces carrières comportent des piliers pour éviter les effondrements.

46Des exploitations meulières souterraines sont réparties à travers l’Europe. À cheval sur l’Allemagne et le Luxembourg existent de nombreuses exploitations exploitant des roches volcaniques (Kremer, 2006 ; Harms, Mangartz, 2002). En Bavière se trouve la carrière souterraine de Hörer Berg (Czysz, 2014). En France des cavités artificielles ont été percées dans les bancs d’arkose du Mont-Vouan (Haute-Savoie) (fouilles A. Belmont), ainsi que dans les calcaires gréseux ou silicifiés des départements du Tarn et de l’Aveyron (Azema, 2006). Une grande production souterraine a été identifiée aussi à Alvito au Portugal (com. pers. Lidia Catarino), alors qu’en Espagne la seule exploitation connue pour le moment est la petite cavité de La Merced, Loja (Granada). L’absence d’exploitation souterraine en Espagne est surprenante compte tenu de la longue tradition de travaux miniers. Cette lacune est probablement due à l’état des recherches.

4.9. Les meulières à morphologie mixte

47Comme pour la classification des modes d’extraction, différentes morphologies de carrières peuvent se combiner au sein d’une même zone de carrières ou dans une même carrière. Certains sites, surtout les plus importants, présentent des morphologies variées en fonction des secteurs et de la qualité de la roche. À Padul (Grenade) en Espagne, un secteur du site était exploité en « paliers », un autre « en paroi » le long d’un ravin. Les carrières de La Salle sont pour une partie « en fosse » (d’où le nom « Les Fossottes ») et pour une autre partie « en poche » (Farget, Fronteau, 2011). Il en est de même pour les carrières antiques de Saint-Andeux (Jaccottey, 2013).

5. Conclusion : discussion, classification, morphologie et esquisse de chronologie

48La fréquence des différentes catégories de carrières de meules varie en fonction de la chronologie. Des types prédominent à certaines périodes tandis que d’autres sont soit minoritaires, soit absents (fig. 18 : Moyen Âge, Moderne). Les différentes catégories sont, évidement, conditionnées par la nature de la matière exploitée, car certaines roches, en raison de leurs propriétés ou de leur mode de gisement, ne peuvent être extraites que sous une forme ou une autre. Un autre facteur est bien évidement lié à l’état d’avancement technologique. On ne peut pas concevoir des vastes meulières à extraction directe (MQ-2a) sans, par exemple, l’utilisation d’un outillage en métal (notamment des pics) (voir tableau récapitulatif, fig. 19). Enfin, la fréquence des catégories peut être influencée par des exploitations successives qui ont pu faire disparaître les carrières plus anciennes.

Fig. 18. Répartition chronologique et importance relative des différentes des catégories de meulières.

49MQ-1a. Les sites exploitant des blocs de surface dans les ravins, les lits alluviaux, les talus et les moraines (MQ-1a) sont caractéristiques essentiellement de la Pré- et Protohistoire pour la fabrication des moulins va-et-vient. Ce genre de sites fournissait aisément des blocs d’un format et d’une forme adaptable tant pour des molettes que pour des meules dormantes. Ce type d’exploitation semble perdurer jusqu’à la fin de la période gauloise, comme le montrent les exemples de la Suisse et de la région de Bibracte (Saint-Andeux, Saint-Émiland et Tintry). Les chaînes opératoires de fabrication des meules rotatives gauloises, basées sur une mise en forme par enlèvements, comme pour les meules va-et-vient des périodes antérieures, témoignent également d’une persistance du mode de fabrication de ces outils au-delà du changement de leur forme (Jaccottey, 2014b).

50Il existe également des indices, plus ténus, montrant que ce type de production de meules a perduré aux périodes romaine et médiévale, comme on le voit à travers certaines meules manuelles rotatives (Saint-Émiland). Mais ces exploitations plus tardives sont minoritaires, voire isolées, en comparaison avec les sites d’extraction directe (MQ-2a) et d’extraction de blocs (MQ-2b). Il est néanmoins intéressant de noter que l’omniprésence et l’accessibilité à des sources de blocs erratiques dans certaines régions ont peut-être freiné l’émergence des véritables exploitations extractives. Ceci semble être le cas, par exemple, dans le sud de la Norvège où des bancs de schiste du district de Hyllestad ont été exploités seulement de manière tardive, à partir du viiie s. (Grenne et alii, 2008, p. 48, 64). Il faut aussi tenir compte, comme le signale C. Hamon (comm. pers.), que ce type de site a probablement fourni des petites molettes qui étaient appariées avec des meules dormantes tirées des blocs de carrières (MQ-2b).

51MQ-1b. Les grands blocs détachés, comme des gros blocs erratiques servant pour l’extraction directe, sont connus uniquement à partir de la période romaine. En France, les exemples les plus nombreux sont datés des époques médiévale et moderne. Sans pouvoir proposer de statistiques, ce genre d’exploitation semble très local et n’atteint jamais le volume des exploitations de types MQ-2a ou MQ-2b.

52MQ-2. L’exploitation directe de la roche mère sur des affleurements massifs, autant sous la forme d’extraction directe (MQ-2a) que d’extraction de blocs (MQ-2b), semble être la méthode la plus efficace. Aux époques historiques, ces carrières dominent de loin la production meulière et demandent un personnel hautement qualifié ainsi qu’une infrastructure et une logistique complexe.

53MQ-2a. Cette technique s’associe à des roches compactes et homogènes qui affleurent sous forme de banc. Les meulières d’extraction directe (MQ-2a), comme Runnels l’a suggéré il y a déjà trois décennies lors de ses recherches sur les meules de l’Argolide en Grèce (Runnels, 1981, p. 74), sont une innovation de l’époque romaine (Châbles, Chavannes-le-Chêne et Würenlos en Suisse, Saint-Quentin en France, Sisapo et Trafalgar en Espagne). La chaîne opératoire de production basée sur l’extraction directe de cylindres serait une innovation par rapport à la période gauloise où les meules rotatives seraient produites à partir de blocs mis en forme ultérieurement (Jaccottey, 2014b).

54MQ-2b. Cette technique s’associe à des bancs de roche comportant des fissures qui ne se prêtent pas à l’extraction directe ou à des masses de pierre exploitable, au sein d’une gangue de roche stérile. Le meulier doit dans une première étape dégager un bloc suffisamment large et compact qui sera par la suite taillé en meule. Des meulières de ce type sont envisagées depuis la Préhistoire. En raison de leur nature, elles sont généralement difficiles à identifier sur le terrain. La technique semble se développer à la fin de l’âge du Fer (La Salle, Les Coirons, Lovosice, Saint-Andeux, Schweigmatt…) avec la production massive de meules rotatives. Cette technique continue à être employée durant la période romaine (Le Portus, l’Eifel…), malgré l’introduction massive de la technique d’extraction directe. Elle a perdurée à travers le temps jusqu’au xxe s., avec notamment l’exploitation massive des grands blocs de roche siliceuse dite « meulière » dans certaines parties de la France, notamment dans le Bassin parisien. Il s’agit de ces fameuses pierres si efficaces qu’elles sont dites « intelligentes », et qu’elles ont connu une clientèle à travers le monde entier en raison de la qualité de la farine qu’elles produisaient.

morphologie

Va-et-vient

Rotative

Datation

Bibliographie

X

Néolithique / Bronze

Jaccottey, Milleville, 2014

X

Néolithique moyen

Cousseran-Néré, ce vol

X

Néolithique final / Bronze

Milleville, 2007

X

La Tène

Anderson, Castella, 2007

X

La Tène / Auguste

Jaccottey, 2013

X

La Tène / Auguste

Jaccottey, 2014a

X

La Tène / Période romaine

Jaccottey, 2014a

X

Période romaine

Jaccottey, 2014a

X

Protohistoire – Contemporain

Dahlin Hauken, Anderson, 2015

en fosse

X

Période romaine

Anderson et alii, 2011

X

Période romaine

Anderson, 2014a

X

Moyen Âge

Jaccottey, 2013

X

Moyen Âge

Belmont, 2006a

X

Médiéval / Moderne

Aubrun, Coulon, 2002

X

Médiéval / Moderne

Pétrequin, Piningre, 1976

X

Moderne

Anderson, 2014a

X

XVe-XIXe s.

Grenne et alii, 2014a

extensive – contigüe

X

Moderne / Contemporain

Anderson, 2014a

X

Moderne/Contemporain

Anderson, 2014a

X

Contemporain

Anderson, 2014a

de paroi

X

XIXe s.

Anderson, 2014a

 ?

X

La Tène / Période romaine

Garcia, 1995

en fosse

X

Période romaine

Anderson, 2006

en paliers

X

Période romaine

Anderson, 2006

en paliers

X

Période romaine

Anderson et alii, 2011

extensive – contigüe

X

Période romaine

Anderson, 2014a

 ?

X

Période romaine

Robert, Landréat, 2005

 ?

X

Période romaine

Jaccottey, 2011

en fosse

X

Période romaine : fin Ier s.

Anderson et alii, 2003

en poche

X

Période romaine : Ve-Ve s.

Longepierre, 2013

extensive – contigüe

X

Moyen Âge

Martzluff et alii, 2008

en paliers

X

Moyen Âge

Anderson, 2014a

en paliers

X

Moyen Âge

Anderson, 2014a

en paliers

X

Moyen Âge : Ve-VIIIe s.

Belmont, 2011a

en paliers

X

Moyen Âge VIIIe-XIVe s.

Grenne et alii, 2008

X

Moyen Âge : XIIIe-XVe s

Belmont, 2006b

en poche

X

Moyen Âge/Moderne

Jaccottey, 2011

en poche

X

Moyen Âge/Moderne

Jaccottey, 2011

en poche

X

Moyen Âge/Moderne

Jaccottey, 2011

extensive – contigüe

Moyen Âge/Moderne

Martínez et alii, 2010

extensive – contigüe

X

Moderne

Belmont, 2001

en poche

X

Moderne

Anderson, 2014a

Souterraine / en paliers

X

Moderne

Belmont, Anderson, 2011

de paroi

X

Moderne

Anderson, 2014a

en fosse ?

X

Moderne, XVIIe-XVIIIe s.

Cabezuelo, 2006

extensive – contigüe

X

XIe-XVe s.

Prøsch-Danielsen, Heldal, 2014

en tranchée

X

Contemporain

Anderson, 2014a

de paroi

X

XVIe-XVIIe s.

Grenne et alii, 2014b

de paroi

X

Moyen Âge

Grenne et alii, 2014b

en fosse

X

X

Néolithique

Jaccottey, 2011

en paliers ?

X

X

Néolithique/ période romaine ?

Anderson, 2014a

en fosse

X

Protohistoire

Hörter 1994

 ?

Âge du Fer

Joos, 1975

en fosse

Âge du Fer

Peacock, 1987

en fosse

Âge du Fer

Frölich, Waldhauser, 1989

en poche

X

X

Age du Fer / période romaine

Farget, Fronteau 2011

 ?

X

Age du Fer / période romaine

Non-publié, prosp. C. Vernon

 ?

X

Age du Fer / période romaine

Servelle, 2011

en poche

X

Période romaine

Harms, Mangartz, 2002

en fosse

X

Période romaine

Jaccottey, 2013

en fosse

X

Période romaine

Jaccottey, 2013

en poche

X

Période romaine

Jaccottey et alii, 2011

souterraine

X

Moyen Âge / Contemporain

Czysz, 2014

en fosse

X

Moderne / Contemporain

Belmont, 2006b

en tranchée

Moderne / Contemporain

Grenne et alii, 2008

souterraine

X

Moderne / Contemporain

Anderson, 2014a

souterraine

Moderne / Contemporain

Harms, Mangartz, 2002

Fig. 19. Tableau récapitulatif de classification de carrières de meules mentionnées dans le texte.

Table des illustrations

Légende Fig. 1. Principaux termes applicables à la description d’une meulière (dessin T. Anderson).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3322/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 180k
Légende Fig. 2. Sections schématiques de la topographie des meulières exploitant le substratum rocheux. a) en pente ; b) en falaise ou d’escarpement ; c) lit de la rivière ou ravin ; d) bord de vallée ou ravin ; e) sommet de plateau ; f) littoral (dessin T. Anderson).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3322/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 56k
Légende Fig. 3. Classification des meulières Reconstitution schématique petits identifiées dans le sud de l’Espagne.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3322/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 100k
Légende Fig. 4. Reconstitution schématique du ramassage de petits blocs de surface (MQ-1a) (dessin T. Anderson).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3322/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 148k
Légende Fig. 5. Reconstitution schématique des meulières à extraction directe MQ-1B à partir des gros blocs. MQ-1b1 : talus ; MQ-1b2 : gros bloc unique (« erratique ») ; MQ-1B3 : blocs dans des champs karstiques ou granitiques ; MQ-1B-4 : matériaux de construction recyclés (dessins T. Anderson).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3322/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 256k
Légende Fig. 6. Reconstitution schématique d’une carrière de meules à extraction directe (MQ-2a) où les extractions horizontales superposées laissent des fronts en forme de tube (dessin T. Anderson).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3322/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 84k
Légende Fig. 7. Reconstitution schématique d’une carrière de meules à extraction directe suivant des plans verticaux (MQ-2a2) (dessin T. Anderson).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3322/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 76k
Légende Fig. 8. Reconstitution schématique d’une carrière de meules MQ-2b1 où des blocs angulaires ont été détachés le long de plans horizontaux (dessin T. Anderson).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3322/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 80k
Légende Fig. 9. Meulière en palier (dessin T. Anderson).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3322/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 80k
Légende Fig. 10. Meulière en poche (dessin T. Anderson).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3322/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 68k
Légende Fig. 11.Meulière de paroi avec extraction directe (dessin T. Anderson).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3322/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 76k
Légende Fig. 12.Meulière de paroi avec extraction de blocs à tailler ultérieurement (dessin T. Anderson).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3322/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 56k
Légende Fig. 13.Meulière en fosse (dessin T. Anderson).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3322/img-13.jpg
Fichier image/jpeg, 72k
Légende Fig. 14. Meulière en tranchée (dessin T. Anderson).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3322/img-14.jpg
Fichier image/jpeg, 76k
Légende Fig. 15. Meulières extensives superficielles contigües (dessin T. Anderson).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3322/img-15.jpg
Fichier image/jpeg, 80k
Légende Fig. 16.Meulières extensives superficielles dispersées (dessin T. Anderson).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3322/img-16.jpg
Fichier image/jpeg, 68k
Légende Fig. 17.Meulière souterraine (dessin T. Anderson).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3322/img-17.jpg
Fichier image/jpeg, 68k
Légende Fig. 18. Répartition chronologique et importance relative des différentes des catégories de meulières.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3322/img-18.jpg
Fichier image/jpeg, 112k
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3322/img-19.jpg
Fichier image/jpeg, 592k

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