Versión clásicaVersión móvil

Les meules du Néolithique à l’époque médiévale : technique, culture, diffusion

 | 
Olivier Buchsenschutz
, 
Stéphanie Lepareux-Couturier
, 
Gilles Fronteau

Première partie. Les meules à grain du Néolithique à l’époque médiévale en Champagne-Ardenne

Le matériel de mouture de Bezannes (Marne) du Néolithique à la période gallo-romaine

Synthèse d’une quinzaine d’années d’archéologie préventive

Mikel Etchart-Salas

Resumen

La commune de Bezannes, en périphérie de Reims, a fait l’objet d’importantes opérations d’archéologie préventive, qui ont livré quatorze meules va-et-vient et une trentaine de meules rotatives. L’intérêt du corpus est qu’il provient d’une fenêtre géographique restreinte, occupée de manière quasi continue entre le Néolithique et le Bas-Empire. Les meules permettent de mettre en évidence des stratégies d’approvisionnements qui changent au cours du temps. Du point de vue de la typologie, les meules de Bezannes se rattachent aux corpus déjà étudiés dans les départements de la Marne et de l’Aisne.

Texto completo

1Depuis les années quatre-vingt-dix, la commune de Bezannes a été touchée par de nombreux projets d’aménagement du territoire. Les terrains concernés couvrent, en 2014, une superficie d’environ 300 ha ; ils ont été systématiquement sondés à hauteur de 10 % et ont entraîné la fouille d’une vingtaine de sites, réalisées par le Service archéologique de Reims Métropole, par l’AFAN et l’Inrap. Elles ont principalement eu lieu à l’est et au sud de la commune, le centre étant déjà bâti et l’ouest étant en dehors de ces aménagements (fig. 1).

2L’objectif de cet article est de présenter l’ensemble du matériel de mouture découvert sur la commune, sur des zones d’occupation datées entre le Néolithique et le Bas-Empire (il n’y a aucune meule médiévale). Il synthétise des résultats de rapports de fouille et du programme commun de recherche (P.C.R.) « Évolution typologique et technique des meules du Néolithique à l’an mille ». Les déterminations pétrographiques ont été faites par Gilles Fronteau (membre du groupe d’étude sur les géomatériaux et les environnements anthropisés (GEGENA) de l’université de Reims Champagne-Ardenne).

3Le corpus est constitué de neuf meules (dont deux ébauches) et sept molettes va-et-vient et de seize catillus et onze meta auxquels il faut ajouter quarante fragments de meules rotatives et vingt-trois probables fragments de meules rotatives. Ils proviennent de quinze sites datés entre le Néolithique et le ive s. ap. J.-C.

4Les datations des contextes sont provisoires pour les rapports de fouille en cours d’écriture du site du « Champ Drillon 3b3C 2 » et de « La Bergerie ». Il faut également signaler que les meules de trois sites fouillés en 2014 n’ont pas pu être intégrées à l’étude (« Le Village », « Le Champ Drillon 3b3B » et les « sites G et H »).

5Cet article est un état des lieux présentant le corpus de manière chronologique, en essayant de mettre en évidence de possibles évolutions quant aux choix des matériaux et des caractéristiques morphologiques.

1. Contexte géographique et géologique

6Le village de Bezannes est situé dans le département de la Marne, dans l’ancien territoire des Rèmes, à une distance d’environ 5 km du forum antique de Reims (Durocortorum) et à 4 km de la Vesle (fig. 1). Il se trouve en bordure de deux importantes voies antiques qui reliaient la capitale des Rèmes aux communes actuelles de Damery et de Port-à-Binson. Le substrat géologique est constitué de craie blanche du Campanien inférieur, avec des formations colluviales de graveluches alluvio-colluviales autour des cours d’eau de la Muire et du Rouillat (Laurain et alii, 1981).

Fig. 1. Localisation de Bezannes et des opérations d’archéologie préventive (conception : Reims Métropole).

1.1. Les sources de matières premières immédiates à locales

7Le substrat géologique du Campanien inférieur est très pauvre en matériaux lithiques taillables. Il existe toutefois à Bezannes des blocs de grès du Thanétien et des blocs de meulière du Rupélien sur les buttes témoins du « Mont Benoît » et des « Monts Couteaux », qui sont localisées à l’est et à l’ouest de la commune. Les grès et les meulières sont également disponibles sous la forme de blocs erratiques au sommet de la craie (Laurain et alii, 1981). Des prospections, les opérations archéologiques ainsi qu’une expérimentation de chauffe (Bündgen et alii, 2015a et b) ont permis de mieux connaître ces matériaux et leur disponibilité. Ainsi, ces roches sont disponibles en assez grande quantité au « Mont Benoît » et isolément sur le sommet de la craie de toute la commune.

8Les grès mesurent en moyenne entre 15 cm et 40 cm de longueur mais peuvent atteindre le mètre. Les formes des blocs sont globuleuses, arrondies ou en plaques, avec des couleurs beige à grise. Différentes qualités ont été observées et définies lors des études de mobilier :

  • grès fin quartzitiques = les grains sont invisibles à la loupe ;

  • grès fins = les grains ne sont visibles qu’à la loupe ;

  • grès moyens = les grains sont visibles à l’œil nu ;

  • grès grossiers = les grains sont de taille importante.

9Ces critères sont subjectifs et ne prennent pas en compte toutes les variabilités observées ; ils permettent toutefois une classification efficace et discriminante, notamment pour les outils.

10Du Néolithique jusqu’au Moyen Âge, ces grès ont été utilisés pour la fabrication de meules va-et-vient, d’aiguisoirs, d’enclumes, de broyons et d’abraseurs. Un artisanat local est attesté par la découverte d’éclats de taille sur plusieurs sites protohistoriques et antiques (« Les Charolles », « Le Champ Drillon 3b3C »). Les meules et les aiguisoirs sont quasi exclusivement taillés dans des grès fins et des grès fins quartzitiques qui sont généralement compacts et fortement cimentés. Les autres outils sont taillés dans des grès moyens, fins ou quartzitiques mais très rarement grossiers (qui sont faiblement cimentés). La seconde utilisation des grès locaux est la construction. Ils ont été employés pendant la Protohistoire et à la période romaine dans le calage des trous de poteau, dans les fondations de murs, dans des empierrements de voies et dans diverses structures. Ces pierres ont été utilisées fréquemment dans des structures de combustion, comme sur le site des « Hautes Feuilles site 2 » ou celui de la « Fosse à Carin ». De plus, près de 50 % des grès trouvés en calage de poteaux ou dans des contextes détritiques présentent des traces de rubéfaction ou d’éclatement thermique liés à une exposition antérieure dans une structure de combustion (décomptes sur les sites « Les Charolles », « Le Champ Drillon 3b3C 2 » et « La Bergerie »).

11Il faut enfin signaler l’existence de petits blocs naturels de grès fins, arrondis et roulés, qui mesurent autour d’une dizaine de centimètres de longueur. Ils ont été observés dans les couches inférieures de « sols noirs » (dépressions naturelles comblées de sédiments anthropisés), lors de la fouille de « La Bergerie » en 2013 et 2014.

12Les meulières sont disponibles sous la forme de petits blocs de taille centimétrique et décimétrique, la moyenne étant située entre 10 et 15 cm de longueur maximum. Les faciès sont poreux et vacuolaires, impossibles à tailler (aucun outil n’a été trouvé dans ce matériau). Les meulières ont été utilisées dans des foyers (environ 10 % des pierres sont chauffées), mais dans des proportions inférieures aux grès, probablement parce qu’elles éclatent plus facilement. Cette roche est également employée dans des calages de poteaux, dans des fondations de murs, des empierrements et diverses structures.

2. Les meules va-et-vient

13Le corpus recense sept meules dormantes, sept molettes et deux ébauches (fig. 2), qui sont réparties sur une période s’étendant du Néolithique à la Protohistoire, ce qui fourni peu d’exemplaires par époque.

Datation

Dormante

Molette

Ébauche

Néolithique

1

1

Bronze

1

3

Hallstatt

3

La Tène

1

1

1

Protohistoire ind.

1

2

1

Total

7

7

2

Fig. 2. Décompte des meules va-et-vient.

14- Le Néolithique n’a principalement été fouillé que sous la forme de fosses de chasse à profil en « V-Y » (Bontrond et alii, 2013). Toutefois, un site d’habitat a été reconnu à l’ouest de la commune, lors d’un diagnostic aux « Roies » (Garmond et alii, 2011). Une fosse datée du Néolithique y a livré un couple de meule-molette en grès fin quartzitique non local (Cherfa et alii, 2013a). La meule est entière (fig. 3, nos 1 et 2), de forme et de section ovoïdes (52 x 24 x 10 cm), avec les flancs façonnés et l’extrémité distale bouchardée. Le dos est arrondi et instable, mis en forme puis régularisé par des enlèvements et du piquetage. La surface active est concave longitudinalement et transversalement, elle est couverte d’un poli moyen. La molette est entière, de forme ovoïde à section semi-ovoïde, de type débordant (31,7 x 15,5 x 7 cm). La surface active est convexe en section transversale et concave en section longitudinale. Le dos et les bords ont fait l’objet d’un façonnage poussé.

Fig. 3. Meules va-et-vient du Néolithique, de l’âge du Bronze et du Hallstatt.

15- Mis à part quelques structures isolées, la période de l’âge du Bronze n’est connue que par le site d’habitat des « Marsillers » (Verbrugghe, Friboulet, 1997). Le site, daté du Bronze final III a fourni deux ensembles d’outils de mouture (Hamon et alii, 2013). Le premier provient de la fosse St. 19 (fig. 3, nos 3 à 6). Il est constitué d’une meule et de deux molettes entières, en calcaire à ditrupas, accompagnées d’un bloc brut quadrangulaire en grès local (Bezannes). La meule a une morphologie ovoïde avec un bouchardage régulier de la surface externe, la surface active est concave (58 x 27 x 19 cm). Les molettes ont des surfaces actives planes, l’une est de forme rectangulaire avec un dos convexe (29 x 20 x 7 cm), la seconde est de forme quadrangulaire avec une section atypique rectangulaire (30 x 28 x 7 cm). La St. 60, qui abrite le second ensemble, a livré une extrémité de molette en calcaire à ditrupas, avec une surface active plane et une section quadrangulaire atypique (15 x 10 x 6 cm).

16- Le Hallstatt est mieux représenté avec trois sites fouillés (« La Fosse à Carin », « La Bergerie/Les Ouettes », « La Bergerie ») et quelques occurrences (« Entre Deux Voies site I », « Les Hautes Feuilles »). Seuls trois fragments de meules ont été identifiés sur deux sites caractérisés par la présence de bâtiments circulaires enclos, d’un statut particulier à définir.

17Deux fragments de meules dormantes (Etchart-Salas, Fronteau, 2013) proviennent du site de « La Bergerie » qui a été sondé en 2010 (Bündgen et alii, 2010) et fouillé en 2013 et 2014 par S. Bündgen. Les études sont encore en cours, mais les contextes semblent être datés du Hallstatt C ou D. Un fragment provient de l’us 341 du « sol noir » F533 (fig. 3, no 7). Il est taillé dans un calcaire coquillier du Lutétien moyen. La forme est trapézoïdale allongée, la mise en forme est poussée, avec un épannelage et un bouchardage sur les bords. La face supérieure est concave longitudinalement et transversalement, le dos est plat, large, reposant bien à plat (35 x 23 x 14 cm). Le second fragment provient du trou de poteau F62 (fig. 3, no 8). Il est constitué de deux éclats remontant ensemble dans un grès moyen local (Bezannes). La forme est trapézoïdale, tous les bords et le dos sont soit des surfaces verticales naturelles non taillées, soit des enlèvements thermiques. L’objet est archéologiquement complet. La face supérieure est légèrement convexe transversalement, le dos est à peu près plat, légèrement bancal (37 x 16 x 9,8 cm). Le site de « La Bergerie/Les Ouettes » est daté du Hallstatt C (Riquier et alii, 2010). Quatre probables outils de mouture proviennent du puits St. 12 (Cherfa et alii, 2013b). Ils correspondent à deux fragments en grès fin local (Bezannes) et deux autres en calcaire sublithographique. Le calcaire sublithographique est un matériau non abrasif qui semble impropre à la mouture (aucune autre meule dans ce matériau n’est connue sur la commune). Parmi les deux fragments en grès, un seul peut être vraisemblablement considéré comme un fragment de meule (fig. 3, no 9). Il possède une surface polie avec une section et une forme quadrangulaire. Le bord conservé n’a pas fait l’objet de mise en forme, il est naturellement vertical, tandis que le dos est plat.

18- La période de La Tène souffre elle aussi d’un manque de documentation, puisque seul deux sites funéraires ont été fouillés et n’ont pas livré d’outils de mouture (« Les Marsillers », « Les Charolles 3a2 »). Une aire d’habitat a toutefois été reconnue lors d’un diagnostic au lieu-dit « La Prieuse » (Bündgen et alii, 2013). Deux outils étaient abandonnés dans une petite fosse ou un trou de poteau (F533), situé à moins d’un mètre d’un silo daté par la céramique de La Tène sans plus de précision. Il s’agit d’une meule dormante et d’une ébauche de meule ou d’enclume (Etchart-Salas, Fronteau, 2013b), tous deux en grès fin quartzitique local (Bezannes). La meule (fig. 4, no 11) est complète, de forme triangulaire (26 x 21 x 10 cm, 6,1 kg), avec une surface active plane, légèrement convexe longitudinalement et légèrement concave transversalement. Les bords gauche et proximal sont bruts, les flancs droit et distal ont subi une série d’enlèvements, tandis que le dos est épannelé et présente de nombreux enlèvements. Il semble que la base ait intentionnellement été taillée de forme pyramidale. N’étant pas stable, cette meule était probablement destinée à être calée ou enterrée. Le second outil (fig. 4, no 12) est complet, de forme naviculaire (25 x 18,5 x 10 cm, 5,3 kg), avec une surface supérieure légèrement courbée (concave dans la partie proximale et convexe dans la partie distale), couverte d’impacts de bouchardage ou de martelage. Deux éclats rasants ont été enlevés dans la partie distale de cette face. Les flancs gauche, droit, proximal et distal ont été façonnés par des enlèvements. Une partie du flanc gauche présente une surface naturelle. Le dos est arrondi (peut-être poli), il est instable. Cet objet est une ébauche de meule dormante ou d’enclume. Enfin, un fragment de molette (fig. 4, no 13) a été découvert lors du diagnostic des « Roies », dans un trou de poteau d’un bâtiment attribué à la période de La Tène (Garmond et alii, 2011). Il est taillé dans un grès fin à rares gros grains fortement cimenté, local (Bezannes). Le dos a fait l’objet d’une mise en forme très poussée avec un piquetage fin sur toute la surface qui donne un aspect arrondi à la pièce. Deux enlèvements ont peut-être servi à améliorer la préhension de l’objet.

19- Cet inventaire est complété par une meule, deux molettes et une ébauche de meule provenant de contextes datés entre le ier s. av. J.-C et le ier s. ap. J.-C. Ces objets sont de petite taille et très fragmentés, ce qui laisse penser qu’il s’agit d’outils plus anciens qui ont été réemployés. L’un d’eux est un fragment de meule dormante (fig. 4, no 14) d’un trou de poteau (F129) du site d’habitat des « Charolles » (Bündgen, Mouze, 2015c). Il est taillé dans un grès fin coquillier de provenance indéterminée. Seule l’épaisseur de 7 à 11,5 cm est mesurable. Deux des bords sont conservés, ils sont verticaux et ne paraissent pas avoir été taillés. Le dos est plat. Les deux molettes proviennent d’une cave (F1003) et d’un puits (F717) du site d’habitat du « Champ Drillon 3b3C 1 et 2 » (fig. 4, nos 15 et 16). Elles sont taillées dans des grès fins locaux (Bezannes). L’exemplaire no 15 possède un dos naturel plat sans mise en forme et une épaisseur de 6,4 cm. L’objet no 16 mesure 5,2 cm d’épaisseur, le dos et le bord sont légèrement polis. Enfin, une ébauche de meule a été découverte sur la commune voisine de Villers-Aux-Nœuds, au lieu dit « Le Bois Doriot » (Garmond et alii, 2014). Nous avons choisi de la faire figurer dans l’étude, car elle provient d’un diagnostic au « Mont Benoit », qui est potentiellement une des principales sources d’approvisionnement en grès de Bezannes. La fouille qui pourrait en découler permettra de vérifier ou de réfuter cette hypothèse. Cette ébauche (fig. 4, no 17) provient d’une fosse datée de La Tène. Elle est taillée dans un grès fin à moyen local (Bezannes). Les bords sont couverts d’éclats d’épannelage rasants qui correspondent à la première étape de la chaîne opératoire (Hamon, 2006).

Fig. 4. Meules va-et-vient de La Tène et de la protohistoire.

2.1. Conclusion sur les meules va-et-vient

20Sur un total de seize objets, sept ont été trouvés dans des fosses ; ils sont entiers, avec peu de traces de rubéfaction (fig. 3 et 4, nos 1 à 5, 11, 12). Ceux trouvés dans des trous de poteau, des comblements de cave ou de puits, sont très fragmentés et pour quatre d’entre eux, rubéfiés. Le nombre d’outil par période est trop faible pour distinguer des évolutions typo-techno-chronologique, mais quelques remarques sont toutefois possibles.

21Au Bronze final et au Hallstatt, il y a deux types d’outils employés. Des meules sont taillées dans des grès locaux (Bezannes), avec une mise en forme et une finition peu élaborées. Elles semblent avoir été façonnées selon un mode opportuniste, en choisissant comme surface active une face naturellement plane et en laissant les bords et les dos à l’état quasiment naturel. Il s’agit probablement d’une fabrication dans une sphère domestique, peut être par l’utilisateur lui-même. Parallèlement à cette production, deux meules et trois molettes sont taillées dans des calcaires importés du Lutétien moyen, dont les premiers affleurements se situent dans le Soissonais, à des distances minimales d’environ 20 km de Bezannes. Ces outils ont une mise en forme et une finition très poussée. Les formes des meules sont rectangulaires aux bords arrondis, avec des bords verticaux bouchardés et des dos plats. La meule complète mesure 58 cm de longueur, celle fragmentée 35 cm, les largeurs sont de 27 et 23 cm et les épaisseurs de 19 et 14 cm. On remarque que ces caractéristiques sont assez proches de la meule complète datée du Néolithique (50 x 24 x 10 cm), elle aussi taillée dans une roche exogène.

22Pour La Tène, on observe, la persistance de la fabrication de meules peu élaborée dans un grès local quartzitique (Bezannes).

3. Les meules rotatives manuelles

23Ce type d’outil est mieux représenté, avec dix-sept catillus, douze meta et vingt-sept fragments (total de 103 kg), pour des contextes datés entre La Tène D2 et le Bas-Empire. Ils ont été trouvés dans des contextes de rejet : des puits (60 %), des fosses (16,5 %), des trous de poteau (13,5 %), une cave (10 %), une voie de circulation (10 %) et des déblais (10 %). Ils sont en général très fragmentés et souvent rubéfiés. Les meules ont été étudiées dans le cadre des rapports de fouilles et dans le cadre du P. C. R. sur la Champagne-Ardenne (Cherfa, Fronteau, 2013 ; Cherfa et alii, 2013a et b).

3.1. Contextes de découverte

24Elles sont principalement issues de trois sites d’habitats qui ont été occupés entre le ier s. av. et le iie s. ap. J.-C. Celui du « Champ-Drillon 3b3C1 et 2 » a été fouillé en 2011 et 2012 sous la direction de S. Bündgen et a livré dix catillus et sept meta (58,6 % du total du corpus). C’est un hameau de plusieurs dizaines de bâtiments sur poteaux qui a été occupé à partir de La Tène D2 (80/50 av. J.-C.) et abandonné à la fin du ier s. ap. J.-C. Quelques structures ont pu perdurer jusqu’au iie s. ap. J.-C. (rapport en cours). Les meules sont en calcaire à cérithes, en calcaire à ditrupas, en calcaire à bivalves et rares ditrupas, en calcaire à glauconie grossière matériaux 1 et 2, en arkose d’Haybes-Macquenoise. « Les Charolles » est une occupation de dix-neuf bâtiments sur poteaux, en activité entre 30/25 av. et 5/10 ap. J.-C. (Bündgen et alii, 2015c). Elle a livré quatre catillus et une meta (17,2 % du total) en calcaire à cérithes, à ditrupas et à bivalves et rares ditrupas. Le troisième habitat pour cette période est « Le Champ-Drillon site E » (Achard-Corrompt, 2012), qui est constitué d’un bâtiment sur poteaux associé à un puits et des structures excavées, l’ensemble étant entouré d’un fossé d’enclos. L’abandon est daté de la fin du ier siècle ap. J.-C. Deux fragments d’un catillus et d’une meta en calcaire à glauconie matériau 2 (6,9 % du total) ont été trouvés dans un puits.

25Quatre sites occupés entre le iie s. et le ve s. ap. J.-C., ont livré quatre fragments de meules manuelles rotatives. Le « Champ-Drillon site F » est un établissement rural à vocation agricole, dont l’occupation gallo-romaine est datée entre le ier s. ap. J.-C. et le ve s. ap. J.-C. (Dumas-Lattaque et alii, 2012). Le puits F415 est comblé entre la moitié du iiie s. ap. J.-C. et la moitié du ive s. ap. J.-C. ; il a livré un fragment de meta en calcaire à glauconie et un fragment de meta en grès de Fosses-Belleu (7,1 % du total). Le site « Entre Deux Voies site I » a été fouillé en 2012 sous la direction de S. Pechart. C’est un établissement rural en bord de voie, dont l’occupation principale est située entre le iie s. et le iiie s. ap. J.-C. (rapport en cours). Il a livré un fragment de catillus dans un puits dont le comblement est daté de la deuxième moitié du iiie s. Cet outil est taillé en calcaire à glauconie grossière matériau 2 (3,4 % du total). L’occupation principale du site J « Entre Deux Voies » est une forge qui est en activité entre 90 et 280 ap. J.-C. (Bontrond et alii, 2015). Un catillus en basalte vacuolaire (3,4 % du total) provient d’un puits comblé entre 110 et 160 ap. J.-C.

3.2. Les matières premières (fig. 5)

26Les matériaux utilisés sont majoritairement le calcaire à cérithes (37,9 %), le calcaire à glauconie matériau 2 de type Beaurieux (17,2 %), le calcaire à ditrupas (13,8 %) et l’arkose (13,8 %), puis un ou deux exemplaires de basalte, de calcaire à bivalves et rares ditrupas, de grès de Fosses-Belleu et de calcaire à glauconie grossière matériau 1 de type Vauxrezis (3,5 à 6,8 % pour chaque catégorie).

27Les matériaux sont issus de quatre aires d’approvisionnement. La première est celle du Lutétien, qui englobe les calcaires à inclusions fossilifères (à cérithes, à ditrupas, à bivalves et rares ditrupas) et les calcaires gréseux à glauconie de matériaux 1 et 2 (aussi dénommés « calcaires gréseux à nummulites »). Ces formations géologiques sont localisées à l’ouest de Bezannes, à des distances variant de 25 à 55 km (Jodry, Fronteau, 2011 ; Picavet et alii, 2011). Une carrière de meule en calcaire à cérithes est connue sur la commune de Vendresse-Beaulne, au lieu-dit « le Platis » (Naze et alii, 2011), une carrière de calcaire à glauconie est connue sur la commune de Vauxrezis, au lieu-dit « la Butte du Gué ». Elle a livré des ébauches dans le matériau 1 (Robert, Landréat, 2005). La seconde aire correspond aux formations de l’Yprésien supérieur (Cuisien d’après l’ancien découpage), dans lesquelles sont taillées les meules en grès de Fosses-Belleu. Les affleurements de cette roche sont compris dans une vaste aire géographique allant du Soissonnais au Val-d’Oise. Deux zones sont supposées avoir servi à l’extraction de meules : le gisement de Belleu qui est situé à environ 60 km à l’ouest de Bezannes et les gisements situés entre Fosses, Bellefontaine et Luzarches, situés à environ 150 km de Bezannes (Picavet et alii, 2011 ; Jodry, Fronteau, 2011). La troisième aire d’approvisionnement est celle du Dévonien inférieur, dont sont issus les grès feldspathiques grossiers dénommés communément Arkose d’Haybes-Macquenoise. Ces formations sont localisées dans le Massif ardennais, à environ 110 km au nord de Bezannes. Un important ensemble de carrières et d’ateliers de taille de meule a été reconnu dans une zone comprise entre les communes d’Hirson, de Saint-Michel et de Macquenoise (Picavet et alii, 2011). Enfin, la dernière aire d’approvisionnement est beaucoup plus lointaine pour le basalte volcanique du Quaternaire. Deux origines sont envisagées : le Massif central et le Massif de l’Eiffel en Allemagne. Ces deux gisements sont situés à environ 400 km de Bezannes.

Fig. 5. Carte des civitas des Rèmes et des Suessions avec localisation du réseau routier, des gisements et des carrières meulières.

3.3. Caractéristiques morphologiques (fig. 6, 7 et 8)

28Les meules en calcaire à bivalves et rares ditrupas sont représentées par deux meta très incomplètes, dont seuls les diamètres de 36 et 45 cm sont mesurables. Elles proviennent de calages de trous de poteau, dont un seul est daté entre La Tène D2 et le début du ier s. ap. J.-C.

29Les meules en calcaire à cérithes sont représentées par six catillus, cinq meta et huit fragments indéterminés. Elles proviennent de puits, de calages de trous de poteau et de fosses, dont les comblements sont datés entre la fin de La Tène D et le début du iie s. ap. J.-C. Les catillus mesurent entre 36 et 45 cm de diamètre et entre 8,3 et 10,5 cm de hauteur de flanc. Deux perforations axiales sont conservées, la première (no 3) est de type 2A (Robin, Boyer, 2011), composée d’un cœur circulaire associé à des logements d’anille arrondis. La seconde est de forme circulaire (no 7). Quatre emmanchements latéraux sont également conservés, dont trois partiels de type 1 (Jodry et alii, 2011) et un dernier de type 4 au niveau du réceptacle (no 6). Deux rejoignent l’usure de la surface active. Les pentes mesurent entre 0 ° et 7 °. Enfin, quatre catillus possèdent un bandeau. Les meta mesurent entre 39 et 41 cm de diamètre et entre 3 à 6,5 cm de hauteur de flanc. Deux sont marquées de perforations axiales circulaires, de 2,7 et 3 cm de diamètre ; les pentes mesurent entre 0 ° et 7 °.

30Les meules en calcaire à ditrupas sont représentées par trois catillus, une meta (très mal conservée) et un fragment indéterminé. Elles proviennent de trois puits, dont les comblements sont datés entre la fin de La Tène D et le début du iie s. ap. J.-C. Les catillus mesurent entre 40 et 49 cm de diamètre et entre 7,7 et 9 cm de hauteur. Aucune perforation latérale ou centrale n’est conservée ; les pentes mesurent 5 °, 7 ° et 17°. L’exemplaire no 12 possède une perforation circulaire verticale sur la face supérieure, de 2 cm de diamètre pour 2,5 cm de profondeur. Il pourrait s’agir d’un système de crampons ayant servis à transmettre le mouvement rotatif (Jodry et alii, 2011). Enfin, l’exemplaire no 13 possédait un cerclage, qui est visible par un lustré de 2,4 cm de largeur dans la partie haute du flanc.

31Un seul catillus en calcaire à glauconie grossière de matériau 1 est connu ; il provient d’une fosse comblée vers 75/100 ap. J.-C. (no 15). Il mesure 47 cm de diamètre par 13,5 cm de hauteur de flanc et possède une perforation axiale rectangulaire de 11,5 cm de longueur et une pente de 14°.

32Les meules en calcaire à glauconie grossière de matériau 2 peuvent être divisées en deux ensembles, en fonction des datations des comblements des contextes.

33Un premier ensemble de deux catillus (nos 16, 17) et d’une meta (no 20) proviennent de puits et fosses comblés à la fin du ier s. ap. J.-C. Les catillus mesurent 45 et 52 cm de diamètre et 10,5 et 7,5 cm de hauteur de flanc. Une perforation axiale de 5 cm de diamètre est conservée, les pentes mesurent 10°. La meta mesure 50 cm de diamètre pour 3,7 cm de hauteur de flanc, elle possède une perforation axiale circulaire de 2,5 cm de diamètre.

34Les deux meules du second ensemble ne sont pas différentes des plus anciennes, mis à part l’exemplaire 18 qui est habillée d’un rayonnage composé droit (Lepareux-Couturier et alii, 2011). Elles proviennent de deux puits comblés vers 250-350 ap. et au iiie s. ap. J.-C. (nos 18, 19). La meta mesure 44 cm de diamètre, avec une épaisseur de flanc de 6,6 cm et une pente de type 1 de l’ordre de 5 °. Le catillus mesure 48 cm de diamètre, avec une épaisseur de flanc de 9,4 cm et une pente de 13°.

35Les meules en arkose d’Haybes-Macquenoise sont représentées par un catillus, deux meta et un fragment indéterminé (nos 23, 25). Le catillus mesure 41 cm de diamètre, 8,8 cm d’épaisseur de flanc et possède une pente de 7,5°. L’emmanchement latéral est conservé, il est oblique et revient au niveau du réceptacle (type 4). Des deux meta, une est très incomplète, la seconde mesure 40,5 cm de diamètre. Enfin, une autre meta est taillée dans une arkose grossière de provenance indéterminée (no 25). Elle mesure 50 cm de diamètre pour 5,5 cm d’épaisseur de flanc. Ces meules proviennent de fosses, de trous de poteau et de puits qui sont comblés entre le ier s. ap. et le iie s. ap. J.-C.

36Le basalte est représenté par un catillus qui mesure 40 cm de diamètre et 7,5 cm de hauteur de flanc, avec une pente de 0 °. Il provient d’un puits comblé entre 110 et 160 ap. J.-C. (no 21).

37Seule une meta est en grès de Fosses-Belleu. Elle mesure 43 cm de diamètre et 4 cm d’épaisseur de flanc, la pente est plane. Elle provient d’un puits comblé entre 250 et 350 ap. J.-C. (no 22).

3.4. Réutilisation des meules rotatives manuelles

38Sept, voire huit fragments de meules ont été réutilisés en outils. Trois fragments, de meta ou de catillus en calcaire à cérithes (nos 5, 8, 9), ainsi qu’en calcaire à glauconie grossière (no 16) présentent une zone concave qui est polie ou lustrée. Le creusement est profond de 0,5 cm sur la meule no 9 et atteint 6 cm et 3 cm sur les meules nos 5 et 8 et 4 cm sur la meule no 16. Ils indiquent une fonction secondaire comme plan de travail, dans le but de broyer, polir ou abraser des objets ou des matières animales ou végétales. La définition typologique de ces objets est à discuter : il peut s’agir de mortiers, de polissoirs ou d’abraseurs fixes. Un fragment de meta en calcaire à cérithes (no 27) a été retaillé pour fabriquer un poids. Un autre fragment de meta en calcaire à cérithes (no 28) semble avoir été retaillé pour fabriquer un aiguisoir qui garde la même surface active que la meule. Ces outils proviennent du site du « Champ Drillon 3b3C », principalement des puits F717 et F864, mais également des fosses F114 et F222. Le catillus en basalte (no 21) du site J « Entre Deux Voies » paraît avoir été retaillé sur les bords et sur la face supérieure pour fabriquer un aiguisoir qui réutilise la surface active. Enfin, le catillus no 18 du site I « Entre Deux Voies » est poli sur la face supérieure, vraisemblablement dans une fonction de polissoir ou d’abraseur fixe. On remarque donc que les meules en calcaire à cérithes ont particulièrement été réutilisées en outils.

Fig. 6. Inventaire des meules rotatives (les datations grisées sont à affiner).

39Un second réemploi est probablement en lien avec des structures de combustion, car environ 50 % des fragments sont rubéfiés ou thermofractés. Six catillus (nos 1, 2, 4, 6, 13, 16) n’ont été chauffés que sur une seule face (dans cinq cas sur la surface non active).

40Les grès locaux qui ont été utilisés sur les sites du « Champ Drillon 3b3C 1 et 2 » et des « Charolles », montrent également pour environ 50 % d’entre eux des traces de rubéfaction ou d’éclatement thermique. Les meules paraissent donc avoir servi de pierre foyère, au même titre que les grès. En revanche, les meulières sont chauffées dans des proportions proches de 10 %, ce qui traduit un choix dans l’utilisation des pierres foyères.

Fig. 7. Meules rotatives. Dessins et D.A.O.K. Cherfa exceptés 19, 22, 26 : C. Carlier ; 17, 20 : S. Cousserans-Néré ; 11, 18 : M. Etchart-Salas.

Fig. 8. Diamètre des meules rotatives.

Fig. 9. Datation des comblements des meules rotatives.

41Enfin, le troisième réemploi des meules est celui de calage de poteau, d’empierrement de voirie et dans la majorité des cas, de comblements ou d’aménagements de puits. Un certain nombre d’objets provient notamment d’amas de pierres situés au fond des puits F717 et F759 du site du « Champ Drillon 3b3C2 », qui pourraient constituer des filtres à eau. La sur-représentation de meules dans les puits F717 et F759, par rapport à d’autres, est un effet de fouille. En effet, ce sont les seuls qui ont pu être fouillés jusqu’au fond, avec un ramassage et un tri exhaustif, sur le terrain, de toutes les pierres.

42En conséquence, une meule peut avoir connu jusqu’à quatre phases d’utilisation avant d’être définitivement abandonnée. Quand elle n’a plus servi à moudre le grain, elle a pu, par exemple être utilisée comme mortier, puis comme pierre de foyer, avant d’être recyclée en calage de poteau.

3.5. Typochronologie

43Les caractéristiques morphologiques, avec les diamètres, les épaisseurs de flancs et les pentes des surfaces actives, ne mettent pas en évidence de différences claires. Quant aux observations à caractères fonctionnels (logements d’anilles, emmanchements, habillages, cerclages), elles ne sont pas assez nombreuses pour être significatives. En l’état, l’approche synthétique la plus pertinente semble être celle des matériaux, car leurs proportions évoluent au cours de la période considérée. Toutefois, ces évolutions sont elles aussi difficiles à mettre en évidence, car le plus grand nombre de meule a été trouvé entre La Tène D2 et la fin du ier s. ap. J.-C. De plus, les meules sont des objets difficiles à dater en raison de leur fort réemploi. Il faut différencier les datations des abandons des datations supposées des utilisations. Toutes les meules rotatives de Bezannes ont été trouvées en contexte de rejet, dans un état souvent très fragmentaire et après un, voire plusieurs réemplois. Si la période d’utilisation d’une meule (comme outil de mouture) peut être estimée à une vingtaine d’années (Picavet et alii, 2011), il est très difficile d’estimer la période qui s’écoule entre la fin de son utilisation comme outil de mouture et son abandon définitif. Cependant, en croisant les datations des comblements des contextes (fig. 9) avec les périodes de pleine occupation et d’abandon des sites, il est possible, à Bezannes, de proposer une chronologie relative, dans l’utilisation des différents matériaux.

44Ainsi, entre La Tène D2 et le courant du ier s. ap. J.-C., les meules utilisées semblent être en calcaire à cérithes, en calcaire à bivalves et rares ditrupas, en calcaire à ditrupas et en calcaire à glauconie grossière de matériau 1 et 2. Elles proviennent des sites du « Champ-Drillon 3b3C », du « Champ-Drillon E » et des « Charolles », de contextes de comblements datés entre La Tène D2 et le iie s. ap. J.-C. Les meules en arkose d’Haybes-Macquenoise et la meule en basalte ont été rejetées entre le ier s. ap. et le iie s. ap. J.-C. Elles ont probablement été introduites sur les sites un peu plus tardivement que les outils cités précédemment et utilisées en partie en même temps.

45Les meules trouvées dans des comblements datés entre le iiie s. et le ive s. ap. J.-C. sont beaucoup moins nombreuses, avec seulement deux exemplaires en calcaire à glauconie de matériau 2 et un autre en grès de Fosses-Belleu. Mais il faut signaler neuf autres meules sur le site du « Champ Drillon 3b3B » qui a été fouillé en 2014 sous la direction de S. Bündgen. Il s’agit d’un important établissement rural, qui est occupé vraisemblablement à partir du iie ou du iiie s. ap. J.-C. et jusqu’au ve s. ap. Les meules ne sont pas encore étudiées, mais elles sont toutes taillées dans des matériaux gréseux et plusieurs présentent un habillage raisonné.

46On remarque donc pour cette période une absence de matériaux calcaires (en considérant que le calcaire à glauconie possède des caractéristiques mécaniques qui le rapprochent du grès), alors qu’ils étaient largement dominants précédemment. Plusieurs meules présentent également un habillage raisonné, qui semble être une innovation intervenant au ier s. ap. J.-C. (Lepareux-Couturier et alii, 2011).

3.6. Comparaisons

47Les meules de Bezannes, qui ont probablement été utilisées entre La Tène D2 et le iie s. ap. J.-C., montrent plusieurs similitudes avec celles de la vallée de l’Aisne, datées entre 90 av. J.-C. et le début de la période romaine (Pommepuy, 1999). Ainsi, les meules en calcaire à cérithes de Bezannes sont tout à fait comparables, de part leurs diamètres ou leurs morphologies, avec celles du type 1 (ibid.), tandis que celles en calcaire à glauconie grossière sont comparables au type 2. La principale différence est la présence relativement importante de calcaires à ditrupas et d’arkoses d’Haybes-Macquenoise qui n’apparaissent pas dans de telles proportions dans les corpus gaulois de la vallée de l’Aisne.

48Les comparaisons chronologiques avec les corpus provenant du centre ville de Reims (Jaccottey et alii, 2013a) sont plus difficiles à établir, car les meules paraissent avoir été réemployées dans un laps de temps encore plus important qu’en contexte rural. On remarque toutefois que les matériaux utilisés sont exactement les mêmes et que les caractéristiques morphologiques sont similaires (Picavet et alii, 2011 ; Jodry, Fronteau, 2011).

49Une comparaison est plus aisée avec le corpus découvert sur les sites 24-25 de la Z.A.C. 2 de Bussy-Lettré, qui est situé au sud de Châlons-en-Champagne, à environ 50 km de Bezannes. Le site est un établissement rural occupé entre La Tène D2 et le milieu du iiie s. ap. J.-C. (Achard-Corompt et alii, 2005). Il a livré sept catillus, cinq meta et un fragment indéterminé (Lepareux-Couturier et alii, 2013). Les meules les plus anciennes sont six calcaires à cérithes trouvées dans des comblements datés entre 27/37 av. J.-C. et 50 ap. J.-C. Une meule en calcaire à ditrupas et une en grès conglomératique proviennent de contextes comblés entre 101 et 200 ap. J.-C., tandis que deux meules en grès de Fosses-Belleu et une en basalte sont issues de comblements datés entre 175 et 225 ap. J.-C. (une en arkose n’est pas datée). L’évolution chronologique des matériaux utilisés est donc comparable à ce qui est observé à Bezannes entre La Tène D2 et le iie s. ap. J.-C. Les auteurs de l’étude signalent, comme à Bezannes, des réemplois en « mortier » pour les meules en calcaire à cérithes. Les importations les plus lointaines sont trouvées dans des contextes de comblements des iie s. et iiie s. ap. J.-C.

4. Une meule rotative de grande dimension (fig. 7, no 26)

50Le site F du « Champ Drillon » a livré une meule rotative de grande dimension en arkose d’Haybes-Macquenoise. Il s’agit d’une exploitation agricole principalement occupée entre la fin du ier s. ap. J.-C. et le ve s. ap. J.-C. qui est interprétée comme étant « axée vers la production de céréales », en raison d’un assez grand nombre de structures de stockage et en l’absence de véritable habitation (Dumas-Lattaque et alii, 2012). La meta est issue de la cave St. 306, qui est comblée entre la seconde moitié du iiie s. ap. J.-C. et la première moitié du ive s. ap. J.-C. Elle a pu être utilisée au iie s. ou iiie s. ap. J.-C. Elle mesure 69 cm de diamètre pour 7 cm de hauteur, avec une pente de 9 °. Elle possède une perforation axiale circulaire de 8 cm de diamètre et un rayonnage composé droit. Les dimensions de l’objet impliquent une traction avec une force hydraulique ou animale.

51Deux moulins hydrauliques antiques sont clairement identifiés sur les sites d’Avenches « En Chaplix » (Castella, 1994) et de Longvic (Jaccottey, Labeaune, 2010). Les meules qui leur sont associées mesurent entre 60 et 70 cm de diamètre, mais sont surtout caractérisées par une forte conicité des surfaces actives (entre 23° et 36°) et par la présence d’encoches quadrangulaires ou d’anilles crampons de part et d’autre de l’œil. La présence d’un moulin à traction animale est supposée parmi les bâtiments agricoles d’une villa de la Z.A.C. des « Touches » à Pacé (Labaune-Jean et alii, 2011). Deux catillus mesurent 65,6 cm de diamètre avec des pentes comprises entre 5,3° et 12,5° et des perforations axiales complexes. Une meta a un diamètre de 56 cm, avec une pente de 5,8° et une perforation axiale circulaire de 4 cm de diamètre. Les auteurs proposent de localiser l’activité de meunerie dans un bâtiment quadrangulaire sur six poteaux, qui mesure 6 et 7,5 m de côté.

52La meta du site F du « Champ Drillon » possède une faible conicité qui la différencie des meules des moulins hydrauliques de Longvic et d’Avenches. De plus, le cours d’eau le plus proche est distant d’environ 1,5 km du site F et aucun système hydraulique n’a été fouillé ou reconnu dans un environnement proche ou éloigné. Ainsi, à partir des mêmes arguments que pour le site des « Touches » (faible conicité de la meule, absence de système hydraulique), il est possible d’envisager sur le site F, l’existence d’une meunerie qui ait utilisée une force de traction animale.

Conclusion générale

53Il est impossible d’établir une évolution typo-techno-chronologique à partir des meules va-et-vient de Bezannes, le corpus étant en l’état trop réduit. Toutefois, il est intéressant de noter qu’entre le Bronze final III et la protohistoire, des meules peu élaborées, taillées dans des grès locaux, semblent probablement avoir été utilisées en parallèle avec des meules élaborées en calcaires importés. Cette présence de matériaux importés implique soit le déplacement des utilisateurs vers les lieux d’extraction (pour tailler les outils sur place), soit des importations de produits semi-finis ou finis et donc l’existence d’ateliers et d’ouvriers spécialisés, probablement à proximité des lieux d’extraction.

54Aucune meule rotative gauloise de type 3 (Pommepuy, 1999) n’est connue actuellement à Bezannes, car aucun site daté du iie s. av. J.-C. n’a pu être fouillé. En revanche entre La Tène finale et le ive s. ap. J.-C., le corpus de meules rotatives est relativement important et cohérent. L’utilisation des matériaux qui semble avoir été faite entre La Tène finale et le ier s. ap. J.-C. est très proche de ce qui a été observé jusqu’au début de l’époque romaine dans la vallée de l’Aisne. Une différence semble être l’utilisation plus importante de calcaires à ditrupas, et par l’introduction, au ier s. ap. J.-C., de meules en arkose d’Haybes/Macquenoise, là aussi en quantité relativement importante.

55À partir du ier s. ou du iie s. ap. J.-C., une meule en basalte indique l’introduction d’importation plus lointaine. Les données sont un peu trop disparates pour comprendre quelles meules sont utilisées aux iie s. et iiie ap. J.-C., mais entre le iiie s. et le ive s. ap. J.-C., les calcaires à cérithes et à ditrupas ont totalement disparus, au bénéfice de roches plus abrasives telles que l’arkose, le calcaire à glauconie, le grès. La part des importations les plus lointaines devient elle aussi plus forte. En conclusion, l’évolution des proportions des différents matériaux semble traduire un changement progressif des réseaux d’approvisionnement. Des raisons géographiques, économiques, fonctionnelles, expliquent probablement ces changements. À titre d’hypothèse de travail, il nous semble intéressant de garder celle émise par Cl. Pommepuy au sujet des meules comme éventuel marqueur territorial (Pommepuy, 2003), car il est possible qu’à l’époque gauloise, les réseaux de diffusion aient en partie reflété les limites politiques.

Índice de ilustraciones

Leyenda Fig. 1. Localisation de Bezannes et des opérations d’archéologie préventive (conception : Reims Métropole).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3226/img-1.jpg
Archivo image/jpeg, 1,3M
Leyenda Fig. 3. Meules va-et-vient du Néolithique, de l’âge du Bronze et du Hallstatt.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3226/img-2.jpg
Archivo image/jpeg, 548k
Leyenda Fig. 4. Meules va-et-vient de La Tène et de la protohistoire.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3226/img-3.jpg
Archivo image/jpeg, 320k
Leyenda Fig. 5. Carte des civitas des Rèmes et des Suessions avec localisation du réseau routier, des gisements et des carrières meulières.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3226/img-4.jpg
Archivo image/jpeg, 732k
Leyenda Fig. 6. Inventaire des meules rotatives (les datations grisées sont à affiner).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3226/img-5.jpg
Archivo image/jpeg, 880k
Leyenda Fig. 7. Meules rotatives. Dessins et D.A.O.K. Cherfa exceptés 19, 22, 26 : C. Carlier ; 17, 20 : S. Cousserans-Néré ; 11, 18 : M. Etchart-Salas.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3226/img-6.jpg
Archivo image/jpeg, 476k
Leyenda Fig. 8. Diamètre des meules rotatives.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3226/img-7.jpg
Archivo image/jpeg, 96k
Leyenda Fig. 9. Datation des comblements des meules rotatives.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/3226/img-8.jpg
Archivo image/jpeg, 96k

Autor

Service Archéologie Reims Métropole

Salvo indicación contraria, el texto y otros elementos (ilustraciones, archivos adicionales importados) se puede utilizar bajo licencia OpenEdition Books License.

Esta publicación digital es el resultado de un proceso automático de reconocimiento óptico de caracteres.

Comprar

Buscar en OpenEdition Search

Se le redirigirá a OpenEdition Search