Le site fortifié du Camp du Château au sein du paysage naturel et culturel du Bronze moyen/final
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Mots-clés : habitat de hauteur fortifié, âge du Bronze, dépôts, paysage, visibilité
Keywords : fortified hilltop settlement, Bronze Age, hoards, landscape, visibility
Texte intégral
1. Introduction
1L’interface entre les plaines de Saône et les premiers plateaux jurassiens fut propice à l’installation de nombreux sites de hauteur. Ce dynamisme particulier a été largement souligné pour la Pré-Protohistoire (Passard 1980 ; Passard, Piningre, Urlacher 1992 ; Piningre 2016 ; 2017 ; Piningre, Ganard 2017) mais également pour l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge (Billoin, Gandel 2018 ; 2019 ; et dans ce volume).
2Le secteur de Salins-les-Bains constitue l’un des rares points de pénétration du Jura central en direction du Plateau suisse. Les sources salées des marnes du Trias, exploitées dès le Néolithique et particulièrement aux XVe-XIVe siècles av. J.-C. (Pétrequin et al., 2001), représentent un atout supplémentaire propice au développement de l’économie et des échanges, à l’installation d’une population dense et d’un pouvoir fort.
3Le relief contrasté du secteur salinois est particulièrement adapté à l’implantation de sites de hauteur. Ainsi 5 sites défensifs sont connus dès le Néolithique aux abords immédiats de Salins-les-Bains. Parmi ceux-ci l’habitat fortifié du Camp du Château semble le seul encore en activité à la transition Bronze moyen-Bronze final. À la suite des fouilles effectuées au début des années 2000 (Piningre, Grut, 2010), la reprise de l’étude documentaire du site et de son environnement (Piningre, Ganard, 2004 ; 2017) s’est accompagnée depuis lors d’un programme de prospections systématiques réalisées avec l’aide de détecteurs de métaux dans un cadre légal et formel (Piningre, Grut, 2010). Ces recherches permettent à présent de connaître un peu mieux la place de l’habitat fortifié de l’âge du Bronze dans son environnement naturel et anthropique.
2. Présentation du site fortifié du Camp du Château
4Identifié en 1896 par M. Piroutet, l’habitat fortifié pré et protohistorique du Camp du Château est surtout connu par les fouilles que celui-ci réalisa entre 1906 et 1934 sur une partie importante du site. Les fouilles reprises par M. Dayet de 1954 à 1956, puis en 1959, n'apportent que peu d'éléments complémentaires quant à la chronologie du site, mais offrent quelques précisions sur la structure du rempart. Entre 2005 et 2009, de nouvelles campagnes de fouilles sous la direction de J.-F. Piningre ont eu pour résultats de réactualiser la chronologie des occupations. À cette occasion, de nouvelles données ont permis d'identifier une fréquentation et un aménagement de la partie supérieure du site durant l'âge du Bronze.
5Le Camp du Château est implanté sur la partie orientale d’un long éperon calcaire aux versants escarpés, culminant à 630 m d’altitude. Ce relief, aux accès particulièrement difficiles, montre les vestiges de deux remparts. Le premier, en arc de cercle de 150 m de longueur, attribué au début du Néolithique moyen, isole alors la partie orientale de l’éperon (fig. 1A). Fouillé par M. Piroutet, ce « rempart occidental » n’a pas fait l’objet de recherches récentes. Les descriptions d’un mur en blocs de 3 m à 3,5 m de large contre lequel étaient adossées des « cabanes en clayonnage et placages argileux » restent imprécises. Au sommet de l'éperon, un second rempart délimite un espace restreint de 0,75 ha adossé à un escarpement rocheux interdisant l'accès du côté sud. La partie inférieure a été attribuée au Hallstatt final puis reconstruite au haut Moyen Âge au début du VIIe siècle (fig. 1B). Cette partie du site est mieux connue par les fouilles de 2005-2009. Une occupation du versant septentrional est alors attestée avec ce qu’on peut interpréter comme les restes arasés d’un rempart à inclusions de chaux et des niveaux d’habitats datés par le radiocarbone de 1400 à 1100 avant notre ère, ainsi que par la céramique et les objets métalliques de la fin du Bronze moyen ou du BF I (Piningre, Ganard, 2017, fig. 10, 11). Une seconde étape d’occupation de la seconde moitié du Bronze final, entre le Xe et le IXe siècle avant notre ère (BF IIb-IIIb), se signale principalement sur la partie haute du site par des épandages de fragments de céramiques recueillis dans une couche d’argile tapissant le substrat rocheux. Ces deux étapes sont également attestées par de nombreux objets métalliques recueillis sur les versants qui permettent de s'interroger sur les raisons de leur abandon.

Fig. 1. Plan du Camp du Château à Salins-les-Bains avec détail du rempart protohistorique (DAO B. Turina, d’après J.-F. Piningre).
6L’occupation du site Camp du Château témoigne de l’implantation, à la fin du Bronze moyen et au début du Bronze final, au moins, d’une communauté ayant eu un rôle important dans la circulation du métal au sein de la région, et sans doute également dans les échanges à plus longue distance. Ce rôle social et économique apparaît comme remarquable à un moment où les sites fortifiés de hauteur se font moins nombreux dans le secteur.
3. Le Camp du Château dans son environnement
3.1. Positionnement topographique de Côte Château
7Il s’agit à présent de comprendre le choix du site. Le secteur salinois bénéficie d’une topographie particulièrement contrastée dans laquelle une multitude de petits monts et plateaux d’élévation moyenne, entre 550 et 750 m (jusqu’à 851 m pour le Mont Poupet), dominent des vallons relativement encaissés, notamment celui parcouru par la Furieuse dans la reculée de Salins.
8Parmi ces élévations, la colline de Château se démarque nettement dans le paysage (Fig. 2). Il s’agit d’une butte isolée de près de 2 km de long, large d’au maximum 300 m dans sa partie occidentale et formant une pointe dans sa partie orientale. Elle se dresse à une altitude d’environ 600 m en moyenne, ce qui représente un dénivelé d’environ 200 à 300 m par rapport aux terrains situés en contrebas. On y accède par un nombre très limité de chemins : par Marnoz-Cotaine au nord, par la pointe nord (Grange-Salgret), par Pretin au sud. Au centre du massif, un système de chemins est connu dès le Moyen Âge dans la partie centrale et permettait de descendre par la face nord (Gandel, Billoin, 2017). Un autre chemin grimpe actuellement sur la partie centrale du côté sud. Ses flancs sont en effet particulièrement abrupts à son extrémité ouest et pentus à 30-45° sur les autres faces. La colline de Côte Château présente donc des avantages défensifs, comme on l’a vu plus haut, mais également une position remarquable dans le paysage, capable de faire une forte impression sur les populations se situant dans la plaine.

Fig. 2. Situation topographique du Camp du Château et des environs de la cluse de Salins (CAO E. Gauthier).
9Positionnée en bordure des premiers plateaux jurassiens, à la lisière entre plaines et plateaux, la colline de Côte Château fait partie d’un ensemble de buttes témoins relativement proches. Elle entre ainsi en concurrence immédiate avec le mont Saint-André (Bracon), juste en face à quelques centaines de mètres au sud-est, abritant à son extrémité occidentale le site fortifié de la Pelouse (Néolithique-Bronze ancien) ; le Mont Begon à 300 m à l’ouest ; le plateau de Pretin à moins d’1 km au sud. On le voit, la position de Côte Château est loin d’être vraiment isolée. Sa partie médiane reste toutefois plus élevée que les autres points hauts du secteur. La vue n’est donc pas bloquée par ces autres éléments paysagers, comme on le verra plus en détail un peu plus loin.
10Par contre, côté nord, la colline de Château qui se trouve à la sortie de la reculée, fait directement face à la plaine. La vue est complètement dégagée puisque seules des collines d’altitude modeste (300-400 m) parsèment la plaine au-delà de Marnoz et Aiglepierre.
11Le paysage salinois est pourtant marqué plus loin à l’est par d’autres monts et plateaux plus élevés qui se détachent mieux dans le paysage : le Mont Poupet qui, malgré quelques dépôts et trouvailles isolées de l’âge du Bronze, ne présente pas d’occupation de cette période ; le plateau qui démarre au sud-est de Salins, à Clucy, comportant notamment le Camp de Clucy et le Fort Belin (Salins-les-Bains) ou encore plus au sud, le Camp de Grandchamps à Cernans. Ces sites de hauteur, occupés au Néolithique-Bronze ancien (Piroutet, 1929 ; Passard, 1980), dominent directement les bords de la reculée de Salins.
12D’un point de vue topographique, on peut donc dire que le Camp du Château présente effectivement une position avantageuse, à la fois élevée et bien distincte dans le paysage environnant, mais il n’est pas isolé et il existe dans le secteur bon nombre d’autres situations topographiques qui possèdent des caractéristiques similaires en termes de surface exploitable et d’altitude. Le Mont Poupet, en particulier, possède véritablement un caractère central et dominant mais on n’y connaît pas de trace d’installation protohistorique. Parmi les sites d’habitats de hauteur cités précédemment, le Camp du Château semble être le seul encore en activité à la transition Bronze moyen / Bronze final. En effet, à partir de la fin du Bronze moyen, semble se mettre en place un pôle unique au Camp du Château (Piningre 2016, 2017) au moment où l’exploitation du sel du Trias s’intensifie et peut représenter une matière d’échange de première importance, susceptible d’alimenter la contrepartie d’un flux important de métal (Pétrequin et al., 2001 ; Pétrequin, Weller, 2007). Il est donc intéressant de s’interroger sur les avantages de sa position dans le paysage salinois par rapport aux autres sites.
3.2. Emprise visuelle du site sur le paysage salinois
13L’étude de l’emprise visuelle du Camp du Château peut apporter quelques éléments de réponse quant au choix de ce site parmi tous les points hauts du secteur.
14Nous réalisons ici des analyses d’emprise visuelle à l’aide du logiciel de Système d’Information Géographique QGIS (extension visibility analysis), du MNT IGN BD ALTI® précis à 5 m (et pour certains besoins ponctuels, du MNT IGN RGE Alti® d’une résolution de 1 m). La méthode est celle décrite par Fisher (1996) et Wheatley et Gillings (2000) (voir aussi Cuckovic, 2016 pour l’extension sur QGis). L’emprise des analyses est limitée à un rayon de 17 km autour du site, distance qui correspond au dépôt d’objets de bronze le plus lointain trouvé dans le secteur. La hauteur des yeux de l’observateur est fixée à 1,50 m1. Les mêmes paramètres sont appliqués à tous les calculs. Ces analyses de visibilité reposent sur le postulat d'un environnement moins boisé que l'actuel (Richard, Gauthier, 2007) et notamment au niveau du site fortifié2.
15En se positionnant à l’emplacement du rempart nord, la visibilité couvre 12 540 ha (Fig. 3, en orange). À cet endroit, l’emprise visuelle est entièrement tournée vers le nord et le nord-ouest. Elle couvre pratiquement toute la plaine de Marnoz et s’étend à plus de 17 km dans une zone englobant Mesnay, Lombard, Arc-et-Senans et une bonne partie de la vallée de la Loue. Le sommet du Mont Begon à l’ouest, est également visible. À l’est, la vue vient buter sur la face sud-ouest du Mont Poupet et sur la bordure du plateau de Clucy. Mais entre les deux, le vallon prolongeant la commune de Salins vers l’est et dans lequel se trouve aussi Saizenay, est bien visible. Enfin, en se positionnant sur le bord de la falaise au sud (Fig. 3, en rouge), on complète le champ de vision par le reste du Mont Begon, tout le plateau de Pretin, le mont Saint-André et même le bord supérieur oriental de la reculée de Salins jusqu’à Pont d’Héry. On constate donc que la visibilité depuis le site du Camp du Château est à la fois très complète pour ce qui est des abords immédiats du site mais aussi très lointaine, autant au nord qu’au sud. Au total la visibilité depuis le site (en plaçant des observateurs sur les contours du site et le point le plus élevé ; toujours pour une hauteur d’yeux 1,50 m et dans un rayon de 17 km), couvre une surface de plus de 16 400 ha. Sa position semble donc idéale pour exercer un contrôle visuel sur un vaste territoire.

Fig. 3. Visibilité depuis le Camp du Château (CAO E. Gauthier).
16Il est intéressant de noter également que la forêt des Moidons, bien connue pour ses tertres funéraires protohistoriques (Piningre, Ganard, 2004), peut être aperçue par endroits (même si elle reste globalement peu visible depuis le Camp du Château).
17On remarque en revanche que l’essentiel de la ville actuelle de Salins-les-Bains ne peut en aucun cas être aperçue puisque la vallée est particulièrement encaissée et la vue est bloquée par le mont Saint-André. Le site de hauteur ne peut donc exercer un contrôle visuel sur cette zone. L’occupation de plaine aurait-elle pu se concentrer sur la zone de Marnoz plus au nord plutôt que sur l’emplacement actuel de la ville de Salins-les-Bains ?
18À titre de comparaison, nous avons réalisé la même analyse pour une dizaine d’autres points hauts du secteur : le Mont Begon, le plateau de Pretin, le Camp de la Pelouse, les camps de Cernans, de Clucy, de Fort Belin et le Pont Poupet.
19On constate que les emplacements les plus proches au sud du Camp du Château (le plateau de Pretin, le Camp de la Pelouse, Fig. 4, en haut et en bas à droite) ne peuvent pas rivaliser avec la vue depuis le Camp du Château car la visibilité y est très limitée, étant bloquée au nord par le Camp du Château lui-même. Le Mont Begon, par contre, a une visibilité très bonne vers le nord et vers le pied sud-ouest du Poupet (Saint-Thiébaud, le nord de Salins-les-Bains, Fig. 4, en bas à gauche), mais également au sud, sur Pretin et même plus loin sur les hauteurs dominant la reculée. Au total, il permet de voir sur 15 000 ha. Ses atouts en termes de visibilité sont donc comparables à ceux du Camp du Château.

Fig. 4. Visibilité depuis plusieurs points hauts remarquables, proches du Camp du Château. Pretin, point 1 = bord du plateau face au Camp du Château, Pretin, point 2 = bord du plateau face à Bracon (CAO E. Gauthier).
20Le camp de Cernans quant à lui, a surtout une bonne visibilité sur la partie centrale de la vallée de la Furieuse, juste au sud de la ville de Salins-les-Bains, ainsi que sur Bracon et Clucy (Fig. 5, en bas à droite), tandis que le Fort Belin a une visibilité plutôt concentrée sur la reculée (Fig. 5, en haut à droite). Aucun des deux ne permet de contrôler le secteur de Marnoz.
21En revanche deux autres sites permettent de surveiller à la fois la plaine de Marnoz, une partie du plateau de Pretin et également le secteur de la ville actuelle de Salins : le Mont Poupet (Fig. 5, en haut à gauche) et le Camp de Clucy (Fig. 5, en bas à gauche). Toutefois ce dernier n’a aucune emprise sur la reculée. Le Poupet possède la meilleure emprise visuelle de tout le secteur salinois. Sa position centrale lui confère une très bonne visibilité dans toutes les directions. Depuis le point d’observation choisi pour le test sur le flanc sud-ouest, la visibilité couvre près de 22 000 ha.

Fig. 5. Visibilité depuis le bord sud du Mont Poupet et depuis les camps préhistoriques de Fort Belin, Clucy et Grandchamps (CAO E. Gauthier).
22Parmi tous les hauts lieux du paysage salinois, on peut donc dire que seuls le Mont Poupet, le Camp du Château et le Begon pourraient permettre la mise en place d’une stratégie de contrôle visuel dans un très large rayon et à longue distance.
3.3. Emprise visuelle du site sur les voies d’accès du secteur
23Le relief exerce une forte influence sur la circulation à travers le secteur salinois, imposant certaines voies de passage pour contourner les différentes élévations qui structurent le paysage. On compte parmi ces voies le cours de la Furieuse, mais également ceux du Todeur et de la Vache. La vallée de la Furieuse permet de traverser la reculée jusqu’à Pont d’Héry, tandis que le cours de la Vache permet de contourner le Camp du Château par l’ouest, au pied du mont Begon, puis de passer entre les plateaux de Bracon et de Pretin.

Fig. 6. Visibilité depuis le Camp du Château comparée aux voies de passage privilégié ou obligé identifiées par la méthode des chemins de moindre coût (CAO E. Gauthier).
24Des tests de « chemins de moindre coût » que nous avons réalisés sur la base des valeurs des pentes3 (que l’on peut considérer comme le principal frein à la circulation à cette échelle et dans ce contexte topographique ; pour le principe et la méthode, voir notamment van Leusen, 1993, 1999) viennent le confirmer (Fig. 6). Plusieurs routes actuelles suivent d’ailleurs ces cours d’eau : au nord, le long de la Furieuse, la D467 permet de rejoindre Marnoz par La Chapelle-sur-Furieuse et Saint-Benoît ; la D472 puis à nouveau la D467 longent le cours de la Furieuse depuis Salins-les-Bains à Pont d’Héry ; la D271 suit quant à elle le cours de la Vache. Les tests mettent également en évidence le cours du Bief du Versou qui permettrait de rallier facilement Marnoz depuis Pagnoz et le Bief des Roussets qui constituerait le meilleur moyen de rejoindre la route de Saizenay depuis Salins-les-Bains.
25Ces analyses de « chemins de moindre coût » montrent également que le trajet suivant globalement l’axe de l’actuelle D105, passant par Marnoz, est un passage logique pour traverser la zone d’ouest en est, des Arsures à Salins-les-Bains. C’est le cas également de la D492 (qui suit une portion du Todeur) à Saizenay, puis à Nans-sous-Sainte-Anne ; ou encore de la D107 qui passe près d’Ivory et permet de rejoindre Pont d’Héry en passant par Chilly-sur-Salins. Toutes ces routes actuelles suivent globalement des tracés cohérents par rapport à la topographie du secteur.
26On constate donc que plusieurs de ces passages imposés ou privilégiés passent ou se croisent tout près du Camp du Château, au niveau de la commune actuelle de Marnoz (Fig. 6). Or, on l’a vu, le site fortifié a une très bonne visibilité sur cette zone qui pouvait être, dès les périodes les plus anciennes, un carrefour de circulation permettant de traverser le secteur d’est en ouest et du nord au sud. Le Camp du Château peut ainsi contrôler l’essentiel de la circulation vers l’est, en direction du Poupet et Saizenay sur lesquels il conserve une bonne visibilité. Vers le nord, il a encore une bonne vue sur la voie qui rallie La Chapelle-sur-Furieuse, Rennes-sur-Loue, Chay et encore bien plus loin, en direction de Lombard et Quingey.
27Au sud, le cours de la Furieuse et celui de la Vache à partir de Pretin ne sont eux-mêmes pas visibles depuis le Camp du Château, mais plusieurs bords de plateaux qui dominent ces mêmes vallées (sur Pretin et Ivory d’une part, sur la côte de Thésy et Aresches d’autre part) auraient pu servir de relais pour leur contrôle visuel.
3.4. Choix du site à l’intérieur du plateau
28L’étude de l’emprise visuelle du Camp du Château est aussi l’occasion de s’interroger sur le choix de l’emplacement du camp à l’intérieur de l’éperon et sur les avantages procurés par cette position.
29Si l’on compare la surface visible depuis différents points du plateau (Fig. 7), on constate que l’emplacement choisi pour le site fortifié est nettement celui qui apporte la meilleure visibilité en termes de surface mais aussi en termes d’espaces contrôlables.
30En effet, si l’on considère un point d’observation à l’extrémité orientale de la butte témoin (Fig. 7, en haut à droite), la surface visible couvre (dans un rayon de 17 km), près de 9 500 ha. La visibilité au niveau du rempart nord (Fig. 7, en haut à gauche), couvrant 12 540 ha, le choix du site représente un gain de visibilité de 32 %. Si l’on considère un autre point d’observation à l’extrémité ouest du plateau (Fig. 7, en bas à gauche), qui offre les meilleures conditions de défenses naturelles avec ses falaises abruptes, la visibilité couvre cette fois seulement 7 700 ha. Le gain de visibilité depuis le site fortifié est alors de 62 %. Enfin, un autre point sur le bord nord-ouest (Fig. 7, en bas à droite), à environ 600 m du site fortifié offre une visibilité de 9 800 ha, soit un gain de 28 % d’espaces supplémentaires contrôlables visuellement depuis le site fortifié. On conçoit ainsi aisément qu’il existe un avantage certain à placer le site fortifié dans la partie centrale du plateau puisque la visibilité, ainsi que sa perception depuis d'autres endroits du territoire, y sont bien meilleures.

Fig. 7. Visibilité depuis différents points d’observation sur la colline de Côte Château (CAO E. Gauthier).
31D’un point de vue qualitatif, la visibilité depuis le centre du plateau a également des avantages. Les deux points tests situés à l’ouest ne permettent pas de voir la partie nord de la ville de Salins, au pied du Poupet, ni le secteur de Saizenay et Geraise. Au contraire le point test que nous avons placé à l’extrémité orientale de Côte Château a une certaine visibilité vers la Côte de Thésy, Chaux-Champagny et Pont d’Héry qu’on ne peut voir depuis la partie nord du site fortifié. Mais cette faiblesse est facilement compensée par la visibilité depuis le bord méridional du site. En revanche, depuis l’extrémité orientale de Côte Château on ne pourrait pas contrôler la voie menant à La Chapelle-sur-Furieuse, Chay, Quingey qui, comme on l’a vu, a pu avoir une importance particulière.
32Ainsi, le positionnement du site fortifié au centre de la butte permet la meilleure visibilité sur tous les secteurs stratégiques. Par ailleurs, l’aspect « traversant » du site, qui regarde autant au nord qu’au sud, présente comme on l’a vu de nombreux avantages. Ainsi, en positionnant des observateurs tout le long de la bordure des remparts nord et ouest mais sans pour autant les surélever (hauteur des yeux : 1,50 m), et d’autres le long de la falaise qui constitue la bordure méridionale du site, la couverture du champ de vision atteint 16 400 ha au total, ce qui augmente encore l’emprise visuelle de 30 % supplémentaires.
33Le choix du site parmi les différents emplacements possibles sur Côte Château s’explique donc aisément si l’on tient compte d’une volonté de contrôler visuellement le paysage environnant : sa position plus élevée et son large champ visuel l’ont sans aucun doute favorisé.
34On peut enfin s’interroger sur les effets potentiels des fortifications sur les stratégies de contrôle visuel. Nous avons réalisé les mêmes analyses que précédemment mais en faisant varier cette fois la hauteur du regard au point d’observation (la hauteur qui s’ajoute à l’altitude au sol, prise sur le MNT) pour simuler différentes hauteurs de fortifications (bourrelet de pierres et palissade éventuelle, à laquelle s’ajoute toujours 1,50 m pour la hauteur des yeux d’une personne debout).
35Les valeurs considérées sont 5 m (pour un mur de faible hauteur, 3,5 m) ; 7,5 m (mur de 5 m) et 10,5 m (mur de 9 m, une hauteur probablement exagérée, prise à titre de comparaison). On compare uniquement le gain de visibilité donné par un rempart au nord ; la bordure méridionale du site n’est pas considérée ici.
36Rappelons que la visibilité pour une hauteur d’yeux d’1,5 m couvre une surface de 15 921 ha (toujours dans un rayon de 17 km). Pour une hauteur d’yeux de 5 m, la surface visible s’étend à 16 514 ha ; 16 782 ha pour 7,5 m de hauteur et 17 132 ha pour une hauteur de 10,5 m. Le gain de visibilité est donc respectivement de 3,72 %, 5,4 %, 7,6 % par rapport à la vue d’une personne debout au niveau du sol. On peut donc dire que, pour l’habitat du Camp du Château, le gain de visibilité apporté par la construction d’un rempart, quelle que soit sa taille, reste très faible, d’un point de vue quantitatif en tout cas (Fig. 8).
37D’un point de vue qualitatif, c’est surtout la visibilité de certains espaces proches qui est améliorée dès 5 m (pour un mur de 3,5 m) et un peu plus à mesure que l’on augmente progressivement la hauteur. Ainsi, les zones situées au niveau du village actuel de Pretin en contrebas du site, le flanc nord du mont Saint-André et la face nord du plateau de Pretin sont, grâce à la présente d’un mur de fortification, visibles depuis la partie nord du site fortifié du Camp du Château. Toutefois, ils l’étaient de toute façon depuis la partie méridionale du site. En revanche, la visibilité au loin ne change quasiment pas. Si les fortifications améliorent d’une façon la visibilité, c’est éventuellement en augmentant le contrôle visuel à proximité immédiate de la butte, mais leur apport à une éventuelle stratégie de contrôle visuel reste très limité. La construction des murs ne peut donc ici être mise en relation avec une recherche d’une meilleure visibilité. Il est plus probable que seul compte ici le besoin de protection par la limitation de l’accessibilité au site.

Fig. 8. Visibilité depuis la position du rempart nord depuis différentes hauteurs (hauteur du mur +1,5 m pour la hauteur du regard de l’observateur, CAO E. Gauthier).
4. Le Camp du Château et son paysage culturel : les dépôts du secteur salinois
38Les prospections systématiques réalisées depuis le début des années 2000 dans tout le secteur salinois ont permis la mise au jour de 70 dépôts répartis dans un rayon de 17 km autour du Camp du Château et dont la grande majorité semble appartenir à la transition Bronze Moyen / Bronze final (Bz C2 - Ha A1). La durée et l’ampleur des investigations permettent pour la première fois une étude du phénomène des dépôts à une échelle locale. Une approche exploratoire a ainsi pu être menée à Salins afin d’étudier l’implantation des dépôts dans le paysage et leurs liens avec leur environnement topographique (Gauthier, Piningre, 2016).
39À l’échelle de la zone d’étude (Fig. 9), les dépôts forment deux groupes centrés sur deux axes de pénétration du massif jurassien par deux affluents de la Loue, les vallées de la Furieuse au sud et celle du Lison au nord. Toutefois c’est dans la zone proche du Camp du Château et du Mont Poupet, que la majorité des dépôts a été mise au jour. Le secteur de Pretin, avec 20 dépôts le long du bord du plateau, trois autres plus loin à l’intérieur, un dernier en contrebas, occupe une place privilégiée. Deux dépôts au pied du Begon se rattachent encore à cet ensemble.

Fig. 9. Distribution spatiale des dépôts de la région salinoise (CAO E. Gauthier).
40Au sud, un second groupe de cinq dépôts borde la reculée de Salins et surplombe le cours de la Furieuse le long de la côte de Thésy (Thésy 1 à 3, Côte en Velet, Blégny). Huit autres dépôts occupent le plateau de forme oblongue du Bois Bovard, à l’est de Salins-les-Bains, qui domine le cours du Todeur ; et encore trois autres en face, sur le flanc sud du Poupet (Côte Chenien, Chaudreux, Myon). S’y ajoutent un dépôt supposé avoir été trouvé anciennement au sommet du Poupet et à un autre au pied sud (lieu-dit La Noirie) (Millotte, 1963). Enfin, sept dépôts se répartissent sur le flanc ouest du Poupet (Saint-Thiébaud) ou sur les derniers contreforts (Marnoz, Granges Feuillet).
41On remarquera au contraire la rareté des trouvailles au niveau de Côte Château puisqu’un seul dépôt y a été fouillé et sa datation est nettement plus récente que celle des autres découvertes. Ce phénomène semble correspondre à un choix délibéré : les dépôts ne devaient manifestement pas se situer au niveau du site d’habitat mais sur les hauteurs dominant les alentours.
42Chacune de ces concentrations correspond avec des zones marquantes du paysage soulignant le contact entre la vallée et le plateau. Le choix quasi systématique de positions dominantes et le lien étroit avec des repères topographiques naturels (gros blocs, lapiaz, éperon rocheux) nous amènent à nous interroger sur la visibilité des lieux de dépôt. En effet, de récentes études (voir notamment Fontijn, 2002 ; Hansen et al., 2012) ont révélé que les dépôts, bien qu’invisibles, avaient une place spécifique au sein du paysage anthropomorphisé et dans l’imaginaire collectif des populations de l’âge du Bronze. Un lien visuel (la possibilité de les apercevoir ou de les désigner au loin) permet d’intégrer les dépôts dans le paysage quotidien, leur "présence" entretenant la mémoire et les traditions (Gauthier, Piningre, 2016).

Fig. 10. Position des dépôts par rapport aux zones visibles depuis le Camp du Château (CAO E. Gauthier).
43La transposition de la répartition des dépôts sur les aires visibles depuis le Camp du Château montre que ce dernier établit très clairement un lien avec les lieux de dépôts (Fig. 10). Dans un rayon d’une dizaine de kilomètres, jusqu’au flanc sud du Mont Poupet d’une part et jusqu’à la côte de Thésy d’autre part4, presque tous les dépôts se trouvent dans les aires visibles depuis le site fortifié. Dans une pratique établie sur la longue durée et implantée très largement dans le territoire environnant, ils permettent de cette façon de baliser le paysage contrôlé visuellement par l’habitat qui semble se trouver au centre de ce système.
44Pour l’exceptionnel regroupement de dépôts de Pretin, la proximité du Camp du Château, juste en face, paraît évidemment déterminante. Les autres concentrations correspondent précisément aux secteurs que nous avons mentionnés plus haut comme étant des secteurs « stratégiques » en termes de contrôle visuel : la plaine de Marnoz et son carrefour de voies, la vallée de la Furieuse et celle du Todeur. Les dépôts dominent et jalonnent ces voies de passage privilégiées, en étant positionnés sur les rebords des plateaux qui les longent (y compris certains dépôts peu ou pas visibles depuis le Camp du Château comme les dépôts 5 et 6 du Bois Bovard, ceux de Clucy ou de Chaudreux). Les dépôts de Chaudreux et de Myon surplombent également la Lanquetine, une voie à ornières entaillée dans le rocher, vraisemblablement historique mais pour laquelle on ne peut exclure une importance dès l’époque protohistorique (Jeannin, 1972).
45À l’écart des habitats et des nécropoles, les dépôts pourraient être considérés comme des marqueurs significatifs du paysage, en bordure des principales voies de pénétration du Jura centre-occidental entre la plaine de la Saône et le Plateau suisse. Plusieurs exemples comparables à celui de Salins, également en lien avec un habitat de hauteur et des axes de circulation de matières premières, ont été récemment mis en évidence ailleurs en Europe, notamment en Autriche, en Allemagne et en Hongrie (Windolz-Konrad, 2002 ; 2005 ; 2010 ; Nomayo, Falkenstein, 2012 ; Szabó, 2016 ; Hansen et al., 2016).
46On remarque enfin que beaucoup de ces dépôts se trouvent en bordure des zones visibles. Au lieu d'être au centre de l'emprise visuelle, les dépôts sont presque systématiquement dans les premiers (ou derniers) 5 % des surfaces perceptibles depuis le site de hauteur. Ce phénomène s'explique bien sûr par le fait que les dépôts sont essentiellement placés sur des lignes de crêtes et des bords de terrasses. Les lieux de dépôt ont été définis de telle sorte qu’ils matérialisent ici la frontière de l'espace visible depuis le Camp du Château (Gauthier, Piningre, 2016 ; Gauthier, Piningre, 2017). Si l'on va jusqu'au bout de notre proposition d'interprétation, on peut alors émettre l'hypothèse que les dépôts baliseraient les limites d’un territoire qui pourrait être l’espace social et/ou cultuel des communautés liées au site du Camp du Château. Reconstituant les limites de cet espace de contrôle visuel à partir des dépôts connus, nous proposons un modèle de ce qui pourrait correspondre au territoire du Camp du Château à la transition Bronze moyen/final, représentant un espace d’environ 4 400 ha (Fig. 11). Cet exemple donne une idée concrète de l'étendue d'un territoire contrôlé par un habitat de hauteur à l'âge du Bronze.

Fig. 11. Proposition de restitution du territoire contrôlé par le Camp du Château à la transition Bronze moyen/Bronze final. Les limites proposées sont basées sur les limites de la visibilité depuis le Camp du Château (CAO E. Gauthier).
5. Conclusion
47Alors que les sites fortifiés du Néolithique et du Bronze ancien sont relativement nombreux dans le secteur salinois et semblent jalonner les voies d’échanges en direction de la Suisse occidentale (ce que corrobore le mobilier des nécropoles tumulaires ; Piningre, Ganard 2004), la transition Bronze moyen-Bronze final voit un repli sur un site fortifié unique, le Camp du Château. Pourtant, cette période, caractérisée par une intensification de l’exploitation des ressources salées et par une abondante consommation du métal, est particulièrement propice aux échanges. À la transition Bronze moyen-Bronze final, le Camp du Château semble faire office de pôle, au centre d’un territoire qui s’étend sur une dizaine de kilomètres de rayon.
48La pratique des dépôts métalliques, exclue du site fortifié lui-même mais largement dispersée aux alentours, semble soutenir le marquage de ce territoire par un balisage symbolique et ritualisé de ses limites et des principales voies de circulation qui le traversent. Les principales concentrations de dépôts pourraient refléter la distribution spatiale des communautés vivant sur ce territoire, organisées probablement en plusieurs hameaux ou fermes isolées en fond de vallée, à proximité immédiate des principales voies de circulation.
49Le Camp du Château, quant à lui, pourrait avoir accueilli une élite ayant joué un rôle important dans les relations à longues distances. Si le dynamisme du secteur salinois semble lié au contrôle des exploitations du sel du Trias, le choix plus précisément de la colline de Château n’est, comme on l’a vu, pas non plus anodin. Sa position topographique et l’envergure de son champ visuel lui confèrent de nombreux avantages, en particulier celui d’exercer un contrôle sur la plaine en contrebas, mais également sur la circulation à travers tout le secteur. En effet, depuis le Camp du Château, il est possible de contrôler les passages imposés par un relief très contrasté, autant ceux orientés nord-sud qui permettent de traverser la reculée de Salins et qui soutiennent les relations à longues distances entre les plaines de la Saône et du Doubs et les plateaux suisses, mais également ceux orientés est-ouest qui longent les premiers plateaux jurassiens. Il possède d’ailleurs une vue de premier ordre sur Marnoz qui peut être considéré comme un carrefour de ces voies de circulation. Ces avantages ont favorisé l’utilisation de ce site perché à des moments où des élites contrôlaient le secteur salinois. C’est ainsi qu’il fut également classé au rang des sites princiers du premier âge du Fer (Piningre, Ganard, 2004) et qu’il fut à nouveau occupé à la période alto-médiévale et doté d’infrastructures civiles, religieuses et défensives à caractère ostentatoire (Gandel, Billoin, 2017). Permettant une approche sur la longue durée, cet exemple révèle à quel point le contrôle visuel a été un facteur stratégique décisif dans les choix d’implantation des élites sur les sites de hauteur.
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Notes de bas de page
1 La hauteur des yeux est habituellement définie à 1,60 m. Mais différentes études de statures montrent que les hommes de l’âge du Bronze sont globalement plus petits que ceux d’aujourd’hui (1,60-1,70 m en moyenne ; par ex. Malgosa i Morera, 1986 ; Vancata et Charvátová, 2001 ; Pische, 2015).
2 Par ailleurs en fonction des saisons les contraintes liées à la végétation ne sont pas les mêmes, en particulier en hiver.
3 Nous avons opté pour une approche très simple de la surface de friction, le but n’étant ici que de rechercher les voies véritablement conditionnées par les contraintes topographiques, mais il existe des approches bien plus sophistiquées comme celle décrite dans Zakšek et al., 2008 (voir aussi Fovet, 2010).
4 Les autres dépôts en revanche, situés de l’autre côté du Mont Poupet, ne semblent pas participer à ce système. Ils pourraient s’intégrer dans un autre réseau mais des recherches supplémentaires attendent d’être menées dans ce secteur.
Auteurs
UMR 6249 Chrono-Environnement CNRS / Université de Franche-Comté
UMR 6298 ARTEHIS CNRS / Université de Bourgogne/Ministère de la Culture
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