Les établissements perchés de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge en Franche-Comté (IVe-IXe siècle) : la reculée de Baume-les-Messieurs et le val de Voiteur (Jura)

David Billoin et Philippe Gandel

Résumés

Ce bref panorama des acquis de la recherche sur les établissements perchés et fortifiés tardo-antiques et alto-médiévaux en Franche-Comté s’illustre par une étude de cas d’un espace géographique particulièrement dynamique : la reculée de Baume-les-Messieurs et le val de Voiteur. Situé au nord de Lons-le-Saunier sur le piémont du Jura, longé par une grande voie et traversé par des axes qui mettent en relation les plateaux du Jura et la plaine de Bresse, ce secteur est densément occupé depuis la Protohistoire. Il se caractérise par une densité des occupations de hauteur fortifiées en lien probablement avec le contrôle et la gestion du sel. Une économie réactivée après la « parenthèse » romaine qui voit la réoccupation de bon nombre de ces points hauts stratégiques jusqu’à l’aube de la période féodale.

This short overview of the research on late antique and early medieval fortified settlements in Franche-Comté region is exemplified by a case study of the Baume-les-Messieurs and the Voiteur valleys. This area, which is located on the Jura’s foothills, is bordered by a major road and is crossed by axes that connect the Jura plateaus and the Bresse plain. This region was densely occupied since the Protohistory and is characterized by a large number of fortified hilltop settlements, probably linked to the control and the management of salt. This trade has been reactivated after the Roman “parenthesis” which saw the reoccupation of many of these strategic reliefs until the dawn of the feudal period.

Entrées d’index

Mots-clés : établissements de hauteur fortifiés, murailles maçonnées, ressources naturelles, abbayes mérovingiennes, occupation sur le temps long, analyse spatiale, Antiquité tardive, haut Moyen Âge, sel, église

Keywords : hilltop settlement, masonry walls, natural resources, Merovingian abbey, long-term occupation, spatial analysis, Late Antiquity, Early Middle Ages, salt, Church


Texte intégral

1Amorcée d’abord dans le département du Jura en 2002, l’étude des sites de hauteur tardo-antiques et alto-médiévaux s’est poursuivie à l’échelle de la Franche-Comté à la faveur d’un projet collectif de recherche (Billoin, Gandel, 2013), parmi les tout premiers en France sur ce thème dans le sillage des travaux conduits dans l’espace méditerranéen (Schneider, 2004). Ces travaux de longue haleine ont permis de réouvrir un dossier laissé longtemps en friche depuis les études pionnières des érudits locaux dès le milieu du XIXe siècle. L’absence substantielle de données sur l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge, en dehors de l’archéologie funéraire, motivait en effet un champ d’étude susceptible d’appréhender un large faisceau de problématiques sur l’occupation d’un territoire et son peuplement, tout en renouvelant une documentation des plus lacunaires. Trois sites majeurs ont focalisé les recherches dans le département du Jura, La Motte d’Écrille (Gandel et al., 2008), Gaillardon à Menétru-le-Vignoble (Gandel, Billoin et al., 2011) et Château-sur-Salins (Gandel, Billoin, 2014 ; 2018), tandis que d’autres recensés à l’échelle de la région livrent des apports plus ponctuels, à l’exemple de Château-Julien à Pont-de-Roide dans le Doubs (Billoin, Cramatte, 2017 ; Billoin, Gandel, 2019). Ces établissements de hauteur souvent fortifiés ont nourri également des approches plus thématiques sur la culture matérielle et contribué à des avancées significatives, notamment numismatiques (Billoin, Doyen, 2016 ; Billoin et al., 2017). L’enquête, conduite désormais à l’ensemble du massif jurassien à l’occasion d’un travail doctoral (Billoin, 2020b), s’effectue parallèlement à un programme de fouilles pluriannuelles engagé au Mont Châtel à Val-Revermont/Pressiat, un peu plus au sud, dans l’Ain (Billoin et al., 2020). De nouvelles prospections associées au réexamen de collections anciennes permettent de renouveler les regards sur certaines occupations perchées sur le versant Suisse (Billoin et al., 2019). Cet investissement conséquent mené depuis près de vingt ans sur le phénomène du perchement de l’occupation par le biais de ce jeu d’échelle, du site au territoire dans lequel il s’insère, constitue un exceptionnel observatoire pour appréhender les mutations économiques, sociales et religieuses sur le temps long, de l’Antiquité au phénomène castral. L’exemple de la reculée de Baume-les-Messieurs et de son débouché du val de Voiteur représente une étude de cas qui intègre une des fouilles archéologiques de ce programme et des témoignages apportés par les textes. Les principaux acquis de cette recherche présentés à l’occasion de cette journée d’étude peuvent ainsi être confrontés à d’autres espaces géographiques, des Vosges au Massif central et dans une temporalité incluant les âges des métaux.

1. Vitalité d’un phénomène

2L’émergence de ces nouveaux habitats fréquemment fortifiés sur les hauteurs à la fin de l’Antiquité correspond à un phénomène majeur, loin des poncifs historiographiques qui les réduisaient à de simples postes militaires ou des sites-refuges pour des populations apeurées par le choc des « invasions barbares ». La vingtaine d’établissements perchés recensés en Franche-Comté illustre toute la vitalité du perchement de l’occupation à partir d’une première génération de site datée de la fin du IVe ou du tout début du Ve siècle, à l’image des forteresses qui apparaissent sur le Massif central (Martinez, 2017), alors que le phénomène apparaît décalé à la fin du Ve ou au début du VIe siècle en Gaule méditerranéenne (Schneider, 2004). D’autres établissements du massif jurassien fondés autour du VIIe siècle sur de plus vaste superficie semblent dotés d’infrastructures plus importantes, notamment d’édifices religieux, tandis que les occupations carolingiennes restent plus difficiles à percevoir. Les nombreuses réoccupations castrales témoignent de la valeur stratégique des lieux, avec parfois des rôles de premier plan jusqu’à la période moderne, remaniant en profondeur ces sommets de collines. Les châteaux et les bourgs castraux de Bornay, de la Châtelaine, de Briod pour le Jura, ou de Sainte-Anne et de Château-Simon dans le Doubs, pour n’en citer que quelques-uns, ont tous écrasé littéralement les vestiges antérieurs. Les seuls témoignages qui subsistent proviennent du mobilier éparpillé dans les pentes. Pour finir, la conquête française de 1674 s’est également attachée à la destruction et au nivellement d’une partie de ces ouvrages militaires, mesure préventive autant que symbolique.

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Fig. 1. L’aspect naturellement défensif de l’éperon de Saint-Anne sur une vue du château avant 1674 (dessin de Van der Meulen).

3Il importe de souligner les nombreuses difficultés posées par l’étude de ces sites très rarement mentionnés dans les sources écrites, fortement boisés, d’accès peu aisés et aux stratigraphies souvent très limitées voire inexistantes en raison de l’érosion de ces points hauts. Ces spécificités expliquent le caractère encore bien disparate et lacunaire de la documentation rassemblée. Le cas du Vieux Château de Saint-Anne, fréquenté dès le Néolithique et la protohistoire, en constitue une bonne illustration (Fig. 1 et 2). L’occupation tardo-antique et alto-médiévale n’est renseignée, après un temps conséquent de prospection, que par le mobilier disséminé dans les pentes et la topographie particulière de ce vaste et spectaculaire éperon de 6,5 ha, délimité par d’imposantes falaises constituant des défenses naturelles. Plus de 200 monnaies associées à quelques objets et de fragments de céramiques et de récipients en pierre ollaire ne permettent cependant pas d’aller au-delà du simple constat de l’existence d’un site de hauteur occupé, semble-t-il, du milieu du IVe siècle à la création de la forteresse médiévale au début du XIIIe siècle. L’espace interne de l'éperon est profondément marqué par l’occupation castrale, comme le montre l’image Lidar (Fig. 2), et laisse peu d’espoir d’identifier des vestiges antérieurs.

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Fig. 2. Relevé Lidar de l’éperon accueillant le bourg castral du Vieux Château de Saint-Anne, cité dans les textes en 1235 comme castrum à l’emplacement de l’hagiotoponyme Sancta Anna en 1153. Le fossé défendant l’accès est bien visible, des chemins et l’emplacement de bâtiments, également ; l’ensemble pouvant accueillir près de 200 habitants en 1639. La forteresse est rasée en 1674 « de telle manière qu’il n’en reste aucun vestige » (Girardot de Nozeroy, 1843) et le village est transféré à 1,5 km sur le plateau (© IGN).

2. Répartition spatiale

4À l’échelle du territoire, la répartition des établissements perchés peut sembler de prime abord irrégulière, mais il faut ici faire abstraction de la plaine de la Saône, naturellement peu propice à ce type d’implantation, et les hauts reliefs du Jura au-dessus des 700-800 m d’altitude. Ce secteur de montagne est resté globalement peu ouvert à l’occupation humaine depuis l’Antiquité, à l’exception notable des zones de franchissement du massif par les cluses comme le grand décrochement géologique de Pontarlier qui ouvre une voie de circulation aisée à travers la haute-chaîne (Billoin, 2020a). Les établissements perchés se distribuent assez régulièrement en privilégiant les implantations de contact entre plaine et plateaux du Jura, le long d’axes de circulation hérités de l’Antiquité. La grande voie du piémont jurassien Lyon/Besançon/Mandeure est ainsi jalonnée par ces établissements de hauteur, dominant des zones de fortes densités de peuplement et d’activités économiques structurantes, comme l’exploitation des sources salées, certains en lien direct avec des agglomérations telles que Lons-Le-Saunier, Salins-les-Bains et Mandeure (Fig. 3). D’autres implantations surplombent des carrefours de voies et se positionnent dans des reculées qui entaillent le premier plateau et en permettent l’accès depuis la plaine jurassienne, dans des espaces où la visibilité entre les sites notamment pose la question de leur dimension stratégique. Ces établissements de hauteur ré-occupent fréquemment d’anciens oppida protohistoriques et des collines avec des occupations dès le Néolithique rarement bien caractérisées, mais qui soulignent également des positions stratégiques.

5Les sites de hauteur tardo-antiques et alto-médiévaux ne peuvent toutefois être interprétés qu’intégrés à leur contexte micro-régional spécifique et les grilles de lecture trop généralistes doivent être rejetées. Le secteur du débouché de la reculée de Baume-les-Messieurs, le val de Voiteur (Jura), à quelques kilomètres au nord de Lons-Le-Saunier, constitue un cas de figure significatif de la complexité du phénomène de perchement de l’occupation, avec plusieurs établissements de hauteur différents qui coexistent ou se succèdent dans un espace réduit, en interaction avec des lieux de pouvoir établis dans la plaine.

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Fig. 3. Localisation des établissements perchés de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge en Franche-Comté et sur une partie de la Suisse occidentale (DAO D. Billoin, 2020).

3. La reculée de Baume-les-Messieurs et le val de Voiteur

3.1. Les ressources et le peuplement

6Située à la jonction de la plaine jurassienne (altitude moyenne 250 m) et du premier plateau (altitude moyenne 500 m) dans la région dite du Revermont ou du Vignoble, la reculée de Baume-les-Messieurs entaille le plateau par une étroite échancrure d’une dizaine de kilomètres de longueur subdivisée en plusieurs branches, creusées par La Seille et ses affluents (Fig. 4). Les terres de la plaine sont traditionnellement davantage consacrées à la culture céréalière que celles du plateau, majoritairement tournées vers l’élevage. La culture de la vigne s’est développée sur les pentes bien exposées à l’ouest, au pied du plateau. L’origine de cette activité lucrative semble remonter au haut Moyen Âge. Elle est attestée dans un document daté des années 940-942 à Salins-les-Bains, une vingtaine de kilomètres plus au nord (Dion, 1995, p. 163), tandis que des vignes et la villa d’Arlay sont données aux chanoines de Saint-Anatoile de Salins par le roi de Bourgogne Rodolphe III en 10291.

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Fig. 4. Carte de l’occupation de la reculée de Baumes-le-Messieurs et le val de Voiteur (D. Billoin, P. Gandel, sur fond relief Géoportail).

7Une autre incertitude concerne la mise en exploitation d’émergences d’eau salée dont la présence est attestée au débouché direct de cette reculée par plusieurs toponymes comme La Muire ou Fontaine salée à Domblans. Nombreuses au pied du Revermont, entre Lons-le-Saunier et Salins-les-Bains, elles font l’objet d’une réelle économie du sel qui se développe par une réactivation progressive des exploitations à partir de l’Antiquité tardive. Des recherches ont attestées à Plainoiseau, à 5 kilomètres au sud-ouest de la reculée, une exploitation d’émergence salée qui a fourni une datation au carbone 14 entre 924-1023 après J.-C. Une autre à Montmorot, Etang saloir, à 11 kilomètres au sud-ouest, donne la datation 662-776 (Pétrequin, Piningre, Weller, 1999). La présence d’une source salée est vraisemblablement à l’origine de l’agglomération de Lons-le-Saunier, au débouché de la reculée de la Vallière. Elle a déterminé l’implantation des habitats de hauteur environnant du Néolithique et de la Protohistoire (Piningre, 2001) (Château de Montmorot, Château de l’Etoile, de Château-Chalon, de Gaillardon à Menétru-le-Vignoble, de Bornay « Néron », Briod Camps de Coldre et des indices d’occupation dans la plaine alluviale de la Seille, notamment des enclos circulaires repérés par photographie aérienne (Rothé, 2001). L’agglomération secondaire antique connaît un développement au haut Moyen Âge grâce à l’exploitation du sel mentionnée une première fois dans un diplôme daté de 855-869, par lequel Lothaire II donne à l’archevêque de Besançon le salarium de Lons-le-Saunier (Moyse, 1973), puis vers 980 dans la Vita Sancti Odonis. Castrum en 1097 et pourvue d’un atelier monétaire, la ville représente, avec Salins-les-Bains autre agglomération liée à l’exploitation du sel, une des candidates au titre de chef-lieu du comté de Scotingue (ou d’Escuens), sous l’apanage direct des comtes de Bourgogne. L’archéologie a récemment livré d’exceptionnels vestiges d’une saline du VIIe siècle particulièrement bien conservés dans l’agglomération héritée de l’antiquité de Grozon, située une quinzaine de kilomètres au nord (Billoin, 2019).

8Par sa situation géographique, le débouché de la reculée connaît une forte densité du peuplement durant la période gallo-romaine (Rothé, 2001, p. 121). Ces établissements, surtout documentés par des découvertes fortuites anciennes ou des prospections pédestres, correspondent vraisemblablement à des villae. Cet espace est traversé sur un axe nord/sud qui depuis la vallée du Rhône suit le pied du premier plateau jurassien et met en relation Lyon-Besançon-Mandeure. Le franchissement de la Seille au Gué Farou sur la commune de Domblans, est probablement à l’origine du développement d’une agglomération antique secondaire de dimension modeste (Mangin et al., 1996).

9Autour de l’an mil, cet espace géographique dépendant des comtes de Bourgogne apparaît couvert d’un réseau dense d’habitats agglomérés avec des établissements antiques comme origine, fixant la plupart des villages actuels. Toutes ces localités livrent une ou plusieurs nécropoles mérovingiennes à proximité immédiate et attestent une continuité de l’occupation (Fig. 4). La majorité d’entre elles apparaissent dans les sources normatives comme des possessions des abbayes de Baume-les-Messieurs, de Château-Chalon, de Cluny aux XIe et XIIe siècles (Constable, 1986), ou parfois de l’abbaye de Tournus pour des communes situées en plaine de Bresse (Montmorot, L’Étoile). Ces listes de confirmation de biens émanant de papes, de rois ou de comtes, impliquent implicitement l’importance que ces lieux ont acquise pour faire l’objet de donation. Elles soulignent l’ancrage de l’habitat, selon un processus mis en place à partir du VIe-VIIe siècle, et le maillage du territoire qui reflète une géographie des pouvoirs laïcs et ecclésiastiques avec Château-Chalon comme pôle castral et monastique.

10On soulignera les points de peuplement nouveaux et notamment de très nombreux châteaux et des prieurés formant des occupations particulières, qui semblent témoigner d’une redistribution des pouvoirs au profit de grandes familles aristocratiques selon des processus divers. À Domblans, le château de Blandans, l’un des fiefs de la famille des Chalon-Arlay en 1233, à mi-côte de la colline de Cuart, prend le relais d’un Vieux Château bâti plus haut et illustre un cas de déclassement par le glissement de l’occupation d’un relief vers la plaine (Rousset, 1855 : 7). Nous ne possédons aucune indication chronologique pour cette première fortification quadrangulaire fossoyée, sinon la présence de tuiles romaines (Odouze, 1991). Une situation similaire se retrouve au Montmusard de l’Étoile, avec un castrum novum cité en 1260, dont le nom implique donc la présence d’un château plus ancien. L’église Saint-Corneille au sommet de cette colline est citée dès 1076 dans une donation à l’abbaye de Tournus par l’archevêque de Besançon (Odouze, 1991).

11La colline aux pentes abruptes de Charnay, à l’entrée sud de la reculée de Baume-les-Messieurs, interpelle également par la présence d’un prieuré à son sommet, attesté par une bulle du pape Urbain II en 1089, comme possessions de l’abbaye de Baume (Mordefroid, 2011, p. 217-262). L’origine de cet édifice ecclessia Carneti demeure inconnue. Le seul indice chronologique est le vocable de l’église, Saint Nicolas, dont la dévotion ne semble pas se manifester avant le début du XIe siècle dans le diocèse de Besançon. Une autre possession de l’abbaye de Baume-les-Messieurs, sur le versant sud de la reculée de la Vallière, entre Montaigu et Vatagna, la villa de Chavenay apparaît plus précocement dans les textes en 869 et 903. Le site a livré des vestiges gallo-romains appartenant manifestement à une villa (hypocauste et mosaïque), puis des sépultures mérovingiennes « avec des plaques-boucles dorées » et des tombes du premier Moyen Âge (Odouze, 1991). Le prieuré et l’église Saint-Martin disparaissent au début du XIIIsiècle, sans doute au profit d’un regroupement avec Lons-le-Saunier.

3.2. Un établissement fortifié antérieur au château d’Arlay ?

12À 6 km à l’ouest du débouché de la reculée de Baume-les-Messieurs, la colline d’Arlay correspond à une butte témoin du Jura qui culmine à 308 m, dominant de 90 m la plaine de la Seille à son pied nord (Fig. 4 et 5). De forme arrondie, ses pentes s’adoucissent vers le sommet offrant un espace aménageable d’environ 3 hectares sur lequel s’élèvent les ruines d’un château. Les périodes protohistoriques sont peu documentées. D’après des descriptions du XIXe siècle, du mobilier (haches, torque) découvert à Arlay pourrait être attribué à l’Âge du Bronze final (Millotte, 1963, p. 261). Dans la littérature archéologique, une agglomération gallo-romaine a été proposée à Arlay quartier Saint-Vincent, à l’ouest de la butte, en raison de la distribution et la qualité des découvertes réalisées (Odouze, 1986). Les vestiges évoquent cependant davantage un grand domaine luxueux pavé d’au moins six mosaïques polychromes et des vestiges de balnéaire. À l’emplacement du château médiéval de nombreuses monnaies romaines sont signalées, notamment de Probus et de ses successeurs (Abry d’Arcier, 1883, p. 18) et des pierres sculptées aujourd’hui disparues, dont une portant « un soleil radieux » (Rousset, 1855, p. 77). Plusieurs nécropoles mérovingiennes sont également attestées sur la commune ainsi que des sarcophages (Rothé, 2001). Durant le haut Moyen Âge cet espace semble appartenir à une puissante famille aristocratique. Le recoupement entre un catalogue épiscopal du XIe siècle (Dunod de Charnage, 1735, preuve V) et un passage de la Vie de saint Colomban par Jonas de Bobio (de Vogüe, 1988, p. 124-125) indique que Donat, moine au monastère de Luxeuil, puis évêque de Besançon dans le deuxième quart du VIIe siècle, aurait reçu de son père, le duc et patrice de Bourgogne Waldelène, « ecclesia villas Domblingun et Arslatum » (Domblans et Arlay). La mention la plus ancienne d’un castrum ne remonte qu’à 1165 lorsque l’empereur Frédéric Barberousse confirme la donation de la chapelle du château d’Arlay à l’abbaye de Château-Chalon (Abry d’Acier, 1883, p. 252). Obtenu dans un échange en 1237 par Jean de Chalon l’Antique, cette baronnie deviendra le siège d’une des plus puissantes familles comtoises, les Chalon-Arlay.

13C’est sur ces bases qu’a été extrapolée au XIXe siècle toute une série d’interprétations : présence d’un temple dédié à Apollon, d’un camp romain, d'un palais mérovingien, ou encore d’un premier château fondé par Girard de Roussillon au IXe siècle (Rousset, 1855, p. 77 ; Abry d’Arcier, 1883, p. 18). Les informations à disposition permettent plus prudemment d’envisager l’existence d’un grand domaine élitaire du haut Moyen Âge. La forme prise par l’établissement ne peut être déterminée, mais la topographie des lieux pourvue de défenses naturelles se prête aisément à une implantation perchée et fortifiée.

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Fig. 5. Panorama du débouché de la reculée depuis Château-Chalon, avec en visibilité l’établissement fortifié de Gaillardon à Menétru-le-Vignoble et la butte du château d’Arlay à l’arrière-plan, où une occupation tardo-antique est suspectée (cl. D. Billoin).

3.3. L’abbaye de Baumes-les-Messieurs

14Le fond de la reculée de Baume, qui voit sourdre la Seille d’une grotte (Balma), entouré de hautes falaises rectilignes, est un site dont l’aspect spectaculaire a du présider au choix de l’implantation d’un monastère d’hommes durant le haut Moyen Âge (Fig. 4 et 6). Cette abbaye deviendra célèbre pour avoir vu l’un de ses abbés, Bernon, partir du lieu pour aller fonder Cluny en 910. L’origine du monastère reste toutefois inconnue. L’établissement religieux apparaît dans le même document que celui de Château-Chalon, en 869, lorsque le roi Lothaire II confie la cellula de Baume et l’abbatiola de Château-Chalon à l’archevêque de Besançon. La rareté des sources écrites rend toute hypothèse sur les origines du monastère difficile à étayer et la polysémie des termes utilisée délicate à interpréter. Cellula est cependant considéré comme allant dans le sens d’une origine très modeste de l’établissement. Confié à Bernon, abbé de Gigny vers 890, il fera alors l’objet des travaux de reconstruction et d’agrandissements (Bully et al., 2016, 244).

15De récentes fouilles programmées dans l’abbatiale romane ont fourni des informations de premier ordre et permettent une relecture différente des origines. Un premier état, reconnu par le mobilier d’une fosse, est daté du VIIe siècle. Il est représentatif d’un habitat, avec des matériaux indiquant des constructions maçonnées, sans que l’on puisse préciser s’il s’agit déjà de constructions monastiques. Les informations sur le deuxième état montrent que Baume au VIIIe siècle comprenait un édifice cultuel décoré de vitraux de très grandes qualités, elles plaident en faveur d’un monastère du haut Moyen Âge richement doté (Bully et al., 2016, p. 252).

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Fig. 6. Vue générale de la reculée de Baume, avec le plateau naturellement défendu du Camp de Sermu et les établissements de Château-Chalon et de Gaillardon à l’entrée du défilé (cl. S. Bully).

4. Les établissements de hauteurs

4.1. Château-Chalon

16Le promontoire rocheux de Château-Chalon (Fig. 4 et 6), d’environ 6 ha d’emprise, ceint de hautes falaises sur son pourtour est relié au plateau par un pédoncule barré d’un rempart édifié au Hallstatt moyen/final. Des fragments d’amphore attestent une occupation du Ier avant notre ère et du matériel du IIIe-IVe siècle (Scotto, 1985) pose la question d’une fortification tardo-antique ou alto-médiévale doublée ensuite par le rempart médiéval (Odouze, 1991). Les érudits locaux y placent un camp ou un oppidum romain fermé par un mur épais (Rousset, 1853, p. 497). Deux textes évoquent l’établissement perché : le premier, de 869, mentionne la donation par Lothaire II à l’archevêque de Besançon Arduic de l’abbatiola Carnonis castrum qui trouve sur cet éperon une forme d’enclos de protection naturelle ; le second, le traité de Meerssen de 870, consacre le partage du royaume de Lothaire entre Charles le Chauve et Louis le Germanique, ce dernier se voit attribuer le castellum carnonis. L’indication de cet établissement dans un partage royal tend à montrer son importance (Moyse, 1973, p. 431). Une origine antérieure reste plausible, comme le laisserait suggérer une tradition attribuant la fondation d’une abbaye de femmes au « patrice » de Bourgogne Norbert et de sa femme Eusébia, entre les années 662 et 673 (Bully, 2007). L’hypothèse d’un monastère double de moines à Baumes-les-Messieurs et de moniales à Château-Chalon à la faveur des avancées archéologiques réalisées à l’abbaye voisine de Baume-Les-Messieurs accrédite cependant cette hypothèse (Bully et al., 2016). L’histoire de ce haut lieu se confond ensuite avec celle de l’abbaye de Château-Chalon et de son bourg fortifié dont l’occupation perdure jusqu’à nos jours.

4.2. Gaillardon à Menétru-le-Vignoble

17L’établissement de hauteur de Gaillardon a fait l’objet d’une fouille programmée et d’une publication qui ont permis de renouveler nos connaissances sur cette forme d’occupation (Gandel, Billoin, 2011). Le site est implanté entre plaine et plateau du Jura, à mi-hauteur du Revermont sur une plateforme dominant l’entrée de la reculée de Baume-les-Messieurs sur sa bordure nord, directement en vis -à -vis de Château-Chalon (Fig. 4 et 5). Cet espace de 1,5 hectare est entouré de fortes pentes à l’exception de son côté nord. Du mobilier pré et/ou protohistorique témoigne d’une première occupation très mal documentée. La réoccupation du site durant l’Antiquité tardive s’effectue à la fin du IVe-début du Ve siècle, d’après le mobilier et les datations au radiocarbone, pour connaître un déclin puis un abandon dans le courant du VIe siècle, après 530-550. Le site est réinvesti à partir du XIe siècle, avec au moins la construction d’une tour massive dont les niveaux livrent de la céramique datée du XIe-XIIe siècle, tandis que plusieurs sépultures ont permis d’effectuer une datation radiocarbone donnant l’intervalle des années 1020-1215 (Gandel, Billoin, 2011).

18Le système défensif de l’Antiquité tardive est constitué d’un premier rempart maçonné de 450 m de périmètre qui enserre la totalité du plateau (Fig. 7 à 9). Le mur nord qui barre l’accès, plus large, atteint 2,45 m d’épaisseur et présente une construction soignée, réalisée en opus vittatum, alternant un niveau de pierres disposées à plat et un niveau de blocs inclinés, liés à un mortier blanc et sableux assez fin. Ce puissant mur est doublé à l’avant, sur le front nord, par un second rempart parallèle de 1,50 m d’épaisseur, monté en petit appareil de moellons bruts et de blocs mis en forme selon des lits de pause approximativement horizontaux et un blocage de petites pierres noyées dans un mortier sableux blanc. Ces différences observées dans les techniques de construction et le calibre de ces murailles avaient conduit à proposer deux périodes distinctes dans la publication du site, dont une possible reconstruction à la période médiévale, en lien avec la réoccupation du XIe-XIIe de l’établissement (Gandel, Billoin, 2011). Les données chrono-stratigraphiques indiquent sans équivoque un premier rempart édifié à la fin du IVe/début du Ve siècle, phase qu’il est possible de préciser par une datation 14C autour des années 400, voir peu avant (Fig. 10). Cette phase de fondation de l’établissement est corroborée par deux autres dates 14C très similaires, effectuées sur des niveaux d’occupation (256-415 après J.-C. : Lyon-4624 et 255-413 après J.-C. : Lyon-3868). Afin de lever toute ambiguïté, une datation a été réalisée sur la muraille extérieure (sur un os pris dans le mortier) qui n’est finalement que peu postérieure à la première ligne de défense, vraisemblablement vers la fin de l’intervalle chronologique.

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Fig. 7. Plan général de l’établissement fortifié de Gaillardon à Menétru-le-Vignoble (DAO D. Billoin, P. Gandel).

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Fig. 8. L’habitat accolé au rempart de Gaillardon avec le village perché de Château-Chalon dominant la reculée de Baume-les-Messieurs (cl. P. Gandel).

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Fig. 9. Les deux remparts de Menétru-le-Vignoble (cl. P. Gandel).

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Fig. 10. Les datations radiocarbones des remparts des établissements fortifiés de Gaillardon à Menétru-le-Vignoble et du Camps de Coldre à Briod (D. Billoin).

19Gaillardon n’est pas un cas unique, puisque d’autres doubles remparts sont identifiés dans un environnement proche, au Camp de Sermu, à Château-Chalon (Odouze, 1991) et sur le Camp de Coldres. Cet établissement de hauteur fortifié qui domine la reculée de la Vallière, aux portes de Lons-le-Saunier (Fig. 4) est occupé de la fin du IVe-début du Ve siècle jusqu’à la période Moderne (Billoin, 2020b). La monumentalité de sa levée de terre ne passe pas inaperçue dans le paysage, selon un système défensif d’origine protohistorique surmontée de deux murs de factures singulièrement différentes, à la fois par leur puissance et les liants utilisés (Fig. 11). Ainsi, d’après les datations 14C réalisées, le mur intérieur, le plus large (de 2 à 2,10 m d’épaisseur) s’avère le plus ancien, vraisemblablement édifié à la fin du IVe/début du Ve siècle (Fig. 10). L’autre mur, de 1,30 m d’épaisseur et construit en avant, offre une courbe très légèrement décalée et l’on privilégiera la fin de l’intervalle dans les premières décennies du VIe siècle. Ces résultats tendent à montrer que ces deux établissements fortifiés de hauteur géographiquement proche ont une trajectoire chronologique commune, avec un système défensif fondé dans l’Antiquité tardive et reconstruit vers le VIe siècle.

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Fig. 11. Plan et coupe du Camp de Coldre à Briod (Clos, 1881).

20Une partie du mobilier du Ve siècle de Gaillardon se rattache à la sphère militaire (boucles, ferrets, …) à quoi s’ajoute une localisation qui met en avant une fonction de contrôle et de surveillance. Créé à une période où la province est encore sous domination romaine, le site a pu être impulsé par un pouvoir dans le cadre d’une politique de défense d’un territoire. À vol d’oiseau, à peine un peu plus de 1 km sépare Gaillardon du castrum de Château-Chalon. Outre une topographie favorable à l’implantation d’un système défensif, les deux sites perchés dominent de part et d’autre le vallon du ruisseau de la fontaine de Chambon. De tout le secteur de la reculée, c’est là que se situent les versants les plus adaptés à l’aménagement d’une voie entre plaine et premier plateau du Jura. Une fois arrivé à Château-Chalon, cet itinéraire se poursuit sur le plateau en direction de Salins-les-Bains, situé à environ 25 kilomètres au nord.

21Cette dimension de surveillance d’axes de circulation ne doit pas occulter d’autres fonctions de l’établissement de Gaillardon comme ses dimensions économiques avec une concentration d’activités artisanales (forge, activités de tissage, travail du verre, tabletterie…). Des éléments du mobilier comme les céramiques importées de Gaule méditerranéenne et un poids monétaire syro-palestinien révèlent l’insertion de l’établissement à des circuits commerciaux à longues distances, tandis que la faune consommée et la vaisselle en verre soulignent l’aisance matérielle des occupants au Ve siècle.

22Deux sources écrites antérieures à la fin du XIIe siècle documentent l’abandon du site. La plus ancienne n’évoque pas directement l’établissement fortifié mais sa périphérie immédiate. Il s’agit d’une confirmation, par l’empereur Frédéric Barberousse en 1165, de biens relevant de l’abbaye de Château-Chalon. Parmi une longue liste composée essentiellement de villae et d’églises, figurent monistrolium integrum, villa Chambion integra. Le toponyme Chambion est celui d’un vallon et d’une source directement située au pied sud de l’établissement fortifié. De Monistrolium, qui évoque un établissement religieux, « petit monastère », dérive le nom du village actuel, Menétru-le-Vignoble. L’autre document écrit est une confirmation, par le pape Lucius III en 1181. Elle n’évoque pas ces deux lieux mais une villa ministroli et indique surtout que le castrum de Galardin a été octroyé par le comte Guillaume à l’abbaye. Ce transfert s’est effectué peu après le milieu du XIIe siècle lorsque Guillaume IV de Bourgogne entre en conflit avec Frédéric Barberousse (Dunod de Charnage, 1735, preuve C ; Clerc, 1869, 57). Dans cette phase de reclassement et réorganisation des pouvoirs qui semble culminer au XIIe siècle, le castrum de Gaillardin tombe en désuétude au profit de Château-Chalon. C’est d’ailleurs probablement à cette période qu’est édifiée à Château-Chalon une petite forteresse dite « la Tour de Charlemagne » qui devient au XIIIe siècle l’un des centres administratifs de la puissante famille des Châlon-Arlay (Jeannin, 2007). Le silence des textes laisse penser à un abandon définitif du site de Gaillardon, confirmé par les données archéologiques, avec un glissement de l’occupation à 500 m au nord-est, en bordure du plateau à l’emplacement du village de Menétru-le-Vignoble, cité pour la première fois dans un titre déjà évoqué de 1165.

4.3. Le camp de Sermu

23Le Camp de Sermu, sur les hauteurs dominant l’abbaye de Baume-les-Messieurs découpées par l’érosion dans le premier plateau, a la forme d’un rectangle allongé de 1 400 m par 490 m et couvre une superficie d’une soixantaine d’hectares (Fig. 4 et 6). Bordé de hautes falaises ou de fortes pentes à l’ouest, il n’est facilement accessible que par une sorte de pédoncule qui le rattache côté sud au premier plateau.

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Fig. 12. Plan et profil des vestiges du système défensif du Camp de Sermu barrant l’accès au camp (Clos, 1880).

24D’une longueur de 204 m à l’origine, un rempart rectiligne ferme la partie la plus étroite du plateau, visible actuellement, sous la forme d’une butte de 2 à 4 m de hauteur, constituée de pierre et de gravats. Nous disposons d’une description rigoureuse à la suite à des sondages effectués au XIXe siècle et notamment un profil des vestiges (Clos, 1881, p. 251-252). Celui-ci révèle un fossé profond de 1 m, large de 8 à 10 m, puis un mur de 1,20 m de largeur conservé sur 2 m de hauteur (Fig. 12). À une distance de 2,90 m, un second mur est rencontré, large de 0,90 m, puis, plus loin, une couche d’argile compacte de 1,20 m d’épaisseur qui recouvre le terrain naturel. Ce type d’aménagement évoque un rempart protohistorique, ainsi que les quelques « rares débris de poterie celtique » recueillis. Les deux murs maçonnés au mortier mélangé à des petits graviers, jugé peu résistant, et montés en moellons bruts assisés, paraissent relever de la période gallo-romaine (noté comme « antique » sur le croquis du XIXe siècle), mais font davantage penser à une construction romaine tardive ou alto-médiévale par analogie aux doubles remparts du Camp de Coldre et de Gaillardon, voire de Château-Chalon. L’ensemble forme une large anomalie topographique matérialisée par un cordon large de 25 m sur une hauteur moyenne de 3 à 4 m (Fig. 13). Des décombres plus importants à l’emplacement le plus élevé du talus masquent l’emplacement d’une tour interprétée anciennement comme un château bâti au début du XIIIe siècle par le comte de Bourgogne Etienne II à l’emplacement d’un camp romain (Rousset, 1853, p. 175).

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Fig. 13. L’aspect du système défensif aujourd’hui avec le hameau de Sermu se développant juste à l’arrière (cl. D. Billoin).

5. Synthèse

25La densité des établissements perchés et fortifiés entre la reculée de Baume-les-Messieurs et le val de Voiteur est remarquable, sans comparaison ailleurs dans l’ancienne cité de Besançon. Cette situation trahit l’importance et la vitalité de cet espace dynamisé par l’économie du sel, avec Lons-le-Saunier comme pôle majeur, possible chef-lieu du pagus d’Escuens. Cette ancienne agglomération secondaire antique où l’évêque de Besançon Désiré est inhumé à la fin du IVe ou au début du Ve siècle de notre ère, dans la villam Ledonis (vraisemblablement au sein d’un domaine familial), constitue un jalon précoce d’implantation d’une communauté chrétienne dans le Jura. Cette polarisation de l’occupation est due au contrôle de cette richesse déjà effective dès la protohistoire (voire au Néolithique) avec nombre d’occupations de hauteur, dont une majorité sera réoccupée à la période tardo-antique ou alto-médiévale avec des problématiques similaires. L’émergence de ces établissements de hauteur et des abbayes résultent toutefois de processus complexes, associant mutations socio-économiques des cadres issus de l’Antiquité et redistribution des pouvoirs au profit de grandes familles aristocratiques qui conduiront à définir les cadres territoriaux du Moyen Âge. Cette dynamique du peuplement à l’œuvre du IVe au XIIe siècle ne se laisse pas, au demeurant, si aisément décrypter dans le détail. Pour suivre ces phases de glissements et de déplacements de l’occupation, de conquêtes de nouveaux espaces, d’abandons et de déclassements de certaines fortifications, d’interactions entre elles, il faut avoir l’opportunité de croiser des sources textuelles et des données archéologiques sur le temps long, afin de faire émerger des lignes de forces, malgré leur évidente incomplétude.

26Ces établissements fortifiés de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge illustrent une architecture monumentale longtemps sous-estimée pour ces périodes, qui met en scène de puissants commanditaires soucieux d’afficher leur pouvoir et de l’inscrire dans le paysage. Ces murailles maçonnées, qui reprennent fréquemment le tracé d’ouvrage protohistorique comme au Camp de Coldre ou au Camp de Sermu, représentent un investissement majeur, jusque-là réservées au cadre urbain, associant une forme de représentation ostentatoire à un rôle défensif ou plutôt sécuritaire. Ces ouvrages monumentaux constituent dans tous les cas des nouveaux marqueurs paysagers qui annoncent la période féodale et dont s’inspireront les premiers châteaux. Ces sites de hauteur continuent en effet pour certains, malgré parfois des interruptions dans l’occupation, à jouer un rôle de premier plan tout au long du Moyen Âge.

27Une dimension religieuse s’affirme également en monumentalité par des édifices en pierre à toiture de tuiles à la romaine, bâtis sur des rebords de falaises ou d’éperons de manière à être vus de la plaine, comme un peu plus au nord dans la reculée de la Furieuse à Château-sur-Salins par exemple. L’abbaye de Château-Chalon sur son grandiose promontoire de falaises évoque ce type d’implantation, bien que le dossier reste peu documenté pour les périodes anciennes. D’autres édifices de cet espace géographique posent question par leur implantation topographique particulière, à l’exemple (parmi d’autres), de l’église bâtie au sommet de la colline de Montmusard de l’Étoile, mentionnée dans une donation dès 1076.

28Ces établissements de hauteur fréquemment fortifiés apparaissent parfois très similaires dans la chronologie de leur système défensif, à l’exemple du Gaillardon de Menétru-le-Vignoble et du Camp de Coldre à Briod, mais très différents dans leurs équipements ou leur étendue. On songe à l’emprise réduite enserrée de 1,5 ha de Gaillardon comparé à la soixantaine d’hectares du Camps de Sermu au-dessus de Baumes-les-Messieurs, où les vestiges se concentrent à l’arrière du mur de barrage, évoquant la conquête (et la protection) de nouveaux espaces sur un relief, dévolu principalement à des activités agropastorales. Certains de ces établissements contrôlent des itinéraires et apparaissent liés à des occupations de plaine, prenant le relais, ou assurant des rôles dévolus à d’anciennes agglomérations antiques, comme Domblans ou Lons-Le-Saunier. La complexité de ces sites perchés, leurs diverses trajectoires dans le temps, l’évolution rapide de leur statut ou de leurs fonctions, nécessitent de la prudence dans les interprétations. Ces dernières étant, comme le montre cette étude de cas, largement tributaires du renouvellement des données de terrain.

Sources

29Jonas de BobbioVie de Saint-Colomban et de ses disciples (traduction par Dom Adalbert de Voguë), éd. de l'abbaye de Bellefontaine, 1988, 281 p.

Bibliographie

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Notes de bas de page

1 Lons, Archives départementales du Jura, G 1234.


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