Iconographie du quotidien dans l’art provincial romain : modèles régionaux
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Une stèle de rétiaire inédite découverte à Augustodunum (Autun, Saône-et-Loire)
Résumé
Cette contribution concerne une stèle d’époque romaine recueillie en position secondaire à l’occasion d’un suivi de travaux en 1999. Très abîmé, ce petit monument funéraire représentant un personnage en buste à l’intérieur d’une niche, comme on en retrouve tant à Autun, n’avait pas attiré l’attention jusqu’à présent. Seule une lecture attentive des reliefs conservés a permis de montrer que le défunt est un gladiateur représenté avec son équipement de rétiaire. Ce type de représentation funéraire, extrêmement rare dans les provinces romaines occidentales, constitue l’un des seuls témoignages archéologiques actuellement disponibles de la pratique de la gladiature à Autun.
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Mots-clés :
Augustodunum (Autun, Saône-et-Loire), Haut-Empire, stèle funéraire, gladiateur, rétiaireTexte intégral
Circonstance de la découverte
1Cette stèle funéraire d’époque romaine a été recueillie en 1999 par P. Chardron-Picault à l’occasion d’un suivi de travaux réalisé par le Service archéologique municipal de la ville d’Autun lors de la démolition d’une construction du xixe siècle s’élevant à l’extérieur du rempart antique, à proximité de la porte de l’est dite de Saint-André, l’une des quatre portes monumentales qui permet de quitter la ville antique en direction de Langres et Besançon (fig. 1). Elle était située en position secondaire, utilisée comme pierre d’angle dans l’une des maçonneries d’époque moderne touchée par le projet d’aménagement (fig. 2 et 3). Une partie a été très certainement bûchée lors de son remploi et les reliefs subsistants, abîmés, sont en partie épaufrés. Ainsi l’état de conservation de ce petit monument funéraire représentant un personnage en buste à l’intérieur d’une niche, comme on en retrouve tant à Autun, s’avère bien médiocre. C’est probablement la raison pour laquelle il n’a jamais véritablement attiré l’attention depuis son intégration aux collections autunoises. Une lecture attentive des reliefs conservés montre pourtant qu’il s’agit d’une pièce unique au sein du corpus lapidaire autunois, voire de Gaule romaine.
Description
2La stèle a été taillée dans une arkose triasique d’origine régionale assez grossière et de couleur beige. À sommet plat, ses faces non décorées sont grossièrement taillées. Deux d’entre elles (sommet, côté droit) montrent la présence de petites cavités quadrangulaires, peut-être d’origine antique. Elle représente le défunt en buste figuré de face dans une niche peu profonde à sommet arrondi. Le fond de la niche montre de nettes traces de pic ou de polka laissées brutes (fig. 4 et 5). Les détails du visage ne sont malheureusement pas conservés. Les quelques indices à notre disposition concernent la coiffure qui paraît composée de grosses boucles visiblement schématisées.
Fig. 1 Localisation du lieu de découverte de la stèle sur le plan de synthèse des vestiges de la ville antique, d’après A. Tisserand (ville d’Autun. Site n°99.5, n°8 rue du faubourg Saint-André, parcelle AE n°353
Fig. 2. Vue générale de la stèle utilisée en remploi dans une maçonnerie moderne. Cliché D. Thévenin (ville d’Autun).
Fig. 3. Vue de détail de la stèle utilisée en remploi dans une maçonnerie moderne. Cliché D. Thévenin (ville d’Autun).
Fig. 4. Relevé de la stèle. DAO A. Tisserand (ville d’Autun), d’après relevé Y. Labaune (ville d’Autun).
Fig. 5. Photographies de la stèle. Clichés et DAO Y. Labaune (ville d’Autun).
Fig. 6. Relief du IIIe s. ap. J.-C. représentant un combat entre un rétiaire (au centre) et un secutor. Musée des thermes de Dioclétien, Rome. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Secutor-Retirarius.JPG
3La partie inférieure du personnage ainsi que la base de la stèle ont été soigneusement bûchées, à l’occasion certainement de son utilisation comme bloc de construction à l’époque moderne. Ainsi, seuls les épaules et l’amorce des avant-bras, ainsi que le haut du pectoral ont été épargnés. La représentation en relief d’un dispositif couvrant et dépassant l’épaule gauche en formant une nette courbure à son sommet se révèle particulièrement intéressante. Cette forme très particulière ne peut que correspondre à celle d’un galerus, une épaulière utilisée en gladiature et destinée à protéger le cou et la tête de celui qui la porte.
Fig. 7. Détail d’une mosaïque du IIIe s. ap. J.-C. représentant un combat entre un rétiaire et un secutor. Musée archéologique de Madrid. https://www.lickr.com/photos/carolemage/15290676369/
Fig. 8. Évocation, par la troupe de restitution ACTA, d’un combat entre un rétiaire équipé d’un trident et d’un ilet (à gauche) et un scissor reconnaissable à son manchon se terminant par une demi-lune tranchante (à droite). Le galerus a été reproduit en prenant pour modèle les rares exemplaires découverts en fouille, notamment à Pompéi. Il se prolonge dans le cas présent le long du bras et de l’avant-bras sous la forme d’un brassard en cuir. Cliché Cathy Méot, ACTA.
Fig. 9. Détail représentant un rétiaire de la mosaïque dite de Borghèse, du ive s. ap. J.-C. https://fr.pinterest.com/pin/169940585917469345/
4Ce type d’armement défensif spécifique, caractéristique de la panoplie du rétiaire, sert traditionnellement à l’identifier sur les différentes représentations iconographiques à notre disposition, notamment les reliefs et les mosaïques (Kazek, 2010) (fig. 6 et 7). Cette protection est généralement prolongée le long du bras et de l’avant-bras par un brassard simplement matelassé ou bien couverte de lamelles en métal mais l’état de conservation de notre stèle ne permet pas de statuer sur la question (fig. 8). Plusieurs incisions parallèles partent depuis l’épaule gauche, traversent obliquement la région pectorale avant de rejoindre la partie inférieure de l’épaulière à l’endroit d’un petit relief piriforme que l’on ne peut pas identifier (système de fixation ?). Il est difficile d’interpréter ces incisions : s’agit-il de lanières destinées à fixer l’épaulière ou bien s’agit-il de la représentation d’un léger drapé comme celui d’une tunique courte que porte parfois le rétiaire lorsqu’il n’est pas torse nu ? Ce type de combattant, habile et véloce, combat sans casque, ce qui est parfaitement compatible avec notre représentation ; il est armé d’un trident, d’un ilet et d’un poignard en dernier recours (fig. 9). Les spécialistes de la gladiature indiquent que cette armatura bien connue apparaît dans le courant du ier s. av. J.-C. et perdure au début de l’Antiquité tardive, comme le suggèrent les registres décoratifs de la mosaïque Borghèse, datée du début du ive s. (fig. 9).
5Le bandeau supérieur qui accueille fréquemment des mentions épigraphiques sur ce genre de stèle ayant été en grande partie fracturé, et la partie inférieure ayant été bûchée, le nom du défunt n’est malheureusement pas conservé. Seule la lettre M faisant référence à la mention des dieux mânes est conservée à l’angle supérieur droit. Ce type de formule funéraire en version abrégée étant généralement postérieur à l’époque flavienne (Raepset-Charlier, 2002), il est possible de fixer un terminus post quem pour cette stèle au tout début du iie siècle. Sous la lettre M, quelques traces incisées pourraient correspondre à une lettre D de plus petite taille.
Fig. 10. Stèle funéraire de rétiaire provenant de Smyrne (Turquie). Marbre, Ashmolean Museum, Université d’Oxford (Grande-Bretagne). Cliché Alain Genot.
Mise en contexte
6Ce monument funéraire représentant un gladiateur, plus particulièrement un rétiaire, s’inscrit au sein d’un corpus autunois particulièrement fourni. Le sous-sol du suburbium de la capitale de cité a en effet fourni à ce jour pas moins de 275 stèles funéraires d’époque antique, la plupart figurées (171 ont été découvertes fortuitement au xixe s. : Beauchamp, 1998 ; 101 l’ont été en 2004 à l’occasion de la fouille d’une nécropole : Venault et alii, 2009 ; trois ont été découvertes en 2006 : Labaune, 2007). Il est frappant de constater que notre exemplaire est à ce jour l’unique exemple découvert à Autun d’un monument élevé à la mémoire d’un protagoniste de l’arène.
7Les premières recherches engagées montrent toute l’indigence du corpus de stèles de gladiateurs en Occident romain. La documentation actuellement à notre disposition semble exclusivement épigraphique, à l’instar de la dizaine de stèles découvertes à Nîmes (Darde, 2005, p. 112-113). À l’heure actuelle, les représentations de ces combattants sur les monuments funéraires paraissent en effet uniquement attestées dans les provinces orientales, notamment en Grèce ou en Turquie (fig. 10). La fouille récente d’une nécropole à Éphèse recelant de nombreuses stèles de gladiateurs en relation avec une population victime de traumas compatibles avec la pratique de la gladiature, suggère quant à elle un regroupement de ces belligérants au sein d’espaces funéraires spécifiques (Teyssier, 2009, p. 375-377). Les mêmes hypothèses ont été soulevées à Nîmes.
Fig. 11. Localisation du lieu de découverte de la stèle confrontée à l’emprise présumée de la nécropole dite des Drémeaux. DAO Y. Labaune (ville d’Autun).
8Comme nous l’avons évoqué en introduction, la stèle d’Autun était remployée dans une maçonnerie récente au moment de sa découverte. Le contexte funéraire dont elle est initialement issue ne peut donc plus être précisé. En conservant la plus grande prudence méthodologique, il demeure toutefois intéressant de constater que la localisation même du bâtiment l’ayant accueilli en remploi est parfaitement située dans l’emprise d’une des six nécropoles du Haut-Empire ceinturant Augustodunum et qu’elle pourrait donc avoir été découverte sur place (fig. 11 et 12). On remarquera que ce secteur funéraire se développe le long de la voie menant à Langres et Besançon, sortant de la ville antique par la porte orientale dite de Saint-André, à quelques encablures de l’amphithéâtre.
En guise de conclusion…
9L’amphithéâtre d’Autun, pourtant l’un des plus grands des Gaules, a été intégralement démonté à l’époque moderne et n’est connu qu’au travers de mentions et gravures anciennes (fig. 13). Tacite nous rapporte quant à lui qu’une école de gladiateurs existait au sein de cette ville dès le règne de Tibère mais les fouilles archéologiques réalisées jusqu’à présent n’ont pas permis de la localiser (Labaune et alii, 2015, p. 76). Bien que modeste et abîmée par les outrages du temps, cette stèle de rétiaire du faubourg Saint-André constitue donc à ce jour l’un des rares témoignages archéologiques disponibles de la pratique de la gladiature à Autun.
Fig. 12. Localisation du lieu de découverte de la stèle sur le fond de plan simplifié des nécropoles antiques d’Autun. Les nécropoles du Haut-Empire : 1. Champ Saint-Roch/Pont-l’Évêque ; 2. Bois Saint-Jean ; 3. La Verrerie ; 4. Champ des Urnes ; 5. Breuil d’Arroux ; 6. Les Drémeaux.
Les nécropoles de l’Antiquité tardive : 7. Saint-Symphorien ; 8. Saint-Pierre-l’Estrier ; 9. Grillotière/Champ Saint-Givre. DAO Y. Labaune (ville d’Autun).
Bibliographie
Bibliographie
Beauchamp C., 1998, Étude sociologique d’Augustodunum à travers les monuments funéraires gallo-romains, Mémoire de maîtrise sous la dir. du professeur Gilles Sauron, Univ. de Bourgogne, 2 vol.
Darde D., 2005, Nîmes antique, Paris, Monum, éd. du Patrimoine, 128 p. (Guide archéologique de la France, 40).
Kazek K.-A., 2010, « Morituri te saluant : vérités et mythologies sur les spectacles de l’amphithéâtre », in : Catttelain P., Vincenzo Di Stazio G., Belleir C., Bozet N. dir., Des jeux du stade aux jeux du cirque, Catalogue d’exposition, Treignes, éd. du Cedarc, p. 193-206 (Guide archéologique du Malgré-Tout).
Labaune Y. dir, Alix S., Balcon-berry S., Barrière V., Borau L., Cauuet B., Hostein A., Kasprzyk M., Louis A., Maurice-Chabard B., Nouvel P., Venault S., 2014, Autun antique, Paris, éd. du Patrimoine, 144 p. (Guide archéologique de la France, 52).
Labaune Y., 2007, « Découvertes lapidaires récentes de nature funéraire en périphérie orientale d’Autun : trois stèles antiques et un sarcophage en grès d’époque mérovingienne », Mémoires de la Soc. éduenne, LVII, 3, p. 143-154.
Raepsaet-charlier M.-Th., 2002, « Hic situs est ou Dis Manibus : du bon usage de la prudence dans la datation », L’Antiquité classique, 71, p. 221-227.
Teyssier É., 2009, La mort en face : le dossier gladiateurs, Arles, Actes sud, 537 p.
Venault S., Deyts S., Le Bohec Y., Labaune Y., 2009, « Les stèles funéraires de la nécropole de Pont-l’Évêque à Autun : contextes de découverte et étude du corpus », Bull. archéologique : Antiquité Archéologie classique, 35, p. 129-204.
Table des illustrations
Légende | Fig. 1 Localisation du lieu de découverte de la stèle sur le plan de synthèse des vestiges de la ville antique, d’après A. Tisserand (ville d’Autun. Site n°99.5, n°8 rue du faubourg Saint-André, parcelle AE n°353 |
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Légende | Fig. 2. Vue générale de la stèle utilisée en remploi dans une maçonnerie moderne. Cliché D. Thévenin (ville d’Autun). |
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Légende | Fig. 4. Relevé de la stèle. DAO A. Tisserand (ville d’Autun), d’après relevé Y. Labaune (ville d’Autun).Fig. 5. Photographies de la stèle. Clichés et DAO Y. Labaune (ville d’Autun). |
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Légende | Fig. 6. Relief du IIIe s. ap. J.-C. représentant un combat entre un rétiaire (au centre) et un secutor. Musée des thermes de Dioclétien, Rome. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Secutor-Retirarius.JPG |
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Légende | Fig. 7. Détail d’une mosaïque du IIIe s. ap. J.-C. représentant un combat entre un rétiaire et un secutor. Musée archéologique de Madrid. https://www.lickr.com/photos/carolemage/15290676369/ |
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Légende | Fig. 8. Évocation, par la troupe de restitution ACTA, d’un combat entre un rétiaire équipé d’un trident et d’un ilet (à gauche) et un scissor reconnaissable à son manchon se terminant par une demi-lune tranchante (à droite). Le galerus a été reproduit en prenant pour modèle les rares exemplaires découverts en fouille, notamment à Pompéi. Il se prolonge dans le cas présent le long du bras et de l’avant-bras sous la forme d’un brassard en cuir. Cliché Cathy Méot, ACTA. |
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Légende | Fig. 13. L’amphithéâtre d’Autun à la in du xviie s., avant son démantèlement. Planche de B. de Montfaucon, Autun, archives de la Société éduenne. |
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