Des hommes et des bêtes : la présence des animaux domestiques sur les stèles funéraires gallo-romaines du territoire lingon
p. 333-339
Résumés
Bien connu grâce aux nombreuses études dont il a fait l’objet, l’art funéraire gallo-romain n’a pas encore livré tous ses secrets. Ainsi, certains symboles utilisés couramment nous sont encore étrangers, ou tout du moins énigmatiques. L’objectif est ici de mettre en évidence l’aspect affectif qui peut être évoqué sur les monuments gallo-romains de l’Est de la France, notamment en ce qui concerne la présence des animaux domestiques sur ces reliefs sculptés.
In spite of all ancient works about it, the funeral art is still keeping some secrets. So, some symbols usually used are not understood by us, or they are still enigmatic. The wish is here to put in light the emotional aspect which can be shown on the funeral monuments from the East of France, including the presence of pets on the reliefs.
Dank zahlreichen Studien ist gallo-romanische Grabkunst gut gewusst aber es hat noch nicht ihre alle Geheimnisse geliefert. So sind für uns gewisse Symbole noch nicht gut eingeschlossen und rätselhaft. Das Ziel besteht darin, den empfindsamen Darstellung den gallo-romanischen Monumenten von östlichen Frankreich, besonders mit gemeiβelt Haustieren, auszustellen.
Entrées d’index
Mots-clés : art funéraire, animal, période romaine, territoire lingon
Keywords : funeral art, roman period, animals, lingon territory
Schlüsselwörter : Grabkunst, Römerzeit, Haustieren, Gebiet der Lingonen
Texte intégral
1En territoire lingon (fig. 1), un grand nombre de stèles funéraires ont été mises au jour entre Andemantunnum / Langres, la capitale, et des villes secondaires comme Dijon, Bourbonne-les-Bains, Châtillon-sur-Seine ou encore Til-Châtel. Ces monuments nous offrent un témoignage des pratiques funéraires ayant cours sous le Haut-Empire. Parmi cet important ensemble typologique, il existe des stèles présentant des animaux domestiques au côté du défunt. Quel pouvait être le symbolisme lié à ces animaux ? En quoi attestent-ils d’une réalité quotidienne ? De nombreuses tombes ont révélé une association de restes humains et animaux au sein d’’une même structure. Ces animaux sont généralement les suivants : chien, chat, cheval, bœuf, porc, caprinés, coq et oiseaux domestiques, et plus rarement des animaux sauvages (Lepetz, 1996). Si on peut supposer une offrande alimentaire dans le dépôt de restes de chevaux, bœufs, caprinés, porc et coq, les autres restes animaux peuvent plutôt être rapprochés du rôle psychopompe de l’animal dans le rite funéraire. Ainsi, l’animal représenté sur la tombe, et peut-être aussi sacrifié lors des funérailles, devait guider et accompagner le défunt dans l’Au-delà. Nous ne parlerons pas ici des figurations de chevaux et bœufs, car bien que ces animaux soient domestiqués, ils sont en général utilisés pour évoquer le métier du défunt, comme le montre la stèle du légionnaire Albanus à Chalonsur-Saône (Espérandieu, III, 2150), et entrent ainsi dans une autre catégorie de monuments.
Le Chien
2En Gaule romaine, les stèles funéraires présentant des chiens concernent souvent des enfants. Il représente alors le compagnon de jeu, l’ami fidèle et le protecteur. Lorsqu’on le trouve associé à un adulte, il peut être un protecteur du défunt et de sa tombe, un animal de compagnie - dans le cas des petits chiens (comme le canis melitae, espèce proche de l’actuel bichon maltais) - ou même un symbole de la chasse, s’il est associé à une tombe masculine. La fidélité du chien est d’ailleurs souvent exprimée par sa figuration tête levée vers son maître, les oreilles en arrière, comme en attente d’un ordre à exécuter (fig. 2). Colliers et laisses sont aussi parfois représentés, comme sur la stèle de Lollius Geminus à Langres (fig. 3). Le chien est d’ailleurs l’animal le plus figuré sur les stèles funéraires de Gaule romaine. Citons pour exemples celles de Luxeuil-les-Bains, Langres, Dijon, Sens, Bourges, Auxerre, Entrains-sur-Nohain, Châtillon-sur-Seine et Narbonne.

Fig. 18. La Gaule au début du Ier s. ap. J.-C., d’après Fichtl, 2004 (DAO : A. Dumontet, ARTEHIS).
3Les chiens étaient omniprésents dans l’Empire. Les limiers et les lévriers allaient à la chasse. Le molosse, chien de combat par excellence, accompagnait les gladiateurs dans les arènes. Et à la guerre, le chien était toujours auprès de l’homme, comme l’écrit l’historien grec Polyen au IIe siècle, dans son ouvrage Stratagèmes. Ils étaient aussi les gardiens des monuments publics et des villes. Les chiens de compagnie (catula) étaient également très appréciés par les patriciennes, et ce tout au long de la République et l’Empire. Cette passion pour les petits chiens agaçait Jules César, qui l’avait peut-être favorisée à la suite de ses séjours auprès de Cléopâtre en Bithynie et en Égypte, car il semble que le goût pour ces animaux vienne des bords du Nil. De nombreux petits chiens plus ou moins nains furent alors importés à Rome, petits bichons et futurs petits lévriers italiens, que les riches Romaines n’hésitaient pas à parer de bijoux et pour lesquels elles faisaient construire des tombeaux. Dans ce cas, il est le marqueur d’un certain statut social, puisque seules les classes les plus riches de la population pouvaient se permettre d’entretenir un chien qui n’avait pas d’utilité précise. Ce sont d’ailleurs les femmes et les enfants qui apprécient le plus leur compagnie (fig. 4). Le chien n’a alors d’autre rôle que celui d’être un affectueux et obéissant petit compagnon, que l’on cajole et avec lequel on passe du temps. Par ailleurs, les Romains nous ont laissé des anecdotes édifiantes témoignant de la fidélité de leurs compagnons. On raconte ainsi que les soldats qui assassinèrent l’empereur Galba furent contraints de tuer son chien, qui protégeait férocement son maître.

Fig. 2. Langres, Musée Guy Baillet, no d’inventaire : 861.20 ; ESPÉRANDIEU, 3258.

Fig. 3. Langres, Musée Guy Baillet, no d’inventaire : 845.9 ; ESPÉRANDIEU, 3249.
Le chat
4Les représentations de chats sont somme toute assez rares sur les stèles funéraires lingonnes, notamment si on les compare à celles des chiens dans le même territoire. Ainsi, bien que l’existence du chat domestique soit attestée en Gaule romaine, on trouve très peu de figurations de cet animal dans l’art funéraire. Or, quatre de ces monuments ont été découverts dans l’Est de la Gaule : Lyon, Entrains-sur-Nohain, Montceau-les-Mines et Dijon (fig. 5) (Armand- Calliat, 1953 ; Deyts, 1976). Bourgogne et Lyonnais fournissent ainsi la quasi-totalité des documents.

Fig. 4. Dijon, Musée archéologique, no d’inventaire : 4030.
5Peut-on y voir le fait que le chat domestique ait été introduit en Gaule romaine par la vallée du Rhône et de la Saône, sans passer forcément par la péninsule italique ? Cela s’expliquerait par le fait que cet animal est très peu fréquent en Italie. Le latin classique ne connaît d’ailleurs que le nom du chat sauvage, feles. Le mot cattus, d’origine probablement celte, n’apparaît qu’à la fin du IVe siècle sous la plume de Palladius (De Re Rustica, IV, 9). L’importation du chat domestique devait certainement se faire directement depuis l’Égypte, qui était alors un grand centre de domestication du chat. Le culte d’Isis, organisé dans de nombreuses villes entre Marseille et Lyon, atteste d’ailleurs les relations fréquentes entre la vallée du Rhône et l’Égypte. À Bordeaux est conservée une stèle présentant un enfant accompagné d’un coq picorant la queue d’un chat (Espérandieu, II, 1193). C’est le seul monument funéraire avec un chat à l’extérieur de notre zone d’étude, ce qui peut s’expliquer par la présence à Bordeaux d’un grand port méridional de l’Ouest. L’introduction du chat domestique en Europe répondait à un nouveau besoin, celui de chasser les souris, et surtout les rats noirs, dont la migration depuis l’Asie, dès le Ier siècle, a très fortement touché la Gaule. Auparavant, les petits mustélidés tels les fouines et les belettes étaient chargés de cette tâche, devenue beaucoup plus difficile avec l’arrivée des rats en Europe (Lepetz et alii, 1993).

Fig. 5. ESPÉRANDIEU, 3500.
Le lapin (ou lievre ?)
6D’autres animaux sont également présents sur les stèles funéraires lingonnes. Ainsi, une stèle de Dijon montre un homme tenant un lapin (ou un lièvre) sur son bras gauche (fig. 6). Seules trois autres stèles figurant cet animal ont été mises au jour en Gaule, une à Bordeaux (CIL, XII, 689 ; Espérandieu, II, 1179 ; Braemer, 1959, no 64), les deux autres à Sens (Espérandieu, IV, 2835, et 2769). Faut-il y voir un animal domestique, l’évocation d’un métier ou celle d’une offrande alimentaire ? Précisons que sur la stèle de Dijon, une corbeille de fruits est également présente aux pieds du défunt.

Fig. 6. Dijon, Musée archéologique, no d’inventaire : D’Arb. 751 ; Espérandieu, 2406.

Fig. 7. Langres, Musée Guy Baillet, no d’inventaire : R2006.1
Les oiseaux
7Autre espèce figurée auprès des défunts : les volatiles. Une stèle de la capitale lingonne met en scène un adulte portant dans ses bras un petit enfant, lui-même tenant un oiseau dans sa main (fig. 7). Ce thème est à rapprocher des stèles de tradition grecque, sur lesquelles l’enfant est présenté debout, de face, une colombe dans les mains.
8Sur les stèles attiques d’époques hellénistique et romaine, la colombe est remplacée par un animal familier. On connaît par exemple des figurations de lapin sur des stèles classiques, comme celle de Telesias (conze, 1900, no 1036). La représentation a alors perdu son caractère classique pour devenir un sujet de genre. Ce caractère existe, dès le IVe siècle av. J.-C., sur des stèles de fillettes (ibid., nos 811 et 815). Mais le calcaire local ne permet pas la souplesse de plis que le marbre rend si légers, et la lourdeur des tuniques éloigne ces stèles des œuvres grecques. Nous savons que les Romains adoraient les oiseaux et en possédaient de toutes sortes. On rencontrait ainsi des oiseaux de basse-cour chez les gens modestes comme chez les plus aisés : coqs, poules, pigeons et faisans, qui étaient élevés avant d’être consommés. Mais les classes les plus favorisées appréciaient également les oiseaux destinés à agrémenter les jardins, comme les paons, les canards, les cygnes, les oies et grues. Parmi les oiseaux de compagnie, les plus courants sont les passereaux présents dans la faune locale, que l’on essaie d’apprivoiser. Certains étaient conservés dans de luxueuses volières (parfois en or), comme les chardonnerets ou les rossignols dont on admirait le chant, tandis que d’autres vivaient en liberté dans la domus, à l’instar des coqs, des perdrix ou des cailles.
9Nous avons déjà évoqué le coq et son association avec le chat sur une stèle de Bordeaux. Une stèle semblable, découverte à Entrains-sur-Nohain, figure cette fois un chien et un coq accompagnant un jeune garçon (stèle d’Apinosus ; fig. 8). De même, nous savons que le corbeau était une espèce très populaire, grâce à l’empereur Auguste qui en a lancé la mode, comme en atteste une anecdote racontée par Macrobe : « Une autre fois, salué de la même façon par un perroquet, il le fit acheter. Il fit aussi acheter une pie dressée de la même manière. Ces exemples engagèrent un pauvre cordonnier à instruire un corbeau à répéter une pareille salutation. Le cordonnier, fatigué des soins qu’il se donnait, disait souvent à l’oiseau, qui restait muet : « J’ai perdu mon argent et ma peine ». Cependant le corbeau vint enfin à bout de répéter la salutation : on le plaça sur le passage d’Auguste, qui, l’ayant entendu, dit : « J’ai chez moi assez d’oiseaux qui saluent de la sorte ». Le corbeau eut assez de mémoire pour ajouter aussitôt cette phrase, qu’il avait entendu dire par son maître lorsqu’il se plaignait : « J’ai perdu mon argent et ma peine ». À ces mots, Auguste sourit, et fit acheter l’oiseau plus chèrement qu’il n’avait payé aucun autre. » (Macrobe, Les Saturnales, II).
10Et lorsqu’un oiseau domestique venait à mourir, certains propriétaires allaient jusqu’à demander à ce que les cendres du défunt volatile soient placées dans la tombe familiale. Ainsi, de nombreuses stèles représentent des oiseaux nourrissant leur progéniture, thème très fréquent dans l’art romain.

Fig. 8. Musée d’archéologie nationale, no d’inventaire : 52.733 ; CIL, XIII, 2111 ; Espérandieu, 2309.
Bibliographie
Bibliographie
Sources antiques
Macrobe, Les Saturnales, II.
Palladius, De Re Rustica, IV, 9.
Bibliographie
Armand-Calliat A., 1953, « Une stèle de Montceau-les-Mines montrant un chat domestique », Gallia, t. XI, fasc. 1, Paris, CNRS éd., p. 85-89.
Braemer F., 1959, Les stèles funéraires à personnages de Bordeaux (ier-iiie siècles) : contribution à l’histoire de l’Art provincial sous l’Empire romain, Paris, éd. A. et J. Picard et Cie, 158 p., 26 pl.
Conze A., 1900, Die attischen Grabreliefs, II, 2, Berlin, Spemann, planches CLXXIX à CCLVIII.
Corpus Inscriptionum Latinarum, 1888, Vol. XII: Inscriptiones Galliae Narbonensis Latinae, Berlin, éd. O. Hirschfeld, 976 p.
Deyts S., 1976, Sculptures gallo-romaines mythologiques et religieuses : Dijon, Musée archéologique, Paris, éd. Des Musées nationaux, 200 p., 160 fig. (Inventaire des coll. publiques françaises, 20).
Espérandieu É., 1908, Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine, T. II : Aquitaine, Paris, Impr. nationale, 496 p.
Espérandieu É., 1910, Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine, T. III : Lyonnaise, première partie, Paris, Impr. nationale, 476 p.
Espérandieu É., 1911, Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine, T. IV : Lyonnaise, deuxième partie, Paris, Impr. nationale, 467 p.
Lepetz S., 1996, « Les animaux dans les pratiques funéraires », Revue archéologique de Picardie, Numéro spécial 12, p. 148-153.
Lepetz S., Audoin-Rouzeau F., Vigne J.-D., 1993, « Nouvelles observations du rat noir (Rattus rattus) dans la moitié nord de la France à la période gallo-romaine », Revue archéologique de Picardie, NO 3, p. 148-153.
Auteur
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Anne-Laure Edme
Doctorante en archéologie classique, UMR 6298 ARTEHIS.
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