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Quis sum ? Provincialis ?

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Sabine Lefebvre

Provinciaux en Dacie, provinciaux de Dacie : enquête sur quelques expressions identitaires

Dan Dana

Résumé

La Dacie romaine (106-ca. 260 ap. J.-C.), province intensément colonisée et militarisée, avec une visibilité réduite des populations indigènes, constitue un cas particulier de création d’une identité provinciale. Si les manifestations identitaires dans la province de Dacie sont difficilement décelables, elles sont, en revanche, plus visibles à l’extérieur de la province. La richesse de la documentation épigraphique et iconographique laissée par des personnes originaires de Dacie, essentiellement des militaires et des membres de leurs familles, permet de s’interroger sur les diverses expressions de leur identité provinciale (du type natione Dacus, par exemple) dans l’Empire romain.

Texte intégral

  • 1 Pour le cas du Norique, voir Hainzmann, 2011. Pour l’ensemble de l’Empire, voir l’étude remarquabl (...)
  • 2 Cf. l’introduction, avec des nombreuses mises en garde, de Le Roux, 2011 ; Modéran, 2011 (sur la p (...)
  • 3 Modéran, 2011, p. 12. Pour des détails, voir Boia, 2001, p. 83-111 ; Boia, 2003, p. 44-53 ; Pillon (...)

1S’interroger sur l’identité provinciale de la Dacie apparaît comme une entreprise à la fois difficile et sensible, davantage que pour d’autres provinces de l’Empire1. Il convient d’abord d’examiner la spécificité de la Dacie romaine, et quelques directions historiographiques, avant de regarder de plus près quelques exemples de manifestations identitaires2 dans cette province. Enfin, la dernière partie de l’étude portera sur les possibles expressions identitaires des provinciaux de Dacie ailleurs que dans leur province d’origine, d’après la documentation disponible, en limitant cette enquête à un nombre volontairement réduit de dossiers. Je préciserai d’entrée de jeu que les manifestations identitaires, qui nous préoccupent ici, sont moins visibles dans la documentation ancienne que j’ai pu explorer ; en revanche, elles sont très présentes dans l’historiographie du sujet, principalement roumaine. Comme l’a récemment posé le regretté Yves Modéran, cette quête des origines nationales, tel le fait de remonter jusqu’à l’époque romaine l’origine d’un sentiment national, a connu, « en Europe, les formes les plus développées dans l’historiographie roumaine lorsqu’elle envisageait le destin de l’antique province de Dacie »3.

  • 4 Bibliographie récente : Piso, 2005 ; Piso, 1993-2013 ; Gudea, Lobüscher, 2006 ; Ardevan, Zerbini, (...)
  • 5 Voir plus récemment Petolescu, Galinier, Matei-Popescu, 2015. Pour la mise en scène et les échos d (...)
  • 6 Il était question de la Mésopotamie et de l’Arménie, conquises par Trajan, mais abandonnées par la (...)
  • 7 Eutr., Brev., 8.6.2.
  • 8 Pour les controverses, voir Ardevan, 2010.
  • 9 Le dogme de l’historiographie roumaine, ou plutôt son complexe, est de soutenir une retraite organ (...)

2La province de Dacie4 est née de la volonté de Trajan après deux guerres sanglantes contre le royaume de Décébale (101-102, 105-106)5. Comme le raconta Eutrope beaucoup plus tard, Hadrien « voulait faire la même chose pour la Dacie6, mais ses amis l’en dissuadèrent pour que ne fussent pas livrés aux Barbares de nombreux citoyens romains ; Trajan y avait en effet, après sa victoire sur la Dacie, transféré de tout le monde romain (ex toto orbe Romano) une quantité considérable d’hommes pour y occuper les terres et les villes (infinitas eo copias hominum transtulerat ad agros et urbes colendas) ; la Dacie avait en effet été dépeuplée par la longue guerre contre Décébale »7. C’est toujours au début du règne d’Hadrien que la province de Dacie fut partagée en trois provinces distinctes : Supérieure (Transylvanie centrale et territoires adjacents, sous un gouverneur de rang prétorien), Inférieure (sur la rive droite du fleuve Alutus/Olt) et Porolissensis (au nord de la Transylvanie), ces deux dernières provinces étant dirigées par des procurateurs de rang équestre. Après 169, on revient à un seul gouverneur des Daciae tres, de rang consulaire, en parallèle avec trois procurateurs de rang équestre ayant des compétences financières (Dacie Apulensis, Malvensis et Porolissensis)8. Ce redécoupage administratif, déterminé par des raisons géostratégiques, rend encore plus complexe l’ancienne entité, qui restera toutefois aux yeux des sujets de l’Empire « la Dacie » (voir infra). La Dacie est l’une des provinces qui ont connu un contrôle et une administration romains pour une durée très limitée : créée en 106, elle fut abandonnée après seulement un siècle et demi, vers 260 ap. J.-C., quand la frontière géographique du Danube redeviendra la frontière militaire de l’Empire9.

  • 10 Voir Dana, 2013b, p. 225-226.

3Au moins trois traits spécifiques jouent un rôle majeur dans la genèse d’éventuelles manifestations identitaires en Dacie romaine. Province frontalière et fortement militarisée, la Dacie est défendue d’abord par une seule légion (XIII Gemina, à Apulum), à laquelle s’ajoute, à l’époque des guerres marcomanniques, une deuxième (V Macedonica, à Potaissa), sans compter les effectifs impressionnants des unités auxiliaires parsemées le long des frontières. Des soldats de toutes les régions de l’Empire arrivent en Dacie et un bon nombre s’y établit de manière définitive, tels les auxiliaires vétérans devenus citoyens. D’après les épitaphes et les diplômes militaires, nombreux sont, en effet, les militaires qui ont des familles, leurs femmes étant le plus souvent de même origine (pannonienne, thrace, batave, etc.)10 ; ce sont les sites militaires qui constituent tout autant de points de brassage de populations issues de provinces différentes.

  • 11 Voir en dernier lieu la monographie de Varga, 2014.
  • 12 Voir, à titre d’exemple, Piso, 2004.
  • 13 Par exemple, les diplômes du 17 février 110 (AE, 2011, 1790), 12 novembre 119 (RMD, V, 351), 10 ao (...)
  • 14 Opreanu, 2004 ; la synthèse de Mihăilescu-Bîrliba, 2011.

4En deuxième lieu, ce qui surprend en Dacie, ce sont les nombreuses populations provinciales arrivées en groupe ou de manière individuelle : citoyens romains ou pérégrins, dont des pérégrins en train de devenir des citoyens romains, comme les soldats auxiliaires et leur descendance11. Très visibles sont les communautés originaires d’une vaste région illyro-dalmate, phénomène qui concerne davantage la région minière constituée autour d’Alburnus Maior (auj. Roşia Montană)12. D’autres populations, colonisées en Transylvanie centrale, sont des Norico-Pannoniens. En parallèle, de très nombreux militaires originaires de ces provinces voisines sont en service en Dacie, souvent accompagnés de femmes de même origine13 ; ils contribuent au brassage de populations, notamment dans la première moitié du IIe siècle. Des groupes significatifs d’hellénophones d’Asie Mineure s’y établissent également ; ils sont principalement composés d’artisans et de divers autres spécialistes ainsi que de négociants14 ‒ sans que les militaires soient absents, comme nous renseignent les inscriptions et les diplômes militaires. La plupart de ces communautés sont notamment originaires des confins des provinces Pont-Bithynie, Asie et Galatie.

  • 15 Mais il convient de réévaluer le poids des hellénophones en Dacie (cf. Dana 2015).
  • 16 Sur la présence militaire dans ces provinces, voir Ţentea 2012.
  • 17 Voir brièvement Schäfer, 2009 ; et l’étude de synthèse de Piso, 2018.
  • 18 Trois monographies récentes : Popescu, 2018 ; Szabó, 2018 ; Nemeti, 2019a.

5Si l’épigraphie latine est nettement majoritaire ‒ à la différence d’autres provinces, telle la Mésie Inférieure, ou le bilinguisme gréco-latin est manifeste ‒, on constate néanmoins la très grande variabilité régionale, l’importance du milieu militaire, la présence, bien que très minoritaire, de dédicaces ou d’autres inscriptions en grec15, l’usage d’inscriptions bilingues par les Palmyréniens16 et, enfin, la visibilité épigraphique des divinités illyriennes, micrasiatiques17, palmyréniennes, celtiques, germaniques, parfois même avec la mention des Dii Patrii (par exemple, des Maures)18.

  • 19 Voir Mihăilescu-Bîrliba, 2012.

6Des formes de solidarité religieuse, ethnique ou provinciale (à savoir, par rapport à la province d’origine) se mettent aussitôt en place : notons ainsi un collegium Galatarum à Germisara (CIL, III, 1394 = IDR, III.3, 234) ; des Galatae consistentes municipio à Napoca (CIL, III, 860), desquels émane une dédicace à IOM Tauianus, qui fait donc référence à leur capitale provinciale, Tauium ; un collegium Ponto-Bithynorum à Apulum (IDR, III.5, 153), regroupant les personnes originaires d’une même province, Pontus et Bithynia19.

7En ce qui concerne les manifestations individuelles, il suffit de donner quatre exemples d’indication de l’origo dans l’épigraphie funéraire, tous des pérégrins :

  • Cotu Successi f(ilia), ciues Norica (Mediaş, CIL, III, 966 = IDR, III.4, 91), femme de Cl. Latinus ;

  • Asclepius et Asclep(iades), ciues Bithinum (sic), et une femme qui porte un nom très affectionné en Bithynie, Affia (Ampelum, CIL, III, 1324 = IDR, III.3, 342) ;

  • Al[e]xandrian(us), ciu[i]s Bithynus (Ampelum, IDR, III.3, 341).

  • Procula Bataua, enterrée à 26 ans à Tibiscum, dans une région militaire (IDR, III.1, 168).

  • 20 SEG, XXV, 823 = IDR, III.2, 400 = CIGD, 108.
  • 21 FGrHist, 707 et 200 ; en revanche, l’empereur Trajan publia des Dacica (HRR, II, 117). Ces ouvrage (...)
  • 22 Édition magistrale de Piso, 2015 (AE, 2015, 1186). Le toponyme ancien est parlant : « Sources chau (...)

8Dans la première ville fondée en Dacie, à Colonia Vlpia Traiana Augusta Dacica Sarmizegetusa, une épitaphe en grec évoque « la terre gétique », Γετικὴ χθ[ών]20, qui enveloppe le défunt. C’est un choix poétique recherché pour désigner la province : « gète » est en effet le nom littéraire et classique, voire archaïsant, des Daces dans la littérature grecque, reflété dans le titre même des monographies du rhéteur Dion Chrysostome de Pruse ou encore de Criton, le médecin personnel de Trajan lors des guerres daciques (Γετικά)21. Cet usage est récemment confirmé par l’étonnant hymne bilingue de Germisara22, dédié vers 183-185 en latin et en grec aux Nymphes des Getici fontes (sources daces).

  • 23 Cf. le recueil de Bărbulescu, 2003.
  • 24 Piso, 2008, p. 335 ; Oltean, 2009, p. 92-95 (« Expressing ethnic identity in a provincial context  (...)

9Plus que d’autres provinces, la Dacie apparaît, du moins d’après les données épigraphiques, auxquelles s’ajoutent les usages funéraires23, comme un Empire à l’échelle réduite. Comme affirme récemment Ioan Piso, « si l’on peut parler d’une “Provinzkultur”, le trait distinctif de Dacie est le cosmopolitisme [qui] lui a été imprimé par les conditions de la conquête »24. Or, la documentation épigraphique dont nous disposons est à la fois fragmentaire et très fragmentée : s’agissait-il d’une simple juxtaposition de communautés civiles et militaires, parsemées au long des frontières ou à l’intérieur, ou plutôt, même si nous avons des moyens très insuffisants pour pouvoir le constater, d’acculturations variables à l’échelle de la province, entre des populations qui véhiculaient plusieurs idiomes mais qui étaient soudées, entre autres, par le partage du latin et par des intérêts occasionnels communs ? Dans ces conditions, l’essor d’une éventuelle identité provinciale est encore plus difficile à surprendre, d’autant plus qu’il faut impérativement introduire dans l’équation une dimension largement méconnue : la part, et l’apport, des indigènes.

  • 25 Sur le statut et la visibilité des indigènes en Dacie romaine, cf. Babeş, 2000 ; Dana, 2004, p. 43 (...)
  • 26 Ce terme en dit long sur les présupposés : les autres seraient des étrangers, des allogènes… De ma (...)
  • 27 À titre d’exemple : Protase, 1976 ; Protase, 1977.
  • 28 Cette nouvelle vision est omniprésente dans les publications plus récentes (voir quelques titres d (...)
  • 29 Cf. les présentations lucides de Nemeti, 2013 et Nemeti, 2019b. La situation est néanmoins différe (...)
  • 30 Cf. déjà Dana, Matei-Popescu, 2009 p. 244 : cette situation « s’explique aussi bien par la faible (...)
  • 31 Voir Dana, 2004 ; Dana, Zăgreanu, 2013 ; en dernier lieu, cf. Dana, 2019 (les Daces dans la provin (...)

10En effet, la troisième spécificité de la Dacie, qui influe sur l’éventuelle identité provinciale, est le problème très débattu de la présence et du statut des indigènes vaincus25. L’historiographie roumaine, souvent en réaction aux historiographies « nationales » rivales (comme les historiens hongrois), a oscillé entre deux positions radicales et, paradoxalement, parfaitement opposées : elle a privilégié tantôt l’insistance sur la continuité des « autochtones »26, dans un souci nationaliste27 ; tantôt, plus récemment, une vision puriste et colonialiste, qui exagère la composante latine (en réalité, plutôt latinophone), en réduisant les indigènes à des sujets invisibles, « inférieurs », qui subissent la romanisation et qui n’ont aucun rôle à jouer dans les nouvelles réalités provinciales sinon celui d’accepter naturellement la « supériorité » romaine28. On déplore ou on invoque, selon les cas, l’absence des manifestations cultuelles indigènes dans la province nord-danubienne29, alors qu’il s’agit avant tout d’une connaissance très inégale du point de vue archéologique de son territoire30. Il se trouve cependant que les archéologues roumains ont prioritairement exploré, et encore partiellement, les centres des villes (alors que les quartiers, les nécropoles et les rapports avec le territoire rural restent très peu connus), les camps militaires (mais très peu les baraquements, les uici militaires et les nécropoles) et la région minière (colonisée par des Illyriens). Si de larges régions en Transylvanie centrale et en Olténie restent pratiquement inconnues, aucune ciuitas pérégrine n’a été identifiée sur le terrain, alors que l’existence même de ce type de communautés est niée dès le départ pour la province par la quasi-totalité des historiens roumains. Or, une autre clé d’accès est offerte par l’onomastique, un domaine que j’aime fréquenter. À présent, au moins une dizaine de porteurs de noms daces sont attestés dans la province31, ce qui est certes dérisoire par rapport à d’autres provinces, occidentales comme orientales, où les noms de facture indigène foisonnent. Plus étonnant encore, les attestations des Daces dans l’Empire, d’après l’onomastique de facture indigène ‒ davantage dans le milieu militaire que dans celui servile ‒ sont au moins dix fois plus nombreuses, situation qui reste exceptionnelle ! Ces maigres indices invitent à fortement nuancer l’opinion commune sur une absence des Daces dans les manifestations épigraphiques en Dacie romaine. Cette visibilité épigraphique concerne, ici comme ailleurs, premièrement le milieu militaire et les familles des recrues, preuve d’une intégration des indigènes dont les contours restent à définir. Et pourtant, rien, du moins jusqu’à présent, n’est connu sur les élites indigènes dans la province.

11Dans l’épigraphie externe, les indications d’origine des ressortissants de Dacie peuvent être précises ou générales :

  • dans les documents officiels ou concernant la carrière militaire, on indique naturellement la province précise ;
  • dans les inscriptions privées, comme les épitaphes, mais aussi sur des documents officiels, on préfère le plus souvent une indication générique32 : seule la Dacie est d’habitude mentionnée, parfois avec la ville d’origine, mais sans indiquer l’une des trois provinces33.
  • 34 Voir Piso, 2008, p. 316-317 et 322.
  • 35 HA, Comm.,13.5 ; cf. Balla, 1976 (= Balla, 2000, p. 91-102).
  • 36 Un décurion de la colonie (d’Apulum ?) à Ampelum, P. Aelius Prouincialis (CIL, III, 1321 = IDR, II (...)
  • 37 Deux membres de la même famille, Iu[l]ia Prouinc(ia?) et [P]roui[nc---] à Dierna (IDR, III.1, 40)  (...)
  • 38 DKR, 151. Citons aussi le légionnaire L. Nouius Prouincialis, héritier d’un autre membre de la leg (...)

12Comme ailleurs dans l’Empire, il existe le concile de la province (concilium III Daciarum), dirigé par un sacerdos arae Augusti, avec l’autel provincial à Colonia Sarmizegetusa. Nombre de dédicaces honorent naturellement des abstractions divinisées : Dacia, Daciae tres, Terra Dac(iae), Genius Daciarum, Fortuna Daciarum34. Sous Commode, un écho littéraire fait état de troubles des provinciaux qui auraient éclaté en Dacie (recusantibus prouincialibus), troubles aussitôt réprimés par le gouverneur35. Mais tout cela apporte très peu, sinon rien, sur les contours de l’identité provinciale. Du moins, on a l’indice, par l’onomastique, d’une identité provinciale assumée : on connaît en Dacie trois porteurs de l’idionyme ou du cognomen Prouincialis36, et peut-être deux fois Prouincia pour les femmes37. S’ajoute l’héritier d’un cavalier de la garde impériale dit natione Dacus, originaire du territoire de la colonie de Sarmizegetusa, [--- Proui]ncialis38.

  • 39 Pour les occurrences, voir mon répertoire, Dana, 2014a, p. 102-104. Les deux exceptions ne concern (...)
  • 40 « Si tout est identitaire et marqueur d’identité, l’intérêt de la recherche perd de son sens » (Le(...)
  • 41 À Drobeta (Iul. Daciscus, IDR, II, 50) ; et à Tomis, en Mésie Inférieure (Pia et Daciscus, CIL, II (...)

13Mais qu’en est-il du nom tiré de l’ethnique, tels Dacus, Daca, Dacia ? Beaucoup de noms de ce type apparaissent dans un contexte servile sans qu’on puisse leur attribuer pour autant une connotation identitaire de la part de leurs porteurs ; il correspond à une indication habituelle dans l’onomastique servile39. Ici comme ailleurs, il faut échapper au danger ou à la vogue du « tout identitaire »40. On connaît aussi le dérivé hypocoristique Daciscus/Dacisca ; plus fréquent au IIIe siècle, il s’attache souvent aux troupes originaires de Dacie41.

  • 42 Cf. en général Pîslaru, 2012.
  • 43 CIL, VIII, 838 = RIB, I, 1914 = IDRE, I, 203 (dessin dans RIB, I, p. 591).
  • 44 RIB, I ,1909 = IDRE, I, 201 (dessin dans RIB, I, p. 589).
  • 45 Russu, 1980, p. 31-33 (fig. 5-6), qui insiste sur la continuité de l’armement et parle d’une consc (...)
  • 46 Cf. Wilmott, 2001, p.  110-111.

14Si l’on se tourne vers les représentations figurées de la province42, on est frappé par la persistance d’un motif iconographique, celui de la falx dacique, le sabre recourbé. Les exemples le mieux connus concernent deux reliefs de Birdoswald (Banna) en Bretagne, sur le Mur d’Hadrien, accompagnant des dédicaces des tribuns de la coh. I Aelia Dacorum. Sur le premier relief (fig. 1), autour de 219 ap. J.-C.43, le champ épigraphique est disposé entre une branche de palmier, à gauche, et une falx, à droite ; une autre dalle, avec le même motif, fut inscrite vers 205-20744. Certains commentateurs roumains préfèrent y voir l’indice d’une présence effective de soldats daces, encore au IIIe siècle, parlant même d’une « conscience territoriale-ethnique », sans redouter l’anachronisme. Ainsi, selon C. C. Petolescu, « la présence du sabre dace ‒ probablement comme élément décoratif, dans la sculpture (…) indiquerait que le système de renouvellement des effectifs de cette unité avec des recrues daces se poursuivait, un siècle après sa création »45. Or, aucun indice ne suggère une continuité du recrutement dace dans cette unité « ethnique » au IIIe siècle ; il s’agit plutôt d’un emblème de la cohorte, une sorte de « regimental badge » selon J. C. Coulston46, qui sert à lui donner une identité visuelle.

Fig. 1. Relief de Birdoswald (Banna).

  • 47 Les premières figurations de la Dacie, qui plus est datant d’avant la conquête romaine, sont peu c (...)

15Voyons à présent ce qu’il en est de la figuration de la province de Dacie – essentiellement des reliefs et des monnaies47. Parmi les choix iconographiques, nécessaires entre autres afin de l’individualiser, le plus commode était de souligner une quelconque particularité exotique d’armement, de vêtement et de coiffure. Cela est également manifeste dans le cas de la Dacie. Sur les émissions monétaires, on constate à plusieurs reprises une association entre sa personnification ‒ DACIA CAPTA, ou la nouvelle province, DACIA AVGVSTI PROVINCIA ‒ et la falx, avec une évolution certaine :

  • sous Trajan, la Dacie, vaincue, est assise sur un bouclier et des armes entassées, illustrant ainsi le motif des peuples soumis (fig. 2a) ;
  • sous Hadrien, elle tient une falx dans la main gauche (fig. 2b), alors que sous Antonin le Pieux elle tient un draco, l’étendard à tête de loup ;
  • sous Philippe l’Arabe, qui avait concédé à la province (ou plutôt aux ateliers sur le Danube) le droit de battre monnaie de bronze, commence une série d’émissions avec la légende PROVINCIA DACIA (de 246 à 257). La Dacie, en tunique talaire et couverte d’un bonnet phrygien, avec la falx le plus souvent tenue de la main droite, brandit des étendards avec les lettres D(acia) F(elix) (fig. 2c) ; parfois, elle tient des uexilla inscrits avec les numéros des deux légions de la province, V (Macedonica) et XIII (Gemina), ainsi que leurs attributs, le lion et l’aigle (fig. 2d)48. Destinées au paiement de l’armée provinciale, ces monnaies sont retrouvées surtout dans la province nord-danubienne49 ;
  • enfin, sous Trajan Dèce, avec le draco (fig. 2e)50.

Fig. 2. Monnaies avec la personnification de la Dacie.

  • 51 D’après l’éditeur (Veyne, 1958-1959), il s’agit d’un bonnet « danubien », l’équivalent balkanique (...)

16Un relief fragmentaire, connu sous le nom de « Dacie Lavigerie », mérite qu’on s’y intéresse de plus près (fig. 3) : coiffée d’un bonnet hémisphérique à fanons, une femme tient, au sommet d’une hampe, une image de lion (attribut de la légion XIII Gemina, stationnée à Apulum) ; on distingue aussi un carnyx à la gueule ouverte. Cette sculpture d’époque antonine, de provenance carthaginoise, a peut-être décoré le tombeau d’un Carthaginois, ancien gouverneur de Dacie ou ancien légat de la légion51.

Fig. 3. La Dacie Lavigerie.

17Cependant, aucune figuration de la province en Dacie même n’est connue à ce jour – le cas des monnaies étant particulier. Nous ignorons donc ce que les provinciaux de Dacie auraient pu choisir, souligner ou, à l’inverse, effacer.

  • 52 HA, Trig. Tyr., 10.8 ; PIR², R, 36 ; Dana, 2011, p. 79-82.
  • 53 Ce nom historique était par conséquent porteur de sens aussi bien pour la population indigène (de (...)

18Outre la falx ou le draco, motifs iconographiques qui accompagnent ou signalent la personnification de la Dacie, le passé pré-romain pourrait parfois être invoqué. Selon une tradition discutable, il courait une rumeur selon laquelle l’usurpateur P. Cassius Regalianus (ou Regilianus dans l’Histoire Auguste), originaire de l’aire balkano-pannonienne et proclamé empereur vers 26052, aurait été descendant de la lignée de Décébale, gentis Daci<a>e, Decibali ipsius, ut fertur, adfinis. À cette époque, ce nom n’était plus celui d’un ennemi perfide mais celui d’un grand roi du passé, susceptible d’être approprié par les personnes originaires des contrées danubiennes en quête d’une origine noble. Ce « nom historique » par excellence et la figure de l’ancien roi étaient devenus synonymes de Dacie ou des Daces, de sorte que l’association était automatique53.

  • 54 La plupart à Rome : Aur. Ingenus, mil(es) coh(ortis) I pr(aetoriae), nat(us) prouinc(ia) Dacia, le (...)

19Nous pouvons à présent nous tourner vers les éventuelles manifestations identitaires des provinciaux originaires de Dacie ailleurs dans l’Empire, notamment à Rome. Je laisse de côté les indications plus neutres, comme natus/nata prouincia Dacia, natus Dacia, (oriundus) ex prouincia Dacia, ciues (sic) Dacus, ou encore domo Dacus/Dacia, qui concernent en priorité des militaires ou leurs femmes54.

  • 55 Voir le corpus de Petolescu, 1996-2000 (IDRE).

20Si l’on mène une enquête sur l’indication natione Dacus, somme toute assez fréquente, la situation qui se dégage est significative55 :

  • un seul gladiateur, à Salone (Dalmatie)56 ;
  • trois exemples dans le milieu servile : un esclave à Carnuntum (en Pannonie Supérieure) ; deux affranchis, à Scarbantia (Pannonie Supérieure, affranchie femme d’un affranchi nat(ione) Dalmata) et à Rome (affranchi d’un cavalier de la garde impériale)57 ;
  • enfin, une majorité écrasante fournie par les militaires (18 ou 19)58, en particulier dans les unités d’élite de Rome – 13 cavaliers de la garde impériale (equites singulares Augusti)59, 4 prétoriens60 –, auxquels s’ajoute un cavalier d’une unité auxiliaire (en Égypte, cf. ci-dessous) et un militaire (?) d’une unité inconnue à Salone (Dalmatie)61.
  • 62 Oltean, 2009 suggère l’essor d’une nouvelle identité ethnique et militaire des recrues daces dans (...)
  • 63 Daces du point de vue ethnique (Petolescu, 2002, p. 50). L’interprétation en clé ethniciste des in (...)
  • 64 À l’instar d’autres provinces, comme natione Pannonius, alors qu’il existe deux provinces, Supérie (...)

21Ces termes renvoient-ils au peuple des Daces, ou à la province en général ? Sont-ils pertinents pour l’identité des défunts62 ? Partons du constat que la plupart des mentions relèvent de l’épigraphie funéraire ; ces indications sont données par les proches des militaires, qu’ils soient des camarades d’armes (fratres) et/ou des membres de leur famille. En ce qui concerne les esclaves/affranchis et le soldat auxiliaire, la réponse est claire grâce au statut servile ou pérégrin, et surtout grâce à leur onomastique indigène (Sassa, Dida Damanai f.) : il s’agit d’indigènes daces entraînés hors de leurs terres d’origine en tant que prisonniers de guerre ou recrues. En revanche, la situation est plus complexe si l’on regarde le dossier des militaires attestés à Rome au IIIe siècle qui, affectés dans les deux corps d’élite qui protégeaient l’empereur, sont tous des citoyens romains. Pour d’autres régions, natio, à l’ablatif natione, peut revêtir les deux sens, « ethnique » et provincial. Or, certains historiens roumains ont pris cette formule natione Dacus pour « Dace du point de vue ethnique »63, sans se poser vraiment la question de l’autre éventualité, et surtout sans faire attention aux anachronismes. Pourtant, ce type d’indication est manifestement générique ; il ne comporte, du moins dans les cas connus, la précision de l’une des trois provinces64. Malgré la nette majorité des Aurelii parmi ces militaires, indice d’une citoyenneté acquise en masse en 212, et malgré la grande banalité des cognomina à connotation martiale (Dexter, Germanus, Super, Victor, Victorinus, Vitalis), natione Dacus vaut à cette époque (première moitié du IIIe siècle) pour une indication provinciale : « Dacus » signifie donc tout simplement « originaire de la province de Dacie ».

  • 65 CIL, VI, 2696 = IDRE, I, 31. Pour les noms daces de cette série, cf. Dana, 2014a, p. 323.

22La question de leur origine demeure cependant : sont-ils des Daces ou des descendants des colons ? Deux exemples pourraient illustrer ces deux possibilités, car seuls des renseignements complémentaires ou une onomastique particulière sont en mesure d’apporter une confirmation ou d’appuyer une hypothèse : parmi les proches du prétorien Aur. Domitianus, nat(ione) Dacus, figure Iulia Sisi, dont le cognomen est dace65 ;

  • au moins une partie des equites singulares Augusti promus des ailes de Dacie, à partir de Septime Sévère, étaient d’origine pérégrine locale, si l’on se fie à leur citoyenneté récente (beaucoup de Marci Aurelii) et à la banalité de leurs cognomina latins, voire d’extraction indigène. Le seul exemple indubitable est offert par le diplôme militaire, daté du 7 janvier 23066, qui nomme M. Aur. Deciani fil. Decianus, Colonia Malue(n)se ex Dacia67. Promu dans la garde montée impériale, il était sans aucun doute d’extraction indigène, non seulement en raison de la citoyenneté récente (après 212), mais aussi puisque son cognomen est identique à l’idionyme de son père, Decianus, qui est un nom d’assonance dace68. Il était originaire du territoire de la colonie de Malua, en Dacie Inférieure.
  • le cognomen d’un cavalier de la garde impériale, Sept. Sacretius, nat(ione) Dacus, est rarissime ; or, ce nom est typique du Norique, où il est très fréquent comme gentilice69. Serait-il un descendant de colons noriques installés en Dacie ?
  • 70 CIL, VI, 3236 = DKR, 599 = IDRE, I, 55 : Aurelius Vi(c)torinus, natione Daqus (sic), domum Coloni( (...)

23Remarquons aussi que seulement deux épitaphes de cavaliers de la garde impériale originaires de Dacie indiquent leur cité ‒ et, même dans ce cas, il faut comprendre qu’ils étaient plutôt originaires de son territoire ‒, qui est à chaque fois Colonia Sarmizegetusa70 ; c’était sans doute la seule ville de Dacie à être connue et identifiée aussitôt avec la Dacie, alors que la mention d’autres centres urbains, plus obscure, pouvait prêter à confusion. En revanche, les Pannoniens présents dans le même corps d’élite sont beaucoup plus nombreux à indiquer leurs villes.

  • 71 ILS, 9142 = CLE, III, 1960 = I. Koptos-Kosseir, 19 = IDRE, II, 420 ; relecture par Bülow-Jacobsen, (...)

24Si l’éventuelle connotation identitaire transmise par ces épitaphes émane en réalité de leurs proches militaires (camarades d’armes, parfois des parents) et civils, la situation est nettement différente dans le cas du soldat auxiliaire : Dida Damanaei filius, eques alae Vocontiorum, turma Maturi, grava une dédicace commémorative, vers 110, sur la paroi d’un rocher à Krokodilô, dans le désert Oriental d’Égypte ; il n’oublie pas de préciser, à l’intérieur des formules d’identification, son origine ethnique, dans un latin approximatif : nationis Daqus71. Néanmoins, là encore, il s’agit d’afficher une formule officielle, partie de son identité militaire.

  • 72 Speidel, 1994, p. 7 ; dans son corpus (DKR), les stèles funéraires 258, 525, 541, 543, 544, 568, 5 (...)

25Si le texte des épitaphes de Rome peut difficilement être pris pour une marque identitaire forte, il n’en est pas de même pour l’iconographie. Je prends ici en compte les stèles funéraires des cavaliers de la garde impériale, magistralement éditées et commentées par Michael P. Speidel. Il convient de préciser que la plupart des stèles, du moins au IIe siècle, comportent une iconographie particulière, qu’il s’agisse d’un registre militaire (cavalier, cheval et un valet) ou d’un registre « civil », dominé par le motif du banquet couché. Or, au IIIe siècle, on constate une spécialisation des thèmes iconographiques en fonction des origines provinciales. L’exemple le plus manifeste est celui des militaires issus de l’espace thrace : leurs stèles présentent avec une fréquence remarquable le motif du soi-disant « Cavalier Thrace », avec la mise en scène d’une chasse héroïque (cavalier, chien, sanglier, arbre)72.

  • 73 D’autres militaires natione Dacus ont une iconographie banale : banquet couché ‒ DKR, 203 ; 541 (a (...)
  • 74 DKR, 591 : un nat(ione) Pannonius, sur une stèle à trois registres (banquet couché ; Éros et buste (...)
  • 75 Pour une analyse détaillée, cf. Dana, Zăgreanu, 2017, p. 150-155 (et illustrations p. 161-165).

26Parmi les épitaphes des cavaliers de la garde impériale dits natione Dacus, on rencontre à plusieurs reprises73 un motif iconographique qui semble se situer à mi-chemin entre la scène militaire-type et le motif du « Cavalier Thrace » : s’il semble certes dériver du schéma thrace, il apparaît pourtant fortement appauvri (ou stylisé). On peut ainsi citer les stèles DKR, 541 (banquet couché, défunt et voile des Éros ; motif de la chasse ; un serviteur) (fig. 4), 543 (voile et deux Éros ; chasse au sanglier ; un serviteur), 577 (restes, chasse), 584 (fragmentaire : cavalier et lance), 599 (chasse au sanglier, chien) et 603 (chasse au sanglier). Plus intéressant encore, ce même motif apparaît, bien que dans une moindre mesure, sur les stèles de quelques ressortissants des provinces danubiennes situées plus en amont (Pannonies, Norique, Rhétie)74. On détient donc la preuve qu’un ou plusieurs ateliers de Rome ont inventé ce type iconographique, sans doute à la demande des cavaliers de la garde impériale originaires de Dacie et, vraisemblablement, d’autres provinces danubiennes. Témoignages de solidarités régionales, ces images suffisaient, dans la nécropole militaire, à signaler les origines provinciales des défunts, selon le détail qu’il s’agissait du « Cavalier Thrace » ou du type mixte évoqué75.

Fig. 4. Stèle funéraire d’Aurelius Victorinus.

  • 76 Balty, 1987, p. 224 et 227 (photo p. 226, fig. 7) ; Balty, Van Rengen, 1993, p. 28-29 (photo p. 28 (...)

27Pour finir, je donnerais deux exemples de remise en question de l’identité provinciale, sinon de sa complexité intrinsèque. Le premier est l’épitaphe d’un légionnaire enterré à Apamée de Syrie76 : D(is) M(anibus).| Ael(ius) Verecundi<n>us, (centurio) leg(ionis) IIII | Sc<y>(thicae) hastatus prior, natus | in Dacia ad Vatabos, mil(itauit) ann(os) XXI,| primum exactus, librarius,| frum(entarius), speculator, euocatus, (centurio) et (centurio) frum(entarius),| uixit ann(os) XXXVI. Ael(ius) Rufinus, lib(ertus), ex bon|is eius fecit. Après 21 ans de service, Aelius Verecundinus décéda à 36 ans à Apamée, sans doute vers 217/218, sous le règne de Macrin ou du début du règne d’Élagabal ; il était alors centurion frumentaire dans la IVe Légion Scythique, normalement stationnée à Zeugma sur l’Euphrate.

  • 77  TP, VII, 4 (Ad Pannonios) et Geogr. Rav., IV, 14 (Panonin). Cf. Ad Mauros en Norique (ND, Occ. 34) (...)

28Dans Ad Vatabos, nouveau toponyme de Dacie romaine, les commentateurs ont à juste titre reconnu, par une métathèse banale, Ad Batauos, « Aux Bataves ». Ce toponyme bâti sur un ethnique n’est pas isolé en Dacie, où l’on connaissait déjà Ad Pannonios77 ; ces cas renvoient en effet à des localités nées auprès d’un camp auxiliaire occupé par une unité « ethnique », ici les Bataves et les Pannoniens.

  • 78 Famille du nom Verecundus : OPEL, IV, 157-158 ; le dérivé Verecundinus : OPEL, IV, 157 (trois exem (...)
  • 79 Ţentea, Matei-Popescu, 2002-2003, p. 262.

29Or, l’association entre le nom du défunt, pris pour un « Dace », et le toponyme est remarquable. Gravé VERECVNDIVVS, le cognomen devrait être corrigé en Verecundi<n>us, dérivé du fréquent Verecundus. Ce nom et ses dérivés dans les provinces occidentales ont fait l’objet d’une étude exhaustive de Sabine Lefebvre, qui en voit le « nom d’assonance le plus spectaculaire à cause de son homophonie latine et celte »78. Verecundinus, forme dérivée à partir d’un Verecundus présent auparavant dans la même famille, indique à n’en point douter le fait que son porteur était issu d’une famille d’origine batave. Le gentilice Aelius suggère qu’un des ancêtres du légionnaire avait reçu la citoyenneté sous Hadrien, après son service militaire. Ad Batauos fut donc une agglomération (uicus ?) constituée autour du camp de l’ala I Batauorum miliaria (en Dacie Supérieure, à Războieni-Cetate79) ou bien de celui de la cohors I Batauorum miliaria (en Dacie Porolissensis).

30Au début du IIIe siècle encore, l’identité batave reste perceptible en Dacie ; du moins, elle laisse des traces dans l’onomastique et la toponymie. La mobilité militaire a façonné de manière nouvelle toutes les provinces, et davantage encore les provinces marquées par une forte présence militaire. Jusqu’au milieu du IIe siècle, outre l’emploi du latin, le seul point commun de la plupart des habitants des villes et agglomérations militaires de la Dacie romaine était d’être nés en dehors de la province. Descendant de soldats bataves, né en Dacie, ayant servi successivement dans sa province, à Rome et en Orient, mort finalement à Apamée, Aelius Verecundinus invite à s’interroger sur ses identités, connues, inconnue ou supposées : citoyen romain, militaire et légionnaire (officier de surcroît), originaire de Dacie – donc, un « Dace » aux yeux de ses contemporains et des historiens modernes –, et pourtant né à Ad Batauos, avec une onomastique qui suggère une origine batave… Était-il batave, dace ou romain, ou plutôt pouvait-il facilement faire usage de ses identités multiples ?

  • 80 Cf. Velkov, 1998.
  • 81 Ce dérivé concerne plutôt les ressortissants de la nouvelle Dacie créée par Aurélien au sud du Dan (...)

31Le second exemple nous mène vers le Bas-Empire : après la perte de la Dacie (survenue le plus vraisemblablement vers 260), Aurélien créa une province du même nom au sud du Danube – Dacia noua dans certaines sources80. Bientôt, elle fut partagée en deux : Dacia Mediterranea, à l’intérieur de la Péninsule Balkanique, avec la capitale à Serdica et Dacia Ripensis, sur le Danube, avec la capitale à Ratiaria. Un diocèse des Balkans fut même appelé plus tard « Dacie », regroupant en plus les provinces Moesia Prima, Praeualitana et Dardania. Par la suite, nombre de militaires de l’armée tardive n’hésitent pas à indiquer comme origine la province de Dacie, en se présentant comme Dacus ou, plus souvent, Daciscus81. Ce transfert du nom, par simple volonté impériale – on ignore toutefois la part de la population provinciale réfugiée et/ou transférée –, conservera la mémoire de la première Dacie plusieurs siècles après la brève existence de ce laboratoire créé par le pouvoir romain au nord du Danube.

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32AE = L’Année Épigraphique, Paris, 1888-.

33CIGD = Ruscu L., Corpus Inscriptionum Graecarum DacicarumHungarian Polis Studies, 10, Debrecen, 2003.

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37HEp = Hispania Epigraphica, Madrid, 1989-.

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43ILS = Dessau H., Inscriptiones Latinae Selectae, I-III, Berlin, 1892-1916.

44ISM = Inscriptiones Scythiae Minoris Graecae et Latinae, Bucarest, 1980-.

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46RIU = Die römischen Inschriften Ungarns (RIU), I-VI, Budapest-Amsterdam-Bonn, 1972-2001.

47RMD = Roxan M. M. (puis Holder P.), Roman Military Diplomas, I-V, Londres, 1978-2006.

48SEG Supplementum Epigraphicum Graecum, Leyde-Amsterdam, 1923-.

49TitAq = Kovács P. et Szabó A. (et Fehér B.), Tituli Aquincenses, I-III, Budapest, 2009-2011.

Sources numismatiques

50RPC = Roman Provincial Coinage, Londres-Paris, 1992-.

 Sources iconographiques

51CSIR Corpus Signorum Imperii Romani.

52LIMC = Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae, Zurich-Munich-Düsseldorf, I-VIII (1981-1997), Indices (1999), Supplementum 1-2 (2009).

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54FGrHist = Jacoby F., Die Fragmente der griechischer Historiker, I-III, Berlin-Leyde, 1923-1954.

55Geogr. Rav. = Geographus Ravennatus, éd. Schnetz J., Lepizig, 1940.

56HA = Scriptores Historiae Augustae, CUF, Paris 1992-.

57HRR = Peter H., Historicorum Romanorum Reliquiae, I²-II, Leipzig, 1912 et 1906.

58Lact., De mort. persec. = Lactance, De mortibus persecutorum, éd. Creed J. L., Oxford, 1984.

59ND Notitia dignitatum, éd. Seeck O., Berlin, 1876.

60TP = Tabula Peutingeriana, éd. Miller K., Stuttgart, 1916.

 Références prosopographiques et onomastiques

61OPEL = Lőrincz B. et Redö F. (éds.), Onomasticon Provinciarum Europae Latinarum, I-IV, Budapest-Vienne, 1994-2002 (et I², Budapest, 2005).

62PIR² = Groag E. et aliiProsopographia Imperii Romani saec. I. II. III, Berlin-Leipzig-New York, 1933-2015.

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Notes

1 Pour le cas du Norique, voir Hainzmann, 2011. Pour l’ensemble de l’Empire, voir l’étude remarquable de Mitthof, 2012.

2 Cf. l’introduction, avec des nombreuses mises en garde, de Le Roux, 2011 ; Modéran, 2011 (sur la province comme troisième patrie) ; et le recueil édité par Lefebvre, 2013, sur les identités et les dynamiques provinciales jusqu’à l’époque julio-claudienne.

3 Modéran, 2011, p. 12. Pour des détails, voir Boia, 2001, p. 83-111 ; Boia, 2003, p. 44-53 ; Pillon, 2005. Pour le cadre européen, voir Cabanel, 2001.

4 Bibliographie récente : Piso, 2005 ; Piso, 1993-2013 ; Gudea, Lobüscher, 2006 ; Ardevan, Zerbini, 2007 ; Oltean, 2007.

5 Voir plus récemment Petolescu, Galinier, Matei-Popescu, 2015. Pour la mise en scène et les échos de la victoire romaine, cf. Petolescu, 2018 ; sur d’autres manifestations, à une échelle plus modeste, cf. mon étude Dana 2017.

6 Il était question de la Mésopotamie et de l’Arménie, conquises par Trajan, mais abandonnées par la suite.

7 Eutr., Brev., 8.6.2.

8 Pour les controverses, voir Ardevan, 2010.

9 Le dogme de l’historiographie roumaine, ou plutôt son complexe, est de soutenir une retraite organisée de la Dacie dix ou quinze ans plus tard, sous Aurélien, alors que toute forme de contrôle effectif semble cesser en réalité après 260 ; sur les différentes théories, voir le regard lucide de Ruscu, 1998. La contribution récente de Zsolt Visy sur un sujet très sensible, lié aux passions politiques et nationalistes (le problème de la Transylvanie), est menée avec grande rigueur et neutralité, tout en reconnaissant le caractère « patriotique » de certains écrits d’A. Alföldi. Dans cette confrontation désormais séculaire entre l’historiographie hongroise (qui insiste sur la quasi-extermination des indigènes dans la nouvelle province, leur semi-romanisation ou le caractère radical de l’abandon de la Dacie par Aurélien) et l’historiographie roumaine dominée par le dogme de la « continuité daco-romaine » (continuité des Daces en Dacie romaine, leur profonde romanisation, la continuité des latinophones en Dacie nord-danubienne), Visy, 2015 montre la manière dont, le plus souvent, les deux parties ont utilisé les sources (et davantage leur absence) et exagéré à bon escient ; enfin, il note les progrès récents et la possibilité de dépasser cet héritage contentieux.

10 Voir Dana, 2013b, p. 225-226.

11 Voir en dernier lieu la monographie de Varga, 2014.

12 Voir, à titre d’exemple, Piso, 2004.

13 Par exemple, les diplômes du 17 février 110 (AE, 2011, 1790), 12 novembre 119 (RMD, V, 351), 10 août 123 (RMD, IV, 21), 24 novembre 124 (AE, 2010, 1857) et 6 octobre 142 (AE, 2014, 1640).

14 Opreanu, 2004 ; la synthèse de Mihăilescu-Bîrliba, 2011.

15 Mais il convient de réévaluer le poids des hellénophones en Dacie (cf. Dana 2015).

16 Sur la présence militaire dans ces provinces, voir Ţentea 2012.

17 Voir brièvement Schäfer, 2009 ; et l’étude de synthèse de Piso, 2018.

18 Trois monographies récentes : Popescu, 2018 ; Szabó, 2018 ; Nemeti, 2019a.

19 Voir Mihăilescu-Bîrliba, 2012.

20 SEG, XXV, 823 = IDR, III.2, 400 = CIGD, 108.

21 FGrHist, 707 et 200 ; en revanche, l’empereur Trajan publia des Dacica (HRR, II, 117). Ces ouvrages ne sont connus que par de maigres fragments.

22 Édition magistrale de Piso, 2015 (AE, 2015, 1186). Le toponyme ancien est parlant : « Sources chaudes ».

23 Cf. le recueil de Bărbulescu, 2003.

24 Piso, 2008, p. 335 ; Oltean, 2009, p. 92-95 (« Expressing ethnic identity in a provincial context »).

25 Sur le statut et la visibilité des indigènes en Dacie romaine, cf. Babeş, 2000 ; Dana, 2004, p. 430-432 et 446-447 ; Cîrjan, 2006-2007 ; Nemeti, 2006 ; Dana, Matei-Popescu, 2009, p. 243-248 et 254-256 ; Ruscu, 2009, p. 75-85 ; Piso, 2008, p. 316-317 ; Mihăilescu-Bîrliba, 2011, p. 31-35.

26 Ce terme en dit long sur les présupposés : les autres seraient des étrangers, des allogènes… De manière générale, cette historiographie favorise et surévalue le rôle des Italiens dans la colonisation ‒ surreprésentés du point de vue épigraphique dans l’élite de l’administration militaire et civile alors qu’ils étaient ultra-minoritaires dans la masse des colons ‒, et diminue ou méprise le rôle des « Orientaux », afin de présenter la province de la Dacie comme occidentale, donc « européenne ».

27 À titre d’exemple : Protase, 1976 ; Protase, 1977.

28 Cette nouvelle vision est omniprésente dans les publications plus récentes (voir quelques titres dans les notes 4, 14 et 24).

29 Cf. les présentations lucides de Nemeti, 2013 et Nemeti, 2019b. La situation est néanmoins différente au sud du Danube (cf. Dana, 2013a).

30 Cf. déjà Dana, Matei-Popescu, 2009 p. 244 : cette situation « s’explique aussi bien par la faible pratique de l’epigraphic habit de la part des indigènes que, et surtout, par l’exploration archéologique très insuffisante du milieu rural ».

31 Voir Dana, 2004 ; Dana, Zăgreanu, 2013 ; en dernier lieu, cf. Dana, 2019 (les Daces dans la province de Dacia et les autres provinces de l’Empire).

32 Diplôme militaire du 7 janvier 230 d’un eques singularis Augusti : M. Aurelius Deciani fil. Decianus, Colonia Malue(n)se ex Dacia (CIL, XVI, 144 = DKR, 76 = IDRE, I, 166) ; épitaphe de Césarée de Maurétanie, pour Sex. Cornelius Eucaerianus, municipium Hadrianum Drobetense ex Dacia (IDRE, II, 460).

33 Parmi les exceptions : un légionnaire Porolissen{i}si pro(uincia) D(acia), à Aquincum (note 38) ; la stèle funéraire, du début du IIIe s., d’un légionnaire de la legio XIII Gemina, trouvée près de Doliche en Syrie : A[..iu]s Vitalis, ex prouincia Dacia Sup(eriore), ter(r)i(torio) Bassiana(e). Voir Facella, Speidel, 2011 (AE, 2011, 1467) ; Dana, 2014b, p. 166-167, n° 22.

34 Voir Piso, 2008, p. 316-317 et 322.

35 HA, Comm.,13.5 ; cf. Balla, 1976 (= Balla, 2000, p. 91-102).

36 Un décurion de la colonie (d’Apulum ?) à Ampelum, P. Aelius Prouincialis (CIL, III, 1321 = IDR, III.3, 340) ; Vlp. Prouincialis à Micia (CIL, III, 1389 = IDR, III.3, 170) ; un parfait homonyme, Vlp. Prouincialis, à Gherla (ILD, I, 591) ; un centurion légionnaire [- --- Prou]incial(is) à Potaissa (CIL, III, 922). Ce nom renferme une connotation culturelle qui souligne la supériorité du centre romain (Le Roux, 2011, p. 13).

37 Deux membres de la même famille, Iu[l]ia Prouinc(ia?) et [P]roui[nc---] à Dierna (IDR, III.1, 40) ; [Pro]uincia plutôt que [La]uincia (nom illyrien rarissime), à Botorca (IDR, III.4, 128). Voir OPEL, III, 168 et 169.

38 DKR, 151. Citons aussi le légionnaire L. Nouius Prouincialis, héritier d’un autre membre de la legio II Adiutrix, Porolissen{i}si pro(uincia) D(acia) (Aquincum, Pannonie Inférieure, CIL, III, 3556 = IDRE, II, 283 = TitAq, II, 747).

39 Pour les occurrences, voir mon répertoire, Dana, 2014a, p. 102-104. Les deux exceptions ne concernent pas la province de Dacie : l’optio de la flotte de Ravenne Q. Decimus Dacus, attesté au Ier siècle, est originaire de Mésie (CIL, XI, 28 = IDRE, I, 136) ; Val. Dacus, frater d’un eq(ues) ex numeri (sic) kata(fractariorum) à Borbetomagus, en Germanie (CIL, XIII, 6238 = IDRE, I, 196), d’époque tétrarchique, est plutôt originaire du sud du Danube. Parmi les nouveautés, on peut citer une épitaphe fragmentaire de Viminacium, en Mésie Supérieure, avec la fin du gentilice et du cognomen qui utilise un ethnique : [---?|---]VI+[--- | A?]el(ia) Daca E+[---|---]us adiu(tor) tabu[larii ---|---]I b(ene) m(erenti) ; cf. Ferjančić, Korać, Ricl, 2017, p. 245-246, n° 11 (photo p. 244, fig. 14). Pour un parallèle, voir Lefebvre, 2011 (le nom Lusitanus).

40 « Si tout est identitaire et marqueur d’identité, l’intérêt de la recherche perd de son sens » (Le Roux, 2011, p. 17).

41 À Drobeta (Iul. Daciscus, IDR, II, 50) ; et à Tomis, en Mésie Inférieure (Pia et Daciscus, CIL, III, 7573 = ISM, II, 352 = IDRE, II, 346). Le dérivé peut indiquer des troupes originaires de Dacie (cf. Zahariade, Phelps, 2002).

42 Cf. en général Pîslaru, 2012.

43 CIL, VIII, 838 = RIB, I, 1914 = IDRE, I, 203 (dessin dans RIB, I, p. 591).

44 RIB, I ,1909 = IDRE, I, 201 (dessin dans RIB, I, p. 589).

45 Russu, 1980, p. 31-33 (fig. 5-6), qui insiste sur la continuité de l’armement et parle d’une conscience territoriale-ethnique) ; Coulston, 1981 (pl. 11) ; Coulston, Phillips, 1988, p. 106-107, nos 266-267 (Pl. 69) ; Petolescu, 1996, p. 208 ; Petolescu, 2002, p. 47, qui insiste sur le lien humain, par la composition ethnique des troupes, et pas uniquement symbolique, avec la patrie dace ; Wilmott, 2001, p. 110-111 (photo et dessin p. 122).

46 Cf. Wilmott, 2001, p.  110-111.

47 Les premières figurations de la Dacie, qui plus est datant d’avant la conquête romaine, sont peu connues, ou peu citées dans l’historiographie du sujet :

(1) une statue d’une femme captive sur l’autel inscrit ἔθνους Δακῶν (SEG, XXXI, 926 = IDRE, II, 380) du fameux Sébasteion d’Aphrodisias, mais sa tête n’est pas conservée ; cf. en dernier lieu Smith, 2013, p. 91-93 (fig. 48, Pl. 28-29) ;

(2) une monnaie d’une cité bithynienne (Prousias de l’Hypios ?) (RPC, II, 686) : femme captive, avec le genou droit à terre et les mains liées derrière le dos, et légendes ΔΕΔΟΥ ΣΕΒΑ ΔΟΜΙΤΙΑΝΩ et, dans le champ, ΓΕΤΙΚΗ ; cf. Bosch, 1935, p. 187, n° 40 (Σεβαστῷ Δομιτιανῷ δεδουλωμένη Γετική) ; Stefan 2005, p. 483 (et fig. 214). C’est une version similaire de RPC, II, 685 (ΓΕΡΜΑΝΙΑ ΔΕΔΟΥΛΟΜΕΝΗ ΔΟΜΙΤΙΑΝΩ ΣΕΒΑ) ; les deux types font pendant, en milieu hellénique, au thème de la Dacia capta/Germania capta (le double triomphe de 89).

Pour une possible personnification de la province de Dacie sur une gemme conservée au Kunsthistorisches Museum de Vienne, voir Ardevan, 2018 (figure féminine en chiton, dotée d’un pileus, les épaules nues, sise près d’un fleuve et regardant vers la gauche).

48 Sur le modèle de l’atelier de Viminacium, figurant la Mésie Supérieure et les symboles des deux légions, IV Flauia Felix et VII Claudia (pour la paie des armées provinciales).

49 Alföldy-Găzdac, Găzdac, 2005 ; Găzdac, 2010², p. 156-158.

50 Winkler, 1965 ; Petolescu, 1986 ; Petolescu, 2009 (= Petolescu, 2017, p. 263-268 et 343-345, Pl. IV-V et XLIII-XLV) ; Papaefthymiou, 2001, p. 301-309, en particulier 303-308 (et fig. 89) (à lire avec des réserves).

51 D’après l’éditeur (Veyne, 1958-1959), il s’agit d’un bonnet « danubien », l’équivalent balkanique du bonnet oriental, mais hémisphérique et muni de couvre-oreilles. Le relief est conservé au Musée Lavigerie, auj. le Musée National de Carthage.

52 HA, Trig. Tyr., 10.8 ; PIR², R, 36 ; Dana, 2011, p. 79-82.

53 Ce nom historique était par conséquent porteur de sens aussi bien pour la population indigène (de Dacie et de Mésie Inférieure), qui a perpétué sa mémoire à travers les siècles, que pour les Romains.

54 La plupart à Rome : Aur. Ingenus, mil(es) coh(ortis) I pr(aetoriae), nat(us) prouinc(ia) Dacia, leg(ione) XIII Gemina (CIL, VI, 2425 = IDRE, I, 26) ; Aur. Iulianus, euok(atus) ex b(ene)f(iciario), coh(ortis) III (praetoriae), nat(us/ione) Dacia (CIL, VI, 3419 = IDRE, I, 27) ; [- --- ---], militaire, nat(us) Dacia (CIL, VI, 3456 = IDRE, I, 62) ; Munatia Procula, nat(a) pr(ouincia) Dacia, femme de C. Valerius Crescentianus, euok(atus) (IDRE, I, 33) ; M. Aur. Lucianus, mil(es) coh(ortis) VI pr(aetoriae), horiundus ex prouincia Dacia (CIL, VI, 2603 = IDRE, I, 30) ; [- --- ---], cavalier de la garde impériale, [oriund(us) ex prouin]nc(ia) Da(cia) (CIL, VI, 37258 a = IDRE, I, 61) ; Iul. Pi[---]tinus, ciues Dacus (Aballava, Bretagne, CIL, VII, 944 = RIB, I, 2046 = IDRE, I, 241) ; à Salone, l’épitaphe d’Aur. Aquila, dec(urio) Patauis(s)e(n)sis, neg(otiator) ex pro(uincia) Dacia (CIL, III, 2086 = IDRE, II, 299). Dans la documentation officielle romaine, le synonyme grec Geta n’est jamais employé comme ethnique ; seules deux inscriptions privées semblent l’attester : à Durocortorum, en Bretagne (RIB, I, 136 = IDRE, I, 199), Metti, nation(e) Geta ; à Ipsca, en Bétique (CIL, II²/5, 375, corrigé dans HEp, 8, 146), M. Aur. Ac(h)aicus, [---]i f(ilius)., nat(ione) Geta, dont l’épitaphe est érigée par [---]balus.

55 Voir le corpus de Petolescu, 1996-2000 (IDRE).

56 CIL, III, 14644 (ILS, 5111) = IDRE, II, 392.

57 IDRE, II, 257 ; CIL, III, 14355,15 = RIU, I, 189 = IDRE, II, 263 ; CIL, VI, 3227 = DKR, 706 = IDR, I, 52.

58 Le cas des ressortissants du Norique est similaire : on connaît 35 exemples de natione Noricus/-a, dont 32 militaires (22 à Rome), voir Hainzmann, 2011, p. 329.

59 Pour une nouvelle analyse, cf. Dana, Zăgreanu, 2017, p. 139-171, en partic. 142-144 (sur l’expression de l’identité provinciale). Voici leur catalogue : Aur. Antonius (CIL, VI, 3191 (ILS, 2205) = DKR, 603 = IDRE, I, 50) ; T. Aur. Dexter (CIL, VI, 3200 = DKR, 203 = IDRE, I, 51) ; Aur. Super (CIL, VI, 32845 b = DKR, 577 = IDRE I 53) ; Aurel. Victor (CIL, VI, 3234 (ILS, 2209) = DKR, 541 = IDRE, I, 54) ; Aurelius Vi(c)torinus (CIL, VI, 3236 (ILS, 2204) = DKR, 599 = IDRE, I, 55) ; Aurel. Vitalis (CIL, VI, 3238 (ILS, 2208) = DKR, 543 = IDRE, I, 56) ; Aurelius[s ---] (CIL, VI, 37252 = DKR, 738 = IDRE, I, 64) ; C. Marius Gemellinus (CIL, VI, 3277 = DKR, 736 = IDRE, I, 58) ; [Septi]m. Florent[in]us (DKR, 584 = IDRE, I, 49) ; Septim. Sacretius (CIL, VI, 3288 = DKR, 539 = IDRE, I, 59) ; anonyme (CIL, VI, 3320 = DKR, 618 = IDRE, I, 60, mais [natione? D]aciscu[s]) ; anonyme (CIL, VI, 32791 = DKR, 443 = IDRE, I, 63) ; anonyme (DKR, 151).

60 Aur. Domitianus, mil(es) c(o)hor(tis) VIIII pr(ae)t(oriae), nat(ione) Dacus (CIL, VI, 2696 = IDRE, I, 31) ; Aur. Fro[---], nat(ione) Da[cus?] (IDRE, I, 32) ; Aur(elius) German[us], nat(ione) D[a]cus (Mogontiacum, CIL, XIII, 6824 = IDRE, I, 195) ; Iul. Secundinus, eu(o)k(atus) coh(ortis) III pr(aetoriae), na(tione) Dacus (CIL, VI, 2495 = IDRE, I, 28).

61 IDRE, II ,297.

62 Oltean, 2009 suggère l’essor d’une nouvelle identité ethnique et militaire des recrues daces dans l’armée romaine.

63 Daces du point de vue ethnique (Petolescu, 2002, p. 50). L’interprétation en clé ethniciste des indications du type natione Dacus pour les militaires de la première moitié du IIIe siècle en service à Rome (ainsi parmi les equites singulares Augusti) est invalidée non seulement par l’étude contextuelle, mais aussi par la signification générale de ce type d’indications à cette époque plus tardive.

64 À l’instar d’autres provinces, comme natione Pannonius, alors qu’il existe deux provinces, Supérieure et Inférieure.

65 CIL, VI, 2696 = IDRE, I, 31. Pour les noms daces de cette série, cf. Dana, 2014a, p. 323.

66 Lieu de découverte inconnu (document arrivé au musée de Naples).

67 CIL, XVI, 144 (ILS, 2009) = IDRE, I, 166 ; en dernier lieu, Dana, Nemeti, 2017, p. 213 (photos p. 227, Pl. 1.2).

68 Normalement un dérivé du gentilice Decius, Decianus est ici un nom d’assonance dace, à partir d’un nom en deci-, tels Decibalus et Decinaeus ; cf. Dana, 2014a, p. 115.

69 CIL, VI, 3288 = DKR, 539 = IDRE, I, 59. Pour Sacretius, cf. OPEL, IV, 42 ; Kakoschke, 2012, p. 171 (GN 354, 7 occurrences) et 619 (CN 1401, une occurrence).

70 CIL, VI, 3236 = DKR, 599 = IDRE, I, 55 : Aurelius Vi(c)torinus, natione Daqus (sic), domum Coloni(a) Zermi(z)egete(nsium) ; dans l’épitaphe fragmentaire DKR, 151, un défunt [nat(ione) D]ac(us), [domo Colonia V]ḷpia [Zermizeget]usa ([Sarmizegeth]usa Speidel).

71 ILS, 9142 = CLE, III, 1960 = I. Koptos-Kosseir, 19 = IDRE, II, 420 ; relecture par Bülow-Jacobsen, Cuvigny, 1996, p. 103-107. Dida fait partie des nombreux soldats daces recrutés après la conquête du royaume de Décébale (cf. Dana, 2003). Voir à présent une comparaison chez Hirt, 2018.

72 Speidel, 1994, p. 7 ; dans son corpus (DKR), les stèles funéraires 258, 525, 541, 543, 544, 568, 577, 579, 584, 591, 592, 593, 594, 595, 596, 597, 598, 599, 600, 601, 603, 604, 635 (et, en dehors de Rome, 682) ; la plupart des défunts sont originaires de Thrace, Mésie, Macédoine et Dacie.

73 D’autres militaires natione Dacus ont une iconographie banale : banquet couché ‒ DKR, 203 ; 541 (avec une iconographie spécifique) ; 650 ; 738 ; cavalier et cheval ‒ DKR, 539.

74 DKR, 591 : un nat(ione) Pannonius, sur une stèle à trois registres (banquet couché ; Éros et buste du défunt ; cavalier à la chasse), avec le détail important que l’un des deux héritiers est thrace (Aur. Bithus) ; 594 [un nat(ione) Noricus, en bas le Cavalier (à la chasse ?)] ; 596 (un Pannonien) ; 635 (natus in Pannonia Inferiore).

75 Pour une analyse détaillée, cf. Dana, Zăgreanu, 2017, p. 150-155 (et illustrations p. 161-165).

76 Balty, 1987, p. 224 et 227 (photo p. 226, fig. 7) ; Balty, Van Rengen, 1993, p. 28-29 (photo p. 28, Pl. 7) (= AE, 1993, 1577) ; Van Rengen, 1994 (photo p. 200) ; Speidel,1998, p. 184, n° 29 ; Dana, 2008.

77  TP, VII, 4 (Ad Pannonios) et Geogr. Rav., IV, 14 (Panonin). Cf. Ad Mauros en Norique (ND, Occ. 34), probablement à Eferding sur le Danube, près d’Ovilaua ; et, en Rhétie, le toponyme Batauis (auj. Passau).

78 Famille du nom Verecundus : OPEL, IV, 157-158 ; le dérivé Verecundinus : OPEL, IV, 157 (trois exemples ; et notre cas). Cf. à présent Kakoschke, 2006, p. 425-426 (gentilices, GN 1391-1393), et II.2, 2008, p. 439-440 (cognomen, CN 3278) ; Kakoschke, 2010, p. 181 (GN 538) et 543-544 (CN 1453). Cf. Lefebvre, 2001 ; tandis qu’il évoque la modestie et la tempérance en latin, il s’agit d’une association de deux éléments gaulois, ver- (« sur, au-dessus, fort, très ») et condo- (« raison, intelligence »).

79 Ţentea, Matei-Popescu, 2002-2003, p. 262.

80 Cf. Velkov, 1998.

81 Ce dérivé concerne plutôt les ressortissants de la nouvelle Dacie créée par Aurélien au sud du Danube : origo d’un cavalier anonyme de la garde impériale (CIL, VI, 3320 = DKR, 618 = IDRE, I, 60), [natione D]aciscu[s], et du prétorien Aur. Victo<r>inus, natione Dacisca, regione Serdic(e)n(se) (CIL, VI, 2605), originaire donc de la Dacie Méditerranéenne ; un peu plus tard, l’épitaphe chrétienne de Milan de Martinianus, ex protectoribus, germen Dacisqus (CIL, V, 6244 = ILCV, I 811 a). Voir déjà les milites Dacisciani, parmi les troupes de Gallien (HA, Claud., 17.3) ; de même, les Dacisci (HA, Aurel., 38.4) ; cf. aussi ND, Or. 42.24. L’adjectif Daciscus apparaît également chez Lact., De mort. persec., 27.8.

Table des illustrations

Légende Fig. 1. Relief de Birdoswald (Banna).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/25294/img-1.jpg
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Légende Fig. 2. Monnaies avec la personnification de la Dacie.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/25294/img-2.jpg
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Légende Fig. 3. La Dacie Lavigerie.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/25294/img-3.jpg
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Légende Fig. 4. Stèle funéraire d’Aurelius Victorinus.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/25294/img-4.jpg
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Auteur

CNRS / UMR 8210 ANHIMA

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