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Cluny et la couleur

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Christian Sapin

Introduction

Christian Sapin

Texte intégral

1Reconstituer l’abbaye de Cluny est l’exercice par excellence pour l’archéologue ou l’historien de l’architecture. Les plans, la morphologie des volumes jusqu’au décor sculpté ont occupé plusieurs générations de chercheurs. Les images restituées sont restées cependant toujours prudentes vis-à-vis de la couleur. Elles ne se sont aventurées souvent qu’à travers des comparaisons. C’était le cas pour le décor du cul de four inspiré de celui de Berzé-la-Ville, ou de manière toute relative lors des dernières tentatives de 3D. Avec les deux nouvelles études ici en ligne sur les enduits peints et les carreaux de sols, d’autres perspectives s’offrent au regard et à l’imagination des chercheurs. Ces travaux inédits s’appuient sur une partie du mobilier trouvé en fouille lors des dernières campagnes de 2006-2013, conduits sous la direction de Anne Baud (Université Lyon 2) et de Christian Sapin (CNRS UMR ARTEHIS Dijon) avec l’équipe du Centre d’Etudes médiévales d’Auxerre (Fouilles programmées financées par le Ministère de la culture), publié en octobre 2019 au CTHS.

2Les enduits peints avaient été abordés précédemment par Juliette Rollier Hanselmann dans sa contribution au Corpus de la sculpture de Cluny (Dir. N. Stratford, Paris, Ed. Picard, 2011) dans une approche couvrant du XIIe au XVe siècle. Il en ressortait, en l’absence d’informations stratigraphiques pour ce mobilier retrouvé par K. J. Conant, des caractérisations de groupe depuis l’époque romane. Avec une approche également des polychromies sur pierre, qui a été poursuivie depuis (Cf. Cluny, 1120, Au seuil de la Major Ecclesia, 28 mars-2 juillet 2012, Musée de Cluny - musée national du Moyen Âge), une autre vision architecturale de la grande abbatiale s’annonçait. Ici, la présence d’éléments de décor peint dans une autre partie du site conduit à envisager plus largement la présence de la couleur à Cluny. Bénédicte Bertholon démontre en outre qu’en présence de couches archéologiques, confrontée à la technique picturale, à l’aspect de surface et à la stratigraphie des enduits peints, il est possible d’avancer une chronologie relative des décors, indiquant que les deux techniques (mixte et détrempe) sont employées avant la construction de la salle capitulaire gothique.

3A ces couleurs des murs sur lesquels joue la lumière, il convient d’ajouter celle des vitraux que l’archéologie a permis d’amorcer pour l’abbatiale de Cluny et la prieurale de Paray-le-Monial (Cf. Stéphanie Castandet (Matériaux et décors colorés dans l’Abbatiale Cluny III, Approche archéométrique ; thèse soutenue à Lyon II, en février 2016). La couleur, c’est aussi celle des sols dans certaines parties du site. Deux premières études avaient été faites également à partir du mobilier de Conant pour le dallage et les pavements romans par Brigitte Maurice-Chabard, et pour les carreaux de terre cuite par Mathieu Pinette (deux contributions publiées dans le volume du Corpus de la sculpture de Cluny, 2011). Il s’agissait du mobilier également découvert par Conant ou de découvertes fortuites lors de travaux plus récents dans l’avant nef ou le transept sud ou encore d’éléments provenant du palais de l’abbé Jean de Bourbon.

4L’intérêt dans cette nouvelle étude de Magali Orgeur est de reposer cette fois sur un mobilier issu d’autres espaces du domaine monastique, en l’occurrence la salle du chapitre au XIIIe siècle.

5Les dernières fouilles ont retrouvé au sol le négatif du carrelage ayant existé pour l’ensemble du sol, avec seulement encore en place quelques carreaux en avant du seuil de pierre. D’autres étaient réutilisés dans des réaménagements modernes. Une grande quantité se trouvait dans les remblais antérieurs à la reprise de la salle au XVIIe siècle. Magali Orgeur, à travers une étude typologique et technique poussée, montre qu’une majeure partie d’entre eux a été fabriquée au début de la seconde moitié du XIIIe siècle. Dans une mise en perspective plus large l’auteur, qui connait bien la production des carreaux en Bourgogne, sort du monde purement clunisien pour attester que les effets colorés de surface de certains bicolores devenant alors tricolores (motif jaune et vert olive sur fond vert olive sombre) se rencontrent aussi sur des carreaux de la seconde moitié du XIIIe siècle, des abbayes cisterciennes bourguignonnes de Pontigny et de Fontenay. Nous sommes en présence des mêmes recherches esthétiques. Ce constat est accentué par les parentés de thématiques florales et végétales visibles sur les carreaux bicolores de l’abbaye de Fontenay et sur certains carreaux bicolores de l’abbaye de Cluny. Ainsi, devant l’attrait de la couleur, il n’y a pas lieu d’opposer moines clunisiens et cisterciens.

6Au final, ces deux contributions aux travaux récents sur le site de Cluny concourent à lui donner une place plus accrue dans la connaissance et la transmission des savoir-faire aux XIIe-XIIIe siècles. Elles montrent l’intérêt d’un type de mobilier archéologique, au-delà des apports à la datation des étapes de transformation du site (affirmées surtout par les stratigraphie, céramiques, monnaies, 14C), conjuguant une fois de plus archéologie et histoire de l’art.

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