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Des fleuves et des hommes à l’époque mérovingienne

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Édith Peytremann

2. Occupations rurales funéraires

Sépultures multiples masculines dans les nécropoles mérovingiennes en Europe

Männermehrfachbestattungen der Reihengräberfelder in Europa

Tobias Günther Schneider

Zusammenfassung

In einem kurzen Abriss wird ein Überblick über die Mànnermehrfachbestattungen des Reihengräberkreises gegeben. Diese Bestattungen bergen trotz ihrer Seltenheit gute Ansätze zu gesellschaftlichen Untersuchungen. Es werden die räumliche Verbreitung, die Befunde, der Grabbau und seine unterschiedliche Ausformung, die anthropologischen Erkenntnisse und die sozialgeschichtliche Bedeutung besprochen. Abschließend wird versucht, einige mögliche Ursachen dieses Phdnomens aufzuzeigen.

Volltext

  • 1 La carte est une version actualisée de Schneider, 2009. On y trouve des listes et des représentatio (...)

1Au cours de ces dernières années, on a de plus en plus pris conscience d’un phénomène connu, dans la recherche du haut Moyen Âge, sous le nom de ‘tombe 3 de Niederstotzingen’, à savoir l’inhumation de plusieurs hommes dans une même tombe. Il s’agit d’une coutume plutôt courante dans la partie septentrionale de l’empire mérovingien. Cependant, quelques inhumations semblables sont également connues dans l’empire franc occidental, notamment par un cas en Angleterre. Naturellement, la majorité des tombes occupées par plusieurs hommes se trouve dans la zone la plus dense en nécropoles mérovingiennes, à savoir le sud de l’Allemagne. L’extension effective est cependant difficile à saisir, vu qu’elle dépend fortement du nombre des publications à ce sujet et des recherches régionales et qu’il n’existe pas de publication pour une grande partie de ces tombes. La carte de répartition (fig. 1) montre dans quelle mesure il existe, à ma connaissance, des publications sur les tombes mentionnées1.

2Il s’agit tout d’abord de définir le terme de « sépulture multiple ». Le diagramme (fig. 2) élaboré par A. Pollex montre toutes les combinaisons possibles d’individus inhumés ensemble (Pollex, 2000, passim). Les sépultures multiples présentées dans ce contexte sont nommées sépultures doubles (simultanées), sachant qu’il existe également des sépultures à trois ou quatre individus, donc trois ou quatre morts inhumés en même temps, l’un à côté de l’autre dans une tombe. En l’occurrence, il faut s’attendre à des « ensembles », c’est-à-dire que les dépouilles reposent dans la tombe l’une à côté de l’autre dans un ordre précis. Dans les chambres funéraires, plus spacieuses, les objets déposés sont ordonnés suivant un schéma bien précis. Il répond souvent à un sens de l’esthétique et présente une certaine symétrie visible en particulier dans la tombe d’Inningen (fig. 3), où même les pointes de lance furent disposées, deux par deux, aux côtés de la dépouille. Les sépultures additives mentionnées en exemple ne correspondent pas aux sépultures multiples définies dans ce texte. Des remarques concernant une éventuelle parenté entre ces sépultures seront faites plus loin. Un point important consiste dans le fait que contrairement aux sépultures additives, les sépultures multiples habituelles ont eu lieu au même moment, sinon aucune évaluation fiable ne peut être réalisée au sujet des personnes inhumées.

Fig. 1. Carte de répartition des sépultures masculines multiples en Europe. Légende : cercle : sépulture double ; carré : sépulture triple ; étoile : sépulture quadruple.

© Tobias Schneider, 2012.

Fig. 2. Différentes combinaisons possibles de sépultures multiples.

D’après Nowotny, 2011, fig. 4.

Fig. 3. La tombe masculine multiple de Inningen.

D’après Bakker, 2005, fig. 130.

Fig. 4. Les tombes masculines de Greding-Großhöbing.

D’après Nadler, Weinuch, 1998, fig. 92.

3H. Lüdemann se sert de la position du squelette pour consolider la théorie de la contemporanéité des sépultures : celle-ci se confirme lorsque les défunts sont couchés l’un à côté de l’autre, dans des postures explicites telles qu’enlacés ou qu’un défunt repose dans les bras de l’autre. Ils peuvent se tenir par la main, avoir leurs mains l’une sur l’autre ou reposer dans les bras l’un de l’autre. Parfois les squelettes sont tournés F un vers F autre et se trouvent en « contact visuel » (Lüdemann, 1990,p. 28-29). Chr. Neuffer-Müller, lui, part du principe qu’on ne peut parler de contemporanéité des sépultures que si les corps sont enlacés, sinon il s’agirait d’inhumations consécutives (Neuffer-Müller, 1972, p. 12). Cette thèse s’avère insuffisante. Cependant, on peut présumer que le but était d’exprimer une communauté, peut-être par l’image du « côte à côte ». Du fait que certains des défunts d’une sépulture triple ou quadruple se tiennent par la main et d’autres pas, il découle qu’une distinction était voulue. Un grand nombre de corps ont été inhumés de façon à ce qu’ils se touchent ou se superposent. Dans certains cas on s’en est abstenu. En règle générale, les personnes inhumées reposent sur le dos, les bras allongés parallèlement au corps. Ceci n’est pas convaincant et s’étend d’ailleurs à toutes les autres tombes. Je ne considère pas non plus la disposition des crânes l’un par rapport à l’autre, en contact visuel, comme primordiale, car un crâne est à même de se déplacer légèrement après l’inhumation, surtout si le corps est enterré dans un contenant tel un cercueil ou une chambre. Le déplacement du crâne s’explique par le fait que le support d’origine où il reposait se décompose. Citons en exemple la tombe 143 de Greding-Großhöbing (fig. 4) (Nadler, Weinlich, 1998, p. 139).

4En général, les tombes alignées ne comportent qu’un individu par tombe. Maintenant, il s’agit de savoir pour quelles raisons deux, voire plusieurs individus, dans le cas présent des hommes, sont regroupés dans une même tombe. Globalement on ne peut pas partir du présupposé qu’il s’agit de « morts violentes » (Mayer-Orlac, 1982, p. 6) mais plutôt d’exceptions à la règle (Pauli, 1978, p. 44 et suivantes). Différentes interprétations sont avancées dans la recherche, parfois avec d’importantes divergences, pour expliquer l’usage de sépultures multiples. Il s’agirait donc de tombes comprenant des individus unis par des liens familiaux, en quelque sorte une inhumation familiale (Schnurbein, 1987, p. 88). Outre les liens personnels (Koch, 1996, p. 736), pouvant également inclure des liens amicaux, on évoque actuellement un arrière-plan homosexuel (Menninger et alii, 2004, p. 159). Un point essentiel à traiter est la question de la Totenfolg (Maringer, 1944, passim). On part du principe qu’un ou plusieurs individus suivent une personne dans la mort, en général mieux située sur le plan social, soit de plein gré, soit par la force. Les transitions entre les « disciples » qui se démarquent de la Totenfolge sont progressives (Paulsen, 1967, p. 140). Par disciples, j’entends une communauté unie dans la vie par des actions guerrières et suivant un seigneur (Sasse, 1990, p. 60). À ceci se rattache la mort au combat (Koch, 2001, p. 154-155), mais d’autres facteurs peuvent également jouer, tel un accident, également dans le sens de catastrophe, ou une épidémie comme la peste (Gutsmiedl, 2005, p. 199-208). Ce qui implique qu’une mort simultanée conduira à une inhumation commune (Caselitz, 1981, p. 174). On présume parfois qu’il s’agit de morts conservés, ne pouvant être inhumés qu’après une période de gel (Koch, 2001, p. 154-155). De façon pragmatique, on suppose aussi que les nécropoles n’offraient pas suffisamment de place pour des tombes individuelles (Lüdemann, 1990, p. 219) ou qu’il s’agissait de fosses communes (Caselitz, 1981, p. 174-175).

5Les sources écrites mérovingiennes expliquant les coutumes d’inhumation se comptent sur les doigts de la main. Aucun texte provenant des régions de la rive droite du Rhin n’est connu pour éclairer le phénomène des sépultures multiples masculines. À titre subsidiaire, les decem libri historiarum de Grégoire de Tours, qui relatent la situation jusqu’à la lin du vie siècle, peuvent être mis à contribution. M. Weidmann a rassemblé les témoignages touchant aux coutumes d’inhumation contenus dans ce livre. Pour les sépultures doubles relatées depuis le ive siècle, il s’agit d’inhumations de couples, l’inhumation commune ayant été convenue de leur vivant. Les inhumations étaient consécutives. Ce genre d’inhumation était rare et n’entrait en ligne de compte que pour les couches de société romanes supérieures (Weidemann 1982, p. 126). Le seul cas de sépulture double masculine évoquée est celle de saint Julien de Brioude et saint Ferreol de Vienne, dont la tête fut détachée du corps. Le crâne de saint Ferreol fut enseveli avec les ossements de saint Julien (ibid., p. 126-127). Il n’est fait référence à l’occupation de tombes par deux ou plusieurs personnes que dans le contexte de fosses communes, dans des situations bien particulières, telles une épidémie de peste (ibid., p. 127-128). Bien que Grégoire de Tours évoque des sépultures multiples, elles ne concernent pas les formes traitées ici. Il faut donc supposer que soit Grégoire de Tours ne connaissait pas la forme de sépulture multiple masculine évoquée ici, soit il voulait éviter d’y faire allusion ou bien il jugeait inutile d’en parler. Comme les sources écrites du haut Moyen Âge ne permettent pas d’obtenir des conclusions satisfaisantes pour comprendre les sépultures multiples masculines mérovingiennes, il est possible qu’en portant un regard sur d’autres périodes archéologiques nous puissions y trouver des réponses.

6Nous savons qu’il existe des sépultures multiples à toutes les périodes de la Préhistoire et de la Protohistoire (Lüdemann, 1990, p. 14). L’étude de P. Caselitz montre qu’il a dû exister un nombre remarquable de sépultures multiples parmi les tombes antiques à incinération qu’il a examinées. Comparée au premier et second Âge du Fer, une transition se dessine, allant des sépultures femme-enfant à l’Âge du Fer aux sépultures homme-femme à l’époque de l’empire romain (Caselitz, 1981, p. 186-187). Les sépultures multiples masculines sous la forme analysée ici sontaussi bien représentées dans l’Antiquité qu’à l’époque carolingienne. Il existe des similitudes avec les sépultures multiples masculines de l’époque mérovingienne. La « tombe des martyrs » de la cathédrale de Xanten peut être citée en exemple d’une sépulture multiple masculine de l’époque de l’empire romain. La tombe B 44 contient les vestiges de deux hommes adultes, décédés des suites d’une mort violente et déposés dans un seul cercueil. Celui-ci se trouve sous un bâtiment supposé sacré (Bader, 1934, p. 113-115). Le fait qu’on dénomme le bâtiment « sacré » et que la mort soit interprétée comme celle de martyrs est de plus en plus contesté (Runde, 2003, p. 116-118). La tombe dépourvue de dépôts d’objets appartient à la deuxième moitié du ive siècle (ibid., p. 119).

7Les inhumations de la période mérovingienne s’étendent à toute l’époque. Les plus vieilles tombes de la région des nécropoles à rangées se trouvent en Thuringe (Mühlhausen 3) et dans le Bade-Wurtemberg (Pleidelsheim) (Schneider, 2009, p. 15-16). La tombe de Buckland près de Douvre enAngleterre est rattachable au tout début de l’époque mérovingienne (Evison, 1987, p. 126). Le plus grand nombre de sépultures multiples masculines trouvées en Allemagne datent de l’époque autour de l’an 600 et indiquent que le phénomène s’est étendu vers l’ouest et le sud-ouest. Les deux tombes françaises de La Grand Oye (Doubs) appartiennent à la période la plus récente de l’époque mérovingienne (Urlacher et alii, 1998, p. 192-195). Dans la région bavaroise, les tombes multiples n’apparaissent qu’à la lin de la période mérovingienne. C’est la période à laquelle on trouve le plus grand nombre de sépultures multiples. Pour la période carolingienne, il est difficile de trouver des parallèles. Citons à titre d’exemple la tombe 217 de Schortens, qui date de la fin du viiie siècle (Rötting, 1999, p. 231-233) et qui peut être incluse à l’étude, étant donné qu’elle n’est pas trop éloignée dans le temps.

  • 2 À l’encontre des plus anciennes tentatives de datation de la tombe de Wamers, 1994, p. 32 ss.

8Dans la première partie du ixe siècle, se trouve la tombe sous bateau de Haitliabu2. Elle fut aménagée sous forme d’une chambre funéraire située sous un drakkar, lui-même enseveli sous un tumulus. Dans ce contexte, cinq tombes chevalines furent découvertes, dont deux se trouvaient dans la chambre orientée nord-sud (Müller-Wille, 1976, p. 31). Trois chevaux étaient couchés sur le pont du bateau (ibid., p. 20-22). Dans la chambre elle-même ne se trouvaient plus d’ossements, seulement les objets déposés. À l’aide de ces derniers, trois sépultures masculines ont pu être restituées.

9L’homme de la chambre B, qui se trouvait le plus à l’ouest, était doté d’une spatha, de deux umbos de bouclier, de boucles de baudrier en argent avec des ornements en filigrane, de deux éperons, d’un harnais orné de plaques en argent, de plusieurs pointes de flèche, d’un bassin en bronze situé à proximité des pieds, d’un gobelet apode en verre, d’un coffre, un peigne ainsi que de quelques ossements de porc. Dans la chambre A, à l’est, se trouvaient deux spathas, deux umbos de bouclier, deux mors, une paire d’étriers, des ferrures de seau en bronze, plusieurs boucles et pièces en fer (Wamers, 1994, p. 3). La tombe ressemble à un ensemble de sépultures multiples de T époque mérovingienne. On l’interprète comme étant une tombe royale, bien que l’identification du défunt soit contestée (ibid., p. 32-35).

  • 3 Cette explication n’est pas forcément exacte mais envisageable ; voir Paulsen, 1967, p. 17.
  • 4 Considérés par Lüdemann comme indices de batailles auxquelles il aurait survécu ; Lüdemann 1990, p. (...)

10Non seulement, la disposition des squelettes et des objets déposés mais aussi, les squelettes eux-mêmes informent sur les conditions de vie et les aléas auxquels les hommes étaient exposés. Ce sont surtout les traces de blessures ou de maladie qui donnent des éléments probants. Un nombre très important d’individus montre des blessures provoquées par des éléments extérieurs. Il s’agit principalement de blessures dues à des coups qui sont constatées (Wahl et alii, 1997, p. 345). Sur 75 tombes étudiées, ce genre de blessure a été constaté sur vingt-quatre squelettes. Une partie infime de ces blessures ont guéri du vivant de ces personnes et ne peuvent donc pas être considérées comme cause des décès. Des blessures occasionnées par des coups portés à la tête n’étaient pas obligatoirement mortelles, comme des traces de guérison le montrent (Rauschke, 1981, p. 38, fig. 36). Un exemple de blessure consécutive au combat mais guérie est celle portée au visage de l’homme de la chambre 3 de Niederstotzingen3, inhumé au centre et nommée « Saxstich » (coup saxon). Des hématomes guéris ont été constatés, outre les blessures mortelles à la tête sur deux squelettes de la chambre sud de Großhöbing 143 (Kreutz, 2003, p. 98-101). Les squelettes d’Altenerding, tombe 887/888, présentent tous les deux des blessures : l’homme de la tombe 887 a reçu un coup sur la hanche, provoquant des éclats d’os4, mais qui ont guéri (SAGE, 1984, p. 226). La mâchoire inférieure du squelette de la tombe 888 a été sectionnée par un coup. Les blessures dues à des coups portés à la tête ne sont pas rares dans les sépultures multiples masculines. Les squelettes de la nécropole de Büttelborn (Göldner, 2003, p. 136-142) témoignent également de combats. Il manque une partie de la calotte crânienne de l’un des squelettes de la tombe II-IV qui n’est malheureusement pas décrite précisément. Il en est de même pour le plus âgé des deux individus de la tombe 269 de Büttelborn. Son compagnon, inhumé dans la même tombe, présente également une blessure crânienne, à savoir une fracture. Cette fracture crânienne est due à un coup non moins violent que celui porté à son « compagnon ». Ainsi il est fort probable que les deux individus soient morts au même moment. De même, les cinq individus (sic !) inhumés à Gredding-Großhöbing 143 portent des blessures crâniennes liées à des coups (Nadler, Weinlich, 1998, p. 140-142). Les morts 35/36 de Kleinlangheim présentent tous les deux des blessures dues à des coups. L’individu de la tombe 35 a reçu un coup sur la tête et un autre lui a tranché la mâchoire inférieure. Son « partenaire » a également reçu un coup sectionnant le crâne (Pescheck, 1996, p. 188-189).

11Les deux squelettes trouvés dans la tombe 3 d’Etting (sépulture double) présentent également des blessures crâniennes liées à des coups (Gairhos, 2010). Dans la tombe 2 d’Inningen, le second individu inhumé (vu du sud) a également reçu un coup sur la tête. Le quatrième squelette avait la jambe droite sectionnée à hauteur de la cuisse, le reste de la jambe coupée ayant été inhumé avec le corps (Bakker, 2005, p. 123-125, fig. 130). On peut non seulement en conclure une mort relativement rapide mais également une inhumation minutieuse. Le crâne de l’un des squelettes appartenant probablement à la seconde sépulture quadruple de Mühlhausen 3, tombe 35, présente également une trace de coup (Schmidt, 1976, p. 149). À Ergolding, sépulture 187, le squelette inhumé au centre présente trois blessures crâniennes dues à des coups (Koch, 2005, p. 113- 118). Dans la tombe 217 de Schortens, on a trouvé une pointe de flèche qui a dû initialement être plantée dans le crâne du mort (Rötting, 1999, p. 231-248). P. Paulsen ne disposait pas encore de beaucoup de pièces justificatives lorsqu’il écrivit : « pour les sépultures doubles et multiples dans une chambre en bois, il faut partir du principe de morts non naturelles » (Paulsen, 1967, p. 143). En outre il ne faut pas oublier qu’un certain nombre de blessures ne sont pas reconnaissables sur les os, telles que les plaies et les blessures dues à des coups de couteau ou d’armes pointues (Wahl et alii, 1997, p. 345). J.-P. Bodner von Wald se réfère à Grégoire de Tours en évoquant des blessures perforantes à l’aisselle ou au ventre (Bodmer von Wald, 1957, p. 127- 128). Ceci a pu être décelé au cours de récents examens sur les individus inhumés d’Inzighofen. L’individu 1 avait manifestement trois blessures perforantes dans le torse. Le garçon 2 a été gravement atteint au cou par une lame lui ayant vraisemblablement tranché la carotide. L’individu 3 ayant des blessures déjà guéries fut le plus gravement atteint par une blessure perforante à la cage thoracique, un coup porté entre le cou et l’épaule, une blessure perforante ou une flèche dans la mâchoire inférieure ainsi qu’une blessure crânienne sectionnant la partie droite du crâne (fig. 5) (WAHL, 2006, p. 66). L’origine des blessures n’est en règle générale pas accidentelle, même si c’est parfois le cas. Il s’agit de blessures reçues au cours de combats. La tombe de Hessigheim comprend également trois individus avec des blessures aux os (fig. 6) (Storck, Wahl, 2008, p. 165-170).

Fig. 5. Schéma indiquant les différents coups portés aux individus de la tombe multiple de Inzighofen.

D’après Wahl, 2005, fig. 53.

12Le facteur guerrier dans la vie des individus inhumés est souvent souligné par les armes déposées dans leurs tombes. Ceci contredit la thèse de la Totenfolge pour les sépultures multiples (par ex. Werner, 1988, p. 9 ; Zeller, 1988, p. 234-236). Il est peu vraisemblable de déduire une Totenfolge en interprétant ces blessures comme le résultat d’exécutions (Oeftinger, 1984, p. 123). Sectionner une mâchoire inférieure, couper une jambe à hauteur de cuisse ou porter trois coups à la tête ne sont pas le résultat et les traces d’exécutions. La tombe 143 de Gredding-Großhöbing offre à nouveau un bon exemple. C’est là que tous les individus inhumés furent trouvés avec des blessures crâniennes dues à des coups, et non guéries. Ainsi le « seigneur » aurait également été exécuté, s’il s’était agi de traces d’exécution suite à une Totenfolge.

Fig. 6. Schéma indiquant les différentes blessures reçues par les individus de la tombe multiple de Hessingheim.

D’après Stork, Wahl, 2008, fig. 147.

  • 5 NDLR: se fondant sur les résultats des analyses ADN de Monika Zeller dans sa thèse Molekularbiologi (...)

13La question des relations personnelles entre les individus inhumés, qui s’impose pour ainsi dire à leur vue, peut être partiellement abordée à l’aide de l’anthropologie et de l’analyse de leur ADN. Ces analyses permettent non seulement de définir le sexe des individus mais aussi leurs liens de parenté, offrant ainsi des indices sur les relations entre des individus inhumés ensemble dans une nécropole. L’ADN a été examiné et pris en compte dans seulement quatre des cas de sépultures multiples masculines étudiés. Il s’agit des tombes de Dürbheim 3a/b (Krohn, 2005, p. 317), Kirchheim sur Ries 245/246 et 430/431 (Neuffer-Müller, 1983), ainsi que Niederstotzingen 3a/b/c (Paulsen, 1967). L’examen de la tombe 3a/b de Dürbheim n’a pas été concluant en ce qui concerne le lien de parenté entre les individus 3a et 3b. Cela ne permet donc aucune conclusion au sujet de leurs relations. Le résultat, à savoir qu’il existe une probabilité de 80,4% pour que l’individu 3b soit un descendant de l’individu inhumé dans la tombe 14, laisse cependant supposer que les morts, du moins l’individu 3b, appartenaient à la communauté des individus de la nécropole de Dürbheim et qu’il ne s’agissait pas d’un étranger. À Kirchheim sur Ries, les deux individus inhumés dans la tombe 245/246 ont pu être examinés. Aucun lien de parenté n’a été constaté (Alt, Vach, 2004, p. 70). Pour la tombe 430/431, la matière organique n’a pas permis de conclusions. L’analyse ADN des individus de la tombe 3 de Niederstotzingen a non seulement abouti au résultat que l’individu 3c n’était pas un homme mais une femme5 (Schneider, 2010, p. 178-181 ; Schneider, 2011, p. 470- 474), mais aussi que tous les individus présentaient un lien de parenté, même s’il pouvait être éloigné.

  • 6 Message amical du Prosq. Dr. Michael Schultz, Universität Göttingen.

14Le lien de parenté relativement étroit entre l’homme 3b et la femme 3c - ils étaient soit oncle et nièce, soit cousins - peut être un indice pour la proximité des deux individus inhumés. Le lien de parenté des individus 3a et 3c - demi-frère et demi-sœur - montre aussi que le lien de parenté n’explique pas à lui seul l’emplacement des individus dans une tombe. Le lien familial n’est pas obligatoirement un indice pour l’emplacement des individus inhumés dans la tombe mais peut expliquer le fait que les personnes 3 a/b et c ont été inhumés ensemble. Une relation causale directe entre lien de parenté et sépulture multiple n’est pas impérative, il est également possible que la liaison soit issue des circonstances de la vie. Malheureusement les trois résultats des analyses ADN ne sont pas représentatifs de l’ensemble des sépultures multiples masculines. Dans deux des cas il n’existe pas de lien de parenté entre les personnes inhumées. Dans l’exemple de Dürbheim, on peut partir du principe de l’appartenance des personnes inhumées au village ou à ses alentours. Les liens de parenté entre les personnes de Niederstotzingen laissent supposer qu’il s’agit de liens entre membres d’une grande famille, ce qui expliquerait l’inhumation commune. Les individus inhumés à Gredding-Großhöbing semblent également avoir un lien de parenté à cause de signes morphologiques communs, une analyse ADN n’ayant pas encore été effectuée6.

15Dans ce contexte, il importe de répondre à la question suivante: la simultanéité de l’inhumation est-elle obligatoire pour des morts consécutives relatives à un événement, engendrant une sépultare multiple ?

16Les tombes dénommées consécutives laissent supposer qu’il existe aussi des sépultures multiples à inhumations consécutives. Il ne s’agit donc pas de sépultures multiples au sens propre du mot mais de sépultures multiples ayant eu lieu au fur et à mesure. La preuve en est la tombe 3 Etting-Sandfeld (fig. 7). À l’intérieur d’un cercle de tombes sous un tumulus se trouve une sépulture double accolée à une sépulture simple au nord. Sans aucun doute la sépulture simple masculine 3 C fut juxtaposée aux tombes 3 A et 3 B et visiblement rattachée sur le plan architectonique (Gairhos, 2010, p. 44 et suivantes). Le fait que de toute évidence lasépulture double ait été aménagée en premier lieu puis rattachée à une sépulture simple et que les trois tombes masculines aient ensuite été recouvertes d’un même tumulus et entourées d’un fossé en arc de cercle est pour le moins digne d’attention. Seul l’espace de temps entre les « tranches de travaux », en particulier le rattachement de la tombe 3A aux tombes 3 B et 3C, ne peut être évalué. Il n’est sûrement pas très important étant donné que la nécropole dans son ensemble est datée au viiie siècle et que les objets trouvés dans les tombes 3 B et 3 C permettent de les dater de la fin de l’époque mérovingienne. Les tombes juxtaposées de la sorte, mais dont il n’est pas possible d’établir l’ordre d’aménagement, ne sont pas rares dans les nécropoles de tombes alignées. Ainsi, on peut prendre en exemple la nécropole de Dirlewang près de Mindelheim (Christlein, 1971, p. 1-43). Les tombes masculines 18 et 19 furent aménagées très près l’une de l’autre et orientées de la même façon, ce qui laisse supposer une inhumation additive, l’orientation différant quelque peu de la nonne en vigueur pour la nécropole entière. Il est intéressant de noter que les tombes 38 et 39 de Dirlewang correspondent à une sépulture double classique homme-femme. Les deux formes d’inhumation dans une même nécropole ne s’excluent donc pas.

17Sur le site de la cathédrale d’Ulm, deux sarcophages ont été trouvés juxtaposés de manière à reposer sur les supports en bois respectifs (sic !). Ces tombes datent du viiie siècle et montrent que les inhumations additives peuvent également continuer à être pratiquées dans le périmètre d’une église (Butrzler, 1998, p. 141-143). Nombre de sépultures additives pourraient être évoquées ici, mais cela sortirait du cadre de l’étude.

Fig. 7. Plan d’ensemble de l’aire funéraire d’Etting-Sandfeld.

D’après Gairhos, 2010, fig. 10.

18Même au sein des sépultures multiples, il existe des sépultures pouvant être interprétées comme « sépultures additives », comme les chambres funéraires de Gredding-Großhöbing, tombe 143 (Nadler, Weinlich, 1998, p. 139- 142) et d’Ergolding, tombe 244 (Koch, 2005, p. 113-118). Ici, deux chambres funéraires ont été aménagées sous un tumulus ; dans le premier cas il s’agit d’une sépulture double et triple, dans le second cas de deux sépultures triples. Il est difficile, en se basant sur les sources, de trancher s’il s’agit là de la réalisation rétrospective d’une sépulture multiple ou d’une forme propre de coutume d’inhumation, mais il est certain que la tombe 3 d’Etting-Sandfeld porte à croire qu’il s’agit d’une sépulture multiple rétrospective, au cours de laquelle un mort (ici la personne A) a été inhumé après la ou les personnes (ici les personnes B et C) et déposé dans l’ensemble de la tombe.

Discussion

19Les idées exposées ci-dessus apportent déjà une suggestion de réflexion sur les diverses facettes des sépultures multiples masculines.

20Je pars du principe que les individus inhumés entretenaient des rapports personnels. Ce rapport s’exprime à la fois par la disposition des squelettes dans la tombe et la tombe dans sa totalité. La nature des relations personnelles peut être très variée. Pour la plupart, comme les liens amicaux, aucune preuve ne peut être fournie.

21Il existe des comptes rendus de diverses époques et de différentes contrées sur le sujet de la Totenfolge, concernant principalement les femmes. Les récits concernant la période antérieure à notre ère et des lieux éloignés de l’Europe nepeuvent certainement pas être transposés à l’époque mérovingienne (Ebner von Eschenbach, 2003, p. 167-191). Engster se prononça dans son étude sur le suicide des veuves chez les Germains contre la théorie de la Totenfolge pour les veuves (Engster, 1970, p. 170-171). Maringer semble avoir mené à bien des recherches sur la Totenfolge dans le contexte archéologique, malgré toutes les réserves au sujet de l’argumentation, mais n’a pas pu en trouver de preuves dans l’espace « germanique » (Maringer, 1944, p. 94). Selon Wenskus, la Totenfolge d’un disciple est attestée chez les Germains au iiie siècle (Wenskus, 1961, p. 358). Ce qui rejoint le précepte de Tacite qu’il est du devoir d’un subordonné de ne pas survivre à son maître (Kuhn, 1956, p. 78). Dans la région saxonne, un cas convaincant a été étudié où il est question de la Totenfolge probable d’une femme dans la tombe d’un homme d’un rang social plus élevé (Cosack, 2005, en particulier p. 429). Christlein présume une Totenfolge pour les individus 3b et 3c inhumés dans la tombe 3 de Niederstotzingen. Ainsi leur maître, 3a, serait la seule personne inhumée, décédée d’une mort naturelle. Christlein ne voit pas de contradiction entre la Totenfolge et le christianisme (Christlein, 1978, p. 59-60). Il est difficile de démentir cette théorie car une Totenfolge volontaire ne peut pas être démontrée par l’archéologie. Si on la transpose aux autres sépultures multiples masculines, les blessures, présentes sur tous les individus d’une tombe et occasionnées au cours de combats, vont à l’encontre de la théorie de la Totenfolge. La disposition analogue des individus dans une tombe et l’équipement des morts n’indiquent pas de grandes différences sociales sous entendant un rapport maître-serviteur. À aucun moment on ne trouve des indices laissant supposer une Totenfolge forcée, comme une disposition des corps divergente, des traces de fractures aux vertèbres ou autres.

22Une mort au combat laisse souvent des traces de blessures crâniennes dues à de nombreux coups. Tous les cas ne sont probablement pas pris en compte car soit beaucoup de blessures n’étaient pas apparentes, soit elles n’ont pas été enregistrées car il s’agissait de blessures sur tissus mous, soit aucun examen n’a été effectué à ce sujet.

  • 7 Référence à leges barbarorum. Le Wergeld (littéralement « prix de l’homme »), auquel il est fait al (...)

23Le dépôt d’armes dans les tombes souligne particulièrement le caractère guerrier des inhumations. La tombe de Niederstotzingen en est une preuve, mais la tombe 143 de Gredding-Großhöbing souligne également le côté guerrier dans la vie de la personne inhumée. Beaucoup d’armes sont déposées, en particulier dans les sépultures triples et quadruples. Cependant, on ne peut pas constater si la mort est survenue au cours de combats en temps de guerre ou en d’autres occasions, par exemple des querelles familiales7. Il est certain que la mort au combat représente une explication aux sépultures multiples masculines. La question de savoir si l’élément déterminant est la simultanéité ou la relation personnelle reste à débattre et ne peut être que supposée.

  • 8 Un bon exemple est la tombe 266 de Fridingen (Schnurbein, 1987).

24Expliquer globalement les sépultures multiples masculines par une mort au combat n’est cependant pas envisageable car pour certains individus d’autres causes de décès telles que la vieillesse doivent être prises en compte8. La question de savoir si l’explication d’une sépulture commune se trouve, dans certains cas, liée à un accident ou à une maladie ne peut pas être élucidée en se basant sur les matières organiques existantes. Comme le point de départ réside dans la simultanéité de la mort des individus, ceci peut fondamentalement être le cas pour toutes les tombes étudiées. Aucune trace de maladie n’a été décelée à l’examen des ossements ou au cours des analyses ADN ou des os. Un autre justificatif de maladie n’est pas possible dans le cadre donné. Certaines des blessures constatées sur les squelettes et ayant provoqué la mort des individus me semblent plutôt provenir de combats que d’accidents. Pour la plupart des sépultures multiples masculines, on ne peut pas partir du principe d’accidents ayant causé la mort des individus. Dans de rares cas la cause pourrait être accidentelle, ce que je considère cependant personnellement comme peu vraisemblable.

25Dans ce contexte, le fait d’interpréter les sépulturesmultiples comme des fosses communes à la suite d’épidémies, ainsi que l’évoque Grégoire de Tours, n’est certainement pas juste, dans la mesure où les sépultures multiples ont été aménagées avec beaucoup de méthode. Cependant, la comparaison avec d’autres travaux peut apporter plus de certitude. Il s’agit de la nécropole d’Aldaieta, datant du vie siècle (Azkarate, 1999), découverte au Pays basque actuel et interprétée, dans le compte rendu de H.-W. Böhme, comme un ensemble de sépultures consécutives à des combats (Böhme, 2002, p. 140). La plupart des tombes ont été aménagées sans soin et les ossements de plusieurs individus reposent en désordre dans les tombes (Azkarate, 1999, p. 377, fig. 288). Il semblerait qu’on n’ait pas pu consacrer beaucoup de temps à l’inhumation ou que l’on n’ait plus réussi à discerner à quel individu appartenaient les ossements. Ces sépultures se démarquent clairement des sépultures multiples analysées ici.

26L’argument du gain de place ne convient pas non plus pour les sépultures multiples. Le gain de place résultant de sépultures multiples aménagées sur le plan horizontal, par rapport à des sépultures simples, est infime et devrait s’inverser pour les sépultures recouvertes de tumulus. Derrière T argument du gain de place se trouve l’idée d’une moindre quantité de travail. Les sépultures multiples, parfois aménagées de manière sophistiquée, supposent au contraire beaucoup de travail. H. Polenz voit le gain de place comme une cause empêchant plutôt T aménagement de sépultures multiples (Polenz, 1998, p. 416).

27Les arguments en faveur d’une inhumation après une période de grand froid vont dans le même sens. L’hypothèse que le gel ait été la raison d’aménager des sépultures multiples, réside manifestement dans le fait que les hommes de l’époque mérovingienne n’avaient pas la possibilité d’ensevelir leurs morts dans des sols gelés. Ceci est sujet à caution car même sous nos latitudes, des inhumations ont eu lieu en hiver, avant l’apparition de machines. De plus, la question se pose de savoir pourquoi les individus décédés par temps de gel devraient être inhumés en commun. Rien n’empêchait de procéder à des sépultures simples à la fin d’une période de gel.

  • 9 Jentgens donne un bon aperçu des modèles : Jentgens, 2001, p. 121 sqq.

28La thèse de l’appartenance des individus dans les tombes à une suite est souvent soutenue, ce qui implique des représentations de Totenfolge. On part du principe que les individus étaient attachés par des liens de subordination soit à un des individus de la même tombe, soit à un individu d’une autre tombe de la nécropole. Le thème de « suite » dans l’archéologie protohistorique est empreint de beaucoup de points de vue et d’hypothèses9. Un traitement exhaustif du thème n’entre cependant pas dans le cadre de ce travail. Les bases de discussion du thème de « suite » se trouvent dans l’œuvre de Tacite sur les Germains (TACITE, Germania C. 13 et 14) mais il n’y est abordé que superficiellement (Wenskus, 1961, p. 316).

29Il est difficile de transposer la situation des « suites » de l’empire romain à celle de l’époque mérovingienne : « tout un univers sépare l’empire franc de la Germanie décrite par Tacite » (Rehfeldt, 1942, p. 8).

30Les sources écrites parlent souvent de hiérarchisation sociale dans le contexte des « suites ». Elle s’étend de rex àpopulus (Steuer, 1982, p. 340-342). L’aménagement de tombes riches peut donner une indication sur la situation sociale ; mais les tombes dénuées d’objets n’impliquent pas systématiquement un rang social plus bas (ibid., p. 317). En appliquant ces témoignages aux sépultures multiples masculines, il en résulte quelques points de départ pour examiner la question de la « suite ».

31Les tombes richement aménagées présentent toujours un aspect guerrier par les objets qui y sont déposés. Souvent, on a également trouvé des tombes chevalines à proximité de ces tombes. Les nombreuses blessures des hommes contractées au cours de combats montrent également que leurs vies étaient très liées aux combats. Les sépultures triples ou quadruples pourraient donc refléter une éventuelle position du maître comme primus inter pares. J. Werner essaya de trouver le maître de la « suite », en tenant compte des tombes 3 et 12 de Niederstotzingen, à l’extérieur des sépultures de la nécropole (dans la tombe 9) (Werner, 1973, p. 7). La tombe 134 de Großhöbing en particulier mais aussi les tombes d’Etting semblent avoir abrité une suite. Si ces tombes représentent des « suites » dont les membres ont péri ensemble, il est probable que les « maîtres » se trouvent également à l’intérieur de ces sépultures multiples.

32L’une des réflexions sur les raisons des sépultures multiples aboutit à des explications d’ordre homosexuel. Elles sont souvent évoquées pour tous les phénomènes en relation avec des congrégations masculines telles que l’ordre des Templiers au haut Moyen Âge (Krüger, 1997, p. 341). Cette hypothèse est aussi difficile à prouver qu’à contredire à l’aide de sépultures. Un lien allant au-delà de la relation familiale, examinée par exemple par analyse ADN, ne peut naturellement pas être démontré à partir d’un squelette.

33La tombe 62/15 de Heidelberg-Neuenheim est supposée abriter des individus homosexuels (Menninger, 2003, p. 161), mais il s’agit là d’une tombe superposée, et non d’une sépulture multiple masculine à proprement parlé. Deux squelettes masculins ont été inhumés dos à dos en sépulture superposée. L’individu enseveli dans la partie inférieure est couché sur le ventre. Un bassin retourné a été déposé à proximité du bassin de l’individu enseveli en premier, ce qui est interprété comme un signe d’homosexualité. Les autres signes qui ont permis d’avancer une homosexualité ne sont pas connus, ni si le bassin retourné est effectivement un signe d’homosexualité.

34La position de squelettes se tenant par la main n’est certainement pas un symbole à arrière-plan sexuel mais plutôt un signe d’attachement. Je pense cependant que les sépultures multiples masculines dont il est question ici ne peuvent pas être considérées comme sépultures de « couples » étant donné qu’au haut Moyen Âge l’homosexualité était certainement proscrite (Meens, 2004, passim) et qu’un étalage public lors de funérailles paraît peu vraisemblable.

35Les sépultures multiples masculines forment une bonne base pour traiter de la question des liens familiaux.Contrairement aux sépultures multiples mixtes pour lesquelles les couples peuvent être originaires de familles différentes et présentent, par conséquent, des gènes différents, les individus d’une même famille sont liés génétiquement. Des adoptions, qui contrediraient ce fait, semblent peu probables dans les cas traités ici.

36Le moyen le plus important pour définir une famille est l’analyse de l’ADN. Le nombre de tombes examinées par analyses ADN n’est pas élevé. Un lien de parenté entre individus inhumés n’a pu être constaté que dans le cas de la tombe 3 de Niederstotzingen. Ce lien de parenté était éloigné suivant les concepts actuels. Dans le cas de la tombe 3 de Dürbheim, un lien de parenté entre un homme et une personne inhumée dans la même nécropole a pu être constaté. Les autres résultats ne montraient pas de lien de parenté.

37Le résultat de la comparaison des tombes à l’aide d’analyses ADN dans les sépultures multiples masculines montre qu’il est peu probable qu’on ait affaire à des liens de parenté étroits, mais plutôt à des membres d’une communauté domestique (Schlesinger, 1953, p. 229).

38D’après l’état actuel de la recherche il me semble que des raisons d’ordre familial et biographique et/ou de « suite » peuvent intervenir dans une sépulture commune. Les nombreuses blessures pourraient être un indice en faveur de querelles familiales. Les raisons du grand nombre de sépultures sans équivoque ne sont cependant pas élucidées. Des mécanismes sociaux complexes et diverses autres raisons jouent sans doute un rôle. Il ne nous reste plus qu’à attendre les éléments nouveaux que fournira la découverte de nouvelles tombes.

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Anmerkungen

1 La carte est une version actualisée de Schneider, 2009. On y trouve des listes et des représentations plus complètes des tombes.

2 À l’encontre des plus anciennes tentatives de datation de la tombe de Wamers, 1994, p. 32 ss.

3 Cette explication n’est pas forcément exacte mais envisageable ; voir Paulsen, 1967, p. 17.

4 Considérés par Lüdemann comme indices de batailles auxquelles il aurait survécu ; Lüdemann 1990, p. 97.

5 NDLR: se fondant sur les résultats des analyses ADN de Monika Zeller dans sa thèse Molekularbiologische Geschlechts- und Verwandschafts-Bestimmung in historischen Skelettresten (Eberdhard-Karls-Universität Tübingen, 2010, en ligne sur le site de l’université), Tobias Schneider a indiqué que le sujet « 3c » de la célèbre tombe triple 3 de Niederstotzingen, avec un armement complet, n’était pas celle d’un adolescent gracile, comme l’étude anthropologique l’avait établi en son temps (Paulsen, 1967), mais d’une jeune femme. En quelque sorte une « amazone » mérovingienne, chose pour le moins curieuse dans une société traditionnelle où les marqueurs mobiliers du genre ne sont pas transgressés - armes pour les hommes, fibules et autres bijoux spécifiques pour les femmes - et où les quelques cas déviants signalés dans la littérature ne résistent pas à la critique. Un collectif interdisciplinaire de chercheurs, sous la direction de Joachim Wahl (« Neue Erkenntnisse zur frühmittelalterliche Separatgrablege von Niedrestotzingen ... », dans Fundberichte aus Baden-Württemberg, 3412, 2014, p. 341-390), a ainsi procédé à de nouvelles analyses ADN et autres et conclu de façon formelle que le sujet 3c était bien un jeune homme, comme l’anthropologie physique l’avait proposé en 1967. Lors de diagnoses sexuelles anthropologiques et biologiques qui sont en contradiction apparente avec le genre du mobilier funéraire, quand il est possible, la prudence doit donc être de règle et des contre-expertises « en aveugle », tant anthropologiques que biologiques s’imposent. C’est ce que montre bien l’article collectif de Tobias Gärtner, Brigitte Haas-Gebhard, Michaela Harbeck, Franziska Immler et Andreas Rott, « Frühmittelalterliche Frauen in Waffen ? Divergenzen zwischen der archäologischen und anthropologischen Geschlechtsansprache », dans Bayerische Vorgeschichtsblätter 79, 2014, p. 219-240).

6 Message amical du Prosq. Dr. Michael Schultz, Universität Göttingen.

7 Référence à leges barbarorum. Le Wergeld (littéralement « prix de l’homme »), auquel il est fait allusion ici, permet de conclure que les querelles familiales étaient fortement pénalisées. Voir Lex Salica : Eckhardt, 1953, p. 191 ss. Heiko Steuer est d’avis que les victimes de querelles familiales sont reconnaissables ; Steuer, 2008, p. 343-362.

8 Un bon exemple est la tombe 266 de Fridingen (Schnurbein, 1987).

9 Jentgens donne un bon aperçu des modèles : Jentgens, 2001, p. 121 sqq.

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