Vendenheim « Entrepôt Atlas-Fly », route de la Wantzenau (Alsace, Bas-Rhin) : découverte d’un ensemble funéraire mérovingien (VIe-VIIe siècle)
p. 331-349
Résumés
Une fouille de sauvetage réalisée sur la commune de Vendenheim (Alsace, Bas-Rhin) a permis la mise au jour d’un ensemble funéraire mérovingien composé de 73 sépultures à inhumation, utilisé du début du vie siècle à la fin du viie siècle ap. J.-C. La qualité des données archéologiques, l’abondance et la richesse du mobilier funéraire ainsi que la bonne conservation des matières organiques, notamment des bois et des textiles, ont permis d’observer des aspects inédits concernant les pratiques funéraires dans la région.
eine Rettungsgrabung in der Gemeinde Vendenheim (Elsass, Bas-Rhin) hat einen Bestattungsplatz mit 73 merowingischen Körpergrabern zu Page gebracht, der von Anfang des 6. Jhs. bis Ende des 7. Jhs. genutzt wurde. Die Qualität der archäologischen Befunde, die zahlreichen und wertvollen Grabbeigaben sowie die gute Erhaltung organischer Materialien, namentlich Holz und Textilien, haben Rückschlüsse aufbislang nicht bekannte Aspekte der Bestattungssitten in dieser Région erlaubt. (trad. : A. Frey et J. Chameroy)
The rescue excavation carried ont in the municipality of Vendenheim (Alsace, Bas-Rhin) unearthed an important Merovingian cemetery of 73 graves, used from the beginning of the 6th century to the end of the 7th. The quality of the archaeological data, the abundance and wealth ofthe grave goods and the excellent State of the organic materials (wood and textiles in particular) has shed new light on the burial practices in the region.
Texte intégral
1Une fouille d’archéologie préventive réalisée d’août à novembre 2011, sur la commune de Vendenheim, route de la Wantzenau, a permis la mise au jour de structures témoignant de plusieurs occupations au cours des époques néolithique et protohistorique (Hallstatt C/D1) ainsi que d’un ensemble funéraire mérovingien regroupant soixante-treize sépultures à inhumation.
1. L’organisation spatiale de l’ensemble funéraire
1.1. Présentation générale
2Le décapage exhaustif de la parcelle a documenté la majorité des limites de l’ensemble funéraire, excepté dans la partie septentrionale, où l’implantation des tombes semble se poursuivre au-delà de l’emprise de la fouille (fig. 1). L’aire funéraire s’organise de manière linéaire selon un axe nord-ouest/sud-est, sur une bande d’environ 125 m de longueur sur 60 m de largeur.
Fig. 1. Plan général de l’ensemble funéraire mérovingien de Vendenheim.
(DAO : H. Barrand Emam, A. Campaner)

3Quatre enclos circulaires ont été identifiés dans la partie méridionale du site. Ils contiennent chacun une à deux sépultures, juxtaposées ou superposées.
4À l’instar de ce qui est fréquemment observé pour l’époque mérovingienne, les défunts sont inhumés sur le dos, la tête à l’ouest, excepté dans trois cas où ils reposent la tête à l’est, les membres inférieurs en extension. L’ensemble funéraire est organisé en petits groupes de tombes pouvant être disposées les unes à côté des autres, séparés par des zones vides ou par des tombes disposées de manière plus lâche. Les dispositifs « en rangées », caractéristiques des ensembles funéraires mérovingiens, ne sont pas clairement visibles à Vendenheim. Deux grandes orientations principales, est/ouest et nord-ouest/sud-est, semblent toutefois être respectées, au sein desquelles les tombes semblent former des alignements.
5Deux dépôts de cheval ont également été mis au jour, chacun à proximité immédiate d’une sépulture masculine (SP 121 et 369). Dans une des tombes, des éléments métalliques de harnachements de chevaux étaient déposés dans la chambre funéraire (SP 369). Les animaux reposaient sur le flanc ou sur le ventre, avec les pattes repliées. Dans les deux cas, le crâne a été prélevé. Les datations par le radiocarbone ont permis de confirmer, pour un cheval, une inhumation contemporaine à la période d’utilisation de la nécropole (323 - POZ-47206 : 1410 ± 30 BP soit 615-655 ap. J.-C. 1 σ)1.
6L’étude géomorphologique a permis de distinguer deux unités principales. Dans le tiers nord, on note la présence de lœss, daté du Pléistocène, issu du plateau du Kochersberg. Ce substrat argileux a favorisé la bonne conservation des restes osseux. Dans les deux tiers sud, en revanche, on observe la présence de formations limono-sableuses d’origine fluviatile, reprises par colluviormement. Ce substrat, relativement acide, a permis la conservation des restes d’architecture funéraire en bois sous forme de traces ligneuses, aux dépens des os. L’ensemble de ces formations repose majoritairement sur des alluvions anciennes d’origine vosgienne.
7Le niveau d’apparition des sépultures, d’un mètre en moyenne, est homogène sur l’intégralité du site, excepté dans la partie nord-ouest où celles-ci sont apparues entre 0,40 et 0,50 m de profondeur, suivant le niveau d’apparition du lœss. Il faut donc envisager une ou plusieurs phases d’apports sédimentaires postérieurs à l’occupation mérovingienne. Ces apports ont eu pour conséquence de gommer la paléotopographie du site contemporaine à l’occupation, en nivelant en partie la dépression observée dans les deux tiers sud du chantier. Ce phénomène expliquerait alors le niveau plus profond d’apparition des sépultures dans ce secteur de la fouille.
1.2. Phasage de l’ensemble et méthode de datation (fig. 2)
8La datation du mobilier par comparaison typo-chronologique a été le premier élément utilisé pour réaliser le phasage la nécropole. Afin de compléter cette approche, une permutation matricielle automatique a été réalisée par R. Legoux. L’ensemble du mobilier a été intégré dans la matrice de la Chronologie normalisée du mobilier funéraire mérovingien entre Manche et Lorraine (LEGOUX et alii, 2009). Treize échantillons d’ossements ont également été envoyés au Poznań Radiocarbon Laboratory, afin d’obtenir des datations par radiocarbone. Ces échantillons provenaient de tombes ne contenant aucun élément de mobilier, mais également de tombes ayant livré du mobilier datant2. Ceci a permis de confronter les données chronologiques obtenues et de s’assurer que d’éventuels décalages chronologiques ne soient pas dus à des méthodes différentes.
9Les dates d’occupations ainsi obtenues s’étalent du début du vie siècle à la fin du viie siècle. Afin de faciliter la lecture de l’organisation topo-chronologique de la nécropole, les tombes ont été regroupées en deux grandes phases chronologiques : la phase 1 pour le vie siècle et la phase 2 pour le viie siècle.
10Ces phases ont été identifiées en regroupant des tombes de datations proches et dont l’organisation topographique est similaire.
Fig. 2. Plan de répartition des sépultures en fonction des phases chronologiques.
(DAO : H. Barrand Emam)

11La phase 1 est divisée en trois sous-groupes :
groupe 1 .a comprend les tombes datées des deux premiers tiers du vie siècle (MA1 à MA2, soit 470/480 à 560/570).
groupe 1 .b comprend les tombes datées des deux derniers tiers du vie siècle (MA2 à MA3, soit 520/530 à 600/610).
groupe 1 .c comprend les tombes datées du dernier tiers du vie siècle (MA3, soit 560/570 à 600/610).
12La phase 2 est divisée en trois sous-groupes :
groupe 2.a comprend les tombes datées des deux premiers tiers du viie siècle (MR1 à MR2, soit 600/610 à 660/670).
groupe 2.b comprend les tombes datées des deux derniers tiers du viie siècle (MR2 à MR3, soit 630/640 à
700/710).groupe 2 .ab comprend les tombes datées du viie siècle sans plus de précisions possibles (MR1 à MR3, soit 600/610 à 700/710).
2. La tombe : les modes d’inhumation
13La bonne conservation des restes de bois, sous forme de traces ligneuses, couplée à l’étude taphonomique des restes osseux, a permis F identification de trois principaux types d’architecture funéraire.
2.1. Les fosses non coffrées
14Les fosses non coffrées, qui concernent vingt-sept sépultures, semblent comporter uniquement un contenant rigide ajusté au corps du défunt. La conservation partielle des éléments d’architecture a permis de définir qu’il s’agissait de contenants non cloués en chêne3, construits probablement directement dans la fosse sépulcrale. Dans les sépultures 435 et 557, un assemblage à mi-bois des planches a pu être observé. Aucun indice archéologique et/ou taphonomique ne permet d’attester la présence d’un coffrage des parois de la fosse. D’un point de vue chronologique, on peut remarquer que les fosses non coffrées prédominent au début du vie siècle (phase La) en perdurant toutefois jusqu’à la fin du viie siècle (phase 2).
2.2. Les chambres funéraires coffrées
15Elles concernent vingt-neuf sépultures. Il s’agit de grandes chambres coffrées à l’aide de planches horizontales, plaquées contre les parois de la fosse ou distantes de quelques centimètres de ces dernières et pouvant être munies d’un système de couverture. Dix-huit d’entre elles ont été identifiées comme des chambres de type « Morken » (Böhner, 1959) grâce à l’observation conjointe d’un coffrage de la fosse, d’un contenant rigide ajusté au corps du défunt ainsi que d’une organisation bipartite de la chambre : le défunt est inhumé au nord et une partie du mobilier funéraire, déposé dans la moitié sud. Les chambres funéraires coffrées, notamment celles de type Morken, n’apparaissent qu’à partir du milieu du vie siècle (phase 1 .b) et prédominent au viie siècle (phase 2).
2.3. Les chambres funéraires coffrées à l’aide de « madriers fendus » et associées à une inhumation en cercueil monoxyle (fig- 3)
16Elles concernent huit sépultures. La chambre funéraire à « madriers fendus » est un type architectural défini à partir de deux exemples similaires observés dans la nécropole de Neudingen en Allemagne (Brendle, 2012, p. 123-136). Le coffrage est constitué de planches résultant d’un débitage sur dosse et/ou sur maille, juxtaposées, taillées en pointe, fichées à la verticale dans le sol4. Elles sont matérialisées enplan sous la forme de traces rectangulaires alignées parallèlement au bord du creusement et sont généralement placées à une certaine distance des parois. Pour certaines tombes, ces traces étaient perceptibles dès le niveau d’apparition de la sépulture, et ce jusqu’au fond de la fosse, ce qui correspond à une hauteur maximale conservée variant de 0,50 à 0,70 m.
17Ce type d’architecture, inédit dans la région, est systématiquement associé à une inhumation en cercueil monoxyle. Les chambres funéraires coffrées à l’aide de « madriers fendus » sont, à une exception près, caractéristiques du vie siècle (phase 1).
3. Le défunt
3.1. Les données paléobiologiques
18Toutes les sépultures sont primaires et individuelles. L’étude paléobiologique, qui a porté sur soixante-six individus, a été fortement limitée par l’état de conservation généralement mauvais des restes osseux. Pour quinze individus, seules quelques esquilles osseuses ou au mieux, quelques vestiges dentaires ont pu être prélevés. La détermination du sexe a été réalisée en deux temps, puisque la diagnose sexuelle probabiliste (DSP ; Murail et alii, 2005) a permis l’identification de seulement cinq individus féminins et deux individus masculins, du fait de la conservation médiocre des os coxaux.
19Les résultats obtenus par le biais de l’étude biologique ont donc été complétés par la détermination d’un « sexe archéologique », méthode systématiquement utilisée dans la région pour la période mérovingienne. En effet, si certains types d’objets sont plutôt mixtes, boucles de ceinture, céramiques, etc., d’autres sont préférentiellement associés à des sépultures masculines, comme ceux relatifs à l’armement, ou féminines, comme ceux liés à la parure. Le mobilier funéraire a donc permis l’identilication de quinze individus féminins et treize individus masculins. Cette dernière détermination n’a pas pu bénéficier d’une validation statistique puisque trop peu d’individus possédaient des coxaux en suffisamment bon état de conservation pour permettre la détermination d’un « sexe biologique ».
20Les données de minéralisation dentaire et/ou de croissance et de maturation osseuse ont permis l’identification de cinquante individus adultes et de seize individus immatures biologiques (Moorrees et alii, 1963 a et b ; Schmitt, 2005 ; Owings-Webb, Suchey, 1985).
21L’étude du recrutement au sein de cet ensemble funéraire a permis de mettre en évidence le fait que la mortalité de la population inhumée correspond à une mortalité naturelle, malgré un déficit d’individus de moins d’un an, fréquemment observé dans les contextes de cimetières ou de nécropoles. Ces individus font en effet très probablement l’objet de pratiques funéraires particulières et n’ont ainsi pas forcément accès au cimetière.
Fig. 3. La chambre funéraire à « madriers fendus » de la sépulture 159 : technique de débitage des planches du coffrage (représentation des techniques de débitage: d’après Hunot, Henrion, 2012, p. 35, fig. 2 - DAO : A. Rémy) et proposition de restitution simplifiée de l’architecture funéraire (dessin : F. Médard).

22Aucun regroupement par âge ou par sexe n’a été opéré au sein de cet ensemble funéraire.
3.2. Le mobilier funéraire
23Le mobilier funéraire associé aux défunts est extrêmement abondant et de nature très diverse, avec des objets relatifs à l’armement, à la parure, de la vaisselle et des ustensiles de la vie quotidienne. Il est cependant relativement classique pour la période et pour la région.
3.2.1. Les tombes masculines
24Le mobilier déposé au sein des tombes masculines est représenté essentiellement par des éléments d’armement : épées longues, scramasaxes, fers de lance, umbos de bouclier et pointes de flèches (fig. 4). En revanche, aucune hache n’a été mise au jour.
25Les épées longues sont fréquentes dans les sépultures masculines, puisqu’elles ont été observées dans sept cas sur quinze sépultures masculines identifiées. Cinq épées ont été mises au jour dans des tombes intactes et deux autres ne sont représentées que par un pommeau et un élément de baudrier en position secondaire, dans des tombes pillées. Cinq scramasaxes étaient présents, dont un est attesté par la présence d’un reste de la soie dans le comblement d’une sépulture pillée. Cinq umbos de bouclier et neuf fers de lance ont été dénombrés. Trois sépultures masculines étaient pourvues d’un lot de pointes de flèches. Dans l’une des tombes, elles étaient rassemblées le long du corps du défunt, au contact du scramasaxe, laissant supposer qu’elles se trouvaient à l’origine dans un carquois. D’une manière générale, les assemblages d’armes les plus fréquents correspondent à l’association épée longue, fer de lance et umbo de bouclier. Les autres assemblages semblent moins normés : la sépulture 124 est pourvue d’un scramasaxe, d’un fer de lance et d’un umbo de bouclier. La tombe 161 a livré un scramasaxe accompagné de quatre pointes de flèches. Le scramasaxe est la seule arme retrouvée dans les sépultures 556 et 560, alors que dans les tombes 215 et 421, il s’agit du fer de lance. Enfin, dans les tombes 300 et 424, seules des pointes de flèches ont été mises au jour, mais il s’agit ici de deux tombes pillées et il est envisageable que d’autres armes aient initialement accompagné le défunt.
3.2.1.1. Les épées longues
26Les lames d’épées longues étaient damassées (fig. 4). Une seule était pourvue d’un pommeau en métal, les autres étaient certainement confectionnées en matière organique. Les deux pommeaux conservés appartiennent aux types1b et 6a définis par W. Menghin (Menghin, 1983, p. 63-64 et 78). Les manches des épées étaient composés de bois ou de corne. L’étude des restes organiques conservés sur les lames des épées longues a permis de mettre en évidence la présence de fourreaux en bois5 dont la technique de fabrication s’est révélée être différente de ce qui a déjà été observé sur d’autres exemplaires découverts dans des ensembles funéraires régionaux, notamment à Matzenheim-Osthouse (Châtelet, 2009, p. 63) et à Erstein (Pillard-Jude, 2004, p. 55). En effet, les fourreaux des épées de ces deux sites étaient constitués de deux morceaux de bois entourés de cuir et recouvrant la lame. À Vendenheim, les fourreaux sont constitués d’une couche de tissu, sur laquelle étaient collées deux lamelles de bois de saule, d’aulne, de peuplier ou de sapin, elles-mêmes recouvertes par une nouvelle couche de tissu collée. Dans trois cas, des bandelettes transverses, en cuir ou en matière végétale, ont également été observées sur la partie supérieure du fourreau.
3.2.1.2. Les scramasaxes
27Deux types de scramasaxes ont pu être identifiés (fig. 4) : ils appartiennent au type scramasaxe lourd à lame large (Schwerer Breitsax) et au type scramasaxe court massif (Massiver Kurzsax) définis par J. Wernard (Wernard, 1998, p. 775-779). L’exemplaire de la sépulture 556, en très mauvais état de conservation, a toutefois permis d’observer que le fourreau était orné de rivets en alliage cuivreux, à tête bombée et collerette cannelée, associés à de petits rivets à tête bombée. L’étude des restes organiques a révélé que les fourreaux étaient tous confectionnés en cuir replié, conformément à ce qui a déjà été observé sur d’autres sites (ibid., p. 761-769). Les manches étaient confectionnés en bois d’orme, de hêtre, d’aulne ou de saule et/ou en corne. L’un d’eux était constitué d’un tasseau creusé, collé, puis enfilé sur la soie, cette dernière étant ensuite repliée pour maintenir le manche. Dans un autre cas, le manche en aulne a été façonné à partir d’un tasseau creusé à angle droit et coupé en deux moitiés formant deux pièces en « L ». L’une des pièces était retournée et collée face à l’autre, en l’ajustant autour de la soie du scramasaxe.
28Quatre des cinq tombes masculines possédant un scramasaxe sont datées des deux premiers tiers du viie siècle (MR1-MR2) et une seule appartiendrait aux deux derniers tiers du vie siècle (MA2-MA3). Notons que, de manière générale, dans les tombes contenant des scramasaxes (quatre tombes sur cinq n’ont pas été pillées), le mobilier déposé est relativement peu abondant. Cette observation peut probablement être mise en relation avec le fait que les objets tendent à se raréfier dans les sépultures mérovingiennes à partir du viie siècle.
Fig. 4. Les différents types d’armes présentes dans les sépultures masculines de Vendenheim.
(Dessin : D. Beucher, J. Soulat)

3.2.1.3. Les fers de lance
29Neuf fers de lance ont été dénombrés (fig. 4) : la flamme peut être de forme ovale (un cas) ou en feuille de laurier (huit cas) et la douille, ouverte (deux cas) ou fermée (sept cas). Aucune évolution morpho-chronologique des fers de lance n’a pu être mise en évidence. Ainsi, les différents critères communément utilisés pour les études de ce type d’arme, l’ouverture ou la fermeture de la douille, les proportions entre la douillet et la flamme, ainsi que la forme de cette dernière, ne semblent pas être caractéristiques des différentes phases chronologiques de l’ensemble funéraire. Deux groupes ont été définis :
30- les grands fers de lance d’une longueur totale supérieure à 50 cm (trois cas), qui correspondent aux types 33 et 36 de la Chronologie normalisée du mobilier funéraire mérovingien entre Manche et Lorraine (Legoux et alii, 2009, p. 27-28). Ils sont utilisés uniquement au cours des deux derniers tiers du vie siècle ;
31- les fers de lance courts, dont la longueur totale ne dépasse pas 38,1 cm (six cas), correspondant aux types 34 et 35 de la Chronologie normalisée (ibid., p. 28). Ils sont utilisés au cours des deux derniers tiers du vie siècle alors qu’on n’en retrouve qu’un seul exemplaire durant le viie siècle. Les hampes sont majoritairement en frêne ou en noisetier, toutes constituées d’une branche taillée en pointe, à l’exception d’un exemplaire fabriqué à partir d’un tasseau taillé.
3.2.1.4. Les umbos de bouclier
32Trois types d’umbos ont été identifiés parmi les cinq exemplaires mis au jour (fig. 4). Le premier correspond au type 79 de la Chronologie normalisée (Legoux et alii, 2009, p. 31). Il est composé d’une calotte conique sans bouton terminal, à col haut et pourvue de cinq rivets plats en fer sur la jupe. Dans deux sépultures, des rivets bombés recouverts d’une feuille d’alliage cuivreux, provenant des extrémités des antennes des manipules, ont également été découverts. Ce type se retrouve au cours des deux derniers tiers du vie siècle (phases MA2-MA3). Le deuxième type possède une calotte conique arrondie haute, coiffée d’un bouton terminal plat. Il est proche du type 81 de la Chronologie normalisée (ibid., p. 31). Cinq rivets à têtes bombées en alliage cuivreux se répartissent sur la jupe. Ce type apparaît, quant à lui, dans le dernier tiers du vie siècle (phase MA3). Enfin, le dernier exemplaire possède un col tronconique, quatre rivets plats en fer répartis sur la jupe et une calotte conique plate. Il est proche du type 78 de la Chronologie normalisée (ibid., p. 31). Ce type est daté de la première moitié du viie siècle (phases MR1-MR2).
33Les observations macro- et microscopiques réalisées sur les fragments de bois retrouvés sous la jupe des umbos de Vendenheim ont permis de conclure à l’utilisation exclusive du saule. Le bois était systématiquement orienté perpendiculairement à l’axe du manipule. Dans un cas, des traces de cuir ont également été observées entre les antennes du manipule et le bois du bouclier. Ce dernier devait donc être recouvert de cuir avant d’être assemblé à l’umbo.
3.2.1.5. Les harnachements de cheval
34Une sépulture masculine comportait un dépôt de mors et d’éléments de garnitures de harnachement de cheval, placés dans l’angle sud-est de la chambre funéraire. D’après la typologie de J. Oexle, ce type s’apparente à la forme 3 des mors à baïonnette (OEXLE, 1992, vol. 1, p. 60, Knebeltrensend mit Achterende und Steckzwingenkonstruktion).
3.2.2. Les tombes féminines
3.2.2.1. Les éléments de parure et d’habillement
35- Les colliers. À Vendenheim, les éléments de parure, notamment les colliers de perles, sont les objets les plus fréquemment représentés dans les tombes féminines. Parmi les 966 perles dénombrées, provenant de vingt-quatre sépultures, seuls huit ensembles n’ont pas été attribués à un groupe typologique établi par Cl. Theune-Vogt (1990). Le groupe B est majoritairement représenté avec cinq ensembles, puis suivent les colliers du groupe C, trois ensembles, du groupe D et E comportant deux ensembles et du groupe F représenté par un seul ensemble. Les sépultures féminines contenant un collier appartiennent majoritairement aux deux derniers tiers du vie siècle. Dans deux colliers, la présence de perles en or (tombe 489, fig. 5) et d’un médaillon en tôle d’or orné de grenats montés en bâte (tombe 159) a permis de révéler le caractère privilégié des défuntes.
36- Les fibules. Des fibules (fig. 6) ont été découvertes dans les sépultures féminines les plus privilégiées (sépultures 159, 171, 422 et 489). Les fibules ansées dissymétriques en alliage cuivreux, les fibules discoïdes cloisonnées en argent et en grenat ou les fibules aviformes en alliage cuivreux sont généralement portées par paire. Le cas d’une fibule de type discoïde à umbo en alliage cuivreux fait exception.
37Les fibules ansées dissymétriques appartiennent au type V.2.1.4 (tombe 159), IV.2.1.1 (tombe 422) et V.2.1.1 (tombe 489) défini par Alexander Koch (1998, p. 266, 267, 275, 279 et 283). On les trouve dans les sépultures datées de la fin du deuxième tiers du vie ou du début du troisième tiers du vie siècle (phases MA2-MA3). Les fibules discoïdes cloisonnées, systématiquement associées à une paire de fibules ansées dissymétriques, les premières étant portées au niveau du thorax et les secondes le long de la cuisse, appartiennent au même phasage chronologique. Seuls les exemplaires de la sépulture 489 ont pu être identifiés ; elles appartiennent aux types C1 et E6 définit pat K. Vielitz (2003, p. 37 et 77). Enfin, deux fibules aviformes ont été découvertes dans la sépulture 171, déposées avec d’autres éléments de parure et d’habillement, dans un contenant en matière périssable, placé à côté de la jeune défunte.
Fig. 5. Photographies sous binoculaire de deux perles en or provenant du collier de la sépulture 489.
(Clichés : F. Médard)

38- Les châtelaines. Huit femmes portaient des éléments de châtelaines suspendus à la ceinture. La châtelaine retrouvée dans la sépulture 489 devait être lestée par une amulette en cristal de roche sphérique, entourée de deux bandes d’argent, croisées, se rejoignant pour former une couronne carrée6. Cette châtelaine comportait également une rouelleen alliage cuivreux associée à un disque en ivoire d’éléphant7. Dans les sépultures 171 et 422, un disque décoré en bois de cervidé y était suspendu.
3.2.2.2. Les éléments de toilette, les objets de la vie quotidienne et les instruments liés à une activité artisanale
39Six peignes et trois paires de forces ont été découverts dans les tombes féminines. Ces objets pouvaient être suspendus à la châtelaine ou déposés à côté de la défunte, dans la chambre funéraire. Les peignes à simple denture semblent être majoritaires au cours de la deuxième moitié du vie siècle alors que ceux à double denture prédominent au début du viie siècle.
40Deux lames de tisserand ont également été mises au jour dans la sépulture d’une femme adulte (tombe 274) et dans celle d’une jeune fille âgée de 8 à 11 ans (tombe 171). Dans les deux cas, elles étaient associées à une fusaïole en terre cuite.
41Enfin, dans la sépulture 489, un coffret en bois, placé aux pieds de la défunte, a pu être identifié grâce à la présence de ferrures d’angles et d’un fermoir en fer.
3.2.3. La vaisselle
42La vision du vaisselier et des différentes pratiques funéraires que nous avons est tronquée par- la conservation différentielle des matériaux. À ces problèmes de conservation, s’ajoutent les pillages qu’ont subis de nombreuses sépultures du site. Ces dernières indications devront nous inciter à demeurer prudents face aux différentes observations faites dans cette étude.
3.2.3.1. Céramique (fig. 7)
43Le mobilier céramique de la nécropole de Vendenheim se compose de trente récipients sciemment déposés, répartis au sein de vingt-sept sépultures, soit 36,4% des tombes. Les tombes situées au sud de l’aire funéraire sont exemptes de récipients en terre cuite, ceux-ci étant répartis sur le reste de la nécropole. Hormis dans trois cas, un seul récipient céramique est déposé par sépulture. Sept catégories céramiques ont été identifiées. Ces dernières sont définies selon des caractéristiques techniques, morphologiques et fonctionnelles. Une seule d’entre elles, la céramique modelée (MD), est destinée à un usage culinaire. Elle compte neuf récipients entiers ou partiellement conservés. Les quatre autres catégories sont vouées à la table et plus particulièrement au service ou à la consommation directe de boissons. Ce sont des pots verseurs en céramique commune claire, en céramique fine ou en commune sombre, ainsi que des gobelets triparti tes « burgondes », des pots biconiques tournés et des pots non tournés de tradition germanique (Haldimann, 2002, p. 146 ; Mathiaut-Legros, 2006). Les pots verseurs en céramique tournée semblent avoir servi avant d’être déposés en raison de la présence de concrétions calcaires sur la partie inférieure. Ces pots verseurs n’ont donc pas été déposés neufs et ne sont pas issus d’une production à destination funéraire.
Fig. 6. Les différents types de fibules représentées à Vendenheim.
(Dessin : D. Beucher)
Fig. 7. La vaisselle en verre et en céramique.

(Dessin céramique : L. Alonso ; dessin du verre : H. Cabart)
Fig. 8. Les appliques en argent provenant du bol en bois de la sépulture 159.

(Dessin : O. Chifflet)

3.2.3.2. Verre
44Huit gobelets en verre complètent ce vaisselier (fig. 7) : cinq gobelets apodes type Feyeux 52 et 53 (Feyeux, 2003), un gobelet type Feyeux 55, un verre à pied type Feyeux 43 et un bol type Isings 1088. Ils peuvent être déposés seuls (SP 161, 178) ou indifféremment associés à un pot modelé (SP 167, 145), à un pot biconique (SP 121, 482) ou à un pot verseur (SP 369, 145). Enfin, dans le cas de la sépulture 159, le gobelet est accompagné d’un plat en bronze et peut-être d’un bol en bois, dont il ne resterait que les ornementations métalliques.
45Si l’on additionne les récipients en verre à ceux en céramique, ce sont au total vingt-neuf récipients sur trente-huit qui sont voués à la consommation des boissons, soit 76% du vaisselier. La prédominance de cette fonction sur les autres est très largement attestée en Alsace, notamment dans les nécropoles d’Osthouse, d’Illfurth et de Reguisheim (Châtelet, 2009 ; Roth-Zehner, Cartier, 2007, p. 185 ; Roth-Zehner, 2004), mais elle est aussi avérée sur l’ensemble du territoire mérovingien comme le démontrent les exemples des nécropoles de Saint-Vit en Franche-Comté (Urlacher et alii, 2008), de Bulles et Goudelancourt en Picardie (LEGOUX, 2011 ; Nice, 1988).
3.2.3.3. Bois / alliage cuivreux
46Les sépultures féminines privilégiées contenaient également de la vaisselle en alliage cuivreux et en bois. En effet, dans la sépulture 159, un bassin en alliage cuivreux à bords perlés a été retrouvé à l’envers, dans la moitié est de la fosse. Il devait certainement être déposé à l’origine sur le couvercle du cercueil monoxyle. À côté de ce bassin se trouvaient des appliques en argent provenant d’un bol en bois. Elles possédaient un décor au repoussé représentant un motif constitué d’une tête d’oiseau, de bras et de bandeaux (fig. 8). Des appliques similaires ont été découvertes dans les nécropoles allemandes de Wemeck-Zeuzleben (die Franken, 1996, vol. 2, p. 972) et de Güttingen (Fingerlin, 1971, pl. 8).
47Une autre applique en argent a également été retrouvée aux pieds de la défunte de la sépulture 171.
3.2.3.4. Phasage et dépôt de vaisselle
48Les récipients en verre sont présents uniquement dans les sépultures de la phase 1 (vie siècle). Cette observation correspond à ce qui a été vu dans la Chronologie Normalisée (LEGOUX et alii, 2009) pour laquelle les récipients en verre sont généralement datés de la phase « Mérovingien ancien » et notamment des phases MA2 et MA3 pour les gobelets présents à Vendenheim (type Legoux 449, 450 et 451).
49Le répertoire céramique de la phase La du site (phases MA1/MA2 : 470/480-560/570) se compose essentiellement de céramiques non tournées, des écuelles à paroi évasée de type Châtelet G5 ou verticale de type G9, ou encore de pots ovoïdes de type G1 ou G2.
50Un important glissement s’opère entre la phase 1 .a et la phase 1.b (phases MA2-MA3 : 520/530-600/610). Il apparaît en effet que la céramique fine tournée se substitue à la céramique non tournée. Les formes biconiques deviennent alors le dépôt privilégié. Les types de Vendenheim correspondent aux formes B2 et B3 de la céramique fine tournée de M. Châtelet (2002, p. 108)9.
51Les dépôts de vaisselle effectués au cours de la première moitié du viie siècle (la phase 2.a : MR1-MR2 : 5600/610-660/670) sont dans la continuité de ce qui a été observé durant la seconde moitié du vie siècle (phase 1.b). On observe une forte fréquence de céramique fine tournée, principalement représentée par des pots biconiques dans leur aspect le plus élancé, ce qui est confirmé par les résultats régionaux de M. Châtelet (phases nord 1.b et 1 ; Châtelet, 2002, p. 108). Par ailleurs, c’est au cours du viie siècle (phase 2) que sont attestés les gobelets tripartites de type « burgonde »10 (Mathiaut-Legros, 2006, p. 196). Au cours des phases MR2-MR3 (phase 2.b : 630/640 - 700/710), on observe une forte diminution des dépôts funéraires ainsi que l’apparition de la céramique à pâte claire (CC) à travers un pot verseur Cf1, qui n’a pas été déposé à proximité du défunt, mais qui a probablement été brisé volontairement sur le système de couverture de la chambre funéraire (SP 126). Ces changements de catégorie et de nature des dépôts s’opèrent, selon M. Châtelet, au début du viie siècle, ce qui correspond aux observations effectuées sur le site de Vendenheim au cours de la phase 2.b (Châtelet, 2002, p. 110).
3.2.4. Les dépôts animaux dans les sépultures (fig. 9)
52Les sépultures situées dans la partie sud du site ont été installées dans un sédiment très acide qui a fortement endommagé les squelettes. Aucun vestige faunique n’y était conservé. Seules les tombes de la partie nord du site ont fourni des restes de faune. Quinze tombes sont concernées par des dépôts de faune et d’œufs et sept d’entre elles ont été pillées.
53Dans ces quinze tombes, vingt-huit dépôts de faune ont été observés. La poule et le porc dominent les effectifs avec respectivement dix et neuf occurrences. Viennent ensuite les œufs, les caprinés et le bœuf, qui sont représentés par deux ensembles. Les dépôts sont relativement riches et comportent des pièces de viande de très bonne qualité avec des animaux jeunes. Les morceaux ne sont pas désossés.
54Les quinze dépôts de faune sont présents dans tous les types de sépultures, seules leurs dispositions varient. Sept sont situés dans des chambres funéraires de type « Morken » (Type 3), systématiquement à droite du défunt, dans la chambre funéraire. Ils se font majoritairement à hauteur du bassin (57 % des cas), alors qu’un dépôt est situé aux pieds (SP 489) et deux autres au niveau de la tête (SP 409, 303).
55Cinq ensembles ont été retrouvés dans des fosses étroites non coffrées avec contenant rigide (Type 1). Un seul a été retrouvé dans le coffre avec le corps du défunt : il s’agitd’un métacarpe de poule situé à gauche du crâne de l’individu de la tombe 476. Les quatre autres offrandes carnées ont été déposées sur le couvercle du cercueil dans trois cas et à l’intérieur de la fosse sépulcrale, à gauche des pieds du défunt, dans le dernier cas.
56Les deux derniers dépôts ont été observés dans des chambres funéraires à « madriers fendus » avec cercueil monoxyle (Type 2). Ils sont situés dans le cercueil, une fois à l’est des pieds du défunt (SP 159) et une fois à l’ouest de la tête (SP 171).
3.2.4.1. Les associations entre espèces
57La majorité des sépultures, soit onze sur quinze, ne possède qu’un dépôt simple. Un seul dépôt double a été observé. Il s’agit de l’association poule-porc dans la SP 121. Deux dépôts triples ont par ailleurs été enregistrés. Ils comprennent l’association poule-porc-œuf pour la SP 274 et poule-caprinés-œuf pour la SP 369. À ce jour, la triade porc, poule et œuf a pu être observée dans les nécropoles régionales d’Erstein (Dekanter, 2004, p. 75-78), d’Odratzheim (Koziol et alii, 2012, p. 159), d’Hégenheim (Billoin, 2007, p. 43-44) et de Vendenheim, ainsi que dans la nécropole de Bâle-Bernerring en Suisse (MARTIN, 1976 dans Putelat, 2013, p. 431-438).
3.2.4.2. Dépôts en fonction des données biologiques ou chronologiques
58Parmi les quinze tombes concernées par un dépôt animal, cinq contenaient les restes d’un individu adulte féminin (sur un effectif de quinze tombes), trois ceux d’un adulte masculin (sur un effectif de treize tombes) et deux, ceux d’individus immatures féminins (sur un effectif de huit tombes). Bien que les tombes féminines soient les plus nombreuses et les plus fournies en dépôts animaux, il ne semble pas y avoir de sélection des espèces animales en fonction du sexe des défunts. On notera cependant que les dépôts de poule ne sont associés qu’à des individus immatures.
59Les dépôts de faune sont majoritairement présents dans les sépultures de la phase 1 (vie siècle) puisqu’on dénombre onze tombes possédant au moins un dépôt, dont trois hommes adultes, quatre femmes adultes, deux immatures de sexe féminin, un adulte et un immature de sexe indéterminé. Toutes les espèces sont représentées : les deux dépôts de bœufs présents uniquement à cette phase (deux cas), la poule (sept cas), le porc (quatre cas), le capriné (un cas), le cheval (un cas) ainsi qu’un œuf.
Fig. 9. Plan de répartition des dépôts d’origine animale dans les sépultures de Vendenheim.
(DAO : L. Boury)

60Les dépôts animaux peuvent être d’une seule espèce, ou associés : capriné et cheval, poule et œuf ou poule et porc. Au cours de viie siècle, les dépôts de faune tendent à fortement s’amoindrir. En effet, seules trois tombes, respectivement d’une femme adulte, d’un adulte et d’un immature de sexe indéterminé, renferment un ou plusieurs dépôts. Les espèces concernées sont la poule (deux cas), le porc (un cas) et le capriné (un cas). Dans la sépulture 274, un ou deux œuf(s) étaient associés aux restes d’une poule et d’un porc. Dans les sépultures 278 et 409, le dépôt était unique, respectivement un capriné et une poule.
3.2.5. Position des dépôts de vaisselle et des dépôts animaux dans les sépultures
61Aucune corrélation entre l’emplacement du dépôt et la catégorie de céramique n’a pu être mise en évidence, puisque les céramiques culinaires ou les récipients à boire sont indifféremment placés au niveau de la tête (à l’ouest), des pieds (à l’est), sur le côté droit (au sud) ou gauche (au nord) du défunt. Notons, cependant, que quatre des huit récipients en verre sont situés au niveau de la tête du défunt, dans le contenant rigide ou hors du contenant. Il apparaît donc que l’emplacement du dépôt de céramique ou de verre est plus intimement lié à l’architecture funéraire qu’à la fonction de l’objet. En effet, dans les chambres funéraires coffrées, les récipients sont systématiquement localisés dans la partie sud de la tombe, excepté dans deux cas pour lesquels le récipient céramique a été déposé sur le système de couverture de la chambre. Dans les chambres funéraires à « madriers fendus », les récipients sont déposés en dehors du cercueil monoxyle, sur le couvercle, sur le fond de la fosse ou à l’intérieur du contenant. Enfin, dans les tombes non coffrées, les récipients peuvent être placés dans le contenant rigide, sur son couvercle (dans un cas le vase semble avoir été brisé intentionnellement) ou en dehors de ce dernier.
62Parmi les vingt-sept sépultures contenant un dépôt de vaisselle, dix comportent également un dépôt animal associé (seize dépôts sur les vingt-huit recensés). Les dépôts animaux sont exclusivement associés à de la vaisselle destinée à la consommation de boissons, à l’exception de la tombe 476, dont le répertoire céramique se compose uniquement de vaisselle culinaire. Cette combinaison de dépôts suggère qu’il n’y avait aucune volonté de déposer des éléments qui auraient une relation « fonctionnelle » les uns avec les autres, par exemple de viande avec un pot à cuire, ce qui expliquerait pourquoi la faune est généralement déposée à côté des récipients, à même le sol ou sur un réceptacle en matière périssable dont il ne resterait aucune trace (Dierkens et alii, 2008, p. 293).
63Enfin, le dépôt alimentaire peut également être placé au-dessus du défunt, sur le couvercle du contenant rigide (SP 422) ou sur le système de couverture de la chambre funéraire (SP 484).
64Toutes ces observations sont le reflet de l’importante variabilité des pratiques funéraires sur ce site. Le sexe ou l’âge du défunt ne semblent pas avoir d’influence sur les dépôts de vaisselle. De la même manière, la seule pratique récurrente, celle du dépôt du mobilier à la droite du corps, au sud de la tombe, est davantage liée à l’architecture même des chambres funéraires coffrées (type Morken) qu’à un choix préférentiel. Ces différents éléments suggèrent que les proches des défunts devaient être relativement libres dans la conduite et dans les choix des pratiques et des objets qui devaient accompagner le défunt dans la tombe. De la même manière, l’absence d’un service de base, dont la présence pourrait apparaître comme indispensable, aurait tendance à éliminer la notion de « viatique » qui accompagnerait le défunt dans son autre vie.
65Les dépôts de pièces de viande ou d’animaux entiers associés à de la vaisselle de table pourraient donc être perçus comme les restes d’un repas partagé entre les proches et le défunt lors de la cérémonie funéraire. Une partie de ce repas serait alors symboliquement offerte à ce dernier au cours du banquet et déposée avec lui dans la tombe. On peut également envisager que ce dépôt puisse symboliser l’ensemble des futurs banquets qui seront célébrés en l’honneur du défunt, sur sa tombe ou dans un autre lieu, lors des fêtes commémoratives réalisées en sa mémoire.
3.3. Le pillage des sépultures
66Le pillage des sépultures mérovingiennes est une pratique avérée et fréquente au sein de la quasi-totalité des ensembles funéraires mis au jour en Alsace pour cette période, alors qu’elle semble être moins systématique en se dirigeant vers le nord-ouest de la France. L’ensemble funéraire de Vendenheim n’échappe pas à la règle, puisque vingt-sept sépultures, soit 40% de l’effectif total, semblent être concernées. Deux secteurs sont principalement touchés par les pillages, les zones septentrionale et méridionale ; la partie centrale de l’ensemble funéraire, qui correspond à la phase précoce d’implantation de ce dernier, semble en effet avoir été épargnée.
67Le pillage des sépultures a été mis en évidence par la présence d’un trou de pillage, pouvant être inclus ou non au sein des limites de la fosse sépulcrale, et/ou par l’observation de perturbations osseuses d’origine anthropique, ou encore par T absence d’os ou de régions anatomiques entières. Les perturbations osseuses concernent en grande majorité la partie supérieure du corps (66 % des cas), ce qui est fréquemment observé, lorsque cet aspect est décrit, puisque c’est dans cette zone que se situent les parures les plus prestigieuses ainsi que les armes. Elles touchent la partie inférieure du corps dans 4 % des cas et la totalité du corps dans 30% des cas.
68Les hommes (cinq cas) et les femmes (neuf cas) sont touchés par le pillage. Treize sépultures pillées concernent des défunts de sexe indéterminé. En revanche, les adultes sont préférentiellement touchés (vingt-trois cas pour trois sépultures d’immatures biologiques).
69Notons également que deux types d’architecture funéraire sont quasi exclusivement concernés par le pillage. D’une part, les chambres funéraires coffrées à organisation bipartite, de type « Morken » (dix-sept cas sur vingt-six structures de ce type) et d’autre part, les fosses larges, non coffrées, avec contenant rigide (sept cas sur onze structures de ce type). Hormis ces deux catégories, seule une fosse étroite non coffrée, possédant un contenant rigide, est concernée.
70Dans une grande majorité des sépultures pillées, la présence de restes osseux perturbés sur la totalité de la surface de la fosse a permis d’identifier la présence d’un espace vide, étendu à l’ensemble de la fosse, au moment de l’intervention des pilleurs. Les sépultures n’étaient donc pas encore colmatées, ce qui permet d’envisager que le pillagea très probablement eu lieu au cours de l’époque mérovingienne.
71Lors de l’étude biologique des restes osseux, de nombreuses stries et entailles ont été repérées sur les os. Deux critères principaux permettent de les associer au pillage de la sépulture, plutôt qu’à des actes de violence perpétrés du vivant de l’individu. D’une part, elles ne concernent que les sépultures pillées. D’autre part, lorsque l’os est en place et qu’il n’a pas été perturbé au moment du pillage, elles apparaissent exclusivement en vue antérieure (Chenal,
72Barrand emam, 2014). Une étude tracéologique complète permettra prochainement de déterminer si ces traces ont été perpétrées sur os « frais », ou possédant encore une grande partie de sa trame protéique, ou sur os « sec », totalement minéralisé. Ces analyses permettront très vraisemblablement d’apporter des précisions concernant le mode opératoire des pilleurs.
Conclusion
73La fouille de sauvetage réalisée sur la commune de Vendenheim, Route de la Wantzenau, a permis la mise au jour quasi exhaustive d’un important ensemble funéraire mérovingien. Soixante-treize sépultures, trois enclos funéraires et deux dépôts de chevaux ont été identifiés. Le mobilier funéraire ainsi que les datations par radiocarbone ont permis de définir deux grandes phases d’utilisation entre le début du vie siècle et la fin du viie siècle ap. J.-C.
74L’étude ostéologique a été fortement limitée par le mauvais état de conservation des os. Toutefois, la détermination du sexe d’un nombre relativement important d’individus a pu être obtenue par l’intermédiaire du mobilier funéraire. Cet ensemble funéraire regroupe cinquante adultes parmi lesquels se distinguent vingt individus féminins et quinze individus masculins et seize immatures biologiques.
75La bonne conservation de la matière organique, notamment du bois, a favorisé l’identification de trois principaux types d’architecture funéraire, dont un inédit pour la région, les chambres funéraires à « madriers fendus ».
76Le mobilier funéraire est particulièrement abondant malgré un taux de sépultures pillées s’élevant à 40 %. Il est toutefois comparable avec ce qui a déjà été retrouvé dans la région pour cette période.
77La diversité quantitative et qualitative du mobilier déposé dans les tombes, ainsi que celle des architectures funéraires, suggère une image sociale relativement variée de la population de Vendenheim. En effet, les associations composées soit d’épées longues, de boucliers et de fers de lance, soit de scramasaxes, de boucliers et de fers de lance chez les hommes et la présence de parures de valeur (fibules ansées en alliage cuivreux, fibules discoïdes cloisonnées de grenats...) chez les femmes permettent de distinguer un groupe de personnes plutôt aisées. De plus, un petit groupe d’individus privilégiés, dont le mobilier funéraire présente un niveau de richesse exceptionnel, semble également se distinguer par la présence de parure en or, d’un bassin en alliage cuivreux ou encore d’éléments de harnachement de cheval.
78Les dépôts de vaisselle et de faune sont fréquents, mais aucune pratique commune, régie par l’âge ou le sexe du défunt ou encore la phase chronologique concernée, ne semble se dégager. On notera toutefois que les dépôts de faune chez les sujets immatures sont systématiquement et exclusivement composés de gallinacés.
79Des études complémentaires ont été engagées (xylologie, tracéologie sur les os, textile... ) afin de préciser certains aspects concernant les pratiques funéraires à l’époque mérovingienne, et également de mieux comprendre, par exemple, le mode opératoire des pilleurs à cette époque.
80La qualité et la quantité des données archéologiques recueillies au sein de l’ensemble funéraire de Vendenheim font de ce site une référence régionale incontournable pour la période alto-médiévale.
Bibliographie
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Waton m.-D., Lavergne J., Thomann E., 2005, La nécropole mérovingienne de Wasselonne au lieu-dit Wiedbiehl (Bas-Rhin), Saveme, 92 p. (Pays d’Alsace, 211b).
Wernard J., 1998, « ‘Hic scramasaxi loquuntur’ : typologischchronologische Studie zum einschneidigen Schwert der Merowingerzeit in Süddeutschland », Germania, Bd 76.2, p. 747-787.
Zehner M., 1998, Le Haut-Rhin, Paris, Acad, des Inscriptions et Belles-Lettres, 375 p. (Carte archéologique de la Gaule, 68).
Zehner M., Boës É., Georges p, Jeunesse C., 1997, Reguisheim-Ensisheim (68) : ‘Oberfeld-Grossfeld’, Rapport de fouille programmée, Antea Archéologie, SRA Alsace, 244 p.
Notes de bas de page
1 Les tombes de chevaux sont connues pour l’époque mérovingienne et de nombreux cas européens ont été répertoriés par M. Müller-Wille, surtout en Grande-Bretagne, en Allemagne et au Danemark (Müller-Wille, 1970- 1971). Les exemples français sont plus rares et concernent surtout les régions proches des frontières nord et est. U. Koch y voit une influence thuringienne et alamane (Koch, 1996, p. 725) et on leur attribue un rôle ostentatoire (Dierkens et alii, 2008, p. 281-283) et une signification symbolique (Salin, 1959). Quelques exemples ont été identifiés en Alsace et dans les régions voisines (Putelat, 2013, p. 429-431). Citons notamment les cas d’Erstein Beim Limersheimerweg (Dekanter, 2004), d’Odratzheim Sandgrube (Koziol et alii, 2012), d’Héguenheim 45 rue de Hésingue (Billoin, 2007), de Rixheim Avenue du Général de Gaulle (Zehner, 1998), de Sierentz Sandgrube (Heidinger, Viroulet, 1986) ou de Réguisheim oberfeld (Roth-Zehner, 2004). Les cas des tombes de chevaux retrouvés sans crâne ne sont pas des phénomènes très courants dans nos régions. Un seul cas a été référencé en Alsace dans la nécropole de Wassellone (Waton et alii, 2005, p. 293), mais les datations radiocarbone réalisées tendent à l’écarter du corpus mérovingien (210 à 600 AD : Putelat, 2013, tab. 6, p. 428). Il faut s’éloigner vers l’est pour retrouver des cas similaires comme par exemple à Waltersleben (Thuringe), Ammem (Thuringe) ou encore Mindelheim (Bavière) (Müller-Wille, 1970-1971).
2 Des datations radiocarbone ont été réalisées pour les tombes 33, 156,180, 215, 257, 369, 404, 407, 409, 424, 476, 478, 483, 522, 535, 659, 554A, 554B et les dépôts de chevaux 122 et 323. Sur les vingt échantillons envoyés, seuls treize ont permis d’obtenir une datation (tombes en italique).
3 Étude xylo-dendrologique réalisée par Christine Locatelli et Didier Pousset du Laboratoire d’Expertise du Bois et de Datation par Dendrochronologie (LEB2d), Besançon.
4 Le terme de « madriers fendus », emprunté à Y. Brendle, ne semble, dans le cas de Vendenheim, pas être tout à fait adapté, puisque les négatifs des planches constituant le coffrage pourraient être plutôt assimilés, en raison de leurs dimensions et de leur forme atypique, à des planches résultant d’un débitage sur dosse et/ou sur maille, plutôt que sur quartier (Hunot, Henrion, 2012, p. 35).
5 Étude xylologique réalisée par Marie-France Turlier, maître de conférences en biologie végétale, Université de Bourgogne, Dijon. Une étude des colles utilisées est actuellement en cours au Laboratoire de Biogéochimie de l’Institut de Chimie, Université de Strasbourg.
6 L’amulette en cristal de roche a été retrouvée en position secondaire dans la sépulture, dans un terrier de petit fouisseur, associée à des os du tarse gauche de la défunte.
7 Détermination d’Olivier Putelat (Université de Paris 1, UMR 7041 ArScan) avec l’aide de Louis Chaix (Muséum d’Histoire naturelle de Genève) et de François Poplin (Muséum national d’Histoire naturelle, Paris).
8 Étude réalisée par Hubert Cabart †, AFAV.
9 L’auteur date ces types des phases nord 1 .b et 1.c, ce qui correspond aux observations faites pour les phases 1.b et 2.a.
10 Ces récipients sont caractéristiques du viie siècle.
Auteurs
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Hélène Barrand Emam
Société Antea Archéologie (Habsheim, Haut-Rhin).
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Lucide Alonso
Céramologue.
-
Loïc Boury
Société Antea Archéologie (Habsheim, Haut-Rhin).
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Fanny Chenal
Société Antea Archéologie (Habsheim, Haut-Rhin).
-
Thomas Fischbach
Société Antea Archéologie (Habsheim, Haut-Rhin).
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