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    Plan détaillé Texte intégral 1. Le contexte environnemental 2. Approche archéologique 3. Le haut Moyen Âge 4. La signification de ces pratiques Annexe Bibliographie Auteur

    Des fleuves et des hommes à l’époque mérovingienne

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Passages à gué sur le Rhin (Alsace/Bade) au haut Moyen Âge

    Thierry Logel

    p. 213-233

    Résumés

    Les nombreuses découvertes fluviales observées le long du Rhin entre l’Alsace et le Bade permettent de souligner le rôle important tenu par le fleuve et d’autres cours d’eau, pour l’exercice de pratiques cultuelles. Ces pratiques se caractérisent notamment par l’abandon d’armes à l’emplacement de lieux de franchissement du Rhin. L’étude de ces gisements, qui se pérennisent sur la longue durée depuis le Néolithique jusqu’au haut Moyen Âge, permet d’établir une cartographie des gués sur le Rhin entre Bâle et Karlsruhe, gués dont la plupart sont encore en fonction à la période carolingienne.

    Die viele Flussfunde der Vor- und Frühgeschichte in der Gegend des Oberrheins zwischen Frankreich und Deutschland (Elsass/Baden) machen deutlich die wichtige Rolle des Rheins und andere Flüsse in die Kulturelle Praktik des Neolithikums bis Frühmittelalter. Die Waffen würden sogar am meistens als Flussfunde in dieses Gebiet entdeckt. Diese Flussfunde sind auch eine Hilfe für die Lokalisierung alte Furten im Rhein Gebiet.

    The many discoveries along the Rhine between Alsace and Bade underline the importance of this river and other watercourses in the exercise of religions practices. Such practices were often characterised by weapons abandoned at crossing-places on the Rhine. The study of these deposits, made uninterruptedly between the Neolithic and early Middle Ages, makes it possible to draw up a map of the Crossing points between Basel and Karlsruhe, most of which were still being used during the Carolingian period.

    Entrées d’index

    Mots-clés : Rhin

    Keywords : social anthropology

    Texte intégral Bibliographie Bibliographie Auteur

    Texte intégral

    1Les premières observations archéologiques effectuées au milieu du xixe siècle en Alsace ont permis de localiser dans des cours d’eau, et hors de tout contexte archéologique avéré, la présence de mobilier métallique (Nicklès, 1863- 1864). Dès ces observations, certains sites subaquatiques ont même fait l’objet de très sévères campagnes de dragage (en particulier dans l’Ill, à Ehl-Benfeld ou à Strasbourg), récoltant une masse considérable d’artefacts, principalement antiques. Cependant, malgré ces découvertes en milieu fluvial, ce mobilier n’a fait l’objet d’aucune étude systématique, ni d’interprétation. Seuls de rares précurseurs, notamment A.W. Naue (Naue, 1905), ont émis l’hypothèse que ces objets pouvaient constituer des indices de passages à gué, de lieux de franchissement de cours d’eau ; c’est en ce sens qu’il a interprété le site de Strasbourg-Argentorate, où se concentre un lot de mobilier métallique de la Protohistoire hors de tout contexte archéologique. Cette explication était également envisagée à l’aune des controverses entourant l’interprétation du toponyme Argentorate (Von appel, 1886). Dès le xixe siècle, plusieurs auteurs ont en effet émis des réserves quant à l’étymologie du préfixe -rate signifiant, certes, levée de terre ou butte en langue celtique mais peut-être trop hâtivement identifié au rempart du castrum antique (Pailler, 2006, p. 217-218). Force est de constater que la relecture de ces études anciennes laisse apparaître une autre proposition d’interprétation du toponyme (-rate), confirmée par des approches récentes, celle du passage d’un cours d’eau lié à une topographie opportune (Lambert, 2003 ; Lambert, Burnand, 2004 ; Lepelley, 2006). Dans cette acceptation Argentorate est étroitement lié au passage du fleuve.

    Fig. 1. Topographie de la zone d’étude et trois principales phases de transformations du Rhin : le Rhin naturel xviiie siècle, le Rhin rectifié xixe siècle et le Rhin canalisé xxe siècle.

    (Doc. S.R.T.M.)

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    2Cette difficulté d’interprétation systématique de ce mobilier en milieu fluvial est d’abord liée aux imprécisions de la localisation et des conditions de découvertes des objets métalliques, mais aussi et surtout à la méconnaissance de l’hydrographie de la plaine alluviale et de ses principaux cours d’eau. Dans certains secteurs bien localisés de la zone alluviale, la présence d’artefacts de l’Âge du Bronze hors des limites du tracé du Rhin dans sa physionomie du xviiie-xixe siècle pose la question de l’extension de l’activité fluviale au cours de la Protohistoire ancienne au-delà des limites jusque-là admises (Logel, 2008 ; Lasserre et alii, 2011 ; Vigreux et alii, 2012). Il faut donc impérativement établir un cadre environnemental qui permette de comprendre, d’interpréter et de circonscrire l’étendue de l’espace fluvial et humide concerné par la problématique de recherche. Néanmoins, pour le haut Moyen Âge, la totalité du mobilier a été mis au jour dans les limites du tracé du fleuve telles que les cartes topographiques du xviie et du xviiie siècle les représentent. Cette répartition du mobilier altomédiéval dans la zone alluviale rhénane sub-actuelle suggère que le cours du Rhin s’est déjà rapproché de sa physionomie de l’époque moderne attestée par les cartes topographiques du xviie siècle.

    3Le but de cette étude est de montrer comment des catégories empiriques, telles que des artefacts métalliques mis au jour hors de tout contexte archéologique dans l’ensemble de la plaine alluviale rhénane, peuvent servir d’outils conceptuels permettant de formuler des propositions de lecture de l’espace au cours du temps (Lévi-Strauss, 1964, p. 9).

    1. Le contexte environnemental

    1.1. Approche géographique et historique du Rhin

    4Le Rhin parcourt environ 1 320 km depuis sa source dans les Alpes suisses jusqu’à son embouchure dans la mer du Nord. L’espace d’étude, constitué par l’Alsace et une partie du Bade, est une plaine d’une longueur de 170 km environ (fig. 1). Cette section du cours du Rhin, dénommée « Rhin français », s’est considérablement transformée dans les quatre dentiers siècles. Ces modifications peuvent être constatées à la fois par les sources écrites mais aussi par la cartographie et les levés topographiques.

    5Par contre, nos connaissances sur les états du fleuve antérieurs au xvie siècle restent très lacunaires (Galluser, Schenker, 1992).

    1.2. La transformation du fleuve et la question de l’interprétation archéologique

    6La transformation du tracé du Rhin entre le xviiie siècle et la période contemporaine est particulièrement saisissante dans le nord de la région (Party, Müller, 2005 ; Musall, 1982). Le fleuve du xviiie siècle, pourtant déjà contraint par l’édification de nombreuses digues (Levy, 1982), présente encore un aspect sinueux avec des méandres naissants anastomosés et son lit mineur est encore large de 5 km en moyenne mais peu profond. En comparaison, le cours actuel canalisé est large de quelques centaines de mètres (fig. 1). Les travaux de régularisation puis de rectification du Rhin au cours des xixe et xxe siècles ont concentré la masse d’eau dans un chenal étroit qui s’est donc « naturellement » enfoncé de plusieurs mètres dans son sédiment de gravier, détruisant au passage tous les vestiges archéologiques. Une archéologie fluviale à proprement parler n’est donc plus possible dans le Rhin.

    7Cette modification radicale de la topographie et de l’hydrographie du fleuve constitue dès lors un écueil à l’interprétation archéologique. Concrètement, seuls les objets archéologiques sortis directement du chenal du Rhin actuel avaient été jusqu’aujourd’hui attribués à un milieu fluvial, tandis que ceux découverts dans ce qui constituait pourtant le lit du Rhin avant sa canalisation au xixe siècle étaient considérés comme des découvertes isolées, des dépôts ou étant liés à un contexte funéraire.

    8Le mobilier archéologique en milieu fluvial a été mis au jour de manière fortuite, souvent lors d’extraction de gravier dans la zone alluviale rhénane sub-actuelle, et un certain nombre de confusions subsistent quant à son contexte archéologique. Il faut donc en réétudier les conditions de découverte et le contexte sédimentaire. Les études anciennes établissent une première distinction méthodique entre les découvertes isolées de mobilier ne présentant pas de contexte archéologique et le mobilier en contexte funéraire ou d’habitat associé à des structures en creux et à d’autres artefacts. Cette distinction permet de procéder à un premier tri des vestiges. Les découvertes sans contexte archéologique, effectuées en profondeur dans les graviers et les sables de la zone dite « active » du fleuve (celle de son tracé des xviie et xviiie siècles), relèvent exclusivement d’un milieu fluvial.

    2. Approche archéologique

    2.1. Le mobilier en milieu fluvial

    9Un riche et important mobilier archéologique a ainsi été mis au jour, principalement dans la zone alluviale rhénane, mais aussi dans le cours de l’Ill, principal affluent du Rhin. Le corpus s’est considérablement étoffé depuis 2008 (Logel, 2008), notamment pour les périodes antique et médiévale, et regroupe aujourd’hui environ 4000 artefacts (fig. 2). La présence de mobilier en milieu fluvial dans le Rhin n’a cependant rien d’exceptionnel. Les études sur le mobilier en milieu fluvial en France (Seine, Loire, Rhône, Saône, etc.) comme dans une grande part de l’Europe (Rhin moyen, Danube, Tamise, Elbe, Meuse, Moselle, Pô, Isar, port de Huelva, etc.) ont largement démontré l’existence de ce phénomène pratiquement dans toute L’Europe, excepté sur les rives de la Méditerranée orientale (Bonnamour, 2000 ; Wirth, 2000 ; Lambrick et alii, 2009 ; Mélin, 2012, etc.).

    Fig. 2. Répartition chronologique du mobilier en contexte fluvial et humide dans la zone d’étude.

    (Logel, 2008 modifié.)

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    10Enfin, l’approche diachronique permet d’aborder la question de l’interprétation de ces phénomènes établis sur la très longue durée, du Néolithique au Moyen Âge (Wirth, 2012).

    2.2. Le mobilier en contexte fluvial : indicateur de lieux de passage du fleuve

    11La répartition de F ensemble de ces artefacts en contexte fluvial montre des zones de concentration d’objets (fig. 3). Les gisements sont relativement peu nombreux et certains regroupent des objets aussi bien néolithiques que protohistoriques, antiques, voire médiévaux. Ces découvertes attestent la permanence de pratiques d’abandon de mobilier dans des lieux privilégiés. Ce résultat rappelle le constat déjà établi pour d’autres cours d’eau, comme la Saône, où la poursuite de fouilles archéologiques, les recherches d’archives, mais aussi l’exploitation de la toponymie ont permis de préciser la relation entre la localisation de ces objets et la présence d’anciens lieux de franchissement de cours d’eau (Bonnamour et alii, 2001 ; Bonnamour, Wirth, 2001 ; Dumont, 2002, etc.).

    2.2.1. La question environnementale

    12La dynamique fluviale et l’ampleur du lit majeur du Rhin sont toutefois bien différentes de celles de la Saône et ne favorisent guère la fossilisation de ces lieux de franchissement. De plus, la rectification du cours du fleuve engagée à partir du xixe siècle a entraîné l’assèchement de nombreux bras, alors que la morphologie actuelle du Rhin constitue l’héritage des grands travaux d’exploitation du fleuve mis en chantier au xxe siècle.

    Fig. 3. Répartition des gisements en milieu fluvial.

    (Doc. t. Logel.)

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    13Quant aux artefacts archéologiques mis au jour dans la plaine alluviale rhénane, ils sont, pour la plupart, enfouis en profondeur (entre 1,50 m et 15 m de fond) et mis au jour fortuitement lors d’exploitation de gravières ou d’aménagements fluviaux. L’attribution de ces gisements à des phénomènes environnementaux (dynamique fluviale, pièges naturels, etc.) ne peut cependant être envisagée.

    14C’est au contraire la dispersion des artefacts dans la plaine alluviale qui signale des modifications substantielles du tracé du fleuve. Il faut en somme écarter l’hypothèse d’un transport de ce mobilier par le cours d’eau ou, plus largement, l’attribution à une cause naturelle de la formation de ces gisements d’artefacts.

    2.2.2. Le rôle déterminant de la rive

    15C’est la présence de la rive qui conditionne vraisemblablement la localisation topographique des gisements. En cas de déplacement de la rive en raison de l’évolution de l’emprise fluviale on constate le déplacement des gisements selon une logique chronologique consubstantielle. Inversement, quand la rive est stable, les gisements restent stables. C’est vraisemblablement à proximité de la rive que les pratiques d’abandon de mobilier s’effectuaient dans des secteurs de rapprochement significatif des deux rives, à l’emplacement de sites remarquables comme des rochers, des falaises, des avancées de la terrasse würm et de terrasses alluviales ou encore des espaces de confluence.

    2.2.3. Des faits anthropologiques

    16Les gisements diachroniques de mobilier montrent que leur formation n’est pas tributaire de conditions environnementales mais relèvent a contrario d’une pratique constante d’abandon volontaire d’artefacts au cours d’eau (Huth, 2012). Ils ont vraisemblablement été mis au jour à l’emplacement ou à proximité de leur lieu d’abandon où ces artefacts se sont accumulés. Ces « lieux d’abandon » ont donc des significations anthropologiques qui ont perduré depuis la Préhistoire jusqu’au haut Moyen Âge (Wirth, 2012). Enfin, même si les interprétations de ces pratiques restent sujettes à caution, la répartition topographique de ces gisements ouvre des perspectives inédites de recherches.

    Des lieux de franchissement du fleuve

    17En effet, de nombreux exemples montrent des phénomènes de concentrations d’artefacts répartis symétriquement (en vis-à-vis), de part et d’autre du fleuve. C’est la localisation de ces concentrations symétriques d’objets le long du Rhin qui permet d’identifier l’emplacement des lieux de franchissement du fleuve, vraisemblablement de gué ou de bac.

    Des axes de circulation

    18Ces passages se connectent à des voies de circulation, routes ou chemins, que les ensembles funéraires qui les bordent permettent d’identifier. Enfin, la présence de nécropoles, voire de sites fortifiés, implantés à proximité des lieux de franchissement, constitue un argument complémentaire pour relier ces gisements d’artefacts à un fait social. L’ensemble des données archéologiques établies dans la zone d’étude est donc requis pour établir la relation logique qu’entretiennent ces faits et ces vestiges.

    2.3. Les nécropoles, marqueurs de passages et de voies

    19Le marqueur de ces lieux de passages n’est pas exclusivement dévolu aux seuls objets mis au jour dans les cours d’eaux. Les rives du Rhin sont en effet marquées par la présence de nécropoles édifiées à proximité de ces lieux de franchissement du fleuve, déjà identifiés par les concentrations de mobilier métallique. Cette relation entre les passages du fleuve et la présence de nécropoles avait été soulignée par L. Bonnamour, suite à ses travaux sur les gués de la Saône. Ce phénomène peut parfaitement être observé sur les rives du Rhin, parfois souligné par le réemploi de tertres protohistoriques (Sessenheim, Goethe Hügel). La répartition des sépultures antiques et altomédiévales dans les zones alluviales trouve une explication logique quand elle est associée à la localisation des lieux de franchissements.

    3. Le haut Moyen Âge

    20Le mobilier en milieu fluvial de cette phase est essentiellement composé d’armes, notamment d’épées de grande qualité (fig. 4), de scramasaxes et de fers de lance, mais également de parures (fig. 5). L’usage de pièces de monnaie reste incertain pour cette période. Ce mobilier est essentiellement attribué à la période carolingienne. Les épées carolingiennes sont principalement mises au jour en milieu fluvial (Auenheim, Kleinkems, etc.) contrairement aux spathae mérovingiennes, dont les découvertes sont, au contraire, rares en cours d’eau. Le corpus des épées carolingiennes du Rhin supérieur montre que les découvertes en rivière constituent le seul milieu identifié pour ces armes (Steuer, 1988), le reste n’est constitué que de découvertes isolées non documentées (Schnitzler et alii, 2009, fig. 354 etp. 396 ; fig. 310 et p. 349).

    21Néanmoins, l’attribution chronologique de la plupart des autres artefacts reste sujette à caution. Ce mobilier n’a pas fait l’objet d’une étude typochronologique récente alors qu’une part significative de ce corpus semble aujourd’hui perdue.

    3.1. Le mobilier en milieu fluvial

    22Le corpus attribué au haut Moyen Âge est composé de 109 objets. Il s’agit d’une évaluation basse car un certain nombre d’ensembles n’ont pu être quantifiés à leur juste mesure du fait de la qualité des sources et de la disparition du mobilier des collections muséographiques.

    23Les armes (épées, scramasaxes et fers de lances, fig. 4 et 5) représentent plus de la moitié du corpus avec soixante et un individus. Les outils et ustensiles constituent la seconde catégorie fonctionnelle avec vingt-quatre individus, soit 22 % du corpus. Une seule monnaie est enregistrée ainsi qu’une vaisselle en bronze alors que les éléments de parure ne sont représentés que par neuf exemplaires, la plupart (huit individus) mis au jour sur les rives de l’ellipse insulaire du site de Strasbourg. On notera encore la présence de neuf fers à cheval dont l’attribution chronologique reste délicate (postérieure au Xe siècle) et de trois éperons.

    Fig. 4. Épées provenant de l’Ill et du Rhin. A : Strasbourg, rue des Veaux ; B : Auenheim ; C : Kleinkems.

    (Dessins : A, d’après Ehretsmann, 1988 ; B et C d’après Fundberichte aus Baden-Württemberg.)

    Fig- 5. Fers de lance du haut Moyen Âge provenant du Rhin. A : Helmlingen ; B : Auenheim ; C : Neuenburg-am-Rhein ; D : Rheinmünster-Greffern.

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    (Dessins d’après Fundberichte aus Baden-Württemberg.)

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    24La répartition du mobilier du haut Moyen Âge en milieu fluvial ou humide confirme la continuité avec les phases antérieures par sa présence au sein de gisements déjà constitués dès le début de la Protohistoire (Logel, 2008).

    25Toutefois, les découvertes du haut Moyen Âge se font beaucoup plus rares dans les affluents du fleuve (à l’exception notable du secteur de Strasbourg) et singulièrement dans l’Ill, où le gisement d’Ehl-Benfeld, dont les premiers mobiliers subaquatiques identiliés remontent pourtant au Néolithique, se tarit dès la lin de l’Antiquité tardive.

    3.2. Un secteur de référence : l’aval de Strasbourg/le Ried nord

    26Le premier constat est géographique. Les deux rives sont établies sur des milieux géologiques parfaitement distincts. La rive allemande s’étend sur une terrasse stable alors que la rive française est implantée dans un milieu alluvial. Le même constat s’observe dans la répartition des gisements de mobilier en milieu fluvial. Les gisements de la rive orientale montrent une grande permanence depuis le Néolithique/ âge du Bronze jusqu’au haut Moyen Âge. On observe un écart de localisation entre les artefacts pré/protohistoriques et ceux des périodes historiques. Cette différence de localisation entre les artefacts a pu être attribuée à une transformation substantielle du tracé du Rhin au cours du Hallstatt, marqué par un retrait de plusieurs kilomètres en direction de la rive orientale.

    Fig. 6. Répartition des gisements et des passages à gué au nord de la zone d’étude (Ried-nord/Rastatt) sur fond de carte topographique du xviiie siècle.

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    27Cette modification du cours du fleuve se rapproche de la physionomie du Rhin au xviie siècle. De ce fait, les gisements de la rive occidentale appartenant aux périodes historiques ainsi que les lieux de franchissement se sont déplacés (Sessenheim) alors qu’ils sont restés stables sur la rive orientale, badoise. On peut avancer à titre d’hypothèse que la nécropole de Roeschwoog et le réemploi des tertres de Fortsfeld pourraient constituer des monuments privilégiés pour marquer ces nouveaux points de passages sur la rive alsacienne (fig. 6).

    3.3. Strasbourg - Argentorate : des indices de passages

    28Les mutations les plus significatives sont néanmoins observées autour de Strasbourg où de nouveaux gisements se constituent spécifiquement au cours du haut Moyen Âge. Un certain nombre d’indices suggèrent la présence de plusieurs lieux de franchissement de cours d’eau au niveau du castrum antique et de l’ellipse insulaire mais aussi en amont de la ville sur des rivières secondaires (Bruche et Ill actuelles).

    3.3.1. L’ellipse insulaire

    29Sur le site de Strasbourg centre-ville, on notera des concentrations d’artefacts métalliques réparties en trois gisements principaux, tous localisés au sud de l’ellipse insulaire, en bordure de l’Ill actuelle : rue des Veaux, rue de l’Ail/rue de la Douane et aux abords de l’école Saint-Thomas. Leur répartition suggère la présence de trois lieux de franchissement du cours d’eau.

    Le passage rue des Veaux

    30Le premier passage, entre les maisons nos 2 à 8 de la rue des Veaux, est localisé à l’emplacement du fossé défensif supposé du rempart du castrum et favorise un accès direct au cœur du périmètre du castrum, accès non identifié pour la période romaine. Il se situerait à proximité de l’actuel pont de l’Abreuvoir, en parallèle de la rue des Sœurs (fig. 7). Ce gisement, exclusivement composé de mobilier altomédiéval, scramasaxe, couteaux, ciseaux, éperons, agrafes, fer à cheval, ferrets et appliques (Forrer, 1915, p. 656-657), se singularise cependant par la présence d’une épée carolingienne en provenance d’Europe du Nord (fig. 5a).

    31Il s’agit d’une épée exceptionnelle, variante du type Petersen H, datée de la fin du viiie au début du Xe siècle (Ehretsmann, 1988, p. 87-88), répandue dans toute l’Europe et jusqu’en Russie. Plusieurs occurrences démontrent cependant la présence exclusive de cette arme en contexte fluvial dans un large périmètre d’Europe occidentale dont le cours du Rhin constituerait la limite (ibid., p. 94). Cette épée, ainsi que le reste du mobilier métallique, a été associée à des vestiges de combats liés au siège et à la prise de la ville par Hermann de Souabe en 1002 (Forrer, 1915, p. 657), ce qui apparaît tardif et difficilement compatible avec la chronologie du mobilier mis au jour. Le caractère très localisé de ces découvertes sur la rive permet cependant d’intégrer ce lot d’objets à la catégorie des vestiges abandonnés en milieu fluvial.

    32Les fouilles récentes réalisées au n° 4 de la rue des Veaux n’ont pas mis au jour d’autres armes ou de traces de combat (Waton, Dormoy, 1999). Les observations archéologiques démontrent que la rive s’est progressivement éloignée du rempart du castrum au début du xie siècle. Cependant, l’interprétation d’un léger pendage comme vestige du fossé défensif antique ne peut être retenue. Le pendage observé, trop faible, semble davantage correspondre à un phénomène alluvial ou éventuellement à un aménagement d’origine anthropique (une plate-forme de construction du rempart ?) qui en cas d’étiage pouvait se transformer en berge (Schnitzler, Kuhnle, 2010, p. 6). Le rempart sud du castrum longe donc vraisemblablement le cours d’eau qui constitue sa défense naturelle. Les artefacts altomédiévaux de la rue des Veaux sont donc à localiser à l’extrémité du chenal et en bordure de la rive altomédiévale de ce cours d’eau que suit le rempart. Ce passage se situerait dans le prolongement d’une voie antique, la via quintana (Waton, 2011, p. 2 ; Kuhnle, 2010, p. 42-43).

    Fig. 7. Répartition du mobilier altomédiéval de la rue des Veaux.

    (D’après Forrer, 1927, pl. 29, 3)

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    Un passage rue de la Douane ?

    33Le deuxième ensemble, localisé au 11/13 rue de la Douane, est composé d’objets hétéroclites de chronologie variée (tegulae, fibule) dont une hache et un scramasaxe. Ce mobilier a été mis au jour dans le comblement d’un paléochenal (Hatt, 1966, p. 334 ; Schnitzler et alii, 2009, p. 406-407). J.-J. Hatt propose de mettre en parallèle la présence de ces armes avec celles de la rue des Veaux pour justifier le siège de la ville (Hatt, 1966, p. 334). Le gisement se localise largement à l’extérieur de l’ancien rempart antique et de son fossé défensif, à l’emplacement de l’Ancienne Douane (à l’ouest du pont du Corbeau). Le mobilier modeste identifié rend son interprétation hypothétique.

    34Le site coïncide cependant avec la présence sur l’autre rive (sud) de la confluence d’un ancien chenal dénommé Goldgiessen (actuelle rue de l’Or) à l’époque médiévale. Un scramasaxe isolé et des artefacts romains ont été mis au jour dans son comblement. Le « nom du site Grieneck, établi sur un banc de sable, laisse supposer qu’un gué a pu exister à cet endroit au début du Moyen Âge » (Schnitzler et alii, 2009, p. 410, B2). Ce passage éventuel aurait cependant eu plusieurs avantages : il aurait permis d’accéder à la porte principale du castrum par l’actuelle rue des Tonneliers et de rejoindre la principale voie d’accès au camp. Il pourrait s’agir de la pérennité d’une ancienne voie antique et d’un axe de franchissement du cours d’eau. C’est en tout cas la proposition que semblait retenir J.-J. Hatt dans sa proposition de restitution des voies romaines dans l’agglomération de Strasbourg (Waton, Flotté, 2002, p. 114, fig. 51).

    Le passage école Saint-Thomas

    35Le dernier passage identifié est implanté dans l’emprise de l’actuelle école Saint-Thomas à environ 500 m en amont du castrum. Un lot diversifié d’objets, aussi bien sur le plan chronologique (protohistoire, antique, altomédiéval) que du point de vue des matériaux (bronze, fer, os, etc.), a été mis au jour anciennement dans le comblement de la rive du cours d’eau, identifié à l’Ill par les inventeurs. Pour le haut Moyen Âge on note la présence d’éléments de parure (bagues, fibules, perles et appliques) mais aussi de la vaisselle en bronze (Forrer, 1927, fig. 549-553) ou encore des éperons (Schnitzler et alii, 2009, p. 407-408, A2.5.). Le nombre d’objets mis au jour est considérable (Baudoux et alii, 2002, p. 327-328, A173) mais reste peu étudié. L’attribution chronologique s’établit toujours sur les interprétations de R. Forrer et sur les quelques dessins disponibles de ce mobilier (Forrer, 1927). La présence d’artefacts protohistoriques atteste un long usage de ce passage. C’est également dans ce sens que les récentes études sur Strasbourg antique ont interprété les vestiges archéologiques (Waton, Flotté, 2002, p. 113-133, notamment fig. 51, 59 et 60).

    3.3.2. Les lieux de franchissement en amont de Strasbourg

    Le passage de la Montagne-Verte/Elsau

    36Plus en amont, dans un quartier de la Montagne-Verte situé à l’ouest de la ville, plusieurs artefacts altomédiévaux ont été repérés dans l’Ill actuelle, lors des dragages au lieu-dit Pferdeschwemm, localisé à l’est du pont rue de la Montagne-Verte (Baudoux et alii, 2002, p. 539, D66, route de la Montagne-Verte, rive sud de l’Ill). Les découvertes comprenaient notamment des spathac, des scramasaxes, mais aussi des haches, dont une francisque (Schnitzler et alii, 2009, p. 442-443). La présence d’une abbaye (peut-être fondée par l’évêque Arbogast au viie siècle) est par ailleurs signalée sur cette rive droite (Baudoux et alii, 2002, p. 536, D66). Cet ensemble de vestiges suggère la présence d’un lieu de franchissement à cet emplacement. Le lieu-dit Arbogast-Fähre, « bac de Saint-Arbogast », employé au xviiie siècle rappelle cet usage rue des Imprimeurs (Moszberger et alii, 2002, p. 253). La légende veut que Gutenberg ait installé son imprimerie à proximité.

    Le passage du bassin d’Austerlitz

    37Dans le secteur du bassin d’Austerlitz, au sud de la ville historique, un fer de lance, une hache et des pointes de flèche attribuées de manière incertaine au haut Moyen Âge ont été recueillies lors de la construction de l’ensemble portuaire à la fin du xixe siècle (Schnitzler et alii, 2009). Ces armes complètent par ailleurs un mobilier significatif composé de plus d’une soixantaine d’objets attribués pour l’essentiel à l’époque romaine (monnaies, fragment de statue, etc.) mais aussi au début du Bronze ancien (hache) et à La Tène finale (monnaie), mobilier mis au jour à plus de cinq mètres de profondeur dans les graviers rhénans. Ces indices chronologiques soulignent la permanence de ce point de passage qui constitue, sans doute dès l’époque protohistorique, une des principales voies d’accès au site de Strasbourg par le sud. L’hypothèse la plus vraisemblable est l’existence d’un axe de circulation via l’actuelle route de Colmar, marquée par des passages successifs de cours d’eau : bassin d’Austerlitz, pont de Colmar (Wighausel), la Hohwart puis la Schafhardt, axe qui se prolonge jusqu’à l’emplacement de la nécropole mérovingienne de la Thumenau près de Plobsheim, tracé déjà suggéré par C. Goehner (Goehner, 1917) (fig. 8).

    38Mais la localisation en profondeur de ces artefacts nous renseigne également sur la présence probable d’un cours d’eau important, vraisemblablement d’un bras rhénan. Cette présence fluviale explique la profondeur des mises au jour dans un substrat exclusivement composé de gravier rhénan, dont les derniers apports semblent bien postérieurs à l’époque antique (Schwien et alii, 1998). Les artefacts ne sont donc pas à mettre en relation avec la présence d’une voie antique, qui n’expliquerait pas la profondeur de leur localisation, mais avec un bras du fleuve dont le franchissement était l’enjeu véritable.

    Fig. 8. Répartition des passages dans le secteur de Strasbourg/Aigentoiate.

    (Doc. t. Logel.)

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    Le passage du Rhin (Strasbourg/Kehl et Hundsfeld)

    39Enfin, vers le Rhin, des découvertes anciennes (xixe siècle) d’objets et d’armes carolingiennes sont signalées dans le port de Strasbourg et de Kehl. Plusieurs épées sont, par ailleurs, mentionnées dans le fleuve à 200 m en aval du pont du Rhin, mais n’apparaissent plus aujourd’hui dans les collections publiques et n’ont jamais fait l’objet d’une détermination chronologique. La présence d’un castellum antique à l’entrée est de Kehl en prolongement du pont a été évoquée lors de la mise au jour de vestiges maçonnés.

    40Par ailleurs, les données toponymiques accréditent l’existence de lieux de franchissement dès le haut Moyen Âge. Ces passages sont identifiés par les lieux-dits Hundsfeld, Kloster zu den Hunden, Hundsmatt, etc. à Auenheim, Kehl et Marlen, sur la rive badoise, et aux environs des quartiers strasbourgeois de l’Esplanade/port, de la Musau et de la Roberstau (Hornung, 1965). L’association du toponyme Hundfeld avec un point de franchissement avait été suggérée dès 1939 pour les découvertes de pieux et de mobilier lors de l’exploitation de la gravière, rue du Corps de Garde à la Musau (Baudoux et alii, 2002, p. 487).

    41La présence de nombreux lieux de franchissement confirme la vocation de passage du Rhin du site de Strasbourg-Argentorate. Cette vocation est encore davantage soulignée par le toponyme gaulois -rate qui signale une topographie favorable au franchissement des cours d’eau. Quant à l’association avec l’orpaillage, avancée pour le préfixe Argento, elle apparaît surévaluée à l’aune des seules données géologiques ou de l’histoire de l’exploitation aurifère du Rhin à l’époque moderne, bien documentée par les sources écrites. L’emploi de ce préfixe dans la désignation d’autres cités antiques (Argentovaria, Argentomagus, etc.) sans relation avec une pratique d’orpaillage n’impose pas cette association. Au contraire, ce toponyme pourrait compléter le contexte topographique fluvial par la suggestion d’un espace de confluence formé de galets, de graviers et de bras d’eau miroitant au soleil.

    42Cette vocation de point de passage d’Argentorate implique un hydrosystème largement modifié de nos jours. La localisation du port antique en amont du castrum, à l’emplacement actuel d’un torrent vosgien (la Bruche)apparaît incompatible avec une activité portuaire d’importance (sans parler de l’absence de connexion avec le Rhin et l’Ill). Il est vraisemblable qu’un autre cours d’eau s’y substituait, sans doute le Rhin, pour justifier la fondation du port à cet emplacement. La localisation d’un autel dédié à Pater Rhenus dans l’ellipse insulaire apparaîtrait dès lors justifiée. Il s’agirait donc aujourd’hui d’étudier le contexte hydrographique en amont de la ville, sans a priori et sans se limiter aux tracés actuels des cours d’eaux. La présence d’un cours du Rhin se développant depuis l’amont (entre Eschau et Graffenstaden) et se substituant au tracé de l’Ill actuel à Illkirch, Ostwald et la Montagne-Verte doit être envisagée. Son tracé pourrait se poursuivre à l’emplacement des découvertes en profondeur déjà citées du bassin d’Austerlitz et du pont de Colmar (Wighausel) localisées de part et d’autre de l’actuel quartier du Neudorf. Ce secteur n’a bénéficié d’aucune étude géomorphologique à ce jour.

    43Quant aux restitutions graphiques du milieu hydrographique du site antique comme altomédiéval, établies sur des fonds de carte du réseau hydrographique du xviiie siècle, elles apparaissent non seulement incongrues mais, plus grave, elles fixent une image erronée de l’environnement alluvial du site et cela malgré les mises en garde des auteurs (notamment Schwien et alii, 1998 ; repris dans Schnitzler, Kühnle, 2010, p. 36). Ces restitutions ne tiennent aucun compte, de fait, des découvertes en profondeur, sujet de cet article, qui ne peuvent pourtant qu’être d’origine fluviale. Le contexte environnemental du site antique et altomédiéval de Strasbourg-Argentorate est donc entièrement à établir.

    44Les données archéologiques révèlent une modification significative de la répartition des vestiges dans les secteurs de franchissement entre le Bas-Empire et le viiie siècle ap. J.-C. Il est vraisemblable que c’est au cours de cette période que l’emprise fluviale sur l’amont de Strasbourg se réduit de manière importante, transformant définitivement la topographie du site (des indices du iie siècle ap. J.-C. signalent que ce processus est amorcé). Certains points de franchissement semblent se convertir en simple voie de circulation (Schafhardt), alors que de nouveaux passages apparaissent (Hundsfeld). Or, c’est au cours de cette même période que le toponyme de Strateburgum (Strasbourg) se substitue à l’ancienne dénomination. La « ville des routes » succède au site des passages à gué.

    3.4. Une cartographie des lieux de franchissement du fleuve

    45Cette continuité des gisements, marquée par la diachronie du mobilier mis au jour, souligne la permanence de nombreux passages du Rhin en fonction depuis la Protohistoire ancienne, voire dès le Néolithique. L’inventaire systématique du mobilier diachronique localisé en milieu fluvial permet d’établir une cartographie de ces gués sur le fleuve et de proposer une première approche de la chronologie de leur usage (fig. 9). Cette cartographie de l’état actuel de notre connaissance des lieux de franchissement du Rhin peut se comparer à la cartographie des passages à gué sur la Saône établie sur les mêmes bases (Bonnamour, Wirth, 2001, fig. 7, p. 23).

    46Les lieux de franchissement sont par ailleurs fréquemment marqués par l’établissement de nécropoles établies à leur proximité. La position de ces nécropoles suggère également un réseau de circulation. Dans le prolongement de lieux de franchissement de cours d’eau, les nécropoles d’Illkirch-La Colonne et de Nordhouse-Thumenau au sud de Strasbourg semblent ainsi souligner un axe de circulation (Goehner, 1917) (fig. 9).

    Fig. 9. Répartition des gués dans le Rhin « français » et chronologie du mobilier des gisements.

    (Doc. T. Logel.)

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    4. La signification de ces pratiques

    47Les raisons de ces pratiques d’abandon de mobilier au cours d’eau à l’emplacement de passages restent discutées. Les sources textuelles ne livrent que peu d’informations. Hérodote rapporte dans son enquête la geste de Xerxès qui, au lever du jour, après avoir « versé des libations à la mer avec une coupe et prié le soleil », jeta dans l’Hellespont cette coupe, en or, ainsi qu’un cratère, également d’or, et une épée courte perse (akinakès) à l’emplacement du pont de bateaux reliant l’Asie à la rive européenne. C’est après ce rituel que les années perses franchissent l’Hellespont pour envahir la Grèce en 480 avant J.-C. Ce rituel apparaît cependant (déjà ?) étranger à Hérodote (HÉRODOTE, livre VII, 54).

    48Au Hallstatt et à La Tène ancienne, c’est par l’édification d’imposants tertres funéraires que les sociétés marquent ces gués. Si le marqueur a évolué, ce qui se perpétue néanmoins c’est le signalement de ces lieux de franchissement du fleuve. Cette succession de marqueurs exprime toute la valeur attribuée à ces passages (Logel, 2012a/b).

    49Aucune explication à ces pratiques n’est, pour l’heure, satisfaisante.

    50La plupart des cultures anciennes et des sociétés traditionnelles ont attribué une fonction divine aux principaux cours d’eau. Cette forme de sacralisation associée au système de pensée propre à chaque culture esquisse le sens de pratiques anthropologiques accomplies au lieu de franchissement des cours d’eau. Certaines de ces pratiques se manifestent dans le folklore, notamment par les barques chargées de faire passer les morts, l’immersion de statues et des reliques saintes, des effets curatifs des eaux courantes par le bain ou encore des ordalies. Les cours d’eau constituent également une limite infranchissable pour des êtres maléfiques, alors que les récits relatifs aux passeurs sont nimbés d’apparitions appartenant au monde de la lycanthropie ou des chasses fantastiques. Enfin, la traversée de cours d’eau en crue est facilitée pour les hommes pieux et les souverains légitimes (VAN Gennep, 1999 ; Sebillot, 1905). L’abandon d’artefacts au cours d’eau constitue cependant, d’après les données archéologiques, une spécificité de l’Europe, voire du monde iranien (Hérodote, op. cit.). L’espace de la Méditerranée orientale se tient, dans la limite de notre accès aux données archéologiques, à l’écart de ces pratiques comme l’ensemble du continent africain. Par contre, l’Inde ancienne présente un usage tout à fait singulier des passages à gué dès le 2e millénaire avant notre ère. Les gués, par-delà leur fonction, y apparaissent comme un élément essentiel de l’expression de la vie religieuse et spirituelle. C’est à leur emplacement que se déroulent pèlerinages, pratiques religieuses, rites de purification mais aussi le passage de vie à trépas des agonisants ou encore la dispersion des cendres des défunts (Renou, 1981, p. 27-28 ; Kane, 1953). La présence de mobilier et d’armes en bronze y est également attestée.

    51La restriction à l’Europe, au monde iranien et à l’Inde de ces gestes de dépôt d’artefacts dans les cours d’eau ou de l’importance symbolique attribuée au franchissement d’un fleuve et au gué (DESNIER, 1995) démontre le caractère culturel et social de ces pratiques dans un espace déterminé. L’interprétation d’objets perdus lors du passage d’un gué ne peut être retenue (Testart, 2013). Perdre un objet est universel. Si la perte fortuite constitue la raison principale de ces accumulations de mobilier (et pas uniquement d’armes) dans les fleuves, alors ces découvertes devraient s’observer universellement. Or, ce n’est pas le cas. Ces découvertes se concentrent dans un espace, certes large mais néanmoins circonscrit. En Europe, ce geste d’abandon de mobilier au fleuve, dont la signification nous échappe, aura perduré environ quatre millénaires.

    52Du Néolithique aux Carolingiens, les bouleversements historiques considérables qui ont pourtant affecté l’Europe interpellent la permanence de cette pratique. Sa signification s’inscrit vraisemblablement dans la continuité de traditions mythiques profondément ancrées dans les mentalités des populations européennes et de leurs élites. Ce système de pensée, dont la transmission est essentiellement orale, nous échappe de fait.

    53Avec la généralisation du christianisme, l’importance symbolique de ces gués connaît une dernière mutation. Les passages les plus prestigieux, déjà marqués par F édification d’un castrum ou d’une cité romaine pour assurer leur contrôle ou pour bénéficier d’avantages commerciaux, deviennent le siège d’évêchés (Bâle et Strasbourg), alors que des abbayes sont fondées à proximité de gués importants empruntés dès la Protohistoire (Ottmarsheim, Breisach, Rhinau, Ehl, Eschau, Honau/Diersheim, Rheinmünster, Seltz, etc.). Ces transformations soulignent la signification religieuse donnée à ces passages sur le fleuve et vraisemblablement à l’acte de franchissement, mais ce n’est pas la seule motivation. En effet, l’édification de mottes castrales, puis de châteaux, sur ces axes de passage (Butenheim à Petit-Landau, Sponeck à Jechtingen, Limburg et Limberg à Sasbach, Schoenau, Schwanau à Gerstheim, etc.) marque également la volonté d’en organiser le contrôle. Ces éléments permettent d’envisager un classement hiérarchique de ces passages.

    54Contrairement aux idées reçues, les points de franchissement du Rhin connaissent une véritable pérennité et leur usage n’est, pour l’essentiel, pas affecté par les transformations naturelles du cours du fleuve (Kammerer, 1990), excepté lors de phénomènes majeurs exceptionnels dans des secteurs très localisés (l’amont de Strasbourg notamment).

    55Lien entre deux espaces que le cours d’eau distingue, le passage à gué est l’enjeu de contrôles politiques et militaires, de circulation économique, mais également de manifestations du phénomène religieux par des gestes d’abandon de mobilier au cours d’eau, par l’implantation de nécropoles à sa proximité ou encore par l’élévation d’une architecture ostentatoire, le plus fréquemment à caractère religieux.

    56Mes remerciements à Charles Malamoud, Directeur d’Études honoraire des religions de l’Inde à l’École Pratique des Hautes Études (EPHE), pour ses références bibliographiques sur les gués dans la civilisation de l’Inde ancienne.

    Annexe

    Inventaire du mobilier altomédiéval en milieu fluvial.

    (Fdb. B-W = Fundberichte ans Baden Württemberg)

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    Bibliographie

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    Auteur

    • Thierry Logel

      EVEHA - Chercheur associé UMR 6298 ArTeHiS, Doctorant, Institut für Ur- und Frühgeschichtliche Archäologie, Albert-Ludwigs-Universität Freiburg.

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      Peytremann, Édith, éditeur. Des fleuves et des hommes à l’époque mérovingienne. ARTEHIS Éditions, 2016, https://doi.org/10.4000/books.artehis.24139.
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