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Des fleuves et des hommes à l’époque mérovingienne

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Édith Peytremann

3. Des hommes et des fleuves : économie fluviale

Une nouvelle épave mérovingienne découverte dans la Charente à Port d’Envaux (Charente-Maritime)

Philippe Moyat, Annie Dumont, Jean-François MariottI et Julian Wiethold

Résumé

L’épave mérovingienne du Priouté se trouve au fond du fleuve Charente, sur la commune de Port d’Envaux, dans le département de Charente-Maritime, à 4 km en amont de la zone portuaire alto-médiévale de Taillebourg. Une analyse radiocarbone la rattache à une fourchette chronologique comprise entre le milieu du VIIe et le début du VIIIe s. Trois campagnes de fouilles subaquatiques ont permis d’en faire le relevé et l’étude des principales caractéristiques techniques. Cette embarcation assemblée, conservée à 80%, est en chêne et mesure 6,60 m de longueur pour 2,40 m de largeur. Sa capacité de charge a pu être estimée à 1,5 tonne. Son faible tirant d’eau ainsi que la présence d’une étrave la destinaient à une navigation fluviale et palustre, peut-être étendue aux limites des pertuis. Outre le transport de marchandises, cette embarcation a pu servir dans le cadre d’autres activités, telles que la pêche, la conchyliculture ou l’exploitation du sel.

Texte intégral

1. Le site immergé du priouté

1Le site immergé du Priouté a été anciennement découvert par un plongeur loisir, qui, au début des années 1980, avait prélevé dans ce secteur du fleuve des objets datables du haut Moyen Âge. De nouvelles prospections ont ensuite permis d’identifier l’épave assemblée dont il est question, ainsi qu’une pirogue monoxyle datée entre la fin du viiie siècle et la fin du Xe siècle. Un relevé bathymétrique du fond du fleuve montre dans cette zone deux anomalies : la première est visible contre la rive gauche, à l’endroit où se trouvent la pirogue et l’épave assemblée, et pourrait correspondre à un ancien quai ou à un renfort de berge, matérialisé par une accumulation de pierres, aujourd’hui complètement démantelée. La seconde est localisée en amont, et se présente sous la forme d’un haut-fond de forme quadrangulaire, nettement visible contre la rive gauche et qui occupe près de la moitié de la largeur du chenal. Il est peu probable que cette anomalie soit d’origine naturelle, d’autant plus qu’à cet endroit, étant donné la configuration du fleuve, l’eau devrait plutôt provoquer une érosion qu’un dépôt. En face de ce seuil, sur la rive droite, se trouve le lieu-dit Le Priouté qui rappelle sans doute la présence d’un établissement religieux médiéval (un prieuré).

Fig. 1. Localisation du site immergé du Priouté, fleuve Charente, commune de port d’Envaux, département de Charente-Maritime.

(Infographie P. Moyat)

  • 1 Texte rendu en 2013.

2L’investigation de ce site n’est pas encore terminée et seule l’épave assemblée, fouillée en 2011, 2012 et 2013, a fait l’objet d’une étude complète. De nouvelles recherches auront lieu dans le courant de l’armée 20141.

3Le site du Priouté se trouve dans le fleuve Charente, sur la commune de Port d’Envaux (fig. 1), à 4 km en amont de la zone portuaire médiévale de Taillebourg-Port d’Envaux (Mariotti et alii, 2010). L’épave orientée est/ouest repose pratiquement à l’horizontale, face au courant, dans une fosse à 8 m de profondeur. Au moment de sa découverte, les parties supérieures des renforts transversaux, quelques bordages très érodés, l’étrave et la partie supérieure du tableau arrière émergeaient de l’argile (fig. 2). Les premières observations ont clairement montré que l’ensemble du site est actuellement soumis à une importante érosion: l’épave assemblée en est l’élément le plus menacé car en partie dégagée du sédiment encaissant, et, depuis sa découverte, des morceaux ont déjà été emportés par le courant. Aussi, en 2010, le choix a-t-il été fait de la fouiller. En 2011, une première campagne a permis d’en relever la moitié et d’en connaître les principales caractéristiques architecturales. Sa fouille a été achevée en avril 2012 et quelques vérifications complémentaires ont été réalisées en mai 2013 en même temps que débutait la prospection systématique de cette portion de fleuve (Moyat et alii, 2011 ; Moyat et alii, 2012).

4Le dégagement, la fouille et le relevé ont été réalisés depuis l’aval vers l’amont, permettant un relevé en X, Y, Z sur l’ensemble de l’épave dans des conditions optimales de visibilité, celle-ci restant malgré tout assez faible. Les données ont été intégrées dans le logiciel Sketchup afin d’en présenter une restitution en trois dimensions. Une mosaïque de photographies de l’épave en livre une vision in situ en deux dimensions.

2. Étude architecturale

5L’embarcation est en chêne, mesure 6,60 m de longueur pour 2,40 m de largeur, et peut être classée dans la catégorie des bateaux à fond plat dont la rigidité longitudinale est assurée par des bouchains monoxyles. Sa forme générale est « en ogive » (Arnold, 1992, p. 75), l’avant se terminant en pointe par une étrave, l’arrière étant fermé par la présence d’un tableau constitué de plusieurs planches assemblées formant une paroi verticale. Le vocabulaire employé pour décrire T épave relève de termes spécifiques à la construction navale et est présenté dans un glossaire en fin d’article (d’après Arnold, 1992) ainsi que sur la figure 3. Pour mémoire, bâbord désigne le côté gauche de l’épave, tribord, la partie localisée à droite, la proue et l’étrave, l’avant du bateau, la poupe, l’arrière, et la sole, le fond de l’embarcation. Le terme cheville a été privilégié car il est habituellement utilisé pour la construction en eaux intérieures alors que pour les bateaux destinés à la navigation en mer, on emploie le mot gournable dont le sens n’est pas forcément directement compréhensible des non initiés.

Fig. 2. Dessin de l’épave au moment de sa découverte.

(Infographie P. Moyat)

2.1. Les bouchains

6Les bouchains sont deux pièces monoxyles en chêne disposées de part et d’autre du bateau. Ils donnent à l’embarcation son profil en ogive symétrique (fig. 4), et sont du type « bouchains de transition » car ils forment une partie du fond et des flancs du bateau. Chacun d’entre eux est en effet constitué d’une seule pièce de bois en forme de L, allant de la poupe à l’étrave, avec un angle intérieur de 125° sur bâbord, et de 120° sur tribord, les mesures étant prises au centre de l’épave. De chaque côté, leur partie la plus étendue compose la sole, et ils sont légèrement dissymétriques car celle-ci est un peu plus large à tribord (25 cm)qu’à bâbord (18 cm). En revanche, les éléments qui composent le bordage sont presque identiques en dimensions : 16 cm de hauteur côté tribord, contre 15 cm côté bâbord.

Fig. 3. Termes employés pour la description de l’embarcation du Priouté.

(D’après Arnold, 1992)

Fig. 4. Vue en plan et coupes longitudinales de l’épave du Priouté, avec localisation des sondages effectués sous la poupe et au niveau de l’étrave.

(Infographie P. Moyat)

7Leur assemblage avec le tableau et les membrures est uniquement assuré par des chevilles, alors qu’ils sont reliés à l’étrave par des chevilles et des clous, sans doute pour garantir une plus grande solidité à ce raccord avec une des pièces maîtresses de l’embarcation.

2.2. La sole

8La sole est constituée de six bordages en chêne disposés à franc-bord, can contre can, le bordage central, d’une largeur de 40 cm et d’une longueur de 4,87 m constituant l’élément longitudinal principal de l’embarcation. Il est placé au centre du bateau et se raccorde avec la pièce d’étrave sous un des renforts transversaux.

9Du côté tribord, deux bordages disposés l’un à la suite de l’autre font la liaison entre le bordage central et le bouchain de transition. D’une largeur de 31 cm au centre de l’épave, pour une longueur totale de 5,50 m, ils ont une forme cintrée afin d’épouser le galbe du bouchain. Leur jonction se situe sous le renfort transversal n° 5, où est visible une petite pièce de bois complémentaire.

10Du côté bâbord, la solution adoptée par les constructeurs est plus complexe car ce n’est pas un seul, mais trois bordages qui forment le fond du bateau entre la planche centrale et le bouchain. Sur la partie arrière, entre le tableau et la courbe n° 4, deux pièces, longues de 2,10 m, sont disposées côte à côte (fig. 4, BS1b et BS2b), prolongées, au-delà du renfort transversal et jusqu’à l’étrave, par un bordage unique (BS3b) mesurant 3,10 m de longueur. Leur largeur cumulée au niveau de leur jonction sous la courbe n° 4 est égale à celle de BS3b, soit 37 cm. L’épaisseur des bordages n’a pu être mesurée que sur la partie arrière : elle varie de 4 à 6 cm.

2.3. Le calfatage

11Entre les planches du bateau, on a pu observer des traces de calfatage, dispositif qui garantissait son étanchéité. Un prélèvement a été effectué au niveau de la sole, entre deux bordages, et une identification des fibres végétales par Julian Wiethold (Inrap) a permis d’en déterminer la composition: du chanvre (Cannabis sativa).

12Pour la plupart des bateaux médiévaux (ixe-xiiie s.) connus aux Pays-Bas, le matériel de calfatage était composé de mousses (Cappers et alii, 2000). En France, l’épave EP1 de la Canche à Beutin, Pas-de-Calais, datée de la fin du Moyen Âge ou du début de l’époque moderne, a également témoigné d’un calfatage en fibres de chanvre (Wiethold, Schaal, 2008), et d’un matériel du type goudron ou brai issu d’un traitement thermique (rapport d’étude, Juliette Langlois et Martine Regert, C2RMF).

13Un démontage complet de la structure serait nécessaire pour en étudier l’organisation et la répartition dans l’assemblage des différents éléments de la sole et des bordés. Sur la face interne, aucune trace de baguette végétale, ni d’agrafes ou d’appes, pièces métalliques qui auraient pu servir à bloquer cette matière végétale dans les interstices du bois, n’était visible.

2.4. Les renforts transversaux

14Les renforts transversaux ou couples, au nombre de douze, sont en chêne et ont été assemblés par deux de façon asymétrique. Cette solution d’assemblage alterné permet de répartir les éventuels points de faiblesse sur les deux côtés de l’embarcation. La partie en L se trouve côté bâbord, puis côté tribord, à nouveau côté bâbord et ainsi de suite, en partant de la poupe vers la proue. Chaque couple a été numéroté de 1 à 12, précédé de la lettre C.

15La première partie, en forme de L, appelée courbe (car taillée dans une branche courbe), occupe toute la sole et un côté du franc-bord. La deuxième partie, en forme de I, appelée cland, est située dans son prolongement. Le tout forme un U relativement ouvert, avec un angle de 50° de chaque côté, et un profil rectangulaire mesurant en moyenne 25 cm de largeur pour 11 cm d’épaisseur (fig. 5). Les mailles, soit les espaces qui se trouvent entre chaque couple, varient de 16 cm à la proue jusqu’à 32 cm à la poupe.

16Les douze couples sont assemblés de la même manière, à l’aide de chevilles enfoncées dans la sole et les bordés. Leur forme épouse celle des deux bouchains monoxyles et des bordés malgré la différence d’angle constatée, les bordés étant plus ouverts de 21° par rapport aux bouchains. L’absence de cland sur le couple n° 7 est probablement liée à l’érosion, car on peut encore observer sur le bordé les restes des chevilles qui solidarisaient les deux éléments.

17Les couples ne sont jamais parfaitement jointifs et l’on peut supposer que l’espace ménagé entre eux et les bouchains faisait office d’anguiller, en laissant s’écouler l’eau à l’intérieur du bateau. Il n’y a en effet aucun autre espace visible qui pourrait avoir eu cette fonction.

2.5. Les flancs

18Les flancs du bateau, appelés également bordés, sont composés de huit bordages en chêne. Ils sont décrits depuis la sole jusqu’ à leur sommet.

19Venant en jonction avec le bouchain monoxyle de transition, on trouve de chaque côté, et de façon symétrique, un bordage B1b pour bâbord et B1t pour tribord, d’une largeur de 30 cm sur toute la longueur, et d’une longueur de 6,40 m pour B1b et de 6,50 m pour B1t (fig. 4). Ces deux bordages de forme régulière épousent le galbe et toute la longueur de la carène, tant avec les bouchains qu’avec les couples, sur lesquels ils sont maintenus par deux ou trois chevilles.

20À tribord, au-dessus de B1t, trois bordages mis bout à bout constituent la longueur totale de l’embarcation (B2t, B3t et B4t). À l’arrière, B2t couvre la longueur depuis le tableau jusqu’au renfort n° 6, B3t occupe l’espace séparant les renforts nos 6 et 7, et B4t prolonge cet ensemble depuis le couple n° 7 jusqu’à l’étrave. Leur épaisseur varie de 4 à 6 cm.

21Leur état d’érosion ne permet pas de dire s’il existait ou non une allonge fixée aux couples pour augmenter la hauteur du bordé, aucune marque d’assemblage n’étant visible.

22À bâbord, au-dessus de B1b, on trouve également trois bordages : B2b du tableau jusqu’au renfort n° 6, B3b entre les renforts nos 6 et 8, et B4b du couple n° 8 à l’étrave.

23Tous les raccords entre les bordages sont systématiquement placés sous des couples, qui, par conséquent, possèdent la double fonction de renfort transversal et de pièce d’assemblage entre deux bordages. En observant minutieusement l’assemblage entre B4t et B1t, partiellement désolidarisé par l’érosion, on peut y voir un assemblage can contre can sans aucune mortaise.

2.6. Le tableau arrière

24Le tableau ferme l’arrière de l’embarcation. Observé uniquement dans sa partie interne en 2011, il a pu être dégagé entièrement au cours de la campagne 2012. Il est composé de deux éléments superposés assemblés par feuillures et tenus par deux chevilles verticales. La partie inférieure du tableau, de dimension beaucoup plus importante que la partie supérieure, prend la forme et la fonction d’un couple, ferme l’extrémité du bateau, et, sur la sole, revêt une forme semi-circulaire qui épouse la courbe du monoxyle, afin d’en garantir l’étanchéité et de lui donner une résistance accrue. Les bordages sont directement assemblés dessus avec des chevilles (deux par bordage). À l’extérieur, le fait que ces chevilles dépassent de 1,5 à 3 cm des bordages pourrait témoigner de la disparition d’un ou plusieurs éléments sous l’effet de l’érosion. De la partie supérieure du tableau ne subsiste qu’une seule pièce mesurant 140 cm de longueur, 12 cm de largeur et 17 cm d’épaisseur. L’ébauche d’un trou de tarière visible sur sa face supérieure correspond à la terminaison d’un forage débuté dans une pièce supérieure venant terminer le tableau. Cet élément aujourd’hui disparu a cependant été observé au moment de la découverte de l’épave et se trouvait encore engagé sur la partie supérieure du tableau qui subsiste. Il est possible qu’il ne soit pas le seul à avoir été emporté par le courant. Aussi, il sera difficile de restituer l’intégralité de l’arrière du bateau.

Fig. 5. Vue en plan et coupes transversales de l’épave du Priouté.

(Infographie P. Moyat)

(Infographie P. Moyat)

25On a pu observer un clou en fer, probable réparation au niveau du raccord entre une planche de la sole et le tableau arrière. Ce clou a également pu servir au maintien de la sole pendant la construction.

2.7. La proue

26La proue est constituée de deux pièces de bois, la première, l’étrave, est conservée sur 1,70 m de longueur, sa largeur maximale est de 24 cm et l’épaisseur de 20 cm. Elleprésente une forme courbe à l’extérieur comme à l’intérieur, qui rappelle la courbure naturelle de la branche dans laquelle elle a été taillée. Son épaisseur étant supérieure à celle des planches qui constituent la sole, elle dépasse à l’extérieur du bateau de 4 cm par rapport à celles-ci. Cette différence n’ayant pas été rectifiée, on peut se demander si cette embarcation était vraiment terminée lorsqu’ elle a coulé. La deuxième, l’apôtre, en forme de U, a été conçue pour pouvoir fermer la proue du bateau en assurant à la fois le raccord entre toutes les pièces constitutives du fond et des flancs, et en jouant également la fonction de dernier renfort transversal. Il a certainement été taillé dans la fourche naturelle d’une branche (fig. 4).

27La pièce d’étrave est assemblée à l’apôtre par une grosse cheville de 5 cm de diamètre et aux flancs, sur chaque bordage, par deux chevilles pourvues d’épites. Le sondage réalisé en 2013 sur le côté tribord a également révélé la présence de trois clous sur l’extérieur de la coque, venant en renfort des deux chevilles présentes sur chaque pièce de bois. Ils sont répartis ainsi : un à l’extrémité du bouchain tribord (le seul rendu entièrement accessible par les sondages), un a l’extrémité du bordage de flanc conservé et un du côté bâbord, sur le haut de l’étrave, très érodée à cet endroit, qui constitue probablement le seul vestige de l’assemblage d’un bordage supérieur avec l’étrave, aujourd’hui disparu.

2.8. Les chevilles

28Tous les éléments constitutifs du bateau sont assemblés entre eux par des chevilles, dispositif renforcé par la présence d’au moins quatre clous en fer placés à des endroits stratégiques (trois au niveau de l’étrave et un sous la sole au niveau du tableau). D’autres seraient peut-être visibles si F on dégageait entièrement l’extérieur de la coque, option de fouille qui n’a pas été retenue afin de protéger F épave.

29Au nombre de 252, visiblement toutes en chêne, les chevilles présentent un diamètre sensiblement identique sur toute l’épave (de 2,8 cm à 3,2 cm), avec la présence d’épites sur bon nombre d’entre elles. Les trous ont certainement été faits avec une tarière de 3 cm de diamètre, à l’exception d’une cheville présentant un diamètre de 5 cm sur l’apôtre, probablement pour renforcer l’assemblage avec l’étrave.

30Plusieurs sondages ponctuels menés sur F extérieur de F épave ont permis d’observer que les chevilles dépassent de 1,5 cm à 3 cm des bordages sur le pourtour extérieur des extrémités de la coque, et probablement sur toute sa surface. Ce dispositif pourrait témoigner de l’existence d’un doublage en bois de la coque, ou de pièces de renfort aujourd’hui disparus. Cependant, on peut se demander s’il ne s’agirait pas là encore, d’un indice supplémentaire permettant de penser que cette embarcation n’a jamais été complètement terminée. En guise de dernière hypothèse on peut penser que les éléments ayant servi de support lors de la construction de cette embarcation sur le chantier n’ont pas permis de rectifier la longueur des chevilles avant la mise à l’eau, les laissant ainsi dépasser sur la face externe.

3. Essais de reconstitution des différentes phases de construction de l’embarcation du Priouté

31Même s’il nous manque F observation de la face externe de F épave, il est quand même possible de proposer une restitution de la coque (fig. 6) ainsi que trois hypothèses concernant les différentes étapes de sa construction (fig. 7).

32La première hypothèse consiste à débuter la construction par la pose du bordage principal et central, pour disposer d’un axe central et développer ensuite la sole de chaque côté, puis déterminer ainsi la morphologie des bouchains monoxyles et de la carène. Dans un second temps, les renforts transversaux auraient été solidarisés à la sole, puis les bordés de flanc assemblés à la partie verticale des couples au moyen de chevilles, et enfin les clands disposés. La pose du tableau arrière a pu intervenir lors de celle des renforts ou, éventuellement, en toute fin du processus d’assemblage.

33Pour la seconde hypothèse, on a commencé par disposer sur le chantier les deux futurs bouchains monoxyles non taillés, probablement sur des madriers disposés à intervalle régulier. Le façonnage des bordages de transition, dans le but de déterminer les dimensions et la forme du fond, ainsi que la morphologie générale de F embarcation, a pu se faire à partir des madriers en place. En effet, un marquage, à l’aide de traces de coups de scie par exemple, peut permettre de définir préalablement la forme voulue de la carène, technique généralement employée par les charpentiers. La taille des bouchains de transition aurait alors pu se faire à partir de ces traces.

34Les bouchains pouvaient ensuite être fixés sur les madriers, comme pour la construction du chaland de Bevaix (Arnold, 1999), puis l’espace horizontal en contact avec les madriers aurait été complété par des bordages de sole, dont un central. L’observation de la totalité de la face externe de l’épave serait nécessaire pour valider cette hypothèse, car dans ce cas de figure, il devrait rester des vestiges de l’assemblage des madriers (chevilles ou clous). On notera que ce type d’assemblage est généralement adapté aux embarcations à fond plat.

35Ensuite, la pièce formant l’étrave a été posée, puis les couples assemblés à la sole au moyen de chevilles. Les madriers sous la sole servant de support pouvaient alors être démontés. Les bordés de flanc ont ensuite été chevillés à la partie verticale des renforts transversaux, avant la pose des clands. Le montage du tableau arrière a pu intervenir lors de la mise en place des renforts ou éventuellement en toute fin du processus d’assemblage.

36La dernière hypothèse envisagée est très proche de la seconde : on dispose des madriers sur lesquels on fixe les bouchains monoxyles, puis le bordage central de la sole, et enfin les renforts transversaux. Dès qu’ils sont solidarisés avec les bouchains et le bordage central de la sole à l’aide de chevilles, on peut enlever les madriers. Vient ensuite la pose des bordages de la sole, cette méthode ayant F avantage de résoudre les problèmes de cintrage des bordages. En effet, il suffit de les fixer aux courbes progressivement. De plus, les jonctions entre les bordages disposés bout à bout peuvent se faire facilement sous le couple. En contrepartie, cette méthode à l’inconvénient de nécessiter le retournement de F assemblage pour la mise en place des bordages de sole. Cette méthode de construction a été employée pour le coureau de Dordogne, bateau ayant existé entre la fin du xviiie siècle et la seconde moitié du xixe siècle (Laborie, 2000). Les bordés de flanc sont ensuite chevillés à la partie verticale des renforts et les clands ajoutés en dernier.

Fig. 6. Proposition de restitution de l’embarcation du Priouté

(Infographie P. Moyat)

4. Datation de l’épave et recherche de comparaisons typologiques

37La préservation de l’épave in situ ayant été privilégiée, aucune découpe de sa structure pour prélèvement de tranche de bois complète n’a été effectuée ce qui n’a pas permis de réaliser une étude dendrochronologique. Deux analyses radiocarbone permettent cependant de dater la construction de l’épave assemblée du Priouté entre le milieu du viie et la fin du ixe siècle: l’une effectuée sur un renfort transversal (680-874 cal AD), l’autre sur le tableau fermant l’arrière (643-717 cal AD). Si on prend en considération la seconde datation, qui livre une fourchette plus resserrée, on peut rattacher cette embarcation à une période située entre le milieu du viie et le début du viiie siècle. Elle est donc plus ancienne que l’épave monoxyle assemblée d’Orlac, datée par dendrochronologie de 1021-1042 (Chapelot, Rieth, 1995), et probablement plus récente que l’épave du caboteur fluvio-maritime de Port Berteau II, que les datations14C placent dans la fourchette ve-viie siècle et la dendrochronologie au tout début du viie siècle (Rieth et alii, 2001). De la même façon, l’épave Ep1 de Taillebourg semble avoir été construite avant, mais la datation disponible livre une fourchette très large, entre 145 et 420 ap. J.-C. C’est l’épave de Saint-Vaize qui est la plus proche dans le temps, avec un intervalle entre 663 et 775 cal AD (Dumont, Marioiti, 2013).

Fig. 7. Hypothèses proposées pour restituer les différentes étapes de construction de l’embarcation du Priouté.

(Infographie P. Moyat)

Fig. 8. Comparaison typologique de l’embarcation du Priouté avec les formes de bateaux connues, d’après Arnold, 1992

(Infographie P. Moyat)

38Cette période est par ailleurs bien représentée dans la zone portuaire de Taillebourg-Port d’Envaux où des bois travaillés et des pirogues témoignent d’une importante activité liée au fleuve aux viie et viiie siècles (DUMONT, Mariotti, 2013). Enfin, une pirogue monoxyle, située à quelques mètres en aval de l’épave du Priouté, a également été datée entre la fin du viiie et le milieu du Xe siècle. L’épave du Priouté s’inscrit donc dans un contexte déjà riche en découvertes, et confirme que le fleuve Charente connaissait, à l’époque mérovingienne, une navigation relativement importante.

39Pour le moment, il n’a pas été trouvé de comparaisons typologiques directes d’un bateau contemporain présentant les mêmes caractéristiques techniques. Sa forme générale rentre dans la catégorie « en ogive » définie par B. Arnold (1992, p. 75), l’avant se terminant en pointe par une étrave, l’arrière étant tronqué par la présence du tableau (fig. 8).

40L’épave du Priouté, avec ses 6,60 m de longueur et 2,40 m de largeur est deux fois plus petite que le caboteur fluvio-maritime de Port Berteau (14,60 m x 4,80 m). Sa largeur est presque similaire à celle du monoxyle assemblé d’Orlac (2,10 m) mais la comparaison s’arrête là, car la longueur de ce bateau est de 15,50 m. Encore une fois, les dimensions les plus proches pour la Charente sont celles de l’épave de Saint-Vaize qui, dans son état actuel mesure 4 m de longueur par 1,30 m de largeur, et dont les dimensions originelles, avant sa dégradation par l’érosion, étaient légèrement supérieures. Cependant, ce bateau n’a pas du tout été construit selon la même conception architecturale. En effet, bien que très dégradé, il est constitué d’un fragment de monoxyle renforcé par des varangues, prolongé par une partie assemblée. Celle-ci est constituée d’une sole formée de huit bordages, renforcée par courbes et varangues. Le seul flanc conservé sur cette partie semble être aussi monoxyle, mais étant donné le degré d’érosion de l’embarcation, il est assez difficile de dire de quel côté se trouvait l’étrave. Il n’y a pas de clou apparent, et comme l’épave du Priorité, elle est assemblée à l’aide de chevilles.

41L’épave du Priorité appartient à la catégorie des bateaux à fond plat dont la rigidité longitudinale est assurée par les bouchains. Les bordages de bouchain sont simples, c’est-à-dire qu’ils sont taillés dans la masse du bois avec une section en forme de L. Beat Arnold a très bien résumé les caractéristiques et usages de ce type d’embarcation: « L’avantage et la simplicité à exécuter un bateau à fond plat, par rapport à une coque ou une carène en forme, est évident : depuis la taille des planches constituant les bordages jusqu’à leur assemblage, et à la fabrication des varangues et des courbes. en outre, cette forme est aussi parfaitement adaptée pour évoluer dans les eaux intérieures, vu son faible tirant d’eau - ensembles de raisons pour lesquelles, non seulement, elle a traversé deux millénaires sans grande transformation, mais est encore présente dans le monde entier. Les convergences de formes dans ces embarcations architecturalement assez simples sont donc nombreuses ; toute analyse touchant à l’évolution ou à la diffusion d’un type de bateau devra être entreprise avec circonspection, en se basant essentiellement sur d’autres éléments moins spectaculaires mais sujets à plus de variations que les lignes générales ou la forme de son fond » (ARNOLD, 1992, p. 73).

42Des épaves présentant des bouchains monoxyles existent dans différents bassins fluviaux, mais elles ne sont pas contemporaines ou alors présentent ensuite d’autres solutions techniques pour le reste de la coque (voir par exemple l’épave EP. 1 du xviiie siècle du parking Saint-Georges à Lyon ; Rieth, 2010). De plus, sur un certain nombre d’embarcations à bouchains monoxyles, ces éléments résultent d’un monoxyle complet fendu en deux, dont les deux parties sont conservées dans leur intégralité, écartées et reliées entre elles par un nombre plus ou moins important de planches de bordage. Au Priorité, ces bouchains ne constituent qu’une petite partie d’une bille de bois.

43B. Arnold rappelle également que les contraintes liées à la matière première, le bois, ont guidé le passage du monoxyle à l’épave assemblée, d’une part parce qu’on ne disposait plus de chênes assez grands, d’autre part parce qu’on cherchait à obtenir une charge utile supérieure. Dans le cadre de cette évolution, l’épave du Priorité se situe dans une phase intermédiaire, où les bouchains ne sont pas encore composés (formés de deux planches se joignant à angle vif), mais où ils restent des éléments taillés dans la masse (monoxyles), cependant sur une emprise limitée.

44Une des particularités de l’embarcation du Priorité réside dans la présence d’une étrave et d’un tableau qui en ferme l’arrière. On retrouve une étrave sur l’épave du caboteur de Port Berteau, bateau par ailleurs de dimensions et de typologie différentes de celui du Priouté.

45Dans l’état actuel des recherches, il n’existe pas d’embarcation médiévale à tableau dans le bassin de la Charente. Sur d’autres cours d’eau, des embarcations ont leur partie arrière terminée de cette façon, mais elles datent de l’époque moderne. D’autre part, le répertoire ethnographique contemporain en fournit un certain nombre d’exemplaires, comme par exemple la galupe de l’Adour, la yole vendéenne, la barque de pêche du lac de Brienz, la forquette de la Saône et la galère de Neuchâtel (Arnold, 1992 ; Beaudouin, 1985 ; Bonnamoitr, 1998). On peut rajouter sur le plan régional, les lasses oléronaises, la plate ou yole de la baie de l’Aiguillon (Beaudouin, 1975). Leur armement avec grande voile, flèche et foc leur assurait la motricité nécessaire pour naviguer dans les pertuis charentais et dans l’estuaire de la Gironde (Gaubert, 2005, p. 48). Sur la côte atlantique, on trouve également la plate morbihannaise et la pinasse d’Arcachon et, pour la côte méditerranéenne, le sapinou de l’étang de Thau. Tous ces bateaux présentent un profil en ogive, une étrave pour couper la vague, un tableau et une sole permettant de naviguer avec un faible tirant d’eau.

5. Fonctions de l’épave

46Les dimensions de l’embarcation restent modestes, mais certains éléments de sa structure (étrave notamment) laissent penser qu’elle n’était pas uniquement destinée à naviguer sur le fleuve et qu’elle pouvait également avoir été conçue pour naviguer dans l’estuaire, voire pour longer la côte atlantique. Le calcul de sa capacité de charge permet de connaître le poids de marchandises qu’elle pouvait transporter, soit 1,5 tonne au maximum.

47Il est probable que sa destination d’usage n’était pas uniquement le transport de marchandises et que c’est dans un usage mixte que ce bateau pouvait trouver une réelle aptitude. Son faible tirant d’eau et la présence d’une étrave favorisent une navigation fluviale et palustre (les zones de marais étaient en effet importantes en Saintonge au haut Moyen Âge), et peut-être dans les limites des pertuis. La pêche, la conchyliculture ou l’exploitation du sel constituent autant de cadres d’utilisation auxquels ce type de bateau était adapté.

48L’existence, dans l’environnement immédiat de l’épave du Priorité, d’armes et d’une pirogue contemporaines, ainsi que de deux autres pirogues encore non datées, pourrait faire penser que l’on se trouve en présence d’une autre zone portuaire, très proche de celle de Taillebourg-Port d’Envaux. Si cette donnée était confirmée par les futures recherches, on verrait alors se dessiner l’image d’un fleuve jalonné, dans sa partie aval et au début du Moyen Âge, de ports de plus ou moins grande importance. Dans le cas du Priorité, l’existence d’un prieuré pourrait se trouver à l’origine de l’aménagement d’une berge de la Charente et d’un point de transbordement en ce lieu.

Glossaire
Allonge : pièce de construction fixée le long d’une autre (par exemple, une varangue) par une de ses extrémités, et qui la dépasse en longueur.
Apôtre : dernier couple le plus en avant et de part et d’autre de l’étrave du navire, de forme triangulaire, permettant de renforcer la tenue des flancs.
Anguiller : canal ou trou de faible dimension taillé dans une varangue ou une courbe pour permettre à l’eau présente dans le fond d’aller au point le plus bas pour être plus facilement évacuée.
Bâbord : côté du bateau situé à gauche.
Bordage : planche constitutive du fond ou des flancs d’une embarcation.
Bordé : ensemble des planches ou bordages formant les flancs de l’embarcation.
Bouchain : partie de la coque assurant la transition entre le fond et les flancs.
Calfater : remplir de force les interstices entre les bordages avec diverses matières (par exemple, de la mousse), pour rendre la coque étanche.
Centre de carène : le centre de carène est le point par lequel la force de flottabilité agit verticalement vers le haut.
Centre de gravité : le centre de gravité est le point où l’on suppose que tout le poids de l’objet agit verticalement.
Couple : renfort transversal formé de l’assemblage de courbes et de clands.
Courbe : pièce de bois renforçant l’angle entre deux éléments de charpente.
Emplanture : pièce de bois recevant le pied du mât.
Épite : coin servant à bloquer une cheville.
Étrave : pièce saillante de la construction sur l’extrémité avant du bateau, qui s’élève dans son axe médian depuis le fond ou la quille et reçoit l’extrémité des bordages.
Franc bord : distance entre le niveau de l’eau à l’extérieur du bateau et la partie supérieure du pont à la demi-longueur.
Gournable : longue cheville servant à fixer les bordages des navires, parfois maintenue en place au moyen d’épites.
Maille : intervalle entre deux renforts transversaux.
Membrure : ensemble des poutres placées transversalement pour soutenir le bordé de l’intérieur. Chaque élément de la membrure porte un nom spécifique en fonction de sa structure et de son emplacement : varangue, couple, demi-couple, allonge, courbe.
Monoxyle : taillé dans un tronc d’arbre.
Sole : fond plat, sans quille ou bordage médian renforcé, présent essentiellement dans des embarcations fluviales.
Tableau : partie arrière terminant le bateau, constituée d’un plateau d’un seul morceau ou d’un assemblage de bordages.
Tribord : côté du bateau situé à droite.

Bibliographie

Bibliographie

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Beaudouin F., 1975, Bateaux des côtes de France, Grenoble, éd. des 4 Seigneurs, 394 p.

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Notes

1 Texte rendu en 2013.

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