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Des fleuves et des hommes à l’époque mérovingienne

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Édith Peytremann

2. Des fleuves et des villes

Une ville Mosane entre le Ve et le XIIe siècle : l’apport de l’archéologie à l’histoire de Huy (Belgique, Wallonie, Province de Liège)

Catherine Péters and Bernardy de Sigoyer

Abstract

For the last twenty years archaeological research at Huy has added new information to our knowledge of the city’s early history. Written sources about the earliest periods being scarce, material data provides most ofthe evidence on the importance, extent and continuity of occupation of the two banks of the Meuse since the laie 4th century. Even if construction of the Church of Notre-Dame at the foot of a rocky outcrop at the confluence of the Meuse and Hoyoux at an unknown date before 634 probably marks the origin of the religions, political and maybe commercial prédominance of the right bank. the other side of the river shows signs of a human presence of equal density. Merovingian handcrafts were equally présent on both banks, whereas up to now only the left bank has yielded a large concentration of burial sites. The occupation continued through the Carolingian period but with less evidence of handcrafts ; the city and population continued to grow during the 12th century. (trad. : J.-F. Lemaire)

Full text

1. Présentation géographique (fig. 1 et 2)

1Située à mi-parcours entre Namur et Liège, Huy constitue avec les villages environnants une commune fusionnée de 25000 habitants. Elle est bordée de deux régions géographiques complémentaires, au nord le plateau limoneux et fertile de Hesbaye, au sud le Condroz accidenté et boisé, dont les ressources agricoles et matières premières sont exploitées depuis longtemps : la laine et la peau, le bois, l’écorce de chêne, divers matériaux pierreux, l’argile, le fer, le plomb... Le noyau urbain ancien se déploie de part et d’autre d’un méandre prononcé de la Meuse, à sa confluence avec une rivière, le Hoyoux.

2Sur la rive droite, un promontoire rocheux domine le confluent d’une soixantaine de mètres ; il termine une succession de collines entaillées par la vallée du Hoyoux et sa paroi nord descend de manière abrupte jusqu’au fleuve. Sur cette berge prise entre la falaise et la Meuse, la circulation fut malaisée jusqu’ au milieu du xixe siècle. En aval du confluent s’étend sur la même rive une large plaine alluviale régulièrement inondée par les crues conjuguées des deux cours d’eau. Leurs alluvions ont formé de hauts-fonds et une série d’îles permettant de franchir le fleuve en période d’eaux moyennes (Suttor, 1997, p. 24).

3Sur la rive gauche, la rivière Mehaigne rejoint le fleuve en amont de la localité, créant également de hauts-fonds propices au passage d’eau. Une petite plaine alluviale est enserrée dans le méandre et fermée au nord par un étroit plateau parallèle à l’axe général de la Meuse ; les flancs du Mont Saint-Étienne sont abrupts, sauf au sud où une avancée du relief s’adoucit jusqu’à la rive. L’alternance de confluents, promontoires rocheux escarpés et plaines alluviales résulte de l’action du fleuve sur des formations géologiques particulièrement variées ; cette configuration géographique du site semble avoir été déterminante pour l’installation des premiers noyaux d’occupation et l’ébauche des cheminements humains.

2. L’archéologie à Huy

4Dès la fin des années soixante, grâce à une surveillance des chantiers de construction et par des interventions de sauvetage, le Cercle Archéologique Hesbaye-Condroz a démontré l’importance du haut Moyen Âge à Huy, notamment avec le site de Batta, et pointé la menace de destructions de plus en plus radicales (Willems, 1973 ; Docquier, Bit, 1990 ; Willems, 1991a et b). Cette situation a évolué depuis 1993 : dans une Belgique régionalisée, le Service public de Wallonie gère l’archéologie opérationnelle sur son territoire et effectue dans la mesure du possible des fouilles préventives sur les terrains menacés par les projets d’urbanisme. Depuis peu, la réhabilitation des sites industriels désaffectés au centre-ville permet d’aborder de plus grandes surfaces.

5Les résultats des recherches effectuées à Huy s’accumulent et nous permettent d’avancer à petits pas sur les nouvelles pistes offertes par l’archéologie à l’histoire de ces deux noyaux d’agglomération séparés par le fleuve et urbanisés depuis le Moyen Âge.

Fig. 1. La rive droite de Huy vue du nord-est : la collégiale, le fort et la vallée du Hoyoux

Fig. 1. La rive droite de Huy vue du nord-est : la collégiale, le fort et la vallée du Hoyoux

(Cl. C. Péters ; infographie F. Taildeman © SPW).

3. La ville d’hier et d’aujourd’hui

6La collégiale Notre-Dame, de style gothique (xive-début xvie siècle), se dresse sur un replat triangulaire à la confluence du fleuve et de la rivière et est dominée par un fort érigé par les Hollandais en 1818 sur le site arasé du château médiéval. Les documents iconographiques et cartographiques anciens évoquent notamment et de façon plus ou moins précise l’aspect du château médiéval détruit au début du xviiie siècle, la position d’anciens perrés et berges de Meuse, celle des enceintes, des églises détruites et le tracé des rues.

7Encore bien visible sur les plans du xviie siècle, le Hoyoux, à la fin de son parcours, se divise en plusieurs lits et biefs aménagés pour installer des moulins. Depuis longtemps et avec un nouvel élan lors de la révolution industrielle, cette rivière a aidé par sa force motrice ou l’usage de son eau, à la pratique d’artisanats et d’industries : poterie, tannerie, draperie, papeterie, distillerie et métallurgie ; elle a participé à l’histoire de la ville autant que la Meuse. Les moulins ayant perdu leur utilité, la rivière a été escamotée du paysage par des phases de couverture successives et à maints endroits, des maisons s’y sont superposées.

8Le fleuve sert depuis longtemps au transport des matières premières et des produits. Les quais de débarquement de passagers et de marchandises visibles sur les gravures et cartes postales anciennes n’existent plus au centre de la ville. L’aspect actuel de la Meuse à Huy résulte d’une régularisation générale de son cours à partir de 1850 ; la création et T élargissement de voiries ont supprimé le contact direct entre l’habitat et le fleuve. Les dentiers travaux de rehaussement des quais réalisés en 1977 ont nécessité une mise hors d’eau de certaines berges pour remplacer les anciens perrés et modifier l’accès au pont, mais n’ont malheureusement pas fait T objet de fouilles ni de relevés des vestiges archéologiques visibles sur certains clichés (Willems, 1997, p. 20). Du fait de cette pétrification des rives, rehaussées et déplacées lors de la suppression d’îles, nous n’avons pu réaliser de recherches en contact avec le fleuve.

9Le souvenir du passé médiéval de Huy subsiste encore sur le plan cadastral primitif, levé sous la direction du géomètre F. Talmant en 1823, mais disparaît peu à peu depuis plusieurs décennies pour répondre principalement aux besoins de mobilité ou de rentabilité du m2. Cette transformation récente des quartiers est très importante sur la rive droite du fleuve où sont cependant préservés quelques tronçons classés du rempart médiéval.

4. Topographie historique

10La première et toujours indispensable synthèse historique et archéologique sur le haut Moyen Âge à Huy a été publiée par Alain Dierkens (Dierkens, 1990) ; elle complète le travail de l’historien André Joris (Joris, 1959) et nous offre une base solide à laquelle peuvent s’ajouter les nouvelles données issues des fouilles. Avant de détailler les dernières découvertes réalisées sur la rive gauche de la Meuse, voici un condensé de l’évolution globale du site depuis la fin de l’Antiquité jusqu’au xiie siècle. Ce survol est sciemment lacunaire tant sur le plan historique qu’archéologique: son but n’est pas une présentation exhaustive, mais bien une cartographie de repères chronologiques.

Fig- 2. Étendue de l’occupation connue du haut Moyen Âge. 1. Rempart du ive s. ; 2. rue Saint-Victor ; 3. rue Saint-Hilaire ; 4. tombes mérovingiennes ; 5. Saint-Martin ; 6. cimetière et monument funéraire viiie-ixe s. ; 7. rue Sous-le-Château et place Saint-Jacques ; 8. avenue des Ardennes et place Saint-Séverin ; 9. Aux Ruelles ; 10. ISI/Saint-Victor ; 11. Quai Batta

Fig- 2. Étendue de l’occupation connue du haut Moyen Âge. 1. Rempart du ive s. ; 2. rue Saint-Victor ; 3. rue Saint-Hilaire ; 4. tombes mérovingiennes ; 5. Saint-Martin ; 6. cimetière et monument funéraire viiie-ixe s. ; 7. rue Sous-le-Château et place Saint-Jacques ; 8. avenue des Ardennes et place Saint-Séverin ; 9. Aux Ruelles ; 10. ISI/Saint-Victor ; 11. Quai Batta

(Dessin F. Taildeman © SPW).

4.1. De l’Antiquité à la fin du haut Moyen Âge (fig. 2)

11Quelques petites structures arasées ou du matériel hors contexte des iie et iiie siècles évoquent l’installation temporaire d’une population peu nombreuse sur le site de Huy. La présence affirmée dans les niveaux mérovingiens de matériel de l’extrême fin du Bas-Empire (fin ive - début ve siècle) et de sépultures contemporaines dans le cimetière de la rue Saint-Victor sur la rive gauche incite à placer à cette époque les premiers ancrages de population à Huy, de part et d’autre du fleuve. Hasard ou non, cette augmentation notable de traces matérielles d’une occupation du site de Huy coïncide avec la désertion à la même époque de l’agglomération secondaire florissante d’Amay, 7 km en aval de Huy, là où un pont permettait à la voie Arlon-Tongres de franchir la Meuse (Witvrouw, Gava, 2008).

12Il n’existe aucune preuve de l’existence d’un pont à Huy, ni à l’époque romaine, ni au haut Moyen Âge ; l’agglomération primitive s’est développée au niveau d’un bassin profond du fleuve et les passages d’eau en amont et en aval permettent d’éviter les falaises qui rendent chaque rive en partie impraticable lorsque les eaux sont hautes. Depuis longtemps, une voie de circulation existe sans doute dans la vallée du Hoyoux, d’autres devaient rayonner depuis son embouchure et se diriger vers les hauteurs. La trace d’une levée de terre datée du ive siècle (Cahen-Delhaye, 1984) est toujours bien visible sur le plateau dominant la rive gauche (fig. 2.1). Le Mont Saint-Étienne s’étire vers le sud en une sorte de péninsule, la petite colline de la Buissière, qui le relie à la plaine du méandre.

13Domitien, évêque de Tongres-Maastricht au milieu du vie siècle, accorde une importance particulière à Huy où il se serait fait inhumer (Dierkens, 1990, p. 403-404). Léglise Notre-Dame érigée à l’embouchure du Hoyoux est citée pour la première fois en 634. L’importance de la localité au viie siècle est attestée par la frappe de monnaies. Un tonlieu est mentionné dans un acte du maire du Palais Carloman en 744. Selon André Joris, il y a là « un petit marché régional, stimulé par la voie fluviale » (Joris, 1959, p. 81-88). Son étendue est représentée de manière provisoire d’après la répartition des sites archéologiques ayant livré un matériel domestique et artisanal pour une période située entre la fin du ive siècle et la fin du viie siècle, de part et d’autre du fleuve. La rive gauche présente un caractère funéraire avec un grand cimetière fouillé à l’ouest (fig. 2.2 et 2.3) et quelques tombes découvertes à l’est (fig. 2.4). La rive droite n’en a pas révélé jusqu’à présent, mais aucune fouille n’a atteint les niveaux mérovingiens autour de la collégiale et il est probable qu’un cimetière soit associé à la première église. D’après la configuration des lieux, l’accostage d’embarcations devait être possible sur la rive gauche, dans la plaine alluviale du méandre, autant que sur la rive droite, près de l’église. Preuve de son importance régionale à la période carolingienne, Huy, qualifié de portus et désigné comme vicus, est le cœur d’un comté entre 943 et 985 avant de passer sous le contrôle de l’évêché de Liège (Joris, 1959, p. 88-92). Concernant la période allant du viiie au début du xie siècle, les découvertes réalisées sur la plupart des sites fouillés ont un caractère principalement domestique, moins artisanal, et semblent indiquer une continuité d’occupation depuis l’époque mérovingienne et la persistance de l’étendue de la localité. En périphérie de l’agglomération, le grand cimetière de la rive gauche est toujours en fonction. Une tombe à murets et dalle de couverture de type alto-médiéval est révélée par un sondage dans l’église Saint-Martin (fig. 2.5) et un groupe de sépultures s’installe autour d’un petit bâtiment funéraire familial au sud de l’agglomération de la rive droite (fig. 2.6) (Péters, 2010).

4.2. La charte des franchises de 1066 (fig. 3)

14Forteresse de l’évêché de Liège, Huy subit l’assaut du comte de Flandre en 1055 ; la ville est en partie détruite et l’église Notre-Dame est incendiée. Par une charte rédigée en 1066, l’évêque Théoduin définit le domaine religieux et accorde libertés et privilèges aux bourgeois de Huy qui financent en partie la reconstruction de la collégiale (Joris, 1966). Le pont qui franchit la Meuse en amont de Notre-Dame et l’église Saint-Étienne aux encloîtrés (fig. 3.1) sont mentionnés pour la première fois la même aimée dans le cartulaire de Notre-Dame (Joris, 1959, p. 136 et 194). Trois églises du xie siècle ou du xiie siècle sont révélées par l’archéologie : on peut supposer que Notre-Dame de la Vignette (fig. 3.2) remplace le monument funéraire familial au sud de la ville, et que Saint-Jean d’abord et Saint-Hilaire ensuite sont fondées dans le cimetière du haut Moyen Âge de la rive gauche (fig. 3.3 et 3.4). Elles sont longées par une nouvelle voie parallèle au rivage au départ du gué et qui empiète sur l’ancien cimetière. Le château médiéval connu par l’iconographie a dû se développer autour d’un donjon primitif dont nous ne saurons sans doute jamais rien. Dans la vallée, les historiens évoquent les murs des encloîtrés entourant le domaine religieux : ils constituaient, avec le Hoyoux, une première protection qui n’est pas encore documentée par l’archéologie (Discry, 1958, p. 41 ; Joris, 1959, p. 136). L’existence d’une enceinte urbaine à proprement parler peut être envisagée sur un plan plus large. Même s’il n’en est pas fait mention dans les sources écrites, c’est peut-être au xie siècle qu’une première muraille est érigée autour de la ville, non seulement sur la rive droite comme le suggère l’historien, mais aussi sur la rive gauche. Sans être datée précisément, elle est concrétisée par des découvertes archéologiques sur chaque rive (Gob, 1986 ; Willems, 1991a et b) et se repère encore dans le tracé des rues. Les surfaces délimitées de part et d’autre de la Meuse seraient équivalentes, pour autant que l’enceinte de la rive gauche suive le parcours évoqué par la toponymie et le réseau viaire, empreinte laissée par une muraille que l’historien considère comme un peu plus tardive.

15La rive droite accueille également le pôle économique de la ville médiévale, le port et le marché. L’existence d’un second port est évoquée par le toponyme « Apleit » en aval du confluent, sans doute plus proche du marché primitif situé sur la rive droite de la rivière. Le nombre d’églises augmente de part et d’autre de la Meuse parallèlement à la croissance de la population.

Fig. 3. Évocation de la situation en 1066, année de la charte de franchise. 1. Saint-Étienne ; 2. Notre-Dame de la Vignette ; 3. Saint-Jean ; 4. Saint-Hilaire ; 5. nouvelle voie médiévale ; 6. rue des Augustins ; 7. rue d’Amérique

Fig. 3. Évocation de la situation en 1066, année de la charte de franchise. 1. Saint-Étienne ; 2. Notre-Dame de la Vignette ; 3. Saint-Jean ; 4. Saint-Hilaire ; 5. nouvelle voie médiévale ; 6. rue des Augustins ; 7. rue d’Amérique

(Dessin F. Taildeman © SPW).

4.3. Le XIIe siècle (fig. 4)

16La ville prospère et se structure de plus en plus, l’habitat se densifie, un port existe sans doute sur la rive gauche, quai de la Batte. Le prieuré de femmes clunisien de Saint-Victor, qui dépend alors du comté voisin de Moha, et la léproserie des Grands Malades sont fondés sur cette rive et sur l’autre est établi un premier monastère de moines réguliers, le Neumoustier. À la fin du siècle (vers 1188), débute l’édification de la grande enceinte figeant l’image de la ville médiévale et dont une partie subsiste encore aujourd’hui (Joris, 1959, p. 160-166).

5. Les données archéologiques

5.1. La rive droite

17Les fouilles de la rive droite ont fait l’objet d’une présentation aux XXe journées mérovingiennes de l’AFAM (Péters, Fontaine, 2003). Afin d’équilibrer le texte sans redites, voici un bref résumé des caractéristiques principales qui se dégagent des observations faites sur cette rive.

Fig. 4. Évocation de la situation à la fin du xiie s. 1. Prieuré Saint-Victor ; 2. léproserie ; 3. Neumoustier ; 4. grande enceinte

Fig. 4. Évocation de la situation à la fin du xiie s. 1. Prieuré Saint-Victor ; 2. léproserie ; 3. Neumoustier ; 4. grande enceinte

(Dessin F. Taildeman © SPW).

18Les quartiers de la rive droite étaient les plus fréquemment inondés, non seulement par les eaux du fleuve en crue, mais surtout par les débordements de la rivière. L’homme est malgré tout resté dans la vallée du Hoyoux et a perpétuellement réaménagé ses installations immergées. Les sites fouillés sont caractérisés par la superposition des niveaux d’occupation allant du ive siècle à nos jours, sur une hauteur pouvant atteindre 4 m : les conditions géographiques et la précarité des constructions ont imposé un rehaussement permanent des sols.

19Les traces d’habitat du haut Moyen Âge sont mal conservées, difficiles à repérer : des vestiges de fours, des sols d’argile installés entre des pieux et des alignements grossiers de blocs, des restes de palissades en piquets et branches dont subsiste parfois un peu de bois, bref, ne se dessinent que de petites parties de constructions sans que nous ayons pu percevoir l’ébauche d’un plan de bâtiment, encore moins une organisation de l’espace. Le contexte de « terres noires » organiques, empierrées, marquées par de nombreux apports alluvionnaires prouve que la rivière n’est pas encore dominée ; des fosses et dépôts livrent un matériel abondant, résidu de la vie quotidienne de nombreuses générations entre la fin du ive siècle et le Xe siècle.

20Aux xie et xiie siècles les dépôts limoneux organiques étendus deviennent rares, ils sont limités aux contextes fermés comme les latrines. Commencent à apparaître des fondations maçonnées au mortier, des ruelles et cours, des constructions enfouies telles des caves, puits, citernes ou latrines et une articulation structurelle se dessine dans la vallée du Hoyoux dont le cours semble alors conduit entre des perrés. Les xiiie et xive siècles confirmeront la densité et l’organisation du tissu urbain et cette nécessité impérieusede toujours surélever les niveaux de circulation et d’habitation. L’impact de la Meuse est faible sur le parcellaire illustré par les vestiges de la rive droite qui s’orientent au moins depuis le xie siècle selon la rivière.

21En ce qui concerne l’artisanat (fig. 2.7 et 2.8), l’époque mérovingienne a livré des traces conséquentes prouvant l’importance des productions du verre (rue Sous-le-Château, place Saint-Séverin) et de la céramique (avenue des Ardennes, place Saint-Jacques), le travail de l’os et du bois de cervidé (place Saint-Séverin), la pratique de la métallurgie du bronze (avenue des Ardennes) et du fer (rue Sous-le-Château). Aucune fouille n’a révélé la pratique d’un artisanat important après le viiie siècle. Pourtant, si l’on en croit l’historien, la métallurgie du cuivre et de ses alliages compterait pour une bonne part, avec la draperie, dans la prospérité de la ville aux xie et xiie siècles (Joris, 1956, p. 301-304). Ces sites de production n’ont pas encore été localisés.

5.2. Les sites de la rive gauche

22Entre 2001 et 2011, les recherches archéologiques se sont concentrées sur la rive gauche de la ville où trois terrains ont fait l’objet de fouilles. Deux d’entre eux, les sites Aux Ruelles et ISI/Saint-Victor, sont établis en bordure de la Meuse ; la troisième aire de fouille, le site de la rue Saint-Hilaire, est localisée à l’emplacement d’un site industriel en activité depuis le milieu du xixe siècle et récemment désaffecté.

23L’occupation de la plaine alluviale de la rive gauche est attestée au Haut-Empire. Elle ne correspond alors qu’à des aménagements restreints et dispersés. Tandis que les vestiges mérovingiens démontrent à cette époque la croissance remarquable de cette rive, illustrée par le développement de l’habitat et des activités artisanales.

5.2.1. Aux Ruelles (fig. 2.9 ; fig. 5 et 6)

24L’installation du Haut-Empire mise en évidence sur le site Aux Ruelles a livré deux fosses et une structure de séchage excavée destinée aux denrées alimentaires.

25Ces vestiges ont fait place à un atelier de verrier de la fin du Ve siècle au début du vie siècle (fig. 5). Il comprenait plusieurs structures de combustion et de nombreuses fosses attenantes. Trois fours ont été associés : il s’agirait d’un four de recuit, flanquant deux fours à fusion secondaire successifs. Le premier est une structure circulaire en argile creusée dans le limon en place. Il présente un chenal d’entrée d’un mètre de long, orienté au sud-est. L entrée est encadrée par un bloc calcaire et une pierre plate posée de chant. Le diamètre du four n’excède pas 1,20 m. Seuls sont conservés le fond cuit et le pilier central de soutien de la sole. Le pilier porte les empreintes ligneuses des planchettes de bois qui ont servi à son élaboration. Les parois, conservées sur 30 cm, ont particulièrement subi l’intensité de la chaleur à l’arrière du four. Le niveau d’arasement de la structure ne permet pas de conclusion quant au système de tirage. Les tessons de céramique découverts dans le comblement et sur le fond du four sont attribués au vie siècle. Leur nombre restreint, leurs types variés et leurs formes finies s’opposent à ce qu’ils soient assimilés à des rebuts de four de potier.

26Les deux fours superposés sont installés à 1,40 m de distance du four de recuit. En subsiste la base des parois circulaires formées par un muret de fragments de tuiles liées à l’argile, encerclant un fond plat. Le dernier four prend appui directement sur les vestiges aménagés du four antérieur. Ils ont conservé quatre assises sur une hauteur de 25 cm. Leur diamètre externe mesure 1,30 m.

27Leur structure est assez similaire à celle des fours de verrier connus à l’époque gallo-romaine. Dans les fosses, les fours et aux alentours ont été découverts des fragments de poteries communes épaisses dont la paroi intérieure, tapissée de verre, ne laisse aucun doute quant à leur utilisation comme creusets. Les résidus d’épuration du verre correspondent à des scories vitrifiées, des filaments de verre, des gouttes et des larmes. Les déchets de meule de verre portant des traces métalliques attestent le soufflage du verre avec une canne. On dénombre 70 fragments de verres creux achevés, certains décorés de filets d’émail suffisamment caractéristiques pour être rattachés à des prototypes bien connus : coupe décorée de filet de bordure ou de quatre-feuilles en émail, coupe à chevrons moulés en relief, gobelet simple ou à bouton terminal, et cornet. Tous ces fragments sont isolés c’est-à-dire qu’ils proviennent de récipients différents. Il s’agit peut-être de groisil.

28On peut s’interroger sur la relation de ce site avec l’activité verrière découverte en bordure du Hoyoux sur l’autre rive de la Meuse, rue Sous-le-Château (fig. 2.7), qui lui est apparentée tout en étant un peu plus récente (viie siècle), et celle plus modeste de la place Saint-Séverin (fig. 2.8).

29Au cours des viie et viiie siècles (fig. 5), le site est parsemé de fosses et d’édifices dont les techniques de construction combinent tantôt la maçonnerie, solins de pierre et ossature de bois, tantôt la construction sur poteaux de bois. Ils englobent des structures de combustion arasées et reconstruites au fil du temps. L’une d’elles pourrait être assimilée à un foyer de forge refaçonné par trois fois ; elle côtoie deux zones de rejets de travail du fer, comprenant des scories d’épuration et des battitures. Certaines cavités, comblées par les rejets issus de diverses activités artisanales, pastorales et domestiques pratiquées à cet endroit, sont interprétées comme des fosses d’extraction de matériaux de construction, limon et galets. Aucun des édifices découverts ne présente un plan complet. Ces constructions rectangulaires reposent sur des solins de pierre dont le tracé est parfois complété par des poteaux. Les sols conservés ont fait l’objet de rehaussements successifs par des apports massifs de galets et de sable élevant la surface de circulation à chaque renouvellement. Ce type d’intervention est perceptible dans le secteur sud, le plus proche de la berge du fleuve. Il est donc probable que la dynamique fluviale ait exposé ces établissements à de rudes épreuves nécessitant, après la saison des crues, une reconstruction partielle voire totale. L’interprétation de ces édifices en tant qu’habitat permanent paraît peu plausible, en revanche une vocation artisanale et saisonnière pourrait être admise.

Fig- 5. Site Aux Ruelles. Occupation du haut Moyen Âge comportant un atelier de verrier du vie s. et des structures des viie et viiie s. : bâtiments sur salins, foyers, fours et fosses

Fig- 5. Site Aux Ruelles. Occupation du haut Moyen Âge comportant un atelier de verrier du vie s. et des structures des viie et viiie s. : bâtiments sur salins, foyers, fours et fosses

(Dessin F. Taildeman © SPW).

Fig. 6. Site Aux Ruelles. Vue du nord-est des deux habitats mitoyens des xie et xiie s.

Fig. 6. Site Aux Ruelles. Vue du nord-est des deux habitats mitoyens des xie et xiie s.

(cl. S. de Bernardy de Sigoyer © SPW)

30Après une stagnation relative du site durant les ixe et Xe siècles, la découverte de deux maisons mitoyennes, longeant le chemin de halage, nous renseigne sur l’évolution de l’habitat du xie au xiie siècle (fig. 6). Ces deux maisons se distinguent nettement par la composition des mortiers liant les moellons de grès. Elles sont limitées au nord et au sud par deux murs relativement larges dont subsistent les fondations maçonnées. Les vestiges du mur mitoyen sont à mettre en relation avec la maçonnerie de la maison occidentale, par conséquent la plus ancienne. Cette construction comporte une grande pièce rectangulaire avec un être adossé au murnord dont la fouille a révélé plusieurs phases d’aménagement. Outre cette grande pièce, le bâtiment renferme une série de trois cellules identiques sans feu et alignées le long du mur mitoyen. L’habitat oriental possède lui aussi une grande pièce dont le foyer était appuyé sur le mur mitoyen. La partie nord de cet édifice comprend deux petites pièces cloisonnées de même format que celles de l’autre bâtiment. La dernière utilisation probable du foyer de cet habitat a été datée par archéomagnétisme de 1195 (avec 95% de probabilité dans l’intervalle 1126-1239 ; Hus, 2013). Aucune trace d’artisanat autre que le filage n’a été relevée dans ces niveaux.

31Les deux habitats distincts se partagent une grande structure subcirculaire parfaitement centrée sur leur mur commun. Deux déversoirs sont aménagés dans cette maçonnerie. Ces latrines, sorte d’entonnoir construit en pierres sèches, s’enfoncent profondément dans le sol au nord des deux maisons. La découverte d’objets en bois au cours d’un lent et pénible curage du fond, inondé malgré l’utilisation permanente de plusieurs pompes, a enfin indiqué le dépôt d’occupation. Un échantillon de bois a été daté par dendrochronologie et situe l’abattage de l’arbre après 1070. Ce qui fait remonter à la fin du xie siècle l’utilisation de cet ensemble construit.

32De nombreuses questions sont soulevées par ces découvertes. S’agit-il d’un type d’habitat particulier, en relation avec la navigation sur la Meuse ou avec la pêche, si les quelques hameçons médiévaux découverts ou l’appellation Pexheurue ou Poisseurue utilisée au xvie siècle pour une des ruelles du lieu-dit (Dubois, 1910, p. 570-571) sont des indices suffisants ? À moins qu’il fasse partie de l’établissement primitif du prieuré Saint-Victor (fig. 4.1), localisé à environ 200 mètres de là.

5.2.2. ISI/rue Saint-Victor (fig. 2.10 et fig. 7)

33Le second site de bord de Meuse est celui de l’ISI/Saint-Victor. Il a livré des installations datées du viie au xie siècle par des études céramologiques (de Bernardy de Sigoyer, de Longueville, 2008 ; de Bernardy de Sigoyer, Van Wersch, 2008). Ces phases témoignent d’une occupation continue du terrain qui se matérialise par des structures aux fonctions diverses en lien avec l’artisanat, l’habitat, le stockage de denrées ainsi qu’une activité pastorale.

34Dans la première moitié du viie siècle, un atelier de forge occupe le site. Une chape de grès est surmontée d’une fine couche de limon jaune et perforée de seize négatifs de poteau. Son plan partiellement dégagé s’inscrit dans un espace quadrangulaire de 49 m2. L’organisation interne de cet atelier comprend une trentaine de piquets répartis essentiellement autour de deux cuvettes rubéfiées. La couche d’incendie surmontant le radier d’éclats de grès contenait des scories d’épuration, du torchis et des fragments de terre cuite. À l’ouest du site, une quinzaine de négatifs de poteaux matérialise la présence d’installations destinées au stockage de denrées alimentaires telles que des greniers surélevés ou des granges.

35Dans la seconde moitié du viie siècle, le site est investi dans sa partie occidentale par des structures sur solins en pierre incluant des négatifs de poteaux et un alignement de piquets pouvant correspondre à une base de palissade. Limité par l’emprise de la fouille, le plan de ces aménagements n’a pu être complètement observé.

36Au centre de la zone explorée, un radier de galets de 40 cm d’épaisseur rehausse le niveau du sol et est enserré par trois murets de pierres sèches. Sa surface observable est de 35 m2 et ne comporte aucune trace d’un sol aménagé ni de poteau permettant une couverture de cet espace. La fonction de cet ouvrage en tant qu’habitat paraît peu probable. En l’absence de contact direct avec la berge endiguée, ni sa relation au fleuve ni sa fonction n’ont pu être mises en évidence.

37Au cours du viiie siècle, l’occupation du site se resserre autour d’un édifice dont vingt-cinq négatifs de poteaux ont été relevés. Ils circonscrivent un espace de plan rectangulaire dont l’orientation présente un axe nord-sud. Cet édifice se poursuit au-delà de la limite septentrionale du terrain. Ses dimensions visibles sont de 3,50 m de largeur sur 5 m hors appentis. En tenant compte de l’aire complémentaire délimitée au sud par des négatifs de poteaux, cela porte à 7 m la longueur visible du bâtiment. Il occupe ainsi une superficie de 25 m2. La répartition des poteaux semble régulière sans être totalement symétrique d’un côté à l’autre. Le dédoublement de certains supports sur les flancs peut trahir le souci de renforcer une charpente trop lourde ou matérialiser deux phases de construction ou une réparation. Cet édifice en bois correspond à un type de bâtiment rural probablement affecté au stockage. Le cloisonnement interne semble organisé en travées. Un grenier intérieur ou un étage est matérialisé dans la partie nord de la construction par la présence de quatre supports. Ce bâtiment de petites dimensions est interprété soit comme une aire commune à usage spécifique telle qu’une grange ou un grenier, soit comme un habitat rural entouré de fosses bienqu’aucun foyer n’ait été relevé dans la partie dégagée.

38Enfin au Xe siècle prend place un édifice dont il ne subsiste que deux alignements parallèles de grandes dalles et de gros moellons de grès sans trace de liant. Le plan incomplet du bâtiment occupe une superficie de 33 m2. Sa fonction pourrait être également liée au travail du métal au vu des scories de fer contenues dans le dépôt d’incendie final.

5.2.3. Rues Saint-Victor et Saint-Hilaire (fig. 2.2 et 2.3 ; fig. 8)

39Les lieux d’inhumation connus à Huy pour la période mérovingienne sont situés sur la rive gauche où, outre la nécropole mérovingienne des rues Saint-Victor (Docqlter, Bit, 1990) et Saint-Hilaire, quatre tombes à matériel ont été découvertes au nord-est de l’agglomération primitive (Lassance, Borremans, 1958, p. 290).

40D’importants aménagements menés dans les années soixante-dix ont détruit tout un pan du cimetière altomédiéval de la rue Saint-Victor (fig. 8). Les fouilleurs de l’époque évaluent à plus de 300 le nombre de sépultures détruites par les pelleteuses (Docqiter, Bit, 1990, p. 23). La nécropole est installée sur le versant sud de la colline descendant vers la Meuse. Elle témoigne d’un essor démographique et d’une continuité d’utilisation depuis la seconde moitié du Ve siècle jusqu’au Moyen Âge.

41Les recherches effectuées en 2011 sur le terrain attenant, rue Saint-Hilaire, ont permis de documenter l’extension et l’évolution du champ de repos. Cette portion de la nécropole du haut Moyen Âge a été fortement arasée par les innombrables inhumations effectuées postérieurement à l’intérieur de l’enceinte du cimetière entourant l’église Saint-Hilaire jusqu’à sa démolition vers 1825 ; les tombes situées hors de son emprise ou sous l’église sont mieux conservées. Environ 80 tombes maçonnées installées dans les alluvions ont fait l’objet de fouilles. Une dizaine d’entre elles seulement, distribuées sur une grande partie de la zone, contenait encore un dépôt funéraire mérovingien se résumant parfois à un seul objet. Elles sont constituées de murets de moellons ou de dalles dressées, et ont été très souvent réutilisées. Plusieurs tombes en moellons portent un enduit sur les parois et sur le fond, rougi par ce qui semble être de la terre cuite. Les plus anciennes sont de plan rectangulaire, d’autres, plus étroites aux pieds, évoquent les sarcophages monolithes. Certaines sépultures sont très soignées, avec épaulement et rétrécissement au niveau de la tête formant une loge céphalique. Elles se rattachent typologiquement au xe ou xie siècle. Les relations chronologiques des tombes entre elles et avec l’église primitive sont encore à affiner. Sur l’ensemble des sites de Saint-Victor et de Saint-Hilaire, 237 tombes mérovingiennes ont été mises au jour et étudiées.

Fig. 7. Site de l’ISI/Saint-Victor : plans des occupations du viie s. et du viiie s. 1. Atelier de forge ; 2. base de palissade ; 3. radier de galets enserré par des murets ; 4. construction sur poteaux

Fig. 7. Site de l’ISI/Saint-Victor : plans des occupations du viie s. et du viiie s. 1. Atelier de forge ; 2. base de palissade ; 3. radier de galets enserré par des murets ; 4. construction sur poteaux

(Dessin F. Taildeman © SPW)

Fig. 8. Sites de la rue Saint-Hilaire et de la rue Saint-Victor : plan des fouilles du cimetière du haut Moyen Âge et des édifices religieux du xie ou du xiie s. 1. Église Saint-Jean ; 2. église Saint-Hilaire

Fig. 8. Sites de la rue Saint-Hilaire et de la rue Saint-Victor : plan des fouilles du cimetière du haut Moyen Âge et des édifices religieux du xie ou du xiie s. 1. Église Saint-Jean ; 2. église Saint-Hilaire

(Dessin F. Taildeman © SPW).

42Au viie siècle, une aire dédiée à l’enfouissement des déchets se trouve à 100 mètres à l’est du cimetière. Cette zone creusée de quarante-six fosses de fonction encore indéterminée et finalement comblées de rejets constitue un espace tampon entre le monde des morts et le lieu où doit se trouver l’habitat attesté par la présence de tessons de céramique et de déchets fauniques. Le contenu des fosses confirme également la proximité d’ateliers développant différentes étapes de la chaîne opératoire du fer (de la réduction au forgeage) qui sont probablement insérés dans la trame d’un habitat (Cabboï et alii, 2007). Quelques traces ténues et déchets issus du travail du verre et du cuivre y ont également été observés.

43Dans le courant du xie ou du xiie siècle, l’édification de bâtiments religieux est entreprise sur les deux sites funéraires. En premier lieu, semble-t-il, au sein de la nécropole mérovingienne du site de Saint-Victor est érigé un petit édifice à chevet plat (fig. 8.1), coïncidant sans doute avec l’église dédiée à saint Jean citée par les sources historiques (Coenen, 1926). Avant 1139, il sera donné par la comtesse Ermesinde de Moha, avec une bande de terrain servant toujours de cimetière, au monastère clunisien de Marcigny en Bourgogne afin d’y établir le prieuré Saint-Victor (fig. 4.1).

44Ensuite, l’église primitive de Saint-Hilaire (fig. 8.2) est fondée sur la partie la plus récente du cimetière du haut Moyen Âge. Il s’agit d’un petit bâtiment à trois nefs dont le chœur à chevet plat et peu saillant est accosté de deux chapelles prolongeant les bas-côtés. L’ensemble mesure 21,6 m sur 15 m. Elle deviendra la première église paroissiale de la rive gauche et sera reconstruite dans la seconde moitié du xiiie siècle ou au début du xive siècle.

Conclusion

45Un promontoire rocheux apte à être fortifié qui domine un confluent, une église Notre-Dame fondée très tôt à son pied, constituent un schéma récurrent de la ville primitive médiévale dans la vallée mosane.

46Souvent considérée comme premier lieu de regroupement d’habitants, la rive droite du fleuve, appelée Huy-Grande par tradition, est historiquement tenue pour prépondérante sinon la seule occupée avant le xiie siècle. L’historien André Joris explique en 1959 que le xiie sièclevoit s’intensifier les pratiques artisanales telles que la draperie et la tannerie dont les produits sont destinés au commerce à longue distance. Selon lui, l’augmentation de la main-d’œuvre influence la densification de l’habitat au point que l’espace vient à manquer et que la ville s’étend au nord du fleuve : « (...) sur la rive gauche de la Meuse, tout un quartier nouveau s’est développé au cours du xiie siècle. C’est le quartier d’Outre-Meuse, ou de Huy-Petite. (...) Il est difficile de savoir quel fut le destin de ce secteur urbain du viiie au xie siècle » (Joris, 1959, p. 155-158). L’historien fait cet aveu d’ignorance et regrette le manque de données archéologiques fiables pour suppléer à l’absence de sources écrites. Quelque trente ans plus tard, Alain Dierkens compile les « nouveautés archéologiques » mais regrette toujours l’absence de fouilles autour de l’église Notre-Dame, voyant à cet endroit le véritable « centre primitif » de Huy. Sur le plan religieux et politique, la primauté de cet espace limité par l’embouchure du Hoyoux et comprenant le promontoire rocheux est évidente, puisque c’est là qu’est érigée la première église au pied du futur complexe castral.

47Mais du simple point de vue de l’occupation humaine, qu’en est-il ? Il semble que les hommes, attirés par les qualités naturelles du lieu, se soient installés en nombre de part et d’autre du fleuve et dans la vallée du Hoyoux et que, avant 634, une église ait été édifiée à leur intention au carrefour protégé du fleuve, de la rivière et de voies anciennes. Même si au xiie siècle le port, le marché, le pouvoir religieux et politique sont localisés sur la rive droite par l’histoire, les faits matériels témoignant d’un habitat ou de la pratique d’un artisanat montrent une certaine symétrie synchronique entre les deux rives depuis les origines de leur occupation.

48Il est cependant difficile de prouver que les noyaux primitifs des deux rives forment une entité dès le Ve siècle. Au contraire, le fleuve a pu être à un moment un obstacle, voire une limite, une frontière entre deux groupes de peuplement indépendants. Dans ce cas, comment savoir quand ces deux groupes se sont rassemblés ? Il est tentant de penser que les pôles de pouvoir ancrés à l’embouchure du Hoyoux s’appuient sur une aire plus étendue à vocation artisanale et agricole comprenant la rive opposée et la vallée du Hoyoux. L’absence d’indice sur l’existence d’un site funéraire mérovingien étendu sur la rive droite suscite l’interrogation, même s’il est possible qu’on ne l’ait pas encore trouvé, car le contexte urbain ne permet pas de larges explorations du sous-sol. Si la rive gauche était spécialisée et si les défunts de la rive droite n’ayant pas leur place auprès de l’église Notre-Dame avaient été inhumés de l’autre côté du fleuve, ce serait une preuve d’unicité.

49Durant le haut Moyen Âge, les deux aires d’occupation encore imparfaitement définies par les données archéologiques ne se font pas face sur les rives de la Meuse, l’espace délimité par le rempart réajuste la symétrie, peut-être sur la position du pont de 1066. L’espace compris dans l’enceinte de la rive gauche est réduit par rapport à la surface occupée depuis l’époque mérovingienne. L’extension de la ville à la fin du xiie siècle qu’André Joris voit se produire sur cette rive doit plutôt être située sur la rive droite où le domaine urbain est doublé par l’élargissement de l’enceinte.

50Le plan cadastral primitif (1823) hérité du Moyen Âge montre que le réseau viaire de la rive gauche s’ordonne en direction de la berge du fleuve parallèlement à l’axe de circulation matérialisé par le pont de 1066 et tire parti de la seule voie de circulation terrestre longeant la Meuse, suscitant une occupation du méandre de la plaine alluviale. L’organisation des rues de la rive droite ne s’oriente pas vers la berge de Meuse, peu praticable, mais suit la rivière - les principales voies de circulation radiales partant de la confluence - et épouse la courbe de l’enceinte. L’édification du rempart marquera la topographie de la ville jusqu’à nos jours. Longtemps, les parcelles situées en dehors des remparts conserveront un caractère agricole et artisanal.

51L’étude des résultats des fouilles entreprises à Huy ces dernières années doit bientôt être menée à son terme et ledialogue avec les historiens donnera à nos travaux la dimension indispensable pour répondre aux questions soulevées par ces découvertes.

Bibliography

Bibliographie

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Title Fig. 1. La rive droite de Huy vue du nord-est : la collégiale, le fort et la vallée du Hoyoux
Credits (Cl. C. Péters ; infographie F. Taildeman © SPW).
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Title Fig- 2. Étendue de l’occupation connue du haut Moyen Âge. 1. Rempart du ive s. ; 2. rue Saint-Victor ; 3. rue Saint-Hilaire ; 4. tombes mérovingiennes ; 5. Saint-Martin ; 6. cimetière et monument funéraire viiie-ixe s. ; 7. rue Sous-le-Château et place Saint-Jacques ; 8. avenue des Ardennes et place Saint-Séverin ; 9. Aux Ruelles ; 10. ISI/Saint-Victor ; 11. Quai Batta
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Title Fig. 3. Évocation de la situation en 1066, année de la charte de franchise. 1. Saint-Étienne ; 2. Notre-Dame de la Vignette ; 3. Saint-Jean ; 4. Saint-Hilaire ; 5. nouvelle voie médiévale ; 6. rue des Augustins ; 7. rue d’Amérique
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Title Fig. 4. Évocation de la situation à la fin du xiie s. 1. Prieuré Saint-Victor ; 2. léproserie ; 3. Neumoustier ; 4. grande enceinte
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Title Fig- 5. Site Aux Ruelles. Occupation du haut Moyen Âge comportant un atelier de verrier du vie s. et des structures des viie et viiie s. : bâtiments sur salins, foyers, fours et fosses
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Title Fig. 6. Site Aux Ruelles. Vue du nord-est des deux habitats mitoyens des xie et xiie s.
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Title Fig. 7. Site de l’ISI/Saint-Victor : plans des occupations du viie s. et du viiie s. 1. Atelier de forge ; 2. base de palissade ; 3. radier de galets enserré par des murets ; 4. construction sur poteaux
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Title Fig. 8. Sites de la rue Saint-Hilaire et de la rue Saint-Victor : plan des fouilles du cimetière du haut Moyen Âge et des édifices religieux du xie ou du xiie s. 1. Église Saint-Jean ; 2. église Saint-Hilaire
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Service public de Wallonie, Direction générale de l’aménagement du territoire, du logement, du patrimoine et de l’énergie, Direction de Liège 1, Service de l’Archéologie

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