Paris et la Seine au premier Moyen Âge : occupation des territoires fluviaux à Paris entre le Ve et le Xe siècle
p. 49-60
Résumés
La construction d’une carte archéologique des bords de Seine à Paris recensant l’ensemble des données de fouilles datées entre le Ier et le Xe siècle permet d’observer l’évolution de l’occupation sur les rives du fleuve et d’en envisager les conséquences pour la construction de la ville médiévale. Contrairement à la période antique durant laquelle la ville apparaît comme étant fortement polarisée par le cardo maximus, le chapelet des lieux de culte fondés durant l’époque mérovingienne à proximité du bord du fleuve pourrait indiquer que le tissu urbain à tendance à s’allonger le long de la Seine et des voies qui la bordent durant le premier Moyen Âge, révélant ainsi probablement une légère perte d’attractivité du cardo et l’importance économique des territoires fluviaux à l’époque médiévale.
Die Zusammenstellung einer archdologischen Karte des Pariser Seine-Ufers, die aile Ausgrabungsstatten zwischen dem ersten und zehnten Jahrhundert verzeichnet, ermöglicht es, die Entwicklung der Uferbesiedlung sowie die Auswirkungen auf den Bau der mittelalterlichen Stadt zu betrachten. Im Gegensatz zur Antike, wahrend der die Stadt anscheinend stark auf den Cardo maximus ausgerichtet war, könnte die Kette von religiösen Stätten, die in der Merowingerzeit in der Nähe des Elusses gegründet witrden, anzeigen, dass sich das Stadtgefüge im frühen Mittelalter zunehmend entlang der Seine und ihrer Uferwege erstreckte. Dies könnte auf eine nachlassende Attraktivität des Cardo sowie auf die wirtschaftliche Bedeutung von Flussgebieten im Mittelalter hinweisen. (trad. : A. Frey)
The compilation ofan archaeological map of the banks ofthe river Seine in Paris, showing all the discoveries dated to between the 1st and 10th centuries, illustrates the evolution of the occupation of the riverside land and allows us to consider the implications for the construction of the médiéval city. Unlike the Roman period, during which the city appears to have been strongly polarized by the cardo maximus, a string of Christian sanctuaries founded during the Merovingian period near the river might indicate that the urban occupation was stretched along the Seine and the roads that lined the river during the early Middle Ages. This might suggest a slight loss of attractiveness of the cardo, while also indicating the economie importance of river territories in médieval times.
Texte intégral
Introduction
1Bien que la relation qu’entretient la ville de Paris avec la Seine durant les périodes historiques soit un des topos de l’historiographie parisienne, l’occupation des territoires fluviaux n’a pas, à notre connaissance, fait l’objet d’études spécifiques.
2Les historiens et archéologues antiquisants évoquent fréquemment l’étroitesse du lien qui se développe entre la ville et son fleuve dans l’Antiquité. En premier lieu, le lien est établi à partir de l’examen de ce qui est couramment appelé le site « naturel » de la ville, qui se trouve en aval de la confluence de plusieurs rivières avec la Seine (dont la Marne et l’Aisne) et en amont de la confluence avec l’Oise (Busson, 1998, p. 54) ; le site se trouve également sur l’itinéraire d’une grande voie terrestre de direction nord-sud, et ce faisant est à la croisée de la voie fluviale séquanienne et d’un faisceau de routes terrestres (Roblin, 1971, p. 96). Tirant partie de cette situation de carrefour, la ville entretiendrait donc un lien fort avec la Seine. La découverte au début du xviiie siècle de ce qui fut appelé « le Piliers des Nautes » (une colonne monumentale érigée au Ier siècle ap. J.-C. et dédiée à Jupiter par les membres de la corporation des commerçants de la Seine qui feraient ainsi montre de leur richesse) permet aux chercheurs de supposer T importance économique des armateurs et commerçants de la Seine dans la ville et ainsi de renforcer l’idée que la ville fonctionne avec son fleuve à la période antique (Favier, 1997, p. 24-25). La force du lien, notamment pour l’approvisionnement, est également souvent évoquée par les historiens de la période médiévale sans que, faute de documentation, il puisse être détaillé. Des études portant sur la fin de la période médiévale1 et d’autres sur la fin de la période moderne2 abordent la question de la relation matérielle qui se tisse entre la ville et son fleuve, mais qu’en est-il du premier Moyen Âge ?
Fig. 1. Localisation de l’espace d’étude et des fouilles archéologiques recensées

(APUR©ALPAGe : L. Hermenault — LH 2013)
3Si les fouilles du Quai Branly ont permis de mettre au jour une structure de pêche en fonctionnement entre le ive et le vie siècle de notre ère (Pion, 2009), les données de fouille concernant les modalités matérielles de cette relation avec le fleuve restent extrêmement ponctuelles. On peut alors s’interroger sur les conséquences de l’étroitesse du tien entre la ville et le fleuve pour l’occupation des territoires fluviaux et donc pour la constitution du tissu urbain : quelles sont en particulier les dynamiques à l’œuvre durant le premier Moyen Âge ? Quel est le rôle de ces dynamiques pour l’évolution de la ville de Paris à cette période ?
4Une carte archéologique des bords de Seine à Paris a été constituée afin d’envisager quelques éléments de réponse à ces questions. Nous avons limité notre espace d’étude à une bande de 500 m de part et d’autre de la Seine (fig. 1) et avons compilé l’ensemble des données archéologiques disponibles datées entre le Ier siècle ap. J.-C. et le début du xiiie siècle. Nous n’évoquerons cependant pas ici les résultats obtenus après le xie siècle3. L’ensemble de la documentation archéologique disponible pour cet espace a été collecté et critiqué (certaines données trop peu précises n’ont pas été exploitées). Nous avons utilisé la Carte archéologique de la Gaule 75, établie par Didier Busson (Busson, 1998), qui reprend notamment les travaux de Théodore Vacquer (qui a surveillé les travaux haussmanniens durant la seconde moitié du xixe siècle) mais aussi d’autres données de fouilles anciennes, et qui, de façon générale, fait la synthèse des connaissances archéologiques sur le Paris de l’Antiquité et de l’époque mérovingienne ; nous avons également utilisé les données compilées par les archéologues de la Commission du Vieux Paris depuis sa création jusqu’à nos jours, en exploitant d’abord la Carte archéologique de Paris, parue en 1971 et dirigée par Michel Fleury (Fleury, 1971) qui fait la synthèse des travaux de cette Commission jusqu’en 1968, et, depuis cette date jusqu’à nos jours, en exploitant les procès-verbaux édités des réunions mensuelles de la même Commission ; enfin, nous avons utilisé les données archéologiques issues des fouilles menées par l’AFAN et l’Inrap, telles qu’elles sont archivées au Service régional de l’Archéologie d’Île-de-France, d’une part grâce à l’exploitation des Documents finaux de synthèse/Rapports finaux d’opérations jusqu’en septembre 2012, et d’autre part, en exploitant les notices des Bulletins du Service régional d’Île-de-France. Ces données ont été intégrées dans un Système d’information Géographique puis mises en relation avec l’état actuellement connu du relief pré-urbain de Paris établi par le géomorphologue Vincent Krier à partir de l’atlas géologique de 1967 (VAN Ossel, 1998, p. 27). Cet état de la topographie est en accord avec les données altimétriques enregistrées en fouille que nous possédons. Dans l’Antiquité, les zones situées sous la cote des 30 m NGF étaient inondables. L’évolution des limites du lit d’inondation du fleuve au centre de Paris n’est pas connue pour les périodes postérieures. Pour ce qui est donc de la période médiévale, par prudence, nous considérons les zones dont l’altitude est inférieure à 30 m NGF non plus comme des zones inondables mais simplement comme des zones basses.
5Nous présentons des extraits de cette carte archéologique agrémentée des éléments de topographie religieuse connus par la documentation historique4. Il est à noter que les occasions de fouilles ou d’observations archéologiques furent nombreuses depuis le xixe siècle dans le centre historique de Paris au sein de cet espace d’étude (travaux liés au percement des tunnels des lignes 1 et 4 du métro notamment, puis opérations d’archéologie préventive d’envergure comme ce fut le cas au Carrousel, dans la rue de Lutèce ou sur la Place Baudoyer par exemple), même si certains espaces restent probablement sous-documentés.
6Avant de présenter les résultats obtenus pour le premier Moyen Âge, nous présenterons ceux obtenus pour la période antique afin de mettre en perspective les premiers et de mieux pouvoir mettre en valeur d’éventuelles ruptures dans l’occupation de ces territoires. Enfin, nous essayerons de comprendre et de poser des hypothèses quant à l’interprétation des dynamiques perçues.
1. Examen des données archéologiques
1.1. Entre le Ier et le Ve siècle : des espaces fluviaux très structurés par le cardo (fig. 2)
7Pendant les cinq premiers siècles de notre ère, le tissu urbain est essentiellement concentré sur la rive gauche. La ville se développe alors principalement au-dessus du lit d’inondation du fleuve, à l’image de l’ensemble de la parure monumentale de la ville (thermes, théâtre, forum et amphithéâtre). La carte archéologique nous permet de mesurer cette disparité : durant cette période, 68 % des nouvelles occupations se font dans la zone située au-dessus du lit d’inondation. Il est à noter que cette proportion s’accentue obligatoirement si l’on s’intéresse à l’ensemble de la villeantique dont la plus grande partie se trouve au sud de l’espace d’étude, c’est-à-dire en dehors des zones inondables.
8Au sein de la zone inondable, on remarque que 67 % des vestiges archéologiques non viaires se trouvent à moins de 100 m du cardo maximus (l’axe viaire qui permet de franchir le fleuve en passant par l’île de la Cité) et 90 % se trouvent à moins de 200 m de celui-ci. Dans la zone inondable, l’occupation de bord de fleuve apparaît donc comme étant très polarisée par cette voie et tend même à se restreindre nettement autour de celui-ci : le flux est très attractif en bord de Seine, et ce malgré le risque d’inondation, mais ne fixe pas pour autant le centre de la ville, situé plus en hauteur, en dehors du lit d’inondation. Dans l’île de la Cité, l’ensemble des sites d’habitat est situé à moins de 200 m du cardo. En rive droite, les vestiges sont concentrés autour du prolongement de cette voie. Les ressources fluviales sont exploitées à proximité du cardo (découverte d’un port sur la rive sud de l’île de la Cité : Busson, 1998, p. 457), mais aucune trace de cette exploitation n’a pu être mise au jour ailleurs sur les bords de Seine à Paris. La prudence nous empêche de conclure à l’absence de toute exploitation : il est possible qu’elle ait existé mais sa forme et son organisation devaient être différentes de celle observée aux alentours du cardo.
9Les territoires fluviaux apparaissent donc comme étant, durant l’Antiquité, très structurés par l’axe de franchissement de la Seine. Le cardo semble polariser l’habitat et organiser ces espaces autant qu’il organise le reste de la ville.
10Cependant, lorsque l’on examine les premières cartographies de l’espace parisien qui datent du xvie siècle (Pinon et alii, 2004), tout comme les cartes de l’espace parisien au début du xive siècle réalisées à partir de l’état des connaissances des chercheurs en matière de topographie historique pour cette période5, on constate que la ville se développe alors majoritairement en rive droite en direction du nord mais également sur cette même rive de façon très dense en bordure du fleuve. Le tracé de l’enceinte de Philippe-Auguste, réalisée entre la fin du xiie et le début du xiiie siècle, et même celui de l’enceinte dite « primitive » de la rive droite réalisée entre le ixe et le xe siècle6, montrent déjà, par la surface qu’ils enclosent (fig. 3), que la ville se développait alors le long de la Seine et plus uniquement le long du cardo, comme c’était le cas à l’époque antique. On peut donc considérer que l’enceinte « primitive » de la rive droite marque le terminus ante quem du début de l’étalement urbain en bordure du fleuve. C’est donc bien entre la fin du Bas-Empire et, au plus tard, le Xe siècle, que s’enclenche cette dynamique. Peut-on lire, dans les données archéologiques dont nous disposons pour cet entre-deux, des ruptures dans le mode d’occupation des territoires fluviaux ?
Fig- 2. Carte archéologique de l’occupation des bords de Seine entre le Ier et la fin du Ve siècle ap. J.-C.

(APUR©ALPAGE : V. Krier, D. Busson, L. Hermenault - LH 2013).
Fig. 3. La confrontation des sites occupés en bords de Seine dans l’Antiquitéavec les tracés de l’enceinte carolingienne et de celle de Philippe Auguste montre l’importance de l’évolution de la répartition des occupations des territoires fluviaux entre la fin de la période antique et le Xe siècle.

(APUR©ALPAGE : AL Bethe, L. Hermenault, V. Krier, H. Noizet - LH 2013).
1.2. Entre le VIe et le Xe siècle : un tissu urbain qui s’allonge le long de la Seine
1.2.1. Entre le VIe et la fin de la première moitié du VIIIe siècle : des établissements ecclésiastiques attractifs pour l’habitat ? (fig. 4)
11Les fouilles ayant mis au jour des vestiges datés d’entre le vie et la première moitié du viiie siècle sont rares et le plus souvent anciennes. Les vestiges funéraires ont très majoritairement retenu l’attention des archéologues. Les grands ensembles funéraires datés de cette période se trouvent à proximité de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, des sanctuaires de Saint-Séverin, de Saint-Victor, de Saint-Paul-des-Champs, de Saint-Gervais, de Saint-Merri, de Sainte-Colombe, de Notre-Dame-des-Bois et enfin de Saint-Germain l’Auxerrois. L’ensemble de ces édifices se trouvent à l’extérieur de l’enceinte du Bas-Empire qui enserre la ville sur l’île de la Cité. Selon Patrick Périn et Philippe Velay, il est possible d’envisager trois vagues de fondations de basiliques suburbaines à Paris (Périn, Velay, 1981, p. 100) : durant la première, datée de la fin de l’époque romaine, plusieurs basiliques auraient été fondées sur des nécropoles antiques ; d’autres basiliques auraient vu le jour sur des nécropoles pré-existantes dans une seconde phase, au début de la période mérovingienne ; enfin, au cours de la même période, et dans un troisième temps, ce sont des sanctuaires liés à des nécropoles nouvellement aménagées qui sont fondés. Ainsi, sans qu’il soit véritablement possible de préciser davantage la chronologie, il est permis d’envisager dans le temps l’implantation sur les bords de Seine des basiliques et des zones funérairesqu’elles bordent : Saint-Julien est probablement l’établissement le plus ancien, il est construit sur le cardo antique à la fin de la période romaine, après quoi Saint-Gervais et Saint-Victor voient le jour légèrement en marge de la ville antique, et dans un dernier temps, ce sont les basiliques de Saint-Germain-des-Prés, Saint-Germain l’Auxerrois, Saint-Paul-des-Champs, et peut-être Notre-Dame-des-Bois, Saint-Merri et Saint-Jacques de la Boucherie qui sont fondées.
12Une zone d’habitat fut mise au jour lors de la fouille menée sur la place Baudoyer par Luis Gonzalo Valencia en 1993-1994 : il s’agit d’une occupation très localisée mais dense et datée des vie-viiie siècles qui se développe en marge de la zone funéraire liée à Saint-Gervais (Valencia, 1996, p. 117). Plus à l’ouest, à proximité de la place de l’hôtel de ville actuel, Théodore Vacquer indique avoir mis au jour un mur qu’il date de la période mérovingienne (Busson, 1998, p. 486). Plus au nord, au 15 rue du Temple, Renaud Gosselin, Arnaud Prié et leur équipe mettent au jour en 1995 un front de taille du substrat géologique daté des ve-vie siècles ainsi qu’un sol d’habitat et des structures excavées qu’ils interprètent comme étant liées à des activités de boucherie datée des vie-viiie siècles (Gosselin, 1995 ; Prié, 1997). Enfin, plus à l’ouest, au 27 rue des Bourdonnais, Laurent Guyard et ses collègues mettent au jour en 1993 ce qu’ils pensent être les traces d’un habitat rural mérovingien dont ils soulignent la proximité spatiale avec la zone funéraire de Saint-Germain l’Auxerrois (Guyard, 1993b). À notre connaissance, ces découvertes constituent les seules traces d’habitat connues pour les vie-viiie siècles sur les bords de Seine en rive droite. Celles-ci n’apparaissent pas comme étant polarisées par le cardo antique, qui est cependant toujours utilisé à cette période, bien qu’il ne subisse pas de réfections (Guyard, 1993a, p. 130-132) et reste très attractif pour les établissements religieux puisqu’il polarise plusieurs fondations : en rive gauche ce sont Saint-Étienne-des-Grès et Notre-Dame-des-Champs, et en rive droite Sainte-Colombe, Saint-Merri, Saint-Martin-des-Champs, Saint-Laurent et Sainte-Geneviève-de-la-Chapelle. Contrairement à la rive droite, la localisation des quelques traces d’occupation mises au jour sur la rive gauche témoigne du maintien d’une plus grande attractivité du cardo7 sur cette rive.
13La pauvreté de nos connaissances concernant l’habitat des vie-viiie siècles est très probablement un effet de sources. On a en effet peine à croire que le tissu d’habitations soit aussi clairsemé au vu du nombre élevé de basiliques suburbaines à Paris. Certains espaces peuvent donc être considérés comme étant sous-documentés, y compris au sein du centre historique de la ville. Ainsi les alentours de Saint-Germain l’Auxerrois ou de Saint-Paul-des-Champs n’ont que très rarement fait l’objet d’investigations archéologiques. Puisque les traces d’habitats mises au jour le sont souvent à proximité d’établissements ecclésiastiques (Saint-Gervais et Saint-Germain l’Auxerrois), il est possible d’envisager, en l’absence d’informations qui indiqueraient le contraire, que d’autres zones, voisines d’établissements ecclésiastiques, aient pu également être, dans une certaine mesure, attractives pour l’habitat à cette même période.
Fig. 4. Carte archéologique de l’occupation des bords de Seine entre le vie et le milieu du viiie siècle.

(APUR©ALPAGE : V. Prier, L. Hermenault - LH 2013).
1.2.2. Entre la seconde moitié du VIIIe siècle et la fin du Xe siècle : le cardo ne polarise plus exclusivement l’occupation du bord de rive (fig. 5)
14Si la période reste assez mal documentée à l’heure actuelle, les données sont toutefois plus diversifiées car les connaissances dépassent désomais le quasi unique horizon du domaine funéraire. En rive gauche, les découvertes s’étalent d’ouest en est entre Saint-Gennain-des-Prés et Saint-Victor. Les découvertes de niveaux d’habitat ont été faites à proximité du tracé du cardo antique. En rive droite, le cardo est toujours en fonction et subit même quelques réfections et des structures d’habitat ont été mises au jour à proximité (Guyard, 1993a, p. 130-132). D’autres structures ou sols d’habitat ont été découverts sur le site de la place Baudoyer (Valencia, 1996), mais aussi dans la rue François Miron (Bouëtiez de Kerorguen, 2002), dans la rue du Temple (Prié, 1997) ainsi qu’en bordure du cimetière de Saint-Germain l’Auxerrois dans la rue des Bourdonnais (Peixoto et alii, 2008). Si les traces d’occupation semblaient être polarisées par le cardo à la période antique, entre le viiie et le xe siècle au contraire, l’examen de la répartition des occupations permet de constater sinon la perte d’effet polarisateur du cardo, tout du moins son affaiblissement. En effet, à cette période et en rive droite, 24,5 % des vestiges se trouvent à moins de 100 m du cardo, alors que pour la période antique, ce sont près de 50 % des découvertes qui ont été faites à moins de 100 m de cet axe viaire et que 30 % du reste des mises au jour furent faites sur le site du Louvre autour d’une zone d’exploitation du limon située à plus de 1,2 km du cardo.
15Par ailleurs, cette carte archéologique nous permet de mesurer le basculement de l’occupation des bords de Seinede la rive gauche vers la rive droite puisque la grande majorité des nouvelles occupations sont enregistrées sur cette dernière.
16Dans l’état actuel des connaissances archéologiques, il est possible d’émettre l’hypothèse que les zones d’habitat semblent ne plus être exclusivement polarisées par le cardo antique en rive droite peut-être dès la période mérovingienne. Le tissu urbain n’est probablement pas continu en bord de Seine à cette période mais organisé autour d’éléments attractifs comme il est possible que le soient les basiliques suburbaines. Cette tendance à l’étalement en bord de Seine semble se poursuivre entre les viiie et Xe siècles. Comment peut-on expliquer ce qui apparaît comme étant peut-être une nouvelle dynamique d’occupation des territoires fluviaux ?
2. Comment interpréter la probable mise en place de nouvelles dynamiques d’occupation des territoires fluviaux à Paris durant le premier Moyen Âge ?
2.1. Des territoires jalonnés par un chapelet de lieux de culte structuré au moins en partie par le réseau viaire
17Au cours du premier Moyen Âge, le tissu urbain se développe donc en rive droite en face de l’île de la Cité. Il est jalonné par plusieurs sanctuaires que nous avons énumérés précédemment. Ce réseau de lieux de culte peut être compris comme étant structuré par le réseau viaire (Périn et alii, 1985, p. 68). En effet, les sanctuaires Sainte-Colombe et Saint-Merri se trouvent à quelques dizaines de mètres du cardo antique ; ceux de Saint-Paul et Saint-Gervais se trouvent également non loin de la voie dite « de Melun », à l’est du cardo, dont des niveaux antiques mais aussi médiévaux ont pu être observés en fouille (Busson, 1998, p. 484-488 ; Busson, 2003). Quant aux sanctuaires de Saint-Germain l’Auxerrois, Notre-Dame-des-Bois et peut-être Saint-Jacques-de-la-Boucherie, ils sont souvent décrits comme se trouvant à proximité d’une voie de direction est-ouest longeant la Seine, et formant le prolongement à l’ouest du cardo de la voie de Melun, mais dont aucune trace archéologique, mis à part des niveaux tardo-antiques dans la rue des Écrivains en 1852-1853 (Busson, 1998, p. 484), n’a pu être mise au jour. S’il est très probable qu’un itinéraire d’orientation est-ouest ait existé à l’ouest du cardo, ses différents tracés demeurent inconnus et ne bénéficiaient probablement pas de la même mise en valeur que le cardo ou la voie de Melun dans l’Antiquité. On ne peut donc pas évaluer avec précision la proximité éventuelle des sanctuaires de Saint-Germain-l’ Auxerrois, Notre-Dame-des-Bois et Saint-Jacques-de-la-Boucherie avec les grands éléments du réseau viaire parisien à l’époque de leur fondation.
18En rive gauche, les sanctuaires de Saint-Julien et Saint-Séverin se trouvent à quelques dizaines de mètres du cardo antique qui est toujours utilisé durant la période médiévale. En ce qui concerne le lieu de culte de Saint-Gennain-des-Prés, Théodore Vacquer pensait que la voie décumane dite « du boulevard Saint-Gennain » se prolongeait jusqu’à lui. Cette hypothèse est cependant à prendre avec précaution (Busson, 1998, p. 86). Quant à Saint-Victor, la présence d’une voie antique à proximité n’a été pas été archéologiquement démontrée (ibid., p. 380), même si l’hypothèse en a été souvent faite (Périn et alii, 1985, p. 175).
Fig- 5. Carte archéologique de l’occupation des bords de Seine entre le milieu du VIIIe siècle et le Xe siècle.

(APUR©ALPAGE : V. Krier, L. Hermenault- LH 2013).
2.2. Certains établissements ont une implantation qui a également pu favoriser l’entretien de relations avec le fleuve
19Une proximité avec un grand itinéraire de direction nord/sud ou bien est/ouest peut être envisagée pour l’ensemble des lieux de culte dont l’existence est avérée à Paris durant l’époque mérovingienne. Cette proximité n’est cependant pas toujours archéologiquement démontrable et ne peut parfois pas être précisée. Il semble par ailleurs que plusieurs de ces établissements se caractérisent également par une autre proximité, celle du lit mineur de la Seine.
20Si l’on confronte les données archéologiques avec l’état actuellement connu du relief pré-urbain sur le site de Paris établi par le géomorphologue Vincent Krier (VAN Ossel, 1998, p. 27), on constate que Saint-Germain-des-Prés, Saint-Victor, Saint-Paul, Saint-Gervais et Saint-Germain l’Auxerrois se trouvent certes probablement à quelques dizaines de mètres d’un élément du réseau viaire, mais également à quelques dizaines de mètres du lit mineur de la Seine, tout en se trouvant en dehors de celui-ci, et donc davantage à l’abri des inondations que Saint-Julien et Saint-Séverin par exemple, qui eux se trouvent sur un petit monceau dans la plaine d’inondation du fleuve. Saint-Germain-des-Prés et Saint-Germain l’Auxerrois se situent par ailleurs chacun sur un promontoire (probablement un bourrelet de rive) dominant légèrement le fleuve. En s’implantant le long des tracés viaires, ces sanctuaires bénéficient donc également d’une proximité physique avec le fleuve que certaines caractéristiques du bord de rive auraient pu venir renforcer.
21En effet, en rive droite, on remarque la présence de petites échancrures dans le trait de rive : la première se trouve au niveau de Saint-Germain l’Auxerrois, la seconde au niveau de ce qui deviendra plus tard la place de Grève et puis enfin la troisième au niveau de Saint-Gervais. Les fouilles menées sur le site du Quai Branly à Paris ou bienà Beaumont-sur-Oise ont montré que ce type d’échancrures (repérées avant la fouille grâce à des lectures de sondages géotechniques et appelées « mouilles » par le géomorphologue) avait fait l’objet d’aménagements portuaires ou autres (Krier, 2004, p. 122 et 123). Ceci nous incite à poser l’hypothèse que les échancrures repérées en rive droite ont pu également servir de mouilles à partir desquelles les manœuvres de déchargement et d’embarcation de marchandises étaient rendues plus aisées. De façon générale, les bords de Seine ne devaient pas être difficiles à aborder. Pourtant, c’est bien dans ces mouilles que se développeront deux des ports les plus importants de Paris aux périodes médiévales et modernes : la place de Grève et le port de l’école Saint-Germain (au niveau de l’église de Saint-Germain l’Auxerrois).
22La présence possible de points de franchissement de la Seine est une autre des caractéristiques de certains des sites de basiliques. Il existe, depuis l’Antiquité au moins, un pont qui permet de rejoindre l’île de la Cité depuis la rive gauche, et un autre pont situé en face du précédent qui permet de rejoindre la rive droite et au bout duquel se développe le faubourg durant l’Antiquité. Ces deux ponts perdurent durant la période mérovingienne. Se trouvent non loin de ceux-ci les basiliques de Saint-Julien, Saint-Séverin, Saint-Merri et Saint-Jacques de la Boucherie. À la fin du ixe siècle, est construit le pont dit de Charles le Chauve, qui permet de relier l’île de la Cité à la rive droite en aval du pont antique et qui aboutit sur la rue Saint-Denis. Par ailleurs, on trouve mention dans l’historiographie parisienne de l’existence d’un gué qui permettait de relier l’emplacement de la Tour de Nesle à l’abreuvoir Popin, c’est-à-dire aux environs de la Place de 1 ’École actuelle, sur la rive droite, à une centaine de mètres de la mouille en haut de laquelle s’est installé le sanctuaire de Saint-Germain l’Auxerrois (Lombard-Jourdan, 1985, p. 92). Par ailleurs, la toponymie de la fin du Moyen Âge peut laisser penser qu’à proximité de l’église de Saint-Gervais ait existé un gué (Monicat, 1958, p. 480) qui aurait pu être issu du ralentissement des flux solides et donc de leur dépôt, lié à la confluence de la Bièvre et de la Seine en face de laquelle il se serait trouvé (Hermenault, 2011, p. 82).
23Au viiie siècle, en bord de Seine à Paris, les sites sur lesquels s’implantent certaines basiliques présentent indubitablement des caractéristiques qui ont pu rendre possible le développement de liens avec le cours d’eau (proximité physique du fleuve, voisinage de mouilles pouvant faciliter le commerce fluvial et peut-être relation avec des points de franchissement du fleuve), tout en leur assurant un fort ancrage terrestre grâce à la proximité du réseau routier, et ce alors même que le choix du site de leur fondation a peut-être en grande partie dépendu d’autres facteurs. Faire le constat d’un tel positionnement ne signifie pas pour autant que nous en déduisions quelques sortes de programme d’exploitation des bords de Seine de la part des fondateurs de ces sanctuaires (Childebert pour Saint-Germain-des-Prés par exemple) : les atouts de ces espaces ne sont peut-être qu’exploités dans un second temps, lorsque l’évolution des dynamiques économiques l’y invite.
2.3. Des espaces fluviaux nouvellement dynamiques et attractifs
24Même si la prudence est de mise puisque les données restent pour le moment extrêmement ponctuelles, les données archéologiques que nous possédons nous invitent à poser l’hypothèse de l’émergence de zones d’habitat à proximité des lieux de culte constitués en chapelet le long de la Seine et des voies qui la longent.
25Les mécanismes socio-économiques ayant abouti à cette émergence restent en partie méconnus. On pourrait envisager que les lieux de culte, par l’activité qui s’y déroule et par les flux qu’ils drainent puissent avoir été attractifs pour l’habitat, au détriment d’autres zones, comme celle des alentours du cardo qui ne polarisent plus exclusivement l’activité à partir du vie siècle. La situation de ces sanctuaires, souvent liés au réseau routier terrestre et proches de zones de contact avec le fleuve ou avec les flux que celui-ci draine ou crée (zone de franchissement par exemple), a pu jouer un rôle dans l’attraction qu’ils ont possiblement exercé sur l’habitat. Ces espaces ont donc pu profiter d’une situation offrant de multiples avantages et, à distance des territoires déjà occupés (comme le faubourg au débouché du grand pont par exemple), bâtis et peut-être « stérilisés » par de grandes fondations religieuses, ils ont pu être les lieux de l’émergence de nouvelles dynamiques urbaines accompagnant peut-être ainsi des changements économiques d’envergure à cette période. En effet, l’attraction exercée par les milieux fluviaux sur les sociétés du premier Moyen Âge a déjà été remarquée pour d’autres régions (Burnouf, 2007, p. 176-177). On connaît par ailleurs le rôle joué par le commerce fluvial pour l’émergence de villes comme Quentovic ou Lundenwic durant le premier Moyen Âge.
26Alors, s’il est très difficile d’envisager que l’implantation des lieux de culte entre le vie et le viiie siècle n’est que le fruit de l’intérêt de la société alto-médiévale pour les territoires fluviaux, puisque leur fondation est la conséquence d’un faisceau complexe de facteurs, il est en revanche envisageable que l’essor démographique et économique des territoires situés aux alentours de certains lieux de culte, comme Saint-Germain l’Auxerrois ou Saint-Gervais8, soit lié à l’exploitation des ressources fluviales et à la position nodale de ces espaces, à la fois au contact de la Seine et des réseaux routiers, et de façon plus générale à un dynamisme des territoires fluviaux durant le premier Moyen Âge.
Conclusion
27L’étude de la carte archéologique montre que les dynamiques d’occupation des bords de Seine ont évolué entre la période antique et le premier Moyen Âge. À la période antique, le tissu urbain s’étale le long du cardo maximus et est situé très majoritairement sur la rive gauche, alors qu’au cours du premier Moyen Âge, il tend à s’allonger le long du fleuve en rive droite pendant que la ville de la rive gauche continue, elle, d’être structurée par le cardo.
28Les lieux de culte qui sont fondés sur les bords de Seine à partir de la fin de l’Antiquité se situent probablement à proximité des éléments du réseau routier mais également dans des espaces qui rendent possible l’entretien de rapports avec le fleuve. La carte archéologique nous invite à penser que ces lieux de culte sont attractifs pour l’habitat en même temps que peuvent peut-être l’être les espaces dans lesquels ils se trouvent. L’examen du tracé de l’enceinte carolingienne, construite entre le ixe et le xe siècle, montre que lors de son établissement en rive droite, le cardo ne polarise plus à lui seul l’occupation au sein des territoires fluviaux puisque celle-ci semble s’être étalée le long du fleuve. Nous proposons de voir dans cette évolution du peuplement des bords de rive l’indication du dynamisme de ceux-ci et peut-être ainsi le caractère autrement structurant de l’économie fluviale pour l’espace urbain au premier Moyen Âge en comparaison avec la période antique. De l’essor de ces territoires fluviaux découle également une autre structuration urbaine, plus uniquement centrée sur l’itinéraire nord-sud représenté par le cardo mais également en lien avec le développement de petits bourgs le long du fleuve.
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Notes de bas de page
1 Voir par exemple Benoit et alii, 2004.
2 Voir par exemple Backouche, 2000.
3 Ceux-ci sont en revanche décrits dans Hermenault, Mirlou, 2013.
4 Pour cela, nous avons utilisé l’ouvrage Périn et alii, 1985.
5 Voir par exemple les cartes réalisées dans le cadre du programme ANR ALPAGE (AnaLyse diachronique de l’espace urbain PArisien : approche
GEomatique) disponibles en ligne: http://alpage.tge-adonis.fr/documents/Cartes/CarteParis1300-1330.pdf
6 La restitution du tracé de cette enceinte a été réalisée par Hélène Noizet grâce au recoupement de données de fouille et d’analyses parcellaires (Noizet, 2013b).
7 Des terres noires furent ainsi mises au jour sur le site du Collège de France (Guyard, 2003) et celui du boulevard Saint-Michel (Busson, 1994) par exemple.
8 Notamment sensible à travers leur intégration au sein de l’enceinte carolingienne construite entre le ixe et le xe siècle.
Auteur
Doctorante allocataire en archéologie médiévale à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 7041 ArScAn, équipe « Archéologies environnementales », Maison de l’Archéologie et de l’Ethnologie, 21 allée de l’Université F-92023 Nanterre Cedex,
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