1Le terme Seine-Oise-Marne, désignant l’un des plus anciens ensembles culturels définis pour le Néolithique français (Bosch-Gimperra, Serra-Rafols, 1926), avait masqué pendant longtemps l’importante variabilité que l’on identifie de nos jours dans les productions matérielles. La nature des contextes, très majoritairement des sépultures collectives, et l’absence de cadre chronologique précis expliquent en grande partie cette perception du Seine-Oise-Marne comme un bloc monolithique très homogène, peu évolutif, et qui était devenu de fait la culture archéologique la plus durable et la plus stable de tout le Néolithique du Bassin parisien.

2Les données présentées dans cet ouvrage contribuent à faire évoluer cette image. En premier lieu, de nouvelles datations radiocarbone permettent de fixer les limites du cadre chronologique. En second lieu, les ensembles domestiques récemment étudiés brisent la monotonie des ensembles funéraires jusqu’alors à la base des raisonnements sur la période. L’ensemble des données, en particulier la synthèse des analyses menées sur les différentes catégories de matériaux, convergent pour proposer un nouveau découpage chronologique et géographique du Néolithique récent dans le Bassin parisien, mis en perspective avec les régions voisines.

LES DATATIONS RADIOCARBONE (P. BRUNET)

3Parmi les nouvelles données recueillies, quelques dates obtenues en contexte d’habitat ont particulièrement retenu notre attention. Elles ont été intégrées dans un inventaire comportant également des dates déjà publiées et fiables (Chambon, Salanova, 1996), pour l’essentiel provenant de sépultures (figure 1). Cet inventaire comporte aujourd’hui 21 dates pour la période du Néolithique récent.

4Pour chercher à fixer le début et la fin de la séquence chronologique, des dates de la fin du Néolithique moyen ont été prises en compte, notamment les dates des Pétreaux à Changis-sur-Marne (PARIAT, 2007), ainsi que deux dates anciennes pour le Néolithique final, Route de Varreddes à Meaux, et le Marais-de-Sente à Houplin– Ancoisne (Martial et alii, 2004) (figure 2).

5Pour l’interprétation de ces dates, on doit tenir compte de trois éléments : la faiblesse de l’échantillon, la forte dispersion géographique des dates puisqu’elles proviennent des différentes régions du Centre-Nord de la France, et enfin les “plateaux” de la courbe de calibration du¹⁴C, plus ou moins marqués. La période centrée entre les 36^e et 24^e siècles est en effet considérée comme une période défavorable pour l’utilisation du radiocarbone (Oberlin, 2000, p. 38, figure 3). Malgré tout, l’histogramme des datations permet d’isoler au minimum trois blocs de dates susceptibles de représenter trois étapes chronologiques distinctes (figure 3).

Une étape ancienne entre 3600 et 3350 av. n. è.

6Elle correspond aux dates des sépultures collectives du Mont-Aimé à Val-des-Marais et de Vignely et de l’habitat du Pré-à-Vaches à Morains-le-Petit. On constate que les datations des sépultures individuelles de la fin du Néolithique moyen de Changis-sur-Marne s’étalent sur le même créneau chronologique. Pourtant, l’ensemble du mobilier découvert au Mont-Aimé, à Vignely comme à Morains-le-Petit correspond aux productions du Néolithique récent et permet de penser qu’il n’est pas contemporain de celui de Changis-sur-Marne.

Une étape moyenne entre 3350 et 3000 av. n. è.

7Cet ensemble comprend 12 datations, soit l’essentiel des résultats. L’étalement des dates y est très net à l’exception de celles de Déols, le Montet et de Mareuil-lès-Meaux qui sont plutôt centrées autour de 3000.

Une étape finale postérieure à 3000 av. n. è.

8Excepté la datation du Hazoy, dont l’incertitude de mesure avant calibration est très long (75 ans) et n’est citée que pour exemple, ne subsiste que la datation de Presles-et-Boves qui semble contemporaine du début du Néolithique final. Cette unique date¹⁴C ne peut naturellement suffire à elle seule à déterminer la chronologie du site, car il est fort probable que la datation ne pâtisse d’un fort effet de palier et ne soit rejetée qu’artificielle– ment au début du Néolithique final. L’étude du mobilier céramique semblerait plutôt indiquer une étape finale du Néolithique récent plutôt qu’une étape ancienne du Néolithique final (Thouvenot et alii, ce volume).

LA CULTURE MATÉRIELLE

9La culture matérielle a été placée au centre de nostravaux et représente donc la majeure partie de l’analyse. Des spécialistes de chaque catégorie de matériaux ont été réunis pour étudier les collections dans leur globalité. L’originalité de ce travail, pour la période considérée, réside dans le croisement des résultats.

La céramique (P. BRUNET, R. COTTIAUX, R. MARTINEAU, L. SALANOVA)

10Les poteries datées du Néolithique récent ont fait l’objet d’une double approche : typologique et technologique. L’étude de la forme des vases s’appuie sur des critères d’analyse définis dans le cadre du PCR et renvoie aux éléments publiés en 2007 (Augereau et alii, 2007). Dans cette même publication, l’analyse technologique avait été présentée de façon synthétique. Les résultats des différentes études monographiques sont présentées ici. La méthode est par ailleurs exposée dans ce volume (Martineau, ce volume).

11Le corpus étudié est issu de plus de 53 sites différents du Centre-Nord de la France (régions Bourgogne, Centre, Champagne-Ardenne, Île-de-France, Nord-Pas-de-Calais et Picardie), parmi lesquels on compte 25 sépultures, 21 habitats et 7 sites de nature indéterminée (figure 5).

Synthèse typologique

La morphologie des poteries

12Les critères morphologiques retenus pour l’analyse typologique ont été définis à partir d’un corpus de 108 poteries entières ou à profil complet (formes complexes et simples, morphologie de la panse en relation avec la position du diamètre maximum du vase). Une cinquantaine de poteries supplémentaires, de profil incompletmais pour lesquelles on dispose du diamètre à l’ouverture, ont été utilisées en complément. Une tentative de classement à partir d’une série de mesures s’est avérée difficile à mettre en oeuvre à cause de la faiblesse du corpus et de sa forte variabilité morphologique. Bien que très restreint, ce corpus regroupe pourtant l’essentiel de la documentation publiée et accessible pour le Néolithique récent. Les vases entiers proviennent majoritairement des sépultures collectives, c’est-à-dire de contextes qui ne permettent guère une attribution chronologique précise. Ils sont néanmoins complétés par de nombreux fragments provenant de contextes d’habitat.

13Trois catégories différentes de vases forment les standards typologiques du Néolithique récent : les vases sans col (profil simple), les vases à col (profil complexe) et les bouteilles (figure 6). Les premiers sont plus nombreux que les seconds ; quant aux bouteilles, elles sont très rares (figure 4A). Les vases sans col à profil simple sont plus nombreux dans les habitats, alors qu’en sépulture c’est plutôt l’inverse (figure 4B). Ces productions céramiques sont toutes à fond plat et sans moyens de préhensions, à quelques exceptions près qui demandent à être observées plus finement. En effet, la languette étant une caractéristique des assemblages du Néolithique final, on peut s’interroger sur l’attribution au Néolithique récent de céramiques portant ce type de préhension dans des sites de Touraine (Sublaines ou Ports-sur-Vienne). La seule exception concerne deux céramiques portant un gros bouton appliqué (Lieusaint en Seine-et-Marne et Morains-le-Petit dans la Marne), dont on retrouve des éléments de comparaisons à la fin du Néolithique moyen, dans les groupes de Balloy-Gravon et du Néolithique Moyen bourguignon. Chaque catégorie de poteries présente une forte variabilité (figure 6). Ainsi, parmi les vases sans col, on distingue principalement les formes tronconiques des formes dites en tonneau. Ces deux types sont représentés dans des séries datées de toutes les étapes de la séquence.

14Parmi les critères utilisés pour les vases à col, la forme ouverte ou fermée des récipients a été retenue, mais elle ne permet guère de mettre en évidence des regroupements particuliers. De la même manière, la hauteur du col initialement considérée comme un critère de tri (Augereau et alii, 2007) a finalement été abandonnée. On ne constate en effet aucune rupture nette dans les dimensions des vases du corpus entre les petits et les grands cols, mais un continuum régulier. Par ailleurs, on connaît des poteries à col court sur des sites du début du Néolithique récent tout comme sur des sites plus récents et également des vases à col long sur des sites de l’ensemble de la séquence.

15Les bouteilles, qu’elles soient à collerette ou non, correspondent à une catégorie à part, constituée de très peu de vases et rarement trouvée en association avec d’autres poteries. Leur présence en sépultures collectives permet de penser que cette catégorie particulière résulte bien de productions du Néolithique récent, mais sans plus de précisions. Ces bouteilles rattachent également les régions qui en ont livrées au vaste ensemble du nord-ouest de l’Europe où ce type est bien connu.

16En réalité, la faiblesse numérique du corpus, notamment pour ces formes à col, conduit surtout à montrer que les variations morphologiques des récipients sont telles qu’il n’y a pratiquement pas deux vases identiques et qu’il s’agit plutôt d’un ensemble d’unicum. Ce constat étonnant est encore plus vrai quand on tient compte de critères typologiques secondaires permettant de reconnaître différents types, puis sous-types, pour chacune des formes (absence ou présence de pied débordant, forme de la lèvre, forme galbée ou plus segmentée de la panse etc.). La variabilité morphologique de la poterie du Néolithique récent n’est donc qu’à peine ébauchée.

17La cartographie de ces catégories montre néanmoins des différences nettes dans leur répartition et permet de relativiser ces ordres de grandeur très généraux (figure 7). On note que les vases sans col sont représentés dans l’ensemble du Bassin parisien alors que ce n’est pas le cas des vases de forme plus complexe (vases à col et bouteilles). En effet, au sud de la vallée de la Seine, seuls quelques vases à col ont été identifiés. Au sud de la vallée de la Loire, ils disparaissent même totalement des assemblages. Au nord de la Seine, en revanche, ces deux catégories sont souvent mêlées dans les mêmes ensembles.

18Les productions de vases à col et sans col semblent donc s’étaler sur l’ensemble de la séquence chronologique, de l’étape ancienne du Néolithique récent au début du Néolithique final. Néanmoins, au nord de la Seine, la proportion de vases à col dans les séries paraît diminuer avec le temps au profit des poteries simples sans col. Cette proportion pourrait constituer un critère à valeur chronologique, d’autant que les vases à cols disparaissent pour ainsi dire complètement dans les ensembles du début du Néolithique final, à l’exception du Nord de la France. De plus, les datations associées au groupe du Montet situé dans la partie sud du Bassin parisien et qui comprend principalement des vases sans cols, correspondent à la fin de l’étape moyenne du Néolithique recent.

19Si le sud de la zone étudiée semble bien se distinguer des régions plus septentrionales, dans ces dernières, en revanche, tirer des conclusions chronologiques et culturelles de ces variations requiert des corpus plus nombreux et plus conséquents.

Les décors

20A priori, la céramique du Néolithique récent ne se singularise pas par la richesse de sa décoration. Effectivement, le répertoire des techniques décoratives utilisées est somme toute assez limité : cannelures, impressions réalisées à l’aide d’un outil ou à l’ongle, cordons appliqués. Dans l’ensemble, ces techniques sont employées pour former des motifs horizontaux sous le bord des récipients ou dans la partie supérieure de la panse. Malgré leur faiblesse numérique et leur simplicité, les décors apportent néanmoins des informations complémentaires.

21La cartographie des poteries cannelées montre qu’elles sont quasiment absentes des secteurs méridionaux et septentrionaux du Bassin parisien (figure 8). À l’inverse, on constate que ce type de décor est presque systématiquement représenté dans les assemblages des sites localisés dans une large zone centrale comprise entre les vallées de la Loire et de la Marne. Certains sites de la vallée de la Seine en livrent même des proportions suffisamment importantes (Rueil-Malmaison, par exemple) pour nous amener sérieusement à relativiser, pour ces gisements tout du moins, la faiblesse décorative de la céramique du Néolithique récent. Dans l’état actuel des connaissances, les cannelures ne sont associées du point de vue chronologique qu’avec des séries de l’étape moyenne du Néolithique récent.

22Les données concernant les autres types de décors sont un peu plus anecdotiques, toutefois leur répartition n’est ni générale, ni aléatoire (figure 8). Les vases décorés d’une ligne d’impressions rondes proviennent de sites localisés entre les vallées de la Marne et de l’Oise, et les lignes d’impressions à l’ongle, fines ou larges, ne se rencontrent quasiment qu’au nord de la Seine. Les vases portant un décor plastique ne se rencontrent également qu’au nord de la Seine. De même, les bouteilles à collerettes et les rares cordons appliqués sur d’autres formes que les bouteilles ne sont présentes qu’en Picardie.

Conclusion sur la typologie céramique

23Le regroupement des données typologiques permet donc de séparer les vases du Bassin parisien en deux grandes familles typologiques nettement distinctes.

24La première est localisée au sud de la Loire. Elle correspond aux ensembles qui ont mené à la définition du groupe du Montet, que les datations disponibles calent dans l’étape moyenne du Néolithique récent, centrée sur les 32^e et 30^e siècles av. n. è. (Hamon, 1997).

25La seconde regroupe toutes les régions localisées plus au nord, où aucune unité ne se distingue, et où les “unicum” forment un ensemble plutôt hétéroclite ou disparate. Cette image est renforcée par la répartition des décors, avec des cannelures centrées sur la vallée de la Seine et les autres décors qui prennent le relais vers le nord et l’est du Bassin parisien. Du point de vue chronologique, les cannelures se multiplient dans les assemblages des sites datés de l’étape moyenne, renforçant un peu plus la distance typologique avec le groupe contemporain du Montet.

26Quant à l’étape ancienne, qui ne se dégage pas du point de vue typologique dans l’état actuel des données disponibles, elle n’est documentée pour le moment que dans le nord-est du Bassin parisien, entre les départements de la Marne et de la Seine-et-Marne. L’association des vases à col et des vases sans col est attestée dans les productions céramiques dès cette étape et se poursuit jusqu’à la fin du Néolithique récent.

Synthèse des matériaux, techniques et chaînes opératoires des poteries du Néolithique récent (R. MARTINEAU)

27La synthèse des données technologiques de la céramique du Néolithique récent étudiée dans ce volume concerne les sites les Hayettes à Congy, le Pré-à-Vaches à Morains-le-Petit, les hypogées des Marais-de-Saint-Gond de la collection de Baye, Saran-les-Tombeaux à Chouilly, les Bois-Plantés à Presles-et-Boves, la Noue-Fénard à Vignely, le Razet à Coizard, le Désert à Argenteuil, lieu-dit inconnu à Bisseuil et la Pente-de-Courcelles à Nanteau-sur-Essonne.

28Sont présentés ici les résultats synthétiques concernant les inclusions, notamment ajoutées (dégraissants), les techniques et méthodes de façonnage, les traitements de surface, les modes de cuisson et l’utilisation culinaire des poteries. Pour les inclusions et les modes de cuisson, les études qualitatives sont complétées par une quantification des données. L’ensemble des caractères techniques a été cartographié. Enfin, quelques comparaisons ont été effectuées avec les rares données technologiques de quelques sites publiés.

Matières premières

29Étude qualitative. Le corpus comprend de la chamotte, du silex, du sable cristallin et des fossiles. Ces différentes inclusions sont assez souvent mélangées dans une même pâte. Dans certains cas, il est possible que les grains observés ne soient pas de la “chamotte” véritable, mais des “grumeaux” qui pourraient s’être formés à cause d’un mauvais mélange de la matrice argileuse. Mais qu’il s’agisse de “chamotte” véritable ou de “grumeaux” de la matrice, la fréquence de ce critère technique dans les pâtes atteste de son caractère techno-culturel, qu’il provienne d’un ajout volontaire dans la pâte ou d’un procédé technique particulier de mélange de l’argile. Des inclusions carbonatées sont présentes dans certaines poteries du site du Désert à Argenteuil et à Isles-les-Meldeuses, mais toujours en association avec un dégraissant majoritaire différent.

30La carte de répartition des dégraissants ne montre pas de zones particulières pour un type ou un autre (figure 9). Le nombre de sites, incluant à la fois ceux qui ont été étudiés dans ce programme et les rares sites de comparaison, semble insuffisant pour mettre en évidence des groupes géographiques. La chamotte seule est présente seulement au nord de la Seine (figure 9), mais ceci est probablement un artifice de la recherche dû au nombre insuffisant de sites étudiés. En revanche, l’absence d’inclusions ajoutées dans les poteries du sud de la Seine est certainement une caractéristique technique du groupe du Montet qui participe à la définition de la tradition céramique.

31Étude quantitative. La nature des inclusions ajoutées a été étudiée pour 217 poteries. Les dégraissants utilisés sont essentiellement de la “chamotte” (68,2 %) et du silex (7,4 %). Les pâtes présentant l’association de silex et de chamotte sont également très fréquentes (21,2 %). Les autres dégraissants ou les autres associations d’inclusions sont très minoritaires (figure 10). Un traitement quantitatif similaire appliqué seulement aux hypogées des Marais-de-Saint-Gond, au Pré-à-Vaches et aux Bois-Plantés, trois sites statistiquement représentatifs, montre des résultats tout à fait identiques. Ceci s’explique très bien par le fait que l’ensemble des autres sites n’est constitué que de 15 poteries.

32La répartition quantitative des inclusions à l’intérieur de chacun des trois sites statistiquement représentatifs s’organise de la manière suivante. Le site des Bois-Plantés à Presles-et-Boves constitue environ les deux tiers du corpus (N = 137), tandis que les deux autres sites se partagent équitablement le tiers restant (N = 31 et 35). La chamotte est très majoritaire aux ‘Bois Plantés’ à Presles-et-Boves (96,2 %) (figure 11).

33Dans les hypogées de la vallée du Petit Morin, la chamotte ne représente que 29 %. Elle n’est jamais présente seule au Pré-à-Vaches où le type de pâte principal est constitué d’un mélange de chamotte et de silex (80 %), ou de silex (20 %). Ainsi, l’habitat des Bois-Plantés (Aisne) et celui du Pré-à-Vaches (Marne) se différencient totalement par la nature des inclusions ajoutées. Ceci constitue un résultat majeur en ce qui concerne l’évaluation de l’homogénéité de la culture de Seine-Oise-Marne et notamment de l’éventuelle spécificité de la Marne par rapport au reste du Bassin parisien (Augereau et alii, 2007). Les corpus comparés proviennent tous les deux de contextes d’habitat et possèdent un nombre d’individus statistiquement significatif. Par rapport aux hypogées, ces contextes limitent le risque d’avoir été occupés sur une longue durée. Bien entendu, toute la question est de savoir si cette différence majeure correspond à deux entités géographiques distinctes ou bien si le paramètre chronologique est à l’origine de la différence entre ces deux sites (figure 12).

34Les hypogées ont livré des poteries à inclusions ajoutées de chamotte (29 %), de chamotte associée au silex (51,6 %), de silex (12,9 %) et de fossiles associés au silex (3,2 %) (figure 12). Cette diversité des types d’inclusions ajoutées pourrait provenir en partie de la longue durée d’utilisation des hypogées, renforcée par le fait que le matériel n’est pas différencié hypogée par hypogée (Renard et alii, ce volume). Nous pensons que ces différents types de dégraissant illustrent plusieurs phases chronologiques successives, non distinguables dans le corpus céramique provenant des hypogées des Marais-de-Saint-Gond. En revanche, au Pré-à-Vaches, l’absence de poteries dégraissées à la chamotte seule et la prédominance du silex, seul ou associé à la chamotte, constitue une caractéristique qui pourrait avoir un sens chronologique et non seulement géographique. En effet, la date¹⁴C d’une gaine de hache du Pré-à-Vaches, située entre 3624 et 3139 cal. BC, incite à attribuer le site à une étape ancienne du Néolithique récent. Durant cette étape, les inclusions de silex pourraient être héritées du Néolithique moyen au cours duquel ce type d’inclusion est très fréquent. Au Néolithique récent, la tradition de dégraisser les poteries à l’aide de silex brûlé/pilé pourrait être un héritage du Michelsberg, du groupe de Noyen ou du Chasséen. Le silex semble ainsi constituer un type d’inclusion plus fréquent au début du Néolithique récent qu’à la fin de cette période.

35La chamotte a été utilisée au Cortaillod Port-Conty, notamment à la Roche-aux-Pêcheurs à Villers-Ie-Lac (Martineau, 2000, p. 73-74). On sait également qu’elle est très présente au Néolithique final, ce qui permet de proposer que sa présence au cours du Néolithique récent soit interprétée comme une nouvelle phase technique correspondant au passage vers la période suivante. Dans les hypogées, la présence de dégraissant constitué de silex ou de chamotte, ou encore des deux associés s’expliquerait alors par leur utilisation longue et répétée (sépultures collectives) au cours du Néolithique récent et du Néolithique final. Dans tous ces sites, les pâtes associant silex et chamotte pourraient correspondre à une phase de transition chronologique. Bien entendu, il est également possible que ces associations possèdent une signification géographique, notamment dans des zones de frontières culturelles.

36Cette argumentation en faveur de l’hypothèse chronologique est renforcée par la proximité des vallées de l’Aisne et du Petit-Morin, ce qui permet difficilement d’envisager de telles différences de choix du dégraissant entre deux sites contemporains, à moins bien sûr qu’il ne s’agisse justement d’une frontière culturelle (figure 12). Mais l’argument chronologique est encore renforcé si on prend en compte les données obtenues pour les poteries des Fontinettes à Cuiry-lès-Chaudardes (Constantin et alii, ce volume). En effet, ce site a livré une fosse contenant des poteries dégraissées à la chamotte ou à la chamotte mélangée au silex (fosse 9) et une fosse ne contenant que du dégraissant silex (fosse 64). De telles différences avec le site des Bois-Plantés qui ne contient presque que de la chamotte (Thouvenot et alii, ce volume), milite plutôt en faveur de différences chronologiques, considérant leur très grande proximité géographique. En outre, les datations radiocarbone appuient ces différences chronologiques : la fosse 9 des Fontinettes, contenant des poteries dégraissées à la chamotte et au silex, de même que la poterie de Baye 9, également dégraissée à la chamotte et au silex, fournissent des dates plus anciennes que celle des Bois-Plantés dont les poteries sont presque exclusivement dégraissés à la chamotte. Cette hypothèse chronologique semble ainsi se confirmer.

Chaîne opératoire de façonnage

37Un montage particulier des fonds a été mis en évidence dans trois sites différents. Il s’agit des poteries des Hayettes 1 à Congy et de Baye 9 (hypogées de la Marne), deux contextes sépulcraux et des Bois-Plantés à Presles-et-Boves, un site d’habitat. Ces poteries montrent que la pâte a été déplacée de la panse vers le fond, sur la surface externe, attestant d’un procédé de jonction particulier (Thouvenot et alii, ce volume). Il s’agit de gestes qui sont intervenus lors de la mise en forme du fond et notamment de la partie débordante de celui-ci. L’exemplaire des Hayettes 1 est particulièrement caractéristique. Sur la poterie retournée, la pâte a été rabattue de la panse vers le centre de la partie externe du fond. Le potier n’a pas complètement terminé de rabattre la pâte sur le fond, ce qui permet de bien observer les deux épaisseurs de pâte (Martineau et alii, ce volume). Ces cas de rabats externes de la panse vers le fond semblent correspondre à des poteries qui possèdent des fonds à pieds relativement bien marqués. Il est possible qu’il existe une relation entre la morphologie de ces fonds et les gestes appliqués pour leur mise en forme. L’enchaînement des gestes pour façonner le fond et la base de la panse est légèrement différent de celui qui a été observé dans les autres sites, comme le Pré-à-Vaches à Morains-le-Petit par exemple (MARTINEAU et alii, ce volume). La présence de ce type de procédé de mise en forme des fonds par repli externe centripète sur la surface externe du fond dans trois sites différents permet de mettre en évidence une tradition céramique particulière. Il est également possible qu’une valeur chronologique puisse être attribuée à ce critère, ce que le site des ‘Bois Plantés’ pourrait permettre de supposer.

38En ce qui concerne les hypogées des Marais-de-Saint-Gond de la collection de Baye, les observations réalisées sont un peu difficiles à interpréter. En effet, les poteries de cette collection présentent très peu de structures observables parce que les pots sont complets ou restaurés (Renard et alii, ce volume). Néanmoins, les structures observées montrent que la chaîne opératoire de façonnage est identique à celle du site du Pré-à-Vaches. Les raccords des colombins en anneaux sont obliques, internes et concaves, sauf dans deux cas (de Baye 20 et 22, Renard et alii, ce volume). En effet, dans de rares cas, les jonctions sont obliques, externes et parfois convexes. Ces structures ne sont pas toutes clairement visibles, mais deux d’entre elles (de Baye 22) montrent clairement que les raccords sont externes. Ces rares observations ne peuvent pour l’instant constituer qu’une piste de recherche, notamment par leur comparaison avec la poterie de Château-Renard / la Pente-de-Courcelles à Nanteau-sur-Essonne qui présente clairement ce type de jonction oblique externe convexe, sur toute la hauteur du vase (Salanova, Martineau, ce volume).

39La différence entre les deux procédés techniques porte ici uniquement sur le type de préparation de la surface de collage sur laquelle est ensuite posé le colombin. Les types de raccord sont en fait strictement inverses, bien qu’il s’agisse dans les deux cas de colombins en anneaux, posés en oblique. Les variations entre ces deux procédés de façonnage des panses et ces deux procédés de façonnage des fonds constituent des aspects très particuliers et détaillés de la chaîne opératoire. Néanmoins, ils correspondent à des gestes et des habitudes techniques différents qui traduisent l’existence de trois traditions céramiques distinctes (figure 13) : une première tradition comprend une jonction de la panse dans une gouttière périphérique aménagée sur la surface du fond (le Pré-à Vaches par exemple) ; une deuxième tradition pour laquelle la jonction de la base de la panse sur la tranche de la galette constituant le fond, la partie ajoutée étant ensuite rabattue de façon centripète sur la surface externe du fond. Les poteries sur lesquelles cette méthode a été identifiée possèdent toutes des pieds débordants ; enfin il existe une troisième tradition pour laquelle les colombins sont externes et convexes, tandis qu’ils sont généralement internes et concaves dans les deux autres méthodes de façonnage.

40Dans chacune de ces traditions, les potiers semblent avoir appris des chaînes opératoires de façonnage très proches, se distinguant surtout par des procédés et des enchaînements de gestes différents permettant d’identifier des habitudes motrices. Bien entendu, il faudrait tenter de mieux comprendre les répartitions géographiques et les différences chronologiques de ces traditions. Les deux premières semblent plutôt marquer des différences chronologiques, tandis que la troisième semble montrer une différence géographique.

41D’ores et déjà, ces résultats constituent une avancée dans la recherche d’éventuelles entités géographiques du Seine-Oise-Marne, tout autant que dans l’essai de périodisation de cette ancienne entité culturelle. Les poteries ont été réalisées selon les mêmes volumes simples, cylindriques ou tronconiques, mais leurs modes de réalisation diffèrent d’une région à l’autre, voire d’une période à l’autre.

Les techniques de cuisson

42Le traitement quantitatif des phases de cuisson a été réalisé dans un premier temps pour l’ensemble du corpus, puis pour chacun des trois principaux sites étudiés (figures 14 et 15). Seule la phase IVb est très faiblement représentée (1,85 %) dans le corpus (figure 14). Tous les autres modes de cuisson sont en revanche bien identifiés. Par rapport aux pourcentages obtenus sur l’ensemble du corpus, ce sont surtout les hypogées des Marais-de-Saint-Gond qui semblent se distinguer par la faiblesse de la phase III, seulement 3,23 %. Le Pré-à-Vaches se distingue en revanche par l’importance des phases III, IVb et V et l’absence totale de poteries noires. Aucun type de cuisson particulier n’est caractéristique d’un site ou d’un autre. Tous les modes sont représentés dans chaque site, ce qui atteste qu’à cette période, les méthodes de cuisson étaient peu standardisées. Les potiers ne suivaient pas un processus strict de cuisson. Au contraire, on peut penser qu’il existait une grande souplesse dans ce domaine. Le faible investissement technique observé de manière générale pour cette période peut être rapproché de ce constat.

Utilisations des poteries

43La présence de dépôts carbonés minces et superficiels pour 22 des poteries étudiées (annexe 1), aussi bien que de dépôts d’épaisseur plus importante, atteste qu’une grande partie des poteries a été utilisée pour cuire des aliments sur des foyers culinaires. Dans 13 cas, les dépôts concernent des poteries issues de contextes d’habitat. De tels dépôts de carbone ne sont pas étonnant sur des poteries provenant de contextes domestiques, même s’ils restent trop rarement mentionnés dans les études céramologiques.

44En revanche, les dépôts de carbone des neuf poteries provenant de contextes funéraires constituent des observations plus originales (annexe 1). En effet, ces dépôts attestent que ces poteries ont été utilisées avant d’être déposées dans les tombes. Deux hypothèses peuvent être proposées. Soit il s’agit de poteries provenant de contextes domestiques, déposées dans un second temps, après une certaine durée de vie, dans les sépultures collectives, soit il s’agit de poteries qui ont servi à la préparation de repas liés à des cérémonies funéraires.

45Dans le cas de la première hypothèse, il s’agirait d’objets de la vie quotidienne retirés du circuit économique et social des vivants pour être déposés dans les sépultures collectives. Il n’est pas inintéressant de noter qu’une grande partie des poteries provenant de contextes funéraires, notamment celles de la collection de Baye, sont complètes, ce qui signifie que les dépôts céramiques étaient, au moins en partie, constitués de poteries ayant encore leurs capacités fonctionnelles. Ce ne sont donc pas des vieux pots cassés qui ont été déposés dans les sépultures, mais des poteries utilitaires, utilisées, en état de fonctionner et retirées du monde des vivants pour être déposées dans les sépultures. Le fait qu’il ait été constaté par ailleurs des différences typo-morphologiques entre les poteries des habitats et celles des sépultures inciterait à penser que des poteries particulières auraient été produites et utilisées avant d’être déposées dans les sépultures. Les chaînes opératoires de production ne semblent pas pouvoir être distinguées entre les deux types de contextes. Mais une même tradition technique céramique peut fort bien être à l’origine de ces deux formes de poterie, destinées à des “usages” différents.

Chaînes opératoires des poteries du Néolithique récent

46Les chaînes opératoires proposées ici ne peuvent être valables que pour le corpus qui a été étudié et ne sont en aucun cas généralisables, pour le moment, à l’ensemble des poteries du Néolithique récent du Bassin parisien. Avant de détailler les différentes chaînes opératoires, rappelons les principales étapes de fabrication des poteries du Néolithique récent du Bassin parisien qui ont été reconstituées.

47Les pâtes ont été préparées par voie humide et mélangées à des dégraissants de silex brûlé et pilé ou à de la chamotte. Souvent, ces deux dégraissants ont été mélangés. Ces inclusions de “chamotte” peuvent parfois être confondues, notamment lorsqu’elles sont de petite dimension, avec des grains d’argile liés à de mauvais mélanges de la matrice argileuse. Néanmoins, silex et chamotte (ou grains d’argile) constituent des recettes de fabrication qui sont très régulièrement présentes dans les pâtes céramiques étudiées.

48Les fonds présentent souvent des structures qui font penser que la pâte de la galette a été repliée sur elle-même. La périphérie de cette plaque est creusée d’une gorge concave aménagée pour recevoir le premier colombin de la base de la panse. Dans la majeure partie des cas, les colombins en anneaux sont posés en oblique, à l’intérieur et sur une surface de préparation concave. Cependant, dans quelques cas, les colombins en anneaux, obliques, sont posés à l’extérieur, sur une surface de préparation convexe (Nanteau-sur-Essonne, de Baye 20 et 22). Il pourrait s’agir d’une variante de la chaîne opératoire de façonnage. Une autre variante de la chaîne opératoire existe pour les pots des Hayettes 1 à Congy, de Baye 9 et une grande partie des Bois-Plantés à Presles-et-Boves pour lesquels la pâte a été déplacée de la panse vers le fond, alors que c’est toujours l’inverse pour les autres poteries. Dans tous les cas, les surfaces sont lissées à la main mouillée, en grande partie au moment des jonctions des colombins entre eux, et après, afin d’égaliser les surfaces.

49Les phases terminales de cuisson sont très majoritairement de type IVa et V, correspondant à des processus de cuisson poussés aux derniers stades d’oxydation. Un grand nombre de poteries présente des traces d’utilisation culinaire sous la forme de résidus carbonisés, ce qui permet de penser qu’au moins une partie des poteries ont servi avant d’être déposées dans les sépultures collectives.

50Une première chaîne opératoire peut être identifiée pour le site des Bois-Plantés pour lequel les pâtes ont été très majoritairement dégraissées à la chamotte, la base de la panse accrochée sur la tranche du fond et la pâte lissée de façon centripète sur la surface externe pour 16 des 45 fonds. Il existe une relation entre la présence d’un pied et cette méthode de jonction fond-panse. La phase de cuisson principale est le type IVa (47,8 %) (Martineau, Pétrequin, 2000 ; Martineau, ce volume). Les processus d’oxydation constituent la très grande majorité des processus de cuisson de ce corpus (81,4 %). Les poteries noires restent minoritaires (7,4 %).

51Une deuxième chaîne opératoire peut être identifiée pour le site de Pré-à-Vaches et une partie des hypogées des Marais-de-Saint-Gond. Les poteries ont été majoritairement dégraissées à la chamotte associée au silex et, dans une moindre mesure, au silex seul. La jonction de la base de la panse est réalisée par application sur une gouttière périphérique préalablement préparée sur la galette du fond ; la pâte est lissée de bas en haut le plus souvent et jamais ramenée sur la surface externe du fond proprement dit. Les cuissons sont principalement de type oxydant.

52Une troisième chaîne opératoire peut être isolée dans les hypogées des Marais-de-Saint-Gond. Il s’agit de poteries qui partagent les mêmes traits techniques que ceux de la chaîne opératoire n° 2, mais dont une partie a été dégraissée à la chamotte. Les poteries des Bois-Plantés et une partie de celles des hypogées des Marais-de-Saint-Gond, complètes ou restaurées, partagent ainsi un point commun important, bien que la méthode de façonnage soit très différente.

53Une quatrième chaîne opératoire a été identifiée pour la poterie de Nanteau-sur-Essonne, dégraissée au silex ajouté à une pâte qui contenait déjà une grande quantité d’inclusions siliceuses d’origine naturelle. Les jonctions des colombins de cette poterie sont externes et convexes, tandis qu’elles sont généralement internes et concaves dans la plupart des sites étudiés du Néolithique récent. Cette particularité, associée à une pâte riche en inclusions naturelles, certes mélangées à un peu de silex dont l’origine volontaire n’est pas assurée, permet de bien distinguer cette poterie du reste du corpus étudié.

54Quatre chaînes opératoires principales ont ainsi été mises en évidence par les études technologiques de la céramique du Néolithique récent. Ces quatre chaînes opératoires sont parfois à la base de traditions techno-culturelles différentes, identifiables dans le temps et dans l’espace. Ces premiers résultats ne permettent, à notre avis, que d’esquisser les premières grandes lignes des tendances chronologiques et des répartitions géographiques des techniques céramiques à cette période.

L’industrie lithique (F. LANGRY-FRANÇOIS, C. RENARD)

Définition des industries du Néolithique récent

55Les sites présentés dans ce volume ont livré des quantités très variables de mobiliers lithiques. Ces quantités doivent par ailleurs être pondérées d’une part par le type de site répertorié (sépulture, fosse isolée ou habitat) et d’autre part par le degré d’exhaustivité de la fouille. En effet, les fouilles préventives récemment menées en basse vallée de la Marne ou de sauvetage à Val-des-Marais sont susceptibles d’avoir permis un ramassage plus intégral des mobiliers, alors que celles plus anciennes de Morains-le-Petit et des hypogées de la vallée du Petit Morin ont sans doute été incomplètes. Il faut également noter sur ces questions de représentativité que la collection de Baye (issue des hypogées des Marais-de-Saint-Gond) a été ici partiellement étudiée, avec un intérêt tout particulier porté aux armatures et aux productions laminaires. Les très nombreux autres silex taillés, dont un grand nombre d’outils variés, restent encore à dénombrer et à analyser. Enfin, la typologie des occupations apporte également une variation notable : grand nombre de sépultures collectives dans la Marne et nombre d’habitats incomplets pour l’essentiel dans la basse vallée de la Marne (figure 16).

56Les informations typologiques et technologiques issues de ces études sont donc inégales et les comparaisons qui vont être menées doivent garder toute la prudence qui en découle. Cette disparité est valable également en terme de représentation géographique : les séries de la basse vallée de la Marne sont ici plus nombreuses que celles de la région du Petit Morin.

Économie des matières premières

57Les matières premières observées renvoient à des approvisionnements très largement locaux (entre 80 et 90 % selon les sites), que le site soit implanté à proximité de gisements de silex secondaire (Crétacé) ou de silex tertiaire (Bartonien entre autre). Ainsi, les occupations installées dans la basse vallée de la Marne, proches voire parfois in situ des gisements tertiaires comme Mareuil-lès-Meaux, la Grange-du-Mont (Cottiaux et alii, ce volume), comportent davantage de pièces débitées sur cette matière. Inversement, les sites les plus éloignés des gisements tertiaires, qui sont souvent proches des gisements secondaires comme Morains-le-Petit, le Pré-à-Vaches (Martineau et alii, ce volume) dans la Marne, lui ont préféré cette autre matière. Ce choix d’une matière première locale est tout autant valable pour le débitage des produits laminaires que pour celui des éclats. En revanche, il semble y avoir une réelle préférence du silex tertiaire pour la fabrication des lames de haches polies, ce type de silex ayant notamment circulé jusqu’à Morains-le-Petit, site le plus éloigné des gisements tertiaires parmi ces séries, sous forme de hache.

58Ce choix est peut-être lié à plusieurs facteurs relatifs à la matière première, mais découle en priorité de l’investissement global apporté à la production. Les lames de haches ne renvoient pas à la même chaîne opératoire que le reste de l’outillage, plutôt peu investi (armatures mises à part). Parmi les causes secondaires de ce choix, se trouve tout d’abord la qualité moyenne du grain des silex secondaires rencontrés (dans les séries de la Marne notamment), présentant fréquemment des zones grenues. Ce silex au cortex clairement crayeux paraît pour autant venir d’exploitation de bancs enfouis, et non de ramassage de galets dans les vallées. Ceci se confirme par l’aspect non gélif des pièces rencontrées. Ensuite, le module des blocs issus de ces gisements crétacés ne se prête guère à la taille de hache au volume conséquent : les produits laminaires et haches polies en silex crétacé rencontrés dépassent rarement les 12 cm de long. Enfin, on sait que la production de haches polies plus imposantes en silex bartonien perdure à Jablines au Néolithique récent et que leur large diffusion est attestée depuis le Néolithique moyen (Bostyn, Lanchon dir., 1992). On souligne également l’absence de matière première allochtone identifiée : hache polie en silex de Spiennes, lames ou briquets en silex turonien du Grand-Pressigny par exemple.

59Le mode d’acquisition des matières premières sur les sites du Néolithique récent présente un modèle constant sur l’ensemble de la zone étudiée, et ce, quel que soit le rattachement chronologique des sites à telle ou telle étape. Ce modèle ne semble pas différer de celui observé pour le Néolithique moyen chasséen (Garmond, 2007) tout comme pour le groupe de Noyen (Augereau, 2004) : tandis que l’outillage domestique est réalisé sur un matériau local, seule une partie des lames de haches polies semble participer d’une circulation économique extrarégionale. Il faut ajouter à cela que bien que les haches en roches tenaces n’ont pas été incluses à l’étude, plusieurs exemplaires témoignent d’une diffusion toujours présente durant le Néolithique récent.

60Enfin, si le mode d’exploitation du silex tertiaire bartonien est maintenu au Néolithique récent (extraction en puits de mine), l’approvisionnement en silex secondaire crétacé est moins bien cerné. Les nombreuses minières du Pays d’Othe qui fonctionnent durant le Néolithique moyen montrent que ce mode d’extraction est appliqué indifféremment aux gisements secondaires ou tertiaires par les Néolithiques (de Labriffe, Thébault, 1995). Ces minières n’ont pas livré de témoignage d’une perduration de l’exploitation au Néolithique récent. Par ailleurs, pour les sites marnais, des gisements exploitables ont été repérés lors de prospections par P. Allard (2003). L’origine précise des silex secondaires employés n’est donc toujours pas acquise.

Analyse technologique des productions

61Les techniques de taille en présence sont variées : percussion directe au percuteur dur, percussion directe au percuteur tendre, percussion indirecte. On note en premier lieu l’absence dans toutes ces séries d’élément débité par pression. Le débitage par percussion directe au percuteur dur concerne tous les sites, et représente une mise en œuvre quasi exclusive pour le débitage d’éclats des séries de la Marne (Martineau et alii, ce volume ; Donat et alii, ce volume ; Renard et alii, ce volume). Quelques éclats y montrent des stigmates de percussion tendre, mais ce fait anecdotique est probablement issu d’une autre chaîne opératoire que celle dédiée à l’obtention d’éclats. Dans la basse vallée de la Marne, les éclats sont en partie obtenus par percussion directe tendre, bien que la percussion dure reste dominante : notamment à Claye-Souilly, les Monts-Gardés et Mareuil-lès-Meaux, la Grange-du-Mont (Cottiaux et alii, ce volume).

62Les techniques mises en œuvre pour les productions laminaires sont nettement plus tranchées : percussion directe dure observée au Champtier à Caille à Lieusaint (Monchablon et alii, ce volume) ; percussion directe tendre à Lieusaint et Mareuil-lès-Meaux ; percussion indirecte utilisée à la Noue-Fénard à Vignely, pour un quart des lames (Brunet et alii, ce volume), majoritairement aux Monts-Gardés à Claye-Souilly, au Pré-à-Vaches à Morains, à Mont-Aimé 2 au Val-des-Marais et dans les hypogées des Marais-de-Saint-Gond. Le site de Presles-et-Boves, les Bois-Plantés (Thouvenot et alii, ce volume) montre une plus grande diversité des techniques employées dans le débitage laminaire, mêlant percussion indirecte, percussion directe tendre et percussion directe dure. De plus, seules six pièces ont pu être déterminées et le site comporte un substrat d’occupation danubienne.

63L’attribution de telle ou telle technique de débitage à une production précise n’est donc valable que pour la percussion indirecte, plutôt réservée au débitage laminaire sur une part des sites. On note malgré tout que lorsque la percussion indirecte est employée, celle-ci est indifféremment appliquée aux lames en silex secondaire et à celles en silex tertiaire. Ceci peut indiquer tout d’abord que le choix de la technique n’est pas lié à la qualité intrinsèque de la matière première. Mais cela peut aussi suggérer le fait que les lames ont été débitées sur le site par des tailleurs locaux et ne participent pas à des échanges de produits finis. Ce dernier constat s’oppose à celui effectué sur la série de Presles-et-Boves : les lames y ont été importées sous forme de produit fini, ce qui peut également expliquer la variété des mises en œuvre.

64La représentation des supports débités, entre éclats et lames, est très hétérogène. Hormis la collection de Baye (en raison de la mise à l’écart des supports non laminaires dans cette étude), les sites marnais du Mont-Aimé 2 et du Pré-à-Vaches montrent une équivalence des supports d’éclats et de lames. Cette équivalence est clairement faussée par la quantité d’armatures tranchantes issues de lames, qui augmente le corpus des supports laminaires et camoufle une réelle prédominance des supports d’éclats dans la production. Ce constat est confirmé par la faible proportion de lames au sein des autres types d’outils, démontrant ainsi que le support choisi pour ces outils est principalement l’éclat.

65Il est donc possible de scinder les séries ici étudiées en deux ensembles : les sites pour lesquels la production laminaire est anecdotique (Luzancy, le Pré-aux-Bateaux : Brunet et alii, ce volume, Mareuil-lès-Meaux, Presles-et-Boves et Lieusaint) ; ceux où, bien que la production d’éclat demeure prédominante, la production de lame approche voire dépasse 20 % des corpus (Claye-Souilly, Vignely, Morains-le-Petit et Val-des-Marais). Il y a donc bien pour certains sites du Néolithique récent un lien entre la proportion de débitage laminaire et l’utilisation de la percussion indirecte. Ces différences ont sans doute une signification plus profonde dans leur ancrage territorial.

Analyse typologique des séries

66Les types lithiques recensés dans ces différentes études nous permettent de saisir le panel d’outillage présent au Néolithique récent (figures 17,19). Le cas bien particulier des armatures de flèche fait l’objet d’une étude séparée du reste de l’outillage (infra, p. 481). Parmi les outils ubiquistes du Néolithique, on remarque la présence très importante des grattoirs massifs sur éclat (figure 17, n° 1). Ceci est dû au fait que deux des séries d’habitat (Vignely et Morains-le-Petit) ont à elles seules livré 188 de ces outils. Les autres types d’outils sont bien moins représentés. Par ordre d’importance de fréquence dans les séries, on note : les haches polies, les denticulés, les troncatures, les briquets ou retouchoirs. Les haches polies ont surtout été retrouvées à l’état de fragments, ce qui augmente leur représentativité. Viennent ensuite des outils moins présents, mais qui complètent l’assemblage récurrent : racloirs, pointes, perçoirs ; et de manière plus anecdotique : burins, microdenticulés et tranchets. Les lames débitées par percussion indirecte sont fréquemment découvertes brutes de taille, y compris en contexte sépulcral, ce qui n’interdit pas leur usage comme outil. Il faudra entreprendre des études tracéologiques sur ces lames pour confirmer ces utilisations, mais on peut dores et déjà influer en ce sens puisque plusieurs lustrés ont été repérés.

67En dehors des pièces façonnées et des armatures de flèches, l’outillage est majoritairement réalisé sur éclat, mais ce n’est en rien exclusif des supports laminaires. Les grattoirs massifs sur éclat sont les seuls outils à montrer un semblant de standardisation au sein des outils courants. Seuls deux sites en ont livré en quantité. La rareté des sites d’habitat pour la période ne permet pas de savoir si cette large dominante de grattoir est une constante sur les habitats du Néolithique récent ou si ces sites ont eu une activité particulière mettant en oeuvre un grand nombre de grattoirs. En revanche, on constate que les séries sépulcrales ne présentent pas cette concentration. Une telle prédominance des grattoirs a été mise en avant de manière bien plus assurée pour les ensembles du Néolithique moyen II du Chasséen (Garmond, 2007). Ce qui relie les autres types d’outils ubiquistes, c’est surtout l’aspect peu investi de leur production, sur des éclats obtenus par des mises en œuvre simples. Les exemplaires découverts en contexte sépulcral présentent fréquemment des traces d’utilisation, témoignant de leur passé actif (Langry-François, 2003 et 2004). Il n’y a donc pas de différence typologique entre l’outillage des vivants et celui déposé avec les morts.

68Ce qui semble a priori caractériser l’industrie lithique du Néolithique récent, c’est l’absence de pièce diagnostique propre à la période. Des outils diagnostics chronologiques reconnus comme exclusifs d’autres périodes du Néolithique sont par contre signalés dans ces séries, leur attribution au Néolithique récent étant parfois, mais pas systématiquement, sujette à caution.

69C’est tout d’abord le cas des tranchets (figure 17, n° 2), outil très représentatif du Néolithique moyen (Augereau, 2004 ; Garmond, 2007). Les deux exemplaires retrouvés à Presles-et-Boves, les Bois-Plantés, qui “ne sont pas au cœur de l’occupation SOM” (Thouvenot et alii, ce volume), paraissent exclus de la série du Néolithique récent. Celui provenant de Morains-le-Petit est indubitablement partie prenante de la série, et est donc un premier témoin de la perduration de ce type au Néolithique récent. Le tranchet supposé de l’hypogée de Congy, les Hayettes permet d’étayer cette hypothèse, bien qu’il n’ait pu être vérifié de visu (Martineau et alii, ce volume). Il semble que cet outil soit peu fréquent au Néolithique récent, mais déjà cité notamment à Villevenard, les Ronces 21 (Burnez-Lanotte, 1987). Les exemplaires issus de sépultures collectives pourraient mettre en évidence une fréquentation des tombes au Néolithique moyen, mais cette option paraît exclue à la vue des autres mobiliers qui en ont été extraits et par les datations radiocarbone réalisées. La série de Morains-le-Petit permet par contre d’affirmer clairement que le tranchet persiste au Néolithique recent, en l’occurrence probablement à l’étape ancienne considérant la datation de ce site.

70Les outils diagnostics relevant des périodes postérieures au Néolithique récent ne sont pas non plus légion. On remarque une scie à une encoche à Vignely, la Noue-Fénard (figure 17, n° 3), seul exemplaire de ce type dans les séries ici étudiées. Malgré le caractère représentatif des scies à deux encoches au Néolithique final, on pourrait supposer que la précocité de cette scie à une encoche en présage. Cette hypothèse, à tester sur ce secteur de la basse vallée de la Marne, peut être contredite dans la partie orientale de la zone étudiée. En effet, la série en cours d’analyse du Parc Logistique Aube à Buchères (fouilles 2005-2006) a livré cinq exemplaires de ces scies à une encoche, dont quatre sont issues de structures ayant livré des restes céramiques du Néolithique final (étude en cours F. Langry-François).

71Les microdenticulés, ordinairement attribués sans hésitation au Néolithique final, sont également présents. Les deux exemplaires de la Grange-du-Mont à Mareuil-lès-Meaux, font le pendant à celui trouvé dans la sépulture collective de Souppes-sur-Loing, à l’est de Beaumoulin (figure 17, n° 4), clairement attribuée au Néolithique récent (Pecqueur, 2005). Par ailleurs, si ce type d’outil est jusqu’ici reconnu comme diagnostic du Néolithique final dans le Bassin parisien, les témoins cumulés pourraient élargir cette assurance au Néolithique récent. D’une part, la pièce de Souppes-sur-Loing ne peut être remise en cause en terme d’attribution chronologique. D’autre part, celles de Mareuil-lès-Meaux, bien que provenant du comblement terminal d’une fosse, ne semblent pas devoir être rattachées au Néolithique final. Enfin, des études en cours sur deux séries icaunaises issues de sépultures collectives des Durillons à Marsangy et des Mardelles à Cheny (études F. Langry-François), ont fourni des microdenticulés sur des lames débitées par percussion indirecte. Ces sépultures n’ayant pas livré d’autres témoins d’occupation au Néolithique final, et la production de lame par percussion indirecte semblant abandonnée au Néolithique final (Augereau et alii, 2004), on peut donc conclure que les microdenticulés commencent à apparaître dans les assemblages dès le Néolithique récent.

72Enfin, pour en terminer avec les outils se rapportant ordinairement au Néolithique final, les poignards décrits dans ce volume renvoient pour la majeure partie d’entre eux à des éléments hors contexte. C’est le cas des deux poignards de Tours-sur-Marne (Ihüel et alii, ce volume), de ceux de la collection de Baye dont on sait par ailleurs qu’elle comporte des témoins mobiliers du Néolithique final (Renard et alii, ce volume). Le poignard supposé à Presles-et-Boves, les Bois-Plantés, n’est pas certifié. En revanche, il ne faut pas exclure la globalité des productions de lames pressigniennes du Néolithique récent. En effet, les lames débitées sur nucléus à crêtes antéro-latérales (autrement nommées “NaCAL”, Ihuel, Pelegrin, 2009) sont contemporaines de la fin du Néolithique récent (Salanova et alii, 2011). Ce type de production a mis en circulation des poignards pisciformes qui pourraient donc être rencontrés dans l’étape 3 du Néolithique récent (figure 17, n° 5).

Synthèse chronologique et culturelle des assemblages lithiques

73L’industrie lithique en silex du Néolithique récent se caractérise tout d’abord par un approvisionnement en matières premières locales, voire régionales. Les échanges semblent surtout concerner les lames de haches polies en silex tertiaire, et dans une moindre mesure les haches en roches tenaces. En cela, les modes d’approvisionnement ne paraissent pas beaucoup changer par rapport au Néolithique moyen (Augereau, 2004 ; Garmond, 2007). Ce premier point ne permet pas à lui seul d’identifier une série du Néolithique récent.

74L’assemblage typologique du Néolithique récent semble se recentrer sur quelques éléments fortement représentés : grattoirs, denticulés, racloirs, briquets, perçoirs et pointes. Les autres types d’outils ubiquistes ne sont pas pour autant absents, mais retrouvés dans de bien moindres proportions : burins, coches. On prendra à part les cas des haches polies toujours très fragmentées et les armatures tranchantes réellement nombreuses dont la représentation est sans doute accrue en raison des contextes de sépultures collectives. Les types diagnostics chronologiques d’autres étapes du Néolithique rencontrés dans ces séries expriment divers liens. Les tranchets semblent être toujours en usage durant l’étape 1 du Néolithique récent, mais leur présence est anecdotique en rapport aux nombreuses pièces des séries du Néolithique moyen. Les microdenticulés pourraient ne plus être témoins uniquement du Néolithique final, mais faire leur apparition dès le Néolithique récent, plus particulièrement sur la frange orientale du Bassin parisien. Les scies à deux encoches sont toujours des diagnostics exclusifs du Néolithique final, mais les exemplaires à une seule encoche pourraient trouver une origine plus ancienne. Enfin, les poignards issus de NaCAL ne dépareront pas non plus des assemblages de l’étape 3 du Néolithique récent. On remarque surtout l’absence de type particulier qui n’aurait été produit qu’au Néolithique récent. Les seuls assemblages typologiques lithiques ne permettront donc pas dans l’état des recherches de déterminer l’appartenance d’une série à une étape chronologique sur les zones géographiques du Bassin parisien et de son pourtour sud oriental.

75Les productions, bien que majoritairement réalisées sur éclat, livrent sur certains sites un débitage laminaire conséquent, avec la mise en œuvre de la percussion indirecte (figure 18). Le premier lien recherché dans l’usage de cette technique a été un regroupement géographique ou culturel (Augereau et alii, 2004), avec pour hypothèse que le secteur de la Marne utilisait cette technique durant le Néolithique récent, par opposition au reste du Bassin parisien, avant de l’abandonner au Néolithique final (Ihuel et alii, 2005). Certains liens de filiation avec les productions du Horgen occidental ont même été supposés. Un lien plus proche a été suggéré plus récemment : le substrat marnais Michelsberg aurait pu transmettre cette pratique à la partie orientale du Bassin parisien (Salanova et alii, 2011) et il semble de ce fait normal que les secteurs issus de tradition chasséenne ou du groupe de Noyen ne connaissent pas de tel débitage. Si la distinction avec les séries chasséennes est claire d’un point de vue laminaire, il faudra reprendre un certain nombre de séries du Michelsberg pour comparer les modules des produits. Par ailleurs, la présence de lames débitées par percussion indirecte dans les sépultures de l’Yonne, plutôt sous influence du groupe de Noyen au Néolithique moyen, montre que les transmissions sont plus mouvantes qu’il n’y paraît. La mise en perspective des séries étudiées dans ce volume permet donc tout d’abord de confirmer l’hypothèse du substrat Michelsberg : les sites où perdure cette tradition laminaire au Néolithique récent sont situés dans les aires que le Michelsberg occupait au préalable. La localisation des sites de Vignely, Claye-Souilly et Mareuil-lès-Meaux semble au premier abord brouiller la “frontière” entre tradition laminaire et non laminaire. Les informations chronologiques apportées par l’étude céramique dans cette synthèse permettent d’éclaircir nettement le tableau : les sites ayant livré des lames débitées par percussion indirecte sont attribués à l’étape 1 du Néolithique récent (Vignely, Morains-le-Petit, Mont-Aimé 2). À l’opposé, les sites n’ayant pas livré de débitage laminaire par percussion indirecte (Lieusaint, Mareuil-lès-Meaux) sont englobés dans les étapes plus récentes. Le cas du débitage présent sur le site de Presles-et-Boves est plutôt confus et ne permet pas clairement d’étayer cette hypothèse. Il y aurait donc bien une limite géographique dans la partie orientale du Bassin parisien, liée à la transmission de la technique depuis le Michels– berg (et bien au-delà depuis le Rubané), mais également une restriction chronologique, avec un abandon dès la fin de l’étape 1 du Néolithique récent du débitage laminaire obtenu par percussion indirecte.

76La caractérisation des séries lithiques en silex du Néolithique récent repose donc sur un ensemble d’éléments convergents qui, tantôt par association typo-technologique, tantôt par exclusion de marqueurs diagnostics, permettent un rattachement à la période. L’absence de marqueur propre au Néolithique récent impose malgré tout de confirmer toute attribution chronologique par un autre moyen de datation. Il faut noter que pour le centre du Bassin parisien, il existe peu de différences entre une série du Néolithique moyen chasséen et une série du Néolithique récent. Il en va de même dans la frange orientale du Bassin parisien avec le Michelsberg. Parmi ces éléments de distinction, les armatures de flèches semblent être des marqueurs de choix.

Les armatures de flèches

Les classes d’armatures

77D’après le matériel qui a été réétudié dans cet ouvrage, deux familles d’armatures sont présentes au Néolithique récent : les tranchantes trapézoïdales et les perçantes. Parmi celles-ci, on trouve, par ordre de fréquence, les armatures de flèches à pédoncule et ailerons, les armatures de flèches foliacées, les armatures de flèches losangiques, et les triangulaires.

– Armatures de flèches tranchantes trapézoïdales (figure 20)

78Cette classe d’armatures fait partie des outils les plus fréquents sur les sites du Néolithique récent du Centre-Nord. Elles sont généralement découvertes en grande quantité, surtout en contexte sépulcral. Elles sont réalisées le plus souvent sur des produits laminaires, plus rarement sur des éclats (exceptionnellement sur des éclats Kombéwa). En général, les armatures de flèches tranchantes trapézoïdales sont essentiellement réalisées sur les lames les plus fines (entre 2 mm et 4 mm pour la plupart) et de largeur variable. La lame est brisée par flexion ou par la technique du coup du microburin, perpendiculairement à son axe de débitage et les deux faces de fracture sont reprises par une retouche. La retouche directe sur les deux bords représente le cas dominant. L’armature n’est pas seulement l’outil le plus fréquent, c’est aussi une pièce déposée en grande quantité dans les sépultures. Le statut spécial de cet objet est encore plus évident dans les sépultures des Marais-de-Saint-Gond (Marne) où leur fabrication pourrait se faire “à la chaîne”. Là, sur certains exemplaires de dimensions comparables, les zonations, l’aspect et la position des plages corticales sont identiques, ce qui indiquerait qu’ils proviennent des mêmes nucléus. Par ailleurs, les matières premières employées sont utilisées dans des proportions différentes du reste de la série (renard et alii, ce volume).

79Le nombre d’armatures de flèches est limité en contexte domestique (souvent moins d’une dizaine). Leur étude a aussi mis en évidence un même sous-type dominant caractérisé par des bords divergents concaves sur les deux sites de Vignely en Seine-et-Marne (cinq sur neuf à la Noue-Fénard, fosse 264, et six sur neuf à la Porte-aux-Bergers). Les armatures de ces deux sites possèdent plusieurs points communs : au niveau de la matière première utilisée (sept des huit armatures sont en silex secondaire), de leurs dimensions et de leur morphologie générale (elles s’inscrivent globalement dans un carré). Ce sous-type est attesté sur d’autres sites, mais il est toujours minoritaire, contrairement à ce qui est observé sur ces deux occupations.

80Ce type a probablement évolué à partir d’exemplaires déjà présents durant le Chasséen septentrional, comme dans l’Oise à Boury-en-Vexin, le Cul-Froid (Verret, 1987), à Joncquières, le Mont-d’Huette (Hamard, 1993), à Saint-Maximin, Canneville (Hamard, 1987) et à Paris, Bercy (Lanchon dir., 1998 ; Garmond, 2007, p. 35-38).

– Armatures de flèches tranchantes trapézoïdales de type “Sublaines”

81Aucune pièce de ce type n’a été découverte sur les sites de la vallée de la Seine, de l’Oise ou de la Marne (figure 18). Ce type se limite en effet au cours moyen et inférieur de la Loire (Fouéré, 1999, p. 200 et 202). Leur extension maximale (d’après Cordier et alii, 1972 et Fouéré, 1999) permet de proposer une partition entre le sud-ouest (plutôt rattachée au Centre-Ouest) et le nord-est de notre zone d’étude.

– Armatures de flèches à pédoncule et ailerons

82Des armatures de flèches à pédoncule et ailerons proviennent des hypogées des Marais-de-Saint-Gond (Marne) et une partie d’entre elles pourraient être plus récentes (figure 21). En revanche, celles de Morains-le-Petit, le Pré-à-Vaches (Marne) et de Tinqueux, l’Homme-Mort (Marne) sont plus probablement attribuables au Néolithique récent. Ces trois pièces possèdent des ailerons, naissants ou dégagés et une retouche bifaciale longue à couvrante, subparallèle à parallèle. L’exemplaire de Presles-et-Boves (Aisne) est le seul à posséder des ailerons récurrents, un caractère généralement rattaché au Néolithique final. Cette pièce ainsi que la datation radiocarbone convergent en faveur d’une attribution de ce site à la toute fin du Néolithique récent.

– Armatures de flèches foliacées

83Cette classe d’armatures est attestée au Val-des-Marais, le Mont-Aimé 2 (Marne), dans les hypogées des Marais-de-Saint-Gond (Marne), à Germigny-l’Évêque, les Maillets (Seine-et-Marne) ainsi qu’à Thiverny, le Petit-Thérain (Oise) et à Montigny-l’Engrain, le Bois-de-Thézy (Aisne) (figure 21). La base de ces pièces est généralement pointue, souvent plus épaisse et moins acérée que l’extrémité servant de tête de flèche. Les deux côtés sont régulièrement convexes et la partie médiane de la pièce est la plus large. L’investissement technique peut être élevé sur certaines pièces : la retouche est alors étroite, parallèle, couvrante (souvent envahissante sur la face inférieure), le fil des bords est très régulier et le support est assez fin.

84Les flèches foliacées sont attestées durant le Michels– berg et le Chasséen septentrional (Garmond, 2007 ; Hamard, 1993) et les exemplaires du Néolithique récent pourraient donc en dériver. Deux caractères diffèrent cependant : au Chasséen, la base de ces armatures est convexe ou rectiligne tandis que la pointe et la base de celles du Néolithique récent sont identiques. La retouche est par ailleurs assez courte sur les armatures du Néolithique moyen, contrairement à celles du Néolithique récent, parfois assez couvrante. Nous envisageons aussi le fait que ce type de flèche foliacée pourrait être originaire du Midi : il est attesté durant le Ferrières dans le Languedoc occidental (Briois, 2005, p. 28) et aussi durant le Fraischamp en Provence (D’Anna, 1995, p. 271).

– Armatures de flèches losangiques

85Neuf occupations ont livré des armatures de flèches losangiques (figure 21) : les hypogées des Marais-de-Saint-Gond (Marne), la sépulture de Tinqueux, l’Homme-Mort (Marne), l’occupation de Presles-et-Boves (Aisne), la tombe de Coucy-la-Ville, au-dessus du Bois-du-Maréchal (Aisne), celle de Germigny-l’Évêque, les Maillets (Seine-et-Marne) et quatre sépultures de la vallée de l’Oise (Flavacourt, Mériel, Roylaie à Saint-Étienne, et le Cimetière-des-Anglais à Vauréal). Dans les hypogées des Marais-de-Saint-Gond, la classe des armatures losangiques regroupe le plus grand nombre de pièces après celle des tranchantes trapézoïdales. Elles sont même majoritaires à Tinqueux. Globalement, toutes ces pièces appartiennent à la classe des losangiques, mais elles ne sont pas toutes des losanges à proprement parler puisque les quatre bords ne sont pas toujours de même longueur : la partie la plus large n’est pas forcément située à égale distance des deux extrémités. Quelques-unes se rapprochent morphologiquement des armatures foliacées, lorsque les angles sont très obtus, voire des armatures à pédoncule et ailerons naissants lorsque la partie la plus large est située dans le premier tiers de la pièce et que des ergots sont présents. La retouche finale se fait parfois à la pression, d’après les enlèvements rasants, subparallèles et couvrants : c’est le cas de certaines pièces des Marais-de-Saint-Gond, plus investies que les autres (retouche parallèle à la pression, bon alignement des bords, support fin) et parfois réalisées sur des silex allochtones. Bien que rares, ces armatures losangiques semblent être les seules à bénéficier d’un investissement important et on remarque qu’il s’agit du seul outil, dans cette zone et pour le Néolithique récent, doté d’une retouche couvrante, parallèle, à la pression. Selon nous, cela pourrait indiquer que ce type est attribuable à la toute fin du Néolithique récent et synchrone avec l’apparition des premières armatures à pédoncule et ailerons. Ce phénomène a déjà été observé par D. Binder dans le matériel de la grotte de l’Église supérieure (Baudinard-sur-Verdon, Var) : “trois phases peuvent être distinguées, caractérisées par le remplacement progressif des pointes sub-losangiques des couches 7 et 8, avec l’apparition des pièces à pédoncule et ailerons en couche 6, puis le développement des pièces foliacées, notamment pistilliformes, en couche 5” (Binder, 1991). Les datations radiocarbone réalisées indiquent que la couche 8 est antérieure au Néolithique récent du Centre-Nord et que la couche 5 est datée entre la fin du Néolithique récent du Centre-Nord et la moitié du Néolithique final (c’est-à-dire entre 3300 et 2400 av. n. è., voir Gassin, 1996, p. 31). De ce fait, on peut aussi envisager que ce type de flèche soit originaire de Provence. Elles sont par ailleurs attestées dans le Vaucluse : “le Néolithique récent [3700- 3500 à 3300-3100 dans cette région] montre encore des flèches tranchantes ou losangiques dont la place va s’amenuiser progressivement à la faveur des armatures foliacées” (Lemercier et alii, 2004, p. 204).

– Armatures de flèches triangulaires

86Cette classe est actuellement problématique car seules trois pièces provenant des hypogées des Marais-de-Saint-Gond (Marne) pourraient y appartenir. Elles sont identifiées comme des armatures triangulaires à base rectiligne, mais elles sont en fait bien différentes les unes des autres tant au niveau de la retouche, des dimensions que de la morphologie générale. Cette classe d’armatures, dominante en Suisse entre 3500 et 3000 cal. BC malgré une diversification des types durant ce laps de temps (Honegger, 2001, p. 138), n’a apparemment pas été copiée ou diffusée dans le Centre-Nord de la France. Ces trois exemplaires ne peuvent en aucun cas servir d’argument à un réel courant d’influence du Horgen vers le Néolithique récent du Centre-Nord.

La répartition spatiale des armatures

87Les figures 20 et 21 indiquent la répartition géographique des types décrits ci-dessus. Les armatures tranchantes trapézoïdales sont dispersées sur toute la zone étudiée et aucune concentration n’est visible (figure 20). Quatre occupations ont livré des armatures losangiques à proximité de la confluence Seine-Oise et trois autres dans la vallée de l’Aisne (figure 21). En dehors de ces deux secteurs, les losangiques sont rares et proviennent d’une occupation dans la vallée de la Marne et d’une autre dans la vallée du Petit Morin. Les armatures à pédoncule et ailerons sont absentes de la vallée de l’Oise et de la Marne (figure 21). On les trouve en revanche plus à l’est, dans la vallée du Petit Morin (deux cas), et dans les vallées de l’Aisne et de la Vesle (deux cas). Les armatures foliacées sont peu nombreuses et ne montrent pas de concentration particulière : deux occupations de la vallée du Petit Morin en ont livrées, ainsi qu’une située dans la vallée de l’Aisne, une autre dans la vallée de l’Oise et une dernière dans la vallée de la Marne (figure 21).

La parure (A. POLLONI)

88L’étude de la parure a été réalisée à partir d’objets découverts en contexte sépulcral. En effet, parmi les deux seuls habitats datés du Néolithique récent ayant fourni de la parure, l’un deux, l’habitat de Trivaux à Meudon, ne contenait qu’un fragment d’anneau en schiste (Basse de Ménorval, 1962) et le second, le Pré-à-Vaches à Morains-le-Petit, n’a quant à lui livré qu’une dizaine d’éléments ubiquistes (coquillages, dents et pierres percés) (Martineau et alii, ce volume).

89L’essentiel de notre corpus provient donc de sépultures collectives, dont certaines ont fonctionné pendant plus d’un millénaire. Parmis les nombreuses tombes prises en compte, seules celles de la Porte-aux-Bergers à Vignely et du Mont-Aimé 2 à Coligny sont calées chronologiquement et attribuées exclusivement au Néolithique récent. Pour les autres sépultures, le tri entre les parures du Néolithique récent et celles du Néolithique final s’est appuyé sur la présence ou non de mobilier (céramique, industrie lithique et osseuse, métal) attribuable au Néolithique final dans les monuments. À partir de 46 tombes datées par l’assemblage mobilier qu’elles contenaient, nous avons pu mettre en évidence une quinzaine de tombes ayant fonctionné uniquement durant le Néolithique récent (Polloni, 2007). Après comparaison des parures fournies par ces sépultures avec celles issues de tombes utilisées pendant toute la fin du Néolithique, il a été possible de distinguer les objets de parure propres au Néolithique récent dans le Centre-Nord de la France. Ceux-ci sont variés : ils comprennent des objets naturels aménagés ainsi que des perles et des pendeloques réalisées dans divers matériaux (figure 22).

Typologie des objets de parure

Les objets naturels aménagés

90Les objets naturels aménagés sont des éléments dont la forme originelle n’a pas ou très peu été modifiée. Il s’agit essentiellement de coquillages et de dents animales, mais également de quelques petits galets (figure 22). Ces éléments ont été transformés en objets de parure par l’ajout d’une perforation ou l’agencement d’un orifice déjà présent. Dans certains cas, aucune modification n’a été nécessaire pour faire de la pièce une parure. Contrairement aux objets façonnés, dont la mise en forme a abouti à la transformation des contours, les objets naturels ont une forme, une apparence et des dimensions qui sont imposées naturellement. Les coquillages ainsi transformés sont des Gastéropodes (Cerithium, Hypponix, Nassa, Natica, Nucella, Oliva, Patella, Sycum, Trivia, Turritella), des Lamellibranches (Cardium, Glycymeris, Unio, Vénéricardia) et des Scaphopodes (Dentalium) (figure 23). Parmi ces différentes coquilles, Dentalium et Turritella sont les espèces les plus fréquemment rencontrées. La plupart des espèces de coquillages ont été transformées en parure par l’ajout d’une perforation, souvent placée près de l’ouverture naturelle de la coquille. Certains gastéropodes ont néanmoins subi un traitement particulier. La majorité des Natica et des Nucella a en effet été découpée de manière à découvrir la columelle alors que les Turritella étaient fréquemment débités en demi-spire.

91Les sources d’approvisionnement des coquillages peuvent être locales ou régionales (cours d’eau et gîtes fossilifères), comme exogènes (côtes de l’Atlantique ou la Méditerranée). Les nombreux gîtes fossilifères du Bassin de Paris, et notamment ceux de la région de Châlons-en-Champagne et d’Épernay (Marne), offrent un large choix d’espèces. Parmi celles-ci, une sélection a été opérée puisqu’une importante part des espèces à disposition n’a pas été exploitée (Taborin, 1974). Les coquilles qui ont pu être obtenues dans des gîtes fossilifères sont Cardium, Dentalium, Glycymeris, Hypponix, Natica, Oliva, Patella, Sycum, Turritella et Vénéricardia. En ce qui concerne les coquillages frais, seules deux espèces, Nucella et Trivia, sont indiscutablement d’origine maritime et proviennent des côtes océaniques. Ces coquilles marines, qui témoignent d’échanges à longues distances, sont plutôt rares au Néolithique récent, les Hommes leur ayant préféré des coquilles fossiles locales.

92Les dents percées proviennent de diverses espèces animales. Les plus couramment retrouvées appartiennent à des canidés et des suidés. Hormis ces deux espèces dominantes, on rencontre également des dents d’équidé, de cervidé, de bovidé et d’ursidé.

93Les dents de canidé les plus utilisées sont des canines, et en particulier des canines de chien, mais on compte également quelques incisives. Les dents de suidés employées sont principalement des incisives, ainsi que quelques canines, molaires et prémolaires. Chez les équidés, les cervidés et les bovidés, ce sont également les incisives qui ont été privilégiées, alors que les ursidés ne sont représentés que par des canines.

Les perles

94Les perles sont des éléments de petite taille possédant une perforation en leur centre. Leur axe de perforation est aussi leur axe de rotation. La typologie des perles a été établie d’après leur section. Quatre types ont ainsi été distingués : discoïde, cylindrique, ovoïde et biconique. Les sites du Néolithique récent en Centre-Nord ont livré des perles en calcaire, en coquille, en os, en ambre et en cuivre (figure 22).

95Les perles en calcaire sont un élément de parure récurrent dans les sites du Néolithique récent. Quelques-uns en contenaient d’ailleurs un très grand nombre. L’hypogée des Mournouards 2 au Mesnil-sur-Oger (Marne) en a par exemple livré 180 exemplaires, répartis en plusieurs lots dans la tombe (Leroi-Gourhan et alii, 1962). Les perles en calcaire sont en majorité de forme discoïde, mais on en compte également des exemplaires de forme ovoïde et biconique.

96Les perles en coquillage recensées sont toutes de forme discoïde. Ces perles, généralement trouvées en nombre, mesurent le plus souvent entre 6 et 8 mm de diamètre pour une épaisseur moyenne de 1,5 mm. L’uniformité de leurs dimensions et la régularité du degré et de l’ampleur du façonnage reflètent certainement leurs modalités de fabrication, en série. Les perles présentent généralement une face nacrée, caractéristique de l’emploi de coquille d’Unio pour leur fabrication, l’autre face étant plus ou moins polie, laissant parfois apparaître les stries originelles du coquillage.

97Contrairement à de nombreuses régions où le Cardium est de loin le support le plus plébiscité pour la fabrication de perles et de pendeloques, le Bassin parisien se distingue par l’emploi massif de test d’Unionidés (Unio et Margaritifera notamment), pourtant beaucoup plus fragile. Ce choix n’est sans doute pas technique, mais résulte plutôt d’un problème d’accessibilité à la matière première, les tests d’Unionidés étant facilement récupérables et disponibles en grande quantité. Cet emploi privilégié de l’Unio a aussi pu être guidé par des choix esthétiques, ce coquillage étant caractérisé par d’épaisses couches nacrées qui reflètent la lumière de manière à lui donner un aspect brillant et irisé.

Figure 22 – Les objets de parure du Néolithique récent dans le Centre-Nord de la France.

98De forme discoïde, cylindrique, ovoïde ou biconique, les perles en os sont généralement fabriquées à partir d’os de gros animaux, tels que bœufs ou cerfs. Cependant, certaines perles cylindriques ont pu être confectionnées sur des os plus graciles de petits mammifères et d’oiseaux (POLLONI et alii, 2004). Dans l’ensemble, les formes discoïdes représentent une large majorité des perles en os. Ces dernières ont des dimensions plus importantes que celles des perles discoïdes en coquillage, puisqu’elles mesurent en moyenne 8 mm de diamètre pour 2,5 mm d’épaisseur.

99De forme discoïde ou ovoïde, les perles en ambre examinées ont un calibre assez important puisqu’elles mesurent en moyenne 17 mm de diamètre pour 14 mm d’épaisseur. Les résines fossiles étant très friables, beaucoup de perles sont retrouvées en mauvais état. Contrairement à d’autres régions d’Europe où les formes sont diversifiées (Dugardin, 1998), tous les objets de parure en ambre que nous avons répertoriés sont des perles.

100Les perles en cuivre du Néolithique récent en Centre-Nord sont constituées d’une fine tôle métallique, de moins d’un millimètre d’épaisseur, enroulée sur elle-même. Ces perles sont de forme discoïde, cylindrique ou ovoïde. Elles sont très légères, leur poids moyen étant d’un gramme.

Les pendeloques

101Les pendeloques sont des objets plutôt allongés, de dimensions très variables, possédant soit une perforation excentrée, soit plusieurs perforations, soit encore une gorge. Les pendeloques du Néolithique récent sont arciformes, biforés et en quille (figure 22).

102De nombreuses sépultures collectives du Centre-Nord de la France contenaient des pendeloques en forme de hache, communément appelées haches-pendeloque. Ces objets n’apparaissent néanmoins que dans les tombes réemployées au Néolithique final. Aucun site attribué de manière stricte au Néolithique récent n’en a en effet livré. Nous envisageons donc l’apparition des haches-pendeloque, pourtant longtemps considérées comme caractéristiques du SOM, au Néolithique final.

103Les pendeloques arciformes sont des fragments de bracelets munis d’une perforation biconique à chaque extrémité. Elles ont des dimensions comprises entre 23 et 95 mm pour la longueur pour une épaisseur de 3 à 9 mm. Les pendeloques arciformes sont pour la plupart en schiste, mais on en connaît quelques exemplaires en roche tenace, en grès et en calcaire.

104Les formes, les dimensions et les sections des pendeloques arciformes nous ont amenés à penser que ces objets ont été réalisés à partir de fragments de bracelets confectionnés au Néolithique ancien Villeneuve-Saint-Germain et ont été récupérés puis recyclés en un nouvel objet par l’ajout de perforations (Polloni, 2007). Ces pendeloques ont été ensuite longuement utilisées, comme en témoignent les nombreux exemplaires qui ont été perforés à nouveau après qu’un orifice ait cédé sous l’effet de l’usure. Les pendeloques arciformes apparaissent dans de nombreuses sépultures collectives du Centre-Nord de la France, mais notons que chacune d’entre elles n’en contenait qu’une, deux ou trois seulement.

105Les pendeloques biforées sont caractérisées par leurs deux perforations jumelées, distantes en moyenne d’un centimètre, et souvent placées au centre de l’objet. Elles ont été confectionnées en os et en coquillage. Tout comme les perles en coquille, les pendeloques biforées sur coquillage ont été réalisées à partir de test d’Unionidés.

106Du point de vue de la forme, on observe des distinctions entre les pendeloques biforées en os et celles en coquillage. En effet, les modèles en os sont de forme ronde ou ovalaires et toujours percés au centre, alors que leurs homologues en coquillage se divisent en deux variantes : d’un côté de petits éléments ovalaires percés au centre et morphologiquement très proches de ceux en os et de l’autre des éléments de grande taille et de formes variées (ovalaire, triangulaire ou rectangulaire) dont les perforations sont parfois excentrées.

107Les pendeloques en quille sont des objets confectionnés dans l’extrémité d’un andouiller de cervidé, scié entre 5 et 8 cm de la pointe, ce qui leur donne une forme conique. On observe néanmoins quelques exemplaires en os imitant la forme de ceux en bois de cervidé. Ces objets, à l’exception d’un exemplaire, ne sont pas perforés mais munis d’une gorge bien marquée séparant le sommet, souvent poli en forme de boule, du corps de la pièce. L’unique exemplaire percé, trouvé dans l’hypogée des Mournouards 2 au Mesnil-sur-Oger (Marne), est en os et caractérisé par deux perforations, dont une cassée, situées près de la pointe.

Répartition quantitative des objets de parure dans les tombes datées du Néolithique récent

108Les 15 tombes collectives attribuées au Néolithique récent ont dans l’ensemble livré près de 1200 éléments de parure (figure 24). Parmis ces derniers, les perles en calcaire et les coquillages aménagés sont de loin les plus abondants. Ils sont d’ailleurs des éléments récurents pour cette période puisqu’ils apparaissent dans la quasitotalité des tombes prises en compte. Les pendeloques biforées en coquille, les perles en coquille et les dents percées sont également bien représentées et leur présence a pu être observée dans plus de la moitié de ces tombes. Les autres objets de parure en revanche ne sont représentés que par un nombre très limité d’exemplaires répartis dans quelques tombes.

Acquisition des matières premières

109Les populations du Néolithique récent semblent avoir surtout utilisé les ressources locales pour la confection de leurs parures. Les coquillages fossiles, les coquillages frais de rivière, le calcaire, l’os et les dents d’animaux d’élevage constituent en effet l’essentiel des supports. Ils ont su s’adapter à leur milieu, en exploitant de nombreuses possibilités pour s’approvisionner en matières premières dans leur environnement immédiat. L’exemple le plus révélateur est certainement l’utilisation de coquilles d’eau douce (Unionidés) pour la fabrication de perles et de pendeloques, alors que de nombreux autres groupes culturels contemporains façonnaient leurs perles sur des coquilles de Cardium.

110Néanmoins, des matériaux et des objets finis proviennent parfois de régions très éloignées (coquilles marines, ambre, cuivre...), ce qui devait engager de nombreux réseaux de circulation et d’échange. Quant au schiste, si l’hypothèse du remploi sur place de bracelets du Néolithique ancien était confirmée, son usage au Néolithique récent serait celui d’une ressource locale, bien qu’il s’agisse d’une matière exogène au Bassin parisien.

Analyse spatiale

111Tous les objets de parure connus pour le Néolithique récent du Centre-Nord de la France ne se répartissent pas de manière homogène dans l’ensemble de cette zone géographique. Certains éléments se rencontrent en effet préférentiellement dans les sites orientaux de l’aire considérée, et plus particulièrement dans les tombes collectives du département de la Marne, alors que d’autres se retrouvent plutôt dans l’ouest, le centre et le sud de la zone géographique prise en compte. Seuls quelques objets de parure paraissent se répartir uniformément dans l’ensemble des sites du Centre-Nord. Il s’agit des pendeloques arciformes en schiste, des perles en tôle de cuivre, des perles en ambre ou encore des dents percées.

112Les objets plutôt associés aux sites du Centre-Est du Bassin parisien sont les pendeloques en quille (dont la répartition est quasiment circonscrite aux limites du département de la Marne), les pendeloques biforées, les perles en calcaire et les coquillages aménagés (et plus particulièrement les coquillages fossiles) (figures 25 à 30). Les coquillages aménagés sont présents dans l’ensemble du Centre-Nord, mais on les rencontre en nombre beaucoup plus important dans la région des hypogées de la Marne, où ils apparaissent dans plus de 60 % des tombes ayant livré de la parure. De plus, ils y sont souvent retrouvés en grand nombre, alors que dans les sites localisés en dehors du département de la Marne, les coquillages aménagés sont bien souvent représentés par moins de cinq exemplaires (figure 29). Cette répartition préférentielle est certainement due au fait que les gisements de coquillages fossiles sont nombreux dans le département de la Marne, et notamment dans la région Châlons-en-Champagne/Épernay. Notons que parmis le large choix d’espèces disponibles dans ces gîtes fossilifères, une sélection a été opérée puisque seule une petite partie des espèces a disposition a été exploitée. Pour ce qui est des pendeloques biforées, précisons que près de 90 % des éléments de ce type recensés dans le Centre-Nord de la France proviennent de tombes marnaises. Tous ces objets se retrouvent indistinctement dans les hypogées et dans les allées sépulcrales de cette zone géographique. Il ne semble donc pas y avoir de corrélation entre l’architecture de la tombe et les objets déposés.

113A contrario, les perles en os, les perles en coquille et les galets percés semblent bien répartis dans l’ensemble du Bassin parisien, mais ils sont néanmoins assez peu fréquents dans les sépultures collectives de la Marne. Les perles en os n’y sont représentées que par quelques exemplaires et les perles en coquillages ne sont connues que dans une dizaine de tombes de ce département (figures 31 et 32).

Les perles en tôles de cuivre du Bassin parisien (B. MILLE)

114Nous avons déjà eu l’occasion de présenter le répertoire d’objets métalliques néolithiques découverts dans le Centre-Nord de la France, nous ne reviendrons pas ici sur la constitution de ce corpus : il comporte 48 objets dont 26 perles en tôle (Mille, Bouquet, 2004). Nous avions alors posé l’hypothèse d’une datation du Néolithique récent pour ces perles en tôle. Cette relative abondance d’un métal supposé du Néolithique récent nous a depuis engagé à orienter nos recherches vers une étude plus approfondie de ce lot d’objets. De nombreuses prises de contact et un certain nombre de missions effectuées principalement dans les musées nous ont permis d’examiner directement 15 perles en tôle. Malgré tous les efforts consentis, nous n’avons pas été en mesure de retrouver les objets suivants : les cinq perles de Warmety-Haut à Ay, la perle des Gouttes-d’Or à Loisy-en-Brie, la perle des Mournouards 2 au Mesnil-sur-Oger, la perle des Durillons à Marsangy , la perle supposée du Cimetière-des-Anglais à Vauréal, une des neuf perles de la Porte-aux-Bergers à Vignely, et une des quatre perles des Vignes-Jaunes à Courjeonnet (figure 33 ; annexe 2).

115Nous rappellerons également que sur la base d’observations technologiques, nous avons déjà mis en évidence l’existence de deux variantes de mise en forme du métal pour la réalisation des perles en tôles, le type de Vignely et le type de Courjeonnet (Augereau et alii, 2007). Les deux perles de la Chaussée-Tirancourt, la Sence-du- Bois et la perle de Tours-sur-Marne ont par ailleurs fait l’objet de descriptions détaillées (Mille, 2006 ; Ihuel et alii, ce vol.). Nous signalerons enfin que nous avons déjà discuté la place et l’importance de ces perles en tôle découvertes dans le Bassin parisien ; elles se classent en effet au rang des plus anciens objets métalliques découverts en France (Carozza, Mille, 2007 ; Mille, Carozza, 2009).

Chronologie des perles en tôle de cuivre

116La question la plus délicate reste celle de l’attribution chronologique des objets métalliques dans les sépultures collectives du Centre-Nord de la France. Nous avons distingué dans notre travail précédent deux grandes catégories de perles en cuivre, les perles en tôle et les perles massives. Il ne fait guère de doute que les perles massives proviennent de la région du Languedoc et des Grands Causses (Mille, Bouquet, 2004 ; Mille, 2008).

117Les seuls objets datables du Néolithique récent au sens strict sont les neuf perles en tôle du collier de Vignely, la Porte-aux-Bergers. Une datation¹⁴C de l’individu n° 7, qui portait le collier, a en effet confirmé que l’inhumation était contemporaine de la construction du monument funéraire (voir figure 1).

118Pour les autres perles en tôle (perles du type de Courjeonnet, cf. infra), leur rattachement au Néolithique récent reste conjecturel :

• toutes les sépultures collectives ayant livré des perles en tôle de cuivre attestent de la présence d’autres catégories de mobilier daté du Néolithique récent (en particulier la céramique, l’industrie osseuse et les objets de parure réalisés à partir d’autres matériaux que le métal) ;

• la plus forte concentration de perles en tôle coïncide avec la zone de la Marne (13 perles sur 26, 6 occupations sur 10). Ces sites correspondent tous à des sépultures collectives dont la fondation remonte au Néolithique récent. De surcroît, les sites de la Marne ne comportent aucun mobilier métallique attribuable au Néolithique final (poignard ou perles massives) ;

• il n’y a pratiquement aucune perle en tôle en Languedoc ou sur les Grands Causses, au contraire des perles massives qui se comptent par milliers. Les perles en tôle ne semblent donc pas provenir de cette région. Par ailleurs, les premières productions métallurgiques du Midi de la France ne sont pas antérieures à la fin du iv^e millénaire (Mille, Carozza,
  2009), et la circulation de ces produits sur de longues distances semble plutôt caractériser le Néolithique final (Mille, Bouquet, 2004 ; Mille, 2008).

119La datation absolue de la sépulture au collier place les perles en tôle de cuivre de Vignely, la Porte-aux-Bergers au sein de l’étape ancienne du Néolithique récent (entre 3600 et 3350 av. n. è. : figure 1). La relative abondance de perles du type de Courjeonnet dans les hypogées de la Marne est un indice fort en faveur de leur utilisation dès l’étape moyenne du Néolithique récent (entre 3350 et 3000 av. n. è.). Tout se passe ensuite comme si des perles massives produites dans le Midi de la France étaient venues remplacer les perles en tôle du type de Courjeonnet. Nous ne sommes pas en mesure de déterminer si le remplacement s’est effectué de façon progressive ou brutale, ou, en d’autres termes, si les perles en tôle ont continué à circuler au début du Néolithique final.

Technologie des perles en tôle de cuivre en forme de tonnelet

120La quasi totalité des perles en tôle examinées présente une particularité morphologique remarquable, ne correspondant pas à de simples cylindres, mais prenant la forme de tonnelets1. Le but recherché était probablement d’ordre esthétique : les colliers formés à partir de perles en tonnelet prennent un relief que ne saurait apporter la juxtaposition de perles cylindriques.

121En termes de mise en forme du métal, l’obtention d’un profil galbé rend nettement plus complexe la fabrication de la perle. Parmi l’ensemble des perles métalliques du Néolithique récent, nous avons pour l’heure reconnu trois procédés totalement différents permettant d’aboutir à ce résultat, dont deux attestés pour la réalisation des perles en tôle du Bassin parisien.

Les perles du type de Seeberg : des barres de cuivre à bords rabattus

122Cette variante semble la plus ancienne, nous ne connaissons pas de perles de ce type dans le Centre-Nord de la France. Nous présentons malgré tout ces perles, car elles permettent une intéressante mise en perspective des deux autres types de perle en tôle. Les perleséponymes proviennent du collier 1 de Seeberg/Burgäschisee (Suisse), le collier 2 étant quant à lui constitué de perles cylindriques (figure 34). Les perles de Seeberg sont culturellement attribuées au Cortaillod et seraient datées de 3750 BC (Sangmeister, Strahm, 1973). Deux colliers de perles en tonnelet ont par ailleurs été récemment découverts à Colmar, ces perles présentent de nombreux points communs avec les deux colliers de Seeberg (Lefranc, 2008). Les perles de Seeberg et de Colmar sont en cuivre fortement marqué par l’arsenic, ce métal proviendrait de la région de Mondsee dans les Alpes autrichiennes.

123Nous avons eu l’opportunité d’observer directement les perles du collier 1 de Seeberg au musée de Berne2 et de compléter ainsi l’étude typologique et archéométrique d’E. Sangmeister et de C. Strahm, par des observations technologiques (figure 35). Les perles sont relativement massives (14 g en moyenne), et notre terme de tôle trouve ici ses limites : étant donné les épaisseurs relevées (env. 5 mm), l’ébauche de perle correspond plus à une barre de cuivre de section rectangulaire, qu’à une bandelette de tôle. Les perles en tonnelet du collier 1 de Seeberg ne se distinguent des perles cylindriques du collier 2 que par la préparation d’une section dont le profil est galbé. Ce profil a vraisemblablement été obtenu par une finition particulière des bords latéraux de la barre de cuivre : il semble que l’on a essayé de rabattre par martelage les deux arêtes supérieures de la barre de métal pour les abaisser par déformation plastique jusqu’au niveau des deux arêtes inférieures. L’opération n’a souvent pas pleinement réussi, et a laissé des stigmates très caractéristiques visibles sur le bord des perles (voir photographie en médaillon de la figure 35). Une fois achevée, les barres de cuivre ont été enroulées autour d’un axe de section circulaire, la jonction se faisant bord à bord et témoignant d’un travail particulièrement soigné et délicat à mettre en œuvre.

Les perles du type de Vignely : de très fines tôles de cuivre cintrées

124Les seules occurrences de ce procédé restent pour l’instant les neuf perles du collier découvert à Vignely, la Porte-aux-Bergers (figures 36 et 37). Les perles sont relativement grandes (13 à 15 mm de diamètre pour 20 à 25 mm de hauteur), mais la tôle est particulièrement fine (0,3 à 0,4 mm selon les perles) : chaque perle pesait environ 3 g, une masse de métal particulièrement faible en regard du module considéré. La tôle a été obtenue par passe(s) de martelage alternés de recuit(s), ainsi que l’étude métallographique a pu le démontrer (MILLE, Bouquet, 2004). La phase suivante de la fabrication ne pose pas de difficultés techniques particulières : la fine bandelette de tôle a été enroulée autour d’un axe de section circulaire, la jonction se faisant par recouvrement des extrémités sur une longueur de 2 à 3 mm. La tôle a ensuite été cintrée pour donner à la perle sa forme définitive : c’est là que réside la principale difficulté de la mise en forme de ces objets. Nous avions dans un premier temps proposé que le cintrage de la tôle résultait d’un travail du métal par expansion, combinant l’usage du marteau et d’un petit outil dormant glissé dans la lumière de la perle (Mille, Bouquet, 2004 et figure 37). Les essais expérimentaux entrepris pour tester cette hypothèse se sont montrés totalement infructueux. Sur les conseils d’un artisan forgeron et chaudronnier, nous avons exploré la voie du martelage sur une contre-forme. Nous avons de cette façon effectivement réussi à cintrer la tôle, en “refermant” la perle cylindrique autour d’une contre-forme en bois (figure 38)3. Ce type de travail correspond à une déformation du métal par rétreinte, une technique de mise en forme du métal particulièrement difficile à maîtriser ; l’acquisition d’un tel savoir-faire ne peut se concevoir que par le biais d’un long apprentissage. Les perles de Vignely témoignent donc d’une fabrication particulièrement soignée et astucieuse, exploitant nombre de propriétés spécifiques au matériau métallique : on a par exemple reconnu que le cuivre se caractérise par un très grand domaine plastique, ce qui autorise de forts taux de réduction d’épaisseur et ainsi l’obtention de tôles très fines ; les limites de la déformation plastique sont identifiées (écrouissage conduisant à la rupture), tout comme le moyen de contourner ces limites (le recuit de recristallisation), des moyens tels que la contre-forme et la déformation par rétreinte semblent même maîtrisés. Ces propriétés et possibilités offertes par le métal ne sont pas seulement reconnues, mais également parfaitement mises en oeuvre. La fabrication des perles de Vignely nous semble par conséquent relever du savoir-faire spécialisé d’un artisan métallurgiste (Bourgarit, Mille, 2007).

Les perles du type de Courjeonnet : des tôles de cuivre amincies sur les bords

125Ce type rassemble toutes les perles en tôle en forme de tonnelet du Centre-Nord de la France, à l’exception des perles de Vignely et de la perle annulaire de Congy. La réalisation des perles du type de Courjeonnet ne nous semble pas mobiliser le même niveau de compétences que les perles des types de Seeberg et de Vignely. Ce type rassemble des perles de module variable, mais elles sont généralement plus petites que leurs homologues des deux premiers types : 10 à 15 mm de diamètre et de hauteur pour 1 à 2 g de métal. Une bandelette de tôle de 1 à 2 mm d’épaisseur est requise pour démarrer la mise en forme de la perle. Le profil galbé est cette fois obtenu de façon beaucoup plus simple, en martelant la bandelette depuis le centre vers les côtés, jusqu’à obtenir des bords amincis d’environ 0,3 à 0,5 mm d’épaisseur. La dernière étape consiste à enrouler la tôle autour d’un axe circulaire (figure 39). Le problème que posent ces perles est celui de la jonction. Il ne saurait être question de la réaliser bord à bord comme dans le cas des perles du type de Seeberg, les parois métalliques sont ici trop fines. Si les extrémités avaient été en simple vis-à-vis,elles se seraient fatalement écartées au cours de l’utilisation, et la perle se serait rapidement détachée du collier.

La solution retenue est de laisser les deux extrémités de la tôle se chevaucher (sur une distance variant de 1 à 3 mm de longueur selon les exemplaires), comme dans le cas des perles de Vignely. Le résultat ne permet néanmoins pas d’aboutir à une jonction de qualité. Le défaut vient de la superposition de deux tôles dont l’épaisseur est plus importante au centre que sur les bords (épaisseur résultant du chevauchement de la tôle : au centre 2 à 3 mm, sur les bords seulement 0,6 à 1 mm, voir la coupe longitudinale de la figure 39). Les deux extrémités d’une bandelette de tôle constituant une perle du type de Courjeonnet ne peuvent donc s’inscrire aussi parfaitement l’une dans l’autre que dans le cas d’une perle du type de Vignely, laissant un joint très visible et nettement moins efficient.

Provenance des perles en tôle de cuivre

126L’attribution d’une provenance au métal est une tâche difficile, rarement couronnée d’une réponse permettant la localisation précise de la source d’approvisionnement. La caractérisation analytique du métal n’est généralement pas suffisante, et la démarche consiste alors à multiplier les angles d’approche dans l’espoir de pouvoir progressivement préciser la provenance du métal grâce au croisement de l’ensemble des données (Mille, Bourgarit, 2000). Nous avons déjà établi par nos précédents travaux que le cuivre arrivait dans le Centre-Nord de la France sous une forme déjà manufacturée aux IV^e et III^e millénaires av. n. è. (Mille, Bouquet, 2004 ; Mille, Carozza, 2009). Dans le cas des perles en tôle du Néolithique récent du Centre-Nord de la France, nous avons engagé une campagne d’analyse élémentaire du métal, augmentée d’une détermination de la composition isotopique du plomb ; nous disposons de surcroît des résultats de notre étude morphométrique et technologique, de datations absolue ou relative de ces objets, et de données bibliographiques de comparaison pour tenter de cerner leur aire de diffusion au niveau européen.

127À l’exception de la perle de Tours-sur-Marne, analysée par fluorescence X au laboratoire du British Muséum (Ihuel et alii, ce volume), toutes les analyses de composition élémentaire du métal ont été réalisées au Centre de Recherche et de Restauration des musées de France en utilisant l’accélérateur AGLAE en mode PIXE (faisceau de protons de 3 MeV d’environ 0,5 mm de diamètre, la profondeur analysée est d’environ 50 μm, cf. Calligaro et alii, 1998 ; Dran et alii, 2000). L’analyse PIXE a été conduite sur une zone de 2 x 2 mm où les produits de corrosion ont été dégagés par fraisage. Cette zone où le métal est à nu a ensuite été restituée à l’aide de résines pigmentées spécialement développées pour la restauration (couleurs à vernis Maiemeri) ; opération conduite par D. Robcis et A. Lalande, restaurateurs métal au C2RMF. Sur les 15 perles retrouvées, nous avons choisi d’analyser deux des huit perles de Vignely et la totalité des perles provenant des autres sites, soit neuf perles au total4.

128En fonction du résultat des analyses élémentaires d’une part, et en tenant compte d’autre part de la faisabilité d’un prélèvement (dimension, état d’altération et fragilité de l’objet), nous avons choisi six perles pour une détermination de la composition isotopique du plomb (quelques milligrammes de métal sain ont été prélevés, soit en découpant un minuscule fragment de tôle, soit par un microforage de 0,6 mm de diamètre). Les analyses isotopiques du plomb ont été réalisées par le Service d’Analyse des Roches et des Minéraux du CNRS, par MC-ICP-MS.

129Les résultats complets des analyses élémentaires de métal et de composition isotopique du plomb apparaissent dans le tableau de la figure 40.

130Les résultats des analyses élémentaires révèlent sans surprise que toutes les perles sont en cuivre non allié. Les teneurs en plomb sont le plus souvent inférieures, ou au voisinage de la limite de détection du PIXE. Il a néanmoins été possible de mesurer la composition isotopique du plomb dans tous les cas, grâce à la très grande sensibilité de la MC-ICP-MS.

Les perles de Vignely

131Nous confirmons par ces nouvelles analyses la très haute pureté du cuivre utilisé pour la fabrication du collier de Vignely, la Porte-aux-Bergers. Le taux cumulé d’impuretés est inférieur à 0,2 % ; on remarquera en particulier l’absence des marqueurs géochimiques classiques des cuivres pré- et protohistoriques : ni arsenic, ni argent, ni antimoine, pratiquement pas de nickel (figure 41). Les deux perles analysées ont une composition élémentaire rigoureusement identique, ce qui est en parfaite cohérence avec nos observations technologiques qui font de ce collier de neuf perles de cuivre un lot d’objets extrêmement homogène. Pourtant, les rapports isotopiques du plomb contenu dans les deux perles sont relativement différents (figure 42). Nous ne savons pour l’instant comment interpréter ces différences : provenance réellement distincte, hétérogénéité isotopique de la source de cuivre, contamination des nos échantillons par le plomb du milieu environnant ?

Les perles du type de Courjeonnet et la perle de Congy

132Les compositions élémentaire et isotopique de ces perles sont à l’image des résultats de l’étude technologique : elles partagent des caractéristiques communes très fortes, mais divergent ensuite dans le détail. Six perles sur sept renferment de l’argent comme première impureté (entre 0,6 et 2,3 % en masse : figure 41). Cet argent n’est pas systématiquement associé à l’antimoine, et de toute façon jamais à même hauteur (teneur maximum en antimoine 0,4 %). Il s’agit là d’une notable différence avec les cuivres à antimoine-argent du Midi de la France (Mille, Carozza, 2009). L’argent constitue la seule impureté de la perle 35822 de Courjeonnet et des deux perles de La Chaussée-Tirancourt ; la perle de Congy contient en outre de l’antimoine ; les deux perles restantes de Courjeonnet semblent quant à elles résulter d’un minerai polymétallique de type falherz (argent, arsenic, nickel, plomb, antimoine). Il y a enfin une exception notable avec la perle de Tours-sur-Marne, étant la seule à ne pas renfermer d’argent : elle est marquée par une association d’arsenic et de nickel. La composition isotopique du plomb place les trois perles de Courjeonnet dans un domaine relativement proche de l’une des perles de Vignely, la perle de La Chaussée-Tirancourt se distinguant assez nettement (figure 42).

133La confrontation des résultats des analyses de composition élémentaire et isotopique du plomb ne permet pas de lever les hypothèses, ni de simplifier le problème de la provenance. Il en ressort au contraire l’image d’une situation complexe, qui évoque inévitablement une multiplicité de sources d’approvisionnement. La très grande pureté du métal des perles de Vignely est compatible avec l’utilisation de cuivre natif. Les perles du type de Courjeonnet semblent quant à elles plutôt issues de minéralisations complexes (falherz fortement argentifères plus ou moins altérés ?). Sur la base de la distribution des objets en tôle de cuivre néolithique du IV^e et du début du III^e millénaire, nous avons précédemment évoqué l’Europe septentrionale ou Centrale comme source possible de ces objets (Mille, Bouquet, 2004). De nouvelles données sont depuis venues confirmer la présence d’objets de parure en tôle de cuivre dans les sépultures collectives du IV^e millénaire sur une vaste zone géographique couvrant la Scandinavie méridionale, la Pologne, l’Allemagne du Nord et les Pays-Bas (culture des gobelets en entonnoirs) (Sohn, 2006a). L’existence de liens très étroits unissant le Nord de la France et la Suisse occidentale nous engage également à sérieusement envisager la possibilité d’une circulation des objets métalliques par le biais du Horgen. Nous avons déjà signalé la présence de quelques objets en tôle de cuivre dans les niveaux Horgen des habitats du Néolithique récent de Suisse (Augereau et alii, 2007). Il manque malheureusement tout le métal déposé en contexte funéraire Horgen, puisque nous ne connaissons pratiquement aucune sépulture suisse datée du IV^e millénaire.

L’industrie osseuse (A. MAINGAUD)

134L’examen des corpus issus de sépultures collectives diverses mais aussi des quelques habitats, riches de plus de 330 pièces (figure 43), nous a amenés à redéfinir d’une façon plus précise l’industrie osseuse de la fin du IV^e millénaire et du III^e millénaire av. n. è.

Répartition et représentativité des outils

135La répartition des outils sur les sites permet d’établir trois catégories plus ou moins représentatives des assemblages de l’époque (figure 43).

– Catégorie 1 : regroupe les outils qui sont abondants et fréquents. Ils représentent près de 60 % du corpus et sont présents sur huit des neuf sites étudiés. On peut donc considérer sans risque qu’ils définissent le fonds commun de l’industrie osseuse de cette période (Maingaud, 2004) ;

– Catégorie 2 : renferme les pièces abondantes mais peu fréquentes. Au total, elles représentent un peu plus de 30 % du corpus et sont réparties de manière inégale sur six sites. Ainsi, la plupart des gaines à perforation transversale ne se rencontrent que dans la collection de Baye. L’explication de cette distribution est alors soit chronologique, soit géographique ou statutaire (sépulture vs habitat) ;

– Catégorie 3 : il s’agit des objets rares (moins de dix pièces) qui représentent moins de 10 % du corpus global. Leur présence et signification culturelle ou chronologique sont anecdotiques. Typologiquement, ces catégories renferment les objets

suivants :

Catégorie 1 (figure 44)

– poinçon en os du type 2 de Ch. Leroy-Prost (Camps-Fabrer et alii, 1990). Nous en avons déterminé 93 au sein du corpus (figure 44 a) ;

– gaine à perforation transversale sur segment médian de bois de cervidé, qui représentent 55 pièces (figure 44 b) ;

– manche droit à insertion longitudinale sur segment d’andouiller de bois de cervidé (Camps-Fabrer, Ramseyer, 1993). Ces manches sont au nombre de 51 pièces (figure 44 c).

Catégorie 2 (figure 45)

– les gaines à perforation transversale sur segment basilaire de bois de cervidé (Maingaud 2004). Nous en connaissons 37 exemplaires (figure 45 a) ;

– lissoir en os, au nombre de 30 (figure 45 b) ;

– les outils tranchants à soie en languette (Bailloud, 1971 ; Maingaud, 2004). Nous en connaissons 29 (figure 45 c) ;

– les biseaux, au distal unifacial, à perforation transversale sur segment basilaire de bois de cervidé, dont 10 exemplaires ont été recensés (figure 45 d).

Catégorie 3 (figure 46)

– les gaines à tenon décortiqué sur segment médian de bois de cervidé (Maingaud, 2004), qui représentent 9 pièces (figure 46 a) ;

– les pioches en os, dont nous avons répertorié six exemplaires (figure 46 b) ;

– les manches en segment de cercle à insertion latérale en os (Ramseyer, 1987 et 1993 ; Maingaud, 2003 a et b), au nombre de trois (figure 46 c) ;

– les outils à double pointe et perforation centrale en bois de cervidé (Bailloud, 1964 ; Maingaud, 2003 a et b), dont seules deux pièces sont connues (figure 46 d) ;

– les poinçons d’économie en os du type 1 de Ch. Leroi-Prost (in CAMPS-FABRER et dlii, 1990), dont nous ne connaissons qu’un seul exemplaire (figure 46 e).

Technologie des outils osseux

136Les méthodes de débitage sont bien standardisées et culturellement diagnostiques (Maingaud, 2004). Pour les outils en os, il s’agit du rainurage par quadripartition. Pour les outils en bois de cervidé, il s’agit de l’entaillage associé à la fracturation.

137D’autres techniques ont été observées de façon isolée et non significative. Ce sont la fracturation de l’os ou encore le rainurage du bois de cervidé.

138Les méthodes de façonnage sont moins bien cernées pour des raisons de conservation des pièces.

Synthèse des assemblages

139En dépit de la petitesse du corpus, des lacunes documentaires relatives à l’ancienneté de certaines découvertes et de l’absence de datations fiables, il est tout de même possible de réaliser une définition de l’industrie osseuse.

140Ainsi, trois éléments la composent : les poinçons en os du type 2, les gaines à perforation transversale sur segment médian de bois de cervidé, et les manches droit à insertion longitudinale sur segment d’andouiller de bois de cervidé.

141Nous en excluons volontairement la gaine à perforation transversale sur segment basilaire, considérée comme emblématique, car elle n’est représentée que dans les sépultures des Marais-de-Saint-Gond. La Marne constitue a priori un territoire à part au sein du Bassin parisien et ce pour deux raisons. La première est le volume du corpus, nettement supérieur au reste du Bassin parisien. La seconde est la présence de pièces exceptionnelles présentant des affinités avec la Suisse et l’Allemagne, comme les manches à insertion longitudinale en segment de cercle en os dont on trouve l’origine en Suisse occidentale (Ramseyer, 1987), au sein du Néolithique récent Horgen.

142Un autre type de gaine pose également problème. 11 s’agit des gaines à tenon. Ces pièces, rares, peuvent être considérées de deux façons. Soit elles sont caractéristiques du Néolithique moyen, et dans ce cas leur présence, associée à de la céramique du Néolithique moyen, dans des corpus du Néolithique récent, pourrait procéder de mélanges. Soit, si aucun mélange n’est avéré, elles peuvent être considérées comme un archaïsme au sein du Néolithique récent auquel cas cela aidera à établir une sériation chronologique de l’industrie osseuse de cette période.

143L’industrie osseuse de la fin du Néolithique dans le Bassin parisien commence à être mieux cernée tant typologiquement que technologiquement. À côté de cela, il est également possible d’évoquer des différences régionales, des affinités extérieures, des évolutions au sein du corpus. Pour aller plus loin, l’enrichissement du corpus par de nouvelles fouilles documentées et datées demeure un impératif.

Analyse chrono-culturelle

144Même si la documentation est encore lacunaire, la confrontation de toutes les études permet d’une part de proposer un nouveau découpage chronologique pour le Néolithique récent du Centre-Nord de la France et d’autre part de dessiner les contours de plusieurs faciès régionaux bien distincts.

Les trois étapes du Néolithique récent

145Auparavant conçu comme un assemblage peu évolutif, le Néolithique récent est désormais découpé en trois étapes sur la base de critères technologiques et radiométriques. Il faut bien reconnaître que, en l’état actuel des données, l’étape 2 est la mieux documentée. La définition des étapes 1 et 3 évoluera donc probablement au gré des découvertes archéologiques futures.

146La première étape (3600-3350 av. n. è.) est pour le moment identifiée dans de rares sites, majoritairement des sépultures collectives auxquelles s’adjoignent au moins un habitat et des indices de sites. On notera au passage que deux types de sépultures collectives sont présentes dès cette étape, en l’occurence l’allée sépulcrale semi-enterrée avec vestibule de Vignely et l’hypogée de Val-des-Marais. L’articulation de cette étape avec la fin du Néolithique moyen reste néanmoins problématique. Certaines caractéristiques techniques et typologiques des assemblages tendent à montrer que cette étape s’inscrit dans une tradition du Néolithique moyen : le dégraissant utilisé pour la préparation des pâtes (silex utilisé seul ou mélangé à de la chamotte), les tranchets et les armatures tranchantes plutôt d’obédience chasséenne, le débitage laminaire par percussion indirecte et les gaines de hache à tenon présents auparavant dans le Michelsberg. La céramique, qui n’est pas aussi épaisse que dans l’étape suivante, se rapproche de types attribués à la toute fin du Néolithique moyen, comme dans le groupe de Balloy. En dehors de ces éléments caractéristiques des traditions locales, des comparaisons peuvent être établies pour la céramique avec des groupes culturels implantés à l’est de la zone prise en compte et de toute façon antérieurs au Horgen, comme le Pfyn. Sur le plan régional, les racines de cette première étape ne pourront être comprises qu’avec une avancée considérable des connaissances sur la fin du Néolithique moyen.

147La deuxième étape (3350-3000 av. n. è.) regroupe ce que l’on considérait auparavant comme l’assemblage “Seine-Oise-Marne” classique : vases épais dégraissés à la fois au silex et à la chamotte, gaines de hache à perforation transversale, armatures tranchantes trapézoïdales, pendeloques arciformes en schiste. Cette étape est contemporaine du Horgen, comme en témoignent certains types comparables d’outils en os et de parures. Ces comparaisons sont néanmoins limitées à la Marne. En effet, c’est dans cette étape que l’on peut à présent distinguer plusieurs faciès régionaux (voir ci-après).

148Quant à l’étape 3 (après 3000 av. n. è.), sa définition est encore bien fragile, puisqu’elle n’est documentée que par deux sites, Presles-et-Boves, les Bois-Plantés (Aisne) et Compiègne, le Hazoy (Oise). Seul le site de Presles-et-Boves livre des arguments convaincants. Outre la datation¹⁴C qui peut toujours être discutée, cet habitat a livré un assemblage, tant céramique que lithique, évoquant une possible transition entre le Néolithique récent et le Néolithique final : emploi systématique de la chamotte dans les vases, comme il sera d’usage au Néolithique final, présence d’une armature à pédoncule et ailerons. Les formes céramiques et l’aspect technique général renvoient ce site au Néolithique récent.

Les faciès régionaux

149Le découpage régional du Centre-Nord de la France n’est pour le moment envisageable que pour l’étape 2 du Néolithique récent, parce que c’est la seule étape à livrer une quantité suffisante de vestiges matériels pour comparer les séries. En effet, seuls trois sites, localisés dans la vallée de la Marne, sont rattachés avec certitude à l’étape 1. Pour mener une analyse spatiale des vestiges, des recherches sur des séries hors de cette région devront être engagées (Salanova et alii, 2011). L’étape 3 souffre de la même indigence de données.

150En ce qui concerne l’étape 2, il est intéressant de constater que les différentes catégories de mobiliers n’opposent pas les mêmes régions : la céramique sépare le nord du sud, tandis que la parure et l’industrie osseuse distinguent l’est de l’ouest. A priori, l’industrie lithique ne permet pas de régionalisation au niveau typlogique. Les différences entre les séries sont principalement imputées à des aspects fonctionnels, excepté pour les quelques armatures triangulaires et foliacées. Malgré tout, des différences d’ordre quantitatif opposent la région des hypogées de la Marne, où les dépôts lithiques sont beaucoup plus fournis que dans les sépultures du reste du Bassin parisien. Les études céramiques, quant à elles, ont permis de différencier très nettement les productions découvertes au nord de la Seine de celles découvertes au sud, tant sur le plan typologique que technologique, mettant ainsi en évidence deux grandes aires de productions. On peut s’interroger sur l’existence d’une troisième zone caractérisée par la large répartition des vases à cannelures formant un groupe centré sur la vallée de la Seine et distinguant ce secteur des régions méridionales et septentrionales du Bassin parisien. Les éléments de parure ainsi que l’industrie osseuse convergent pour détacher la région des Marais-de-Saint-Gond du reste de la zone étudiée. La mise en perspective des ensembles funéraires marnais à l’échelle du nord-ouest de l’Europe conduit à souligner de nouveau leur orgininalité.

151Au final, la distribution de l’ensemble de la culture matérielle conduit à proposer un découpage en trois, voire quatre zones distinctes : un faciès méridional centré sur le groupe du Montet dont la particularité est confirmée par nos études, au centre un faciès axé sur la vallée de la Seine et à l’est le faciès de la Marne, le mieux caractérisé. Au nord, le faible nombre de sites ne permet pas réellement de trancher, néanmoins il faut retenir que les éléments disponibles ne sont pas assimilables aux trois faciès précédents.

Les mobiliers du faciès de la Marne dans leur contexte du nord-ouest européen

152Tout au long de ce travail, les particularités typologiques ou technologiques des mobiliers de l’est du Bassin parisien ont été mises en évidence, ainsi que leurs rapports particulièrement étroits avec les mobiliers Cortaillod et Horgen. Le faciès de la Marne étant surtout défini à partir de dépôts funéraires, les comparaisons ont été menées à partir d’une étude globale des mobiliers provenant des sépultures collectives de France, d’Allemagne et des Pays-Bas (soit 1265 tombes au total). Cette analyse permet de replacer les mobiliers de la Marne à l’échelle du nord-ouest de l’Europe et d’aborder les relations interrégionales sous l’angle des pratiques funéraires (Sohn, 2006a et 2007).

La composition des mobiliers funéraires

Si l’on compare successivement la composition des différentes catégories de mobiliers (céramique, industrie lithique, etc.) en fonction des régions, on remarque que les rapprochements ne sont pas les mêmes en fonction de la catégorie ou du type de mobilier considéré.

153Concernant tout d’abord les proportions de parures dans les tombes par rapport au reste du mobilier (figure 47, n° 1), les sépultures de l’est du Bassin parisien s’inscrivent dans une tendance propre au Bassin parisien en général, où la parure représente près de la moitié du mobilier des tombes. Il en est de même pour les proportions des autres principales catégories d’objets dans les tombes (industrie lithique, céramique et industrie osseuse ; figure 47, n° 2) : le Bassin parisien montre une certaine unité, avec une représentation faible de la céramique, comparé aux sépultures allemandes par exemple. Cependant, on peut observer au sein même du Bassin parisien un rapprochement beaucoup plus étroit entre les vallées de la Seine, de l’Oise et de la Somme ; le secteur de la Marne se distinguant par la quasi absence de céramique dans les tombes.

154Le même constat peut être fait à partir de l’étude des proportions de parures en fonction des matériaux qui les composent (figure 47, n° 4) et de l’industrie osseuse en fonction des types d’outils (figure 48, n° 1). Si la parure de l’est du Bassin parisien partage de nombreux traits communs avec les secteurs Seine, Oise et Somme, notamment une représentation élevée de parures en coquillages, elle s’en distingue par des proportions élevées de parures en roche, plus précisément en calcaire. Cette tendance ne permet de rapprochement ni avec l’Allemagne, ni avec le centre de la France. En revanche, elle correspondrait davantage aux habitudes funéraires des tombes du sud/sud-est de la France, particulièrement fournies en perles et pendeloques en calcaire (Barge, 1982 ; Sohn, 2006a). L’industrie osseuse montre quant à elle une certaine homogénéité dans le Bassin parisien par rapport aux autres régions, bien que le rapprochement le plus étroit concerne à nouveau le secteur Seine/ Oise ; la Marne étant à part. Une des particularités du Bassin parisien est certainement la forte représentation des manches et gaines de haches en bois de cerf dans les tombes, objets peu rencontrés ailleurs. La présence de quelques pointes de jets et hameçons se limite à la Marne et à la Seine-et-Marne, et atteste de relations outre-Rhin, puisqu’on retrouve ces objets en grand nombre dans les sépultures collectives de l’ouest et du centre de l’Allemagne à la fin du IV^e millénaire av. n. è. et au début du III^e (Schwellnus, 1979).

155Les relations entre le secteur de la Marne et l’ouest de l’Allemagne sont flagrantes dès lors que l’on considère la composition de l’industrie lithique (figure 47, n° 3). Les sépultures de l’est du Bassin parisien livrent en effet de grandes quantités d’armatures de flèches (notamment des armatures tranchantes), au détriment des lames et autres outils en silex (grattoirs, retouchoirs...). En cela, les sépultures du secteur Marne se distinguent nettement du secteur Seine/Oise, pour partager davantage les caractéristiques de l’industrie lithique des tombes de Westphalie, Hesse, Basse-Saxe et des Pays-Bas.

156Enfin, même si les sépultures collectives du Bassin parisien livrent peu de céramique en comparaison avec les sépultures collectives du nord de l’Europe, un rapprochement peut néanmoins être observé quant à leur datation (figure 48, n° 2) : la céramique retrouvée dans les tombes du Bassin parisien, d’Allemagne comme des Pays-Bas, se rattache presqu’essentiellement au Néolithique récent. À ce titre, on observe de nouveau une exclusion de la Marne, qui ne livre pratiquement pas de céramique du Néolithique final et encore moins du Bronze ancien, par rapport au secteur Seine/Oise, dans lequel on rencontre des proportions faibles, mais semblables, de céramiques du Néolithique final, du Campani– forme et du Bronze ancien.

Modes de dépôts du mobilier

157La comparaison des modes de dépôts et de la répartition spatiale du mobilier dans les sépultures collectives du secteur de la Marne par rapport aux régions voisines montre également de fortes particularités. Tout d’abord, les tombes de l’est du Bassin parisien ont reçu moins d’inhumations que celles du secteur Seine/Oise ou de l’ouest de l’Allemagne (55 défunts en moyenne par tombe dans l’est du Bassin parisien, 87 défunts en moyenne à l’ouest, et 71 défunts dans l’ouest de l’Allemagne). Malgré cela, les sépultures du secteur de la Marne livrent en moyenne plus de mobilier par défunt que celles de l’ouest du Bassin parisien (figure 49), à l’image des sépultures collectives allemandes. Ces différences ne semblent pas imputables à la durée d’utilisation des monuments mais bel et bien à des préférences culturelles.

158Les monuments fùnéraires de l’est du Bassin parisien forment en effet un groupe à part aussi bien en terme d’architecture (peu d’allées sépulcrales mais de nombreux hypogées), qu’en ce qui concerne l’“art” funéraire : plus de dix hypogées livrent des représentations gravées de haches et de figures féminines alors que le secteur Seine/Oise compte à peine de quatre monuments ornés (Bailloud, 1974). De même, les dépôts collectifs de céramiques et de haches mis en évidence dans l’entrée des sépultures des secteurs Seine/Oise/Somme au Néolithique récent (Sohn, 2002 et 2006b), mais aussi dans l’ouest de l’Allemagne (Hesse et Westphalie) n’existent ni dans les hypogées de la Marne, ni dans les sépultures de Seine-et-Marne de la même période. Dans les hypogées de la Marne, mais aussi dans plusieurs tombes de Seine-et-Marne, les restes céramiques sont rarissimes et les dépôts collectifs de haches et de gaines de haches en bois de cerf se font dans les chambres sépulcrales, contre les parois, le tranchant de la hache pouvant être dirigée vers le haut (Mournouards 2 au Mesnil-sur-Oger, les Gouttes-d’Or à Loisy-en-Brie, le Mont-Aimé 2 au Val-des– Marais, les Maillets à Germigny-l’Évêque, les Gours-aux-Lions 2, et nombreuses observations du baron J. de Baye au xix^e siècle ; Roux, 1994). Même si des antichambres à vocation d’“espace collectif’ et des entrées à “trou d’homme” ont été aménagées dans les hypogées, elles ne reçoivent pas le dépôt collectif “classique”. Si la hache a pu avoir une fonction symbolique identique dans les tombes de l’est du Bassin parisien et dans celles du secteur Seine, Oise ou d’Allemagne, son mode de dépôt est bien différent.

La Marne, un carrefour d’influences au Néolithique récent

159Les points les plus forts qui ressortent de la comparaison de la composition des mobiliers de l’est du Bassin parisien avec ceux du reste de la France, de l’Allemagne et des Pays-Bas, et des proportions dans lesquelles ils sont déposés dans les tombes, sont les suivants :

• l’appartenance des mobiliers du secteur Marne à un fonds commun au nord de la France et au nord de l’Europe en général ;

• la mise en évidence, au sein du Bassin parisien et de “l’ex SOM” de deux faciès distincts : d’un côté un faciès Seine/Oise, voire Seine/Oise/Somme relativement homogène, présentant des affinités prononcées avec les mobiliers du Centre-Ouest de la France, et de l’autre un faciès Marne, sujet à des influences diverses, mais essentiellement Est et Nord/Est (Suisse, Allemagne occidentale et nord occidentale, Pays-Bas).

160Parallèlement, l’identité culturelle forte de l’est du Bassin (en particulier de la Marne et de la Seine-et-Marne) s’exprime dans le domaine des pratiques funéraires, aussi bien sur le plan de l’architecture des monuments que des dépôts humains et mobiliers.

161Même si les données concernant les mobiliers funéraires de Suisse et du sud-ouest de l’Allemagne auraient permis de mieux comprendre la place et le rôle du secteur de la Marne au sein des relations Bassin parisien/est et nord de l’Europe, il ressort de l’étude du mobilier funéraire de l’est du Bassin parisien une certaine dualité entre, d’un côté, des caractères identitaires particulièrement prononcés et, de l’autre, des influences extrarégionales fortes, le tout s’amalgamant de manière particulièrement originale.

CONCLUSION GÉNÉRALE

162Par rapport à la première révision du “Seine-Oise-Marne” que nous avions proposée (Augereaü et alii, 2007), la prise en compte de séries provenant de contextes domestiques et d’études plus approfondies confirment la diversité culturelle du Néolithique récent dans le Bassin parisien, ce qui conforte notre opinion d’abandonner le terme “Seine-Oise-Marne”.

163L’apport principal de ce nouveau travail réside dans la périodisation interne du Néolithique récent du Centre-Nord de la France. Le calage chronologique du “Seine-Oise-Marne” posait en effet quelques problèmes par rapport aux périodisations des régions voisines, en particulier sa synchronisation avec le Horgen. Si les bases du découpage chronologique restent encore fragiles et devront être étayées par de nouvelles études, une première étape, antérieure au Horgen, a pu être mise en évidence. La définition de cette étape n’est actuellement fondée que sur de rares ensembles, mais qui montrent une continuité dans la culture matérielle avec le Néolithique moyen, tant pour la céramique avec l’usage de dégraissants siliceux que pour le lithique avec un débitage laminaire encore majoritaire. Malgré cette continuité, l’étape 1 voit l’apparition des sépultures collectives dans le Bassin parisien. Les comparaisons avec les régions voisines sont limitées, car cette étape pré-Horgen n’est pas très bien connue ailleurs. Finalement la mise en évidence de cette étape précoce permet de répondre à une question débattue depuis un siècle : l’apparition du Néolithique récent dans le Bassin parisien est-elle dûe à une influence externe, en particulier le Horgen ? Il est aujourd’hui évident que le Horgen est postérieur.

164L’étape 2 est la plus longue et la mieux renseignée. Elle est contemporaine de la totalité du Horgen. Dans le Bassin parisien, on peut désormais suggérer l’existence d’au moins trois faciès régionaux distincts et d’un quatrième hypothétique dans le Nord (figure 50). Pour cette étape, nous étions davantage tentés de nous tourner vers les régions plus orientales, le Jura français et la Suisse occidentale, pour les comparaisons. Si on peut mettre en evidence des liens étroits entre le Horgen et les différents faciès du Centre-Nord (parure et industrie osseuse du faciès de la Marne, vases sans col du groupe du Montet, décor de cannelure sur les poteries du faciès Seine-Oise), le reste de la culture matérielle diffère.

165La troisième étape, correspondant à la transition entre le Néolithique récent et le Néolithique final, est la plus mal représentée. Seules les études à venir sur le Néolithique final permettront de cerner le seuil entre ces deux périodes.