1L’occasion de porter un nouveau regard sur les moulages des sculptures des hypogées du sud-ouest marnais vient de se présenter dans le cadre de réalisation de l’informatisation des collections du musée d’Épernay. La série des moulages se divise en deux groupes bien distincts par leurs numéros d’inventaire. La première appartient à la série des 68 000 numéros d’enregistrement dans les collections du musée des Antiquités nationales1 vers 1921 ou 1922 puis la seconde des 76000 qui a été réalisée lorsque l’abbé Pierre Favret, en 1932 ou 1933 (figure 1), a fait nettoyer la parcelle de Coizard et instruit le dossier d’inscription de ces hypogées néolithiques à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. Les moulages ont alors été réalisés par les ateliers du MAN sous la direction de Benoît Champion (1863-1952). De cette période, les archives de l’abbé Favret sont riches en photographies, et de cette campagne à Coizard, on possède tous les relevés cotés des hypogées nettoyés et inscrits2 (cf. annexe). Les arguments exposés ci-dessous sont le fruit des divers entretiens que j’ai eu avec Pierre Roualet devant les moulages dans les salles du musée d’Épernay, augmentés de nos observations et des résultats comparatifs de l’ensemble des copies, réunis en une seule salle, lors d’une séance de récolement des collections de Préhistoire. Aujourd’hui les vingt éléments conservés à Épernay sont inscrits Monuments historiques depuis le 11 mars 1944, date où a été notifiée une décision du début de l’année 19393, restée sans suite pour raison de guerre.

CONDITIONS DE DÉCOUVERTE DE CES HYPOGÉES

2Il est bien certain que Joseph Berthelot, baron de Baye, n’a que très peu fouillé lui-même sauf dans sa jeunesse d’archéologue4. La qualité de sa collection et les contextes quelle contient ou contenait a donc été largement tributaire des compétences, du sérieux et bien entendu de l’absence de scrupules de certains des membres de l’équipe de fouilleurs qui travaillaient pour lui5. On sait que celui qui semblait faire office de responsable dans le dernier quart du XIX^e siècle s’appelait Léon Petit (né à Coizard en 1862, décédé à Château-Thierry en 1948). On rappellera que c’est à un autre Petit de Coizard que le baron de Baye achète des parcelles pour protéger les hypogées. Il fut l’inventeur de nombreux sites, toutes époques confondues. Autour de lui quelques noms sont connus6, Bouquemont de Toulon-la-Montagne, Collange, Evrard, Leroux, ou encore Pinchedez de Vert-la-Gravelle, etc... mais ces hommes sont ceux qui composaient l’équipe du baron7. C’est aussi celle qui a été, pour partie, en contact avec Émile Schmit au tournant du xx^e siècle et qui a permis à celui-ci, via ses contacts avec Léon Jouron, de venir fouiller ou prospecter certains sites connus dans les Marais-de-Saint-Gond (ex. Fèrebrianges). Dans cette activité de fouille, les paysans qui avaient une vie assez difficile dans cette seconde moitié du xix^e siècle trouvaient là un moyen d’améliorer l’ordinaire pendant la morte saison. Tous étaient semble-t-il assez fidèles au service du baron. Toutefois, on sait que l’un d’eux trahira en 19068 lors d’une découverte celtique d’importance et les autres laisseront alors tomber sur celle-ci une chape de plomb qui durera jusqu’en 20019. Mais là est une autre histoire.

3Ces paysans qui louaient leurs services étaient bien évidemment rémunérés en monnaie or et l’indemnité était évidemment bien augmentée en cas de découverte exceptionnelle10. Ce fut à coup sûr le cas pour les journées marquées par la mise au jour à Courjeonnet, Villevenard ou Coizard des diverses formes de représentation connues des sculptures en creux ou en ronde bosse. Il va de soi que ce système a pu générer des failles et conduire à des modifications, voire des créations de toutes pièces par appât du gain.

LES HACHES

4Elles sont soit orientées à gauche ou à droite, présentent toujours un emmanchement qui ne dépasse jamais la gaine sauf pour un cas gravé ? ou bien retouché ? , le Razet 24 (VILLES, 1998a, figure 9A, photo du bas de page). On a remarqué la grande parenté entre les dimensions des sculptures avec les haches trouvées emmanchées à Aulnay-aux-Planches, par exemple. On peut donc supposer que les représentations ont été élaborées sur la base de modèles réels d’où découlent des figurations quelque peu stéréotypées et conformes à une réalité archéologique.

N” 76 529 de Coizard, le Razet, hypogée 23 (figure 2)

Dimensions du moulage :

largeur 44,5 cm ; hauteur 58 cm ; épaisseur 8,5 cm.

Longueur de la gaine 18 cm et avec la hache incluse : 25 cm.

Longueur du manche : 27,5 cm.

5La hache emmanchée est tournée tranchant à gauche. Elle est dégagée en ronde bosse de la paroi dans une zone légèrement surcreusée de 2 cm environ par rapport au niveau général de la même paroi. Le fond de craie a été dégagé à l’aide d’un pic de 2,5 cm de large au minimum11. La surface autour de la hache a été comme lissée dans des sens différents selon les emplacements : sens oblique de droite à gauche au-dessus de la gaine par petits coups répétés parallèlement, sens vertical sous la hache et la gaine de part et d’autre du manche puis à l’horizontal à droite et au bas du manche. En face sur la gauche, l’effet diagonal de gauche à droite peut correspondre au travail de creusement de la chambre de l’hypogée.

N° 76 524 de Coizard, le Razet, hypogée 23 (figure 3)

Dimensions du moulage :

largeur 37,7 cm ; hauteur 52,9 cm ; épaisseur 8 cm.

Longueur de la gaine 19,5 cm et avec la hache incluse : 23.5 cm.

Longueur du manche : 36 cm.

6Cette autre hache est aussi tournée vers la gauche. Elle a été obtenue par le même procédé que la précédente. Toutefois, le fond sur lequel elle apparaît n’est pas lissé mais régularisé par l’usage exclusivement à l’horizontal d’un outil-pic de 2,5 cm de large au minimum. Il a été utilisé ici pour racler la paroi. Au-dessous du manche les traces sont manifestement verticales. En fonction des contraintes imposées par la position géographique de l’œuvre sur la paroi de l’hypogée, on peut conclure au travail d’un sculpteur droitier.

N° 76 530 de Coizard, le Razet, hypogée 24 (figure 4)

Dimensions du moulage :

largeur 28,8 cm ; hauteur 46,3 cm ; épaisseur 6,5 cm.

Longueur de la gaine 17,5 cm et avec la hache incluse : 21.5 cm.

Longueur du manche : 33,8 cm.

7La hache, tournée à gauche, est aussi réalisée en ronde bosse mais selon un relief encore plus faible que les précédentes. L’angle supérieur droit de la partie moulée témoigne d’un arrachement plus profond, arrachement accidentel ou faiblesse de la craie en bordure de la diaclase12 ? Cet accident a fait disparaître le talon de la gaine. À la différence des exemplaires précédents, le travail de fond sur lequel se découpe la hache laisserait transparaître une préparation par un lissage assez soigné. On n’y constate aucune trace négative de l’usage d’un outil identique à ceux mis en évidence sur les représentations précédentes. Toutefois on distingue nettement des gorges parallèles perpendiculaires à l’axe de la gaine sous la figuration de la pierre polie et du départ de l’emmanchement. Elles résultent d’un autre enlèvement de matière en bordure de la figuration pour en parfaire la finition à l’aide d’un petit outil en bois ou en os. Il devient alors évident, pour cet exemplaire, que le travail s’est effectué en deux temps distincts avec des outils différents. Le même type de traces plus espacées est visible en bordure gauche du manche alors que sur la droite de celui-ci des stries parallèles plus fines existent dans l’axe longitudinal. La technique opératoire est différente et laisse donc à penser que le sculpteur n’est pas celui qui aurait pu exécuter les deux précédentes.

8Il n’est pas question dans cette note d’effectuer une analyse minutieuse de toutes les figurations mais bien de poser de nouvelles questions sur l’étude des hypogées en confrontant le document le plus proche de l’original et la situation que l’on peut observer aujourd’hui tant dans les hypogées qui ont livré ces représentations – certaines ont été mutilées – que dans ceux qui en étaient exempts. En effet des points peuvent apparaître comme communs. C’est ainsi que l’outil à taillant convexe laissant à l’usage une saignée concave peu profonde de 2,5 à 3 cm de large se rencontre aussi à Chouilly, Saran (MAN n° 76526) malgré l’intervalle chronologique supposé du fait de la nature de l’épingle sculptée. La technique pourrait donc peu évoluer dans le temps et peut-être permettre de reconnaître des mains ou des groupes de sépultures collectives creusées avec un même outil. Il nous semble que ce constat visuel mériterait des contrôles plus scientifiquement démontrés par des moulages nouveaux et multipliés dans chaque sépulture collective13. Se poser de nouvelles problématiques justifierait la réouverture d’hypogées comblés peu après les fouilles du baron effectuées par la première équipe d’ouvriers (1872-1875)14.

N° 76 525 de Courjeonnet, les Houyottes, hypogée 2 (figure 5)

Dimensions du moulage :

largeur 57,5 cm ; hauteur 84,5 cm ; épaisseur 10,2 cm.

Longueur de la gaine 16 cm et avec la hache incluse : 20 cm.

Longueur du manche : 30,5 cm.

9Cette hache, tournée à droite, constitue une exception puisque c’est la seule qui est associée à une figuration humaine. Un élément stylistique lui confère aussi ce statut. Le traitement du fond de la surface où elle est dégagée en ronde bosse a été lissé afin d’effacer des stries parallèles verticales15 laissées par un outil indéterminé. On distingue ceci sur toute la partie basse du moulage répondant précisément à la zone occupée par la hache. Il est curieux de noter que ce travail s’arrête très précisément au-dessous de la gaine. Le travail en deux temps pour le rendu environnemental de la hache pose une réelle interrogation : ne vient-il pas renforcer le contraste pour mieux mettre en valeur la gravure de la main et du bras ?

10La question de l’anthropomorphisation associée à la hache est ici à concevoir comme une création moderne du xix^e siècle. Comment admettre que la sculpture a été achevée par une technique différente de celle par laquelle l’auteur a débuté ? D’ailleurs la planche publiée par de Baye (de Baye, 1880) ne comporte pas cet élément.

11La partie de la paroi située immédiatement au-dessus de la hache est occupée par une figuration humaine qui est en très faible relief en creux et dont le fond comme l’environnement ont été lissés ou plutôt régularisés (figure 6). Déjà, on peut séquencer la réalisation en deux temps très certainement antiques16 ainsi qu’un troisième, à l’évidence beaucoup plus récent et venu perturber l’image originale. On ne peut admettre comme plausible le bras tracé par deux sillons, au relief plus vif, terminés sur leur droite par un ajout intermédiaire de quatre autres petits segments de droite de même nature pour marquer les intervalles des doigts de la main17. Il n’est pas concevable qu’un artiste termine une sculpture par une technique différente de celle par laquelle il a débuté le travail. Le contraste dans les réalismes des figurations ouvre la porte à des doutes sérieux. À ce stade de l’exposé se pose la question de ce qui est authentique dans ces découvertes anciennes et des moyens dont on peut disposer pour détecter les anomalies. On reviendra sur ce point plus loin et en conclusion de cette note.

LES DIVINITÉS

N° 76 525 de Couijeonnet, les Houyottes, hypogée 2 (figure 7)

Longueur du sommet à la base du nez 7,5 cm.

12La silhouette est ici évoquée par un très faible relief en creux dans la paroi d’environ 1 cm de profondeur. L’arc sommital de la tête est bordé par un très léger bourrelet en relief à peine perceptible au toucher qui n’existe pas sur les autres figurations humaines. Le fond de la représentation est légèrement grumeleux mais comme régularisé par frottement (figure 6) à l’image de l’environnement pariétal alors qu’il est lissé dans la zone en contact avec la hache décrite ci-dessus. Le caractère fruste de cette ébauche humaine ou divine est lié à l’absence totale de réalisme. À ce stade de la description, il me semble utile de donner les dimensions de la figuration : hauteur 29,5 cm et largeur de base 23 cm. On va voir que par la suite ces éléments peuvent participer du débat.

N° 76 532 de Coizard, le Razet, hypogée 24 (figure 8)

Dimensions du moulage :

largeur 60,8 cm ; hauteur 90,4 cm ; épaisseur 10,5 cm.

Hauteur axe médian vertical 54 cm ; largeur base 35,5 cm.

Longueur du sommet à la base du nez 9,5 cm.

13Au premier coup d’œil, cette autre image apparaît plus réaliste parce que comportant une ébauche de visage. La paroi sur laquelle cette figuration a été réalisée porte en son tiers inférieur les traces du pic du creusement de l’hypogée (figure 9). Le reste de la surface a été légèrement lissé, travail visible même dans les zones perturbées par les griffades de blaireaux18 (figure 10). La sculpture est traversée par deux diaclases du massif de craie. La première est située au niveau du cou du personnage, la seconde est localisée dans la partie droite et basse. Chacune comporte un éclat profond. La tête de la silhouette est marquée par un double tracé en forme de croissant qui compose comme le front du personnage dans un relief intermédiaire en creux entre le niveau général de la paroi et le fond de la sculpture. Le bas du visage est marqué par quatre traits gravés profondément en forme de U. Un petit creux ovale paraît figurer une bouche. Le corps de la divinité relève de deux traitements stylistiques distincts. La moitié haute est lissée et constitue la partie la plus profonde. Celle basse, moins excavée, est caractérisée par des traces d’outil portées du haut à gauche vers le bas à droite et des griffades. Si les dimensions de la sculpture sont 54 cm pour la hauteur et 35,5 cm pour la largeur de la base, il est intéressant de noter que c’est un peu au-dessus du passage de la ligne de faille de la diaclase que le relief en creux s’amenuise et pourrait alors sensiblement constituer la base de la sculpture à 33-35 cm de sommet du crâne et que cette hypothèse trouverait confirmation par une largeur de base à cet emplacement de 27 cm. Cette parenté avec la représentation divine précédente nous semble pertinente et pose comme possible le concept d’une figuration champenoise stéréotypée.

N° 76 522 de Coizard, le Razet, hypogée 23 (figure 11)

Dimensions du moulage :

largeur 53,5 cm ; hauteur 100 cm ; épaisseur 12 cm.

Hauteur axe médian vertical 91 cm ; largeur base 29,5 cm.

Longueur du sommet à la base du nez 10,5 cm.

14C’est la sculpture la plus connue parce que la plus réaliste des quatre figurations trouvées de la zone des Marais-de-Saint-Gond. C’est celle sur laquelle reposent les plus grands doutes. On notera que deux points la distinguent immédiatement des autres : la nature du relief proportionnel à la taille du personnage et le réalisme de l’anthropomorphisme. De même que sur la représentation de Courjeonnet, les Houyottes, on décèle deux types de traitements dans l’environnement de la figuration du Razet 23. Dans la partie haute, le dégagement de la paroi est fait au pic avec un soin tendant à rendre au mieux la craie lisse. Dans le bas, la paroi est brute de taille et sans reprise sur les 44 derniers centimètres. La sculpture présente des reliefs aux angulations vives sans aucune altération ni griffade. Le modelé semble avoir été réalisé avec un outil tranchant à lame. Ce point constitue le premier indice du fondement des doutes que l’on peut émettre à propos de cette divinité. La profondeur du creusement de la paroi pour obtenir les reliefs de la partie supérieure du personnage est de quatre centimètres environ, ce qui constitue un second indice de réserve sur l’authenticité. On remarquera le lissage quasi parfait de la silhouette tant sur le fond que sur les limites de la découpe en creux. Le modelage du nez, la matérialisation des yeux par des trous rehaussés de noir ne peuvent être retenus comme vrais tant qu’une nouvelle découverte ne viendra pas confirmer le caractère unique de ces détails. Si l’on admet la possibilité d’un stéréotype de la représentation, alors une fois retirée la partie basse, la sculpture entre dans un canon de 47,5 cm environ d’axe médian et une largeur de base de 29,5 cm. La relation entre ces trois premières figurations devient alors troublante. A. Villes (Villes, 1998b) à la suite de J. Arnal considère cette représentation comme fausse, on la croit seulement très profondément modifiée pour les raisons que l’on va évoquer ci-dessous.

N° 76 528 de Coizard, le Razet, hypogée 24 (figure 12)

Dimensions du moulage :

largeur 32 cm ; hauteur 77,5 cm ; épaisseur 9,5 cm.

Hauteur axe médian vertical 48 cm ; largeur base 13 cm. Longueur du sommet à la base du nez 8,5 cm.

15Cette figuration est la seule réalisée à l’extérieur d’un hypogée. Elle se singularise des autres par des dimensions plus réduites mais imposées par celles du panneau vertical gauche au bas de l’allée d’accès. Elle n’offre aucun caractère dimensionnel commun avec les précédentes sauf le niveau de la poitrine qui est rigoureusement identique sur les deux silhouettes sexuées. Cette suite d’arguments soulève les premiers doutes sur l’authenticité. Mais on peut retenir des points encore plus forts pour rejeter cette représentation. Le premier est constitué par l’absence de dégradations liées au ruissellement des eaux pluviales ou liés aux déplacements du ou des blocs de pierre qui occultaient l’entrée. Enfin, la divinité aurait résisté au gel de plus d’une ou deux saisons hivernales sauf à admettre un rebouchage immédiat de l’hypogée.

NOUVELLE HYPOTHÈSE

16Le cas de la figuration la plus petite dans l’hypogée 24 du Razet est à laisser temporairement de côté. Sa facture plaide pour la considérer comme totalement douteuse, surtout à la lumière de ce que l’on a et va développer. Lorsque l’on considère la représentation des Houyottes à Courjeonnet puis respectivement celles des grottes de Coizard 24 et 23 du Razet, on trouve l’illustration d’une gradation dans la taille et dans le réalisme qui pourrait de plus correspondre à un possible ordre chronologique de découverte, sans que l’on puisse actuellement le démontrer faute d’archive précise. C’est pourtant sur la sculpture de Courjeonnet que l’on peut émettre actuellement le moins de réserves, une fois posée l’hypothèse d’une main ajoutée obligatoirement dans un troisième temps qui serait celui de la découverte ou peu après. Le cas des Houyottes tend réellement à démontrer que la hache constitue le premier élément créé et que c’est sur elle que le sculpteur est venu appuyer une image en creux, seule technique utilisable dans ces conditions sauf à déplacer de quelques centimètres l’image humaine par rapport à celle de la hache. On s’est alors posé la question de ce modèle en partant du postulat suivant : les représentations semblent aller vers un embellissement réaliste du motif en même temps qu’un allongement de la représentation. À ce premier point est venu s’ajouter la différence de profondeur entre partie haute et basse de l’image en creux pour les deux exemplaires du Razet. Or lorsque l’on superpose le contour extérieur de l’image de Courjeonnet sur les deux grandes de Coizard, on note une propension au respect du contour extérieur tout comme dans la hauteur du personnage. Dans les deux cas, la modification de la profondeur du relief s’amenuise à environ 30/35 cm du sommet de la découpe de la tête lorsque l’on élimine le modelé en forme de croissant. Si la profondeur du creusement est moindre dans la partie basse des figurations ; c’est tout simplement parce que la paroi était en l’état et qu’il n’est pas facile de se réajuster à une réalisation préexistante. L’hypothèse d’un schéma stéréotypé dans des normes métriques peut alors prendre corps. Il prend d’autant plus de force qu’il serait le pendant de celui qui prévaut pour la figuration grandeur naturelle des haches avec une gaine assez longue, une pierre polie plutôt courte, un manche (de 25 à 40 cm) ne dépassant jamais la gaine.

17Cette interprétation d’un modèle unique peut s’ancrer sur un autre détail : la présence du collier à cordon en faible relief et grosse perle. Il figure bel et bien sur le personnage de Courjeonnet, les Houyottes, seul pour lequel on ne constate aucune retouche dans la partie profonde de la sculpture. Le collier de l’hypogée 23 du Razet aura probablement été refait à l’image de celui détruit pour améliorer le rendu général déjà très réaliste. À la suite de cette remarque, on peut se poser la raison de l’enlèvement de la partie fragilisée en bordure de la diaclase qui traverse au niveau du cou la représentation de la grotte 24. Cet éclat pourrait bien être tombé au moment de la fouille invitant l’un des fouilleur à modifier le nombre d’incisions et même à y faire figurer la petite bouche en amande. On se trouverait bien alors devant une série stéréotypée de représentations, même pour celle de l’entrée de l’hypogée 24 qui n’aurait été, dans ce cas, limitée physiquement dans sa largeur par l’espace disponible entre paroi et trou d’homme. Mais elle aurait été tout de même partiellement modifiée dans la représentation du collier (vague évocation d’un torque) et celle très malhabile des seins. Quant au caractère sexué des représentations, il pourrait bien n’être que le fruit de l’imagination des fouilleurs du baron de Baye émoustillée par le gain de quelques pièces d’or. À ce stade et en accord avec A. Villes, il semble que le lien organique comportant une grosse perle enfilée reste le seul élément distinctif à retenir.

18Notre interprétation des retouches sur les représentations pariétales des hypogées des marais de Saint-Gond avait déjà été développée il y a trois ans lors du passage au musée d’Épernay d’une partie de l’équipe III^e millénaire. On a cherché depuis à mieux percevoir les techniques mises en œuvre pour la réalisation des sculptures. Et ce n’est qu’en février 2007 que l’on s’est attaché à lire les hypothèses émises par Alain Villes (Villes, 1998a). On pense confirmer sur des bases plus concrètes certains de ses doutes même si on prend le risque de poser de nouvelles perspectives d’analyses. Tout comme lui, on retient l’idée d’une figuration humaine préexistante à la modification survenue dans la seconde moitié du xix^e siècle mais on rejette, comme authentique, celle réalisée en extérieur.