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Iconographie du quotidien dans l’art provincial romain : modèles régionaux

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Sabine Lefebvre

Retour historiographique sur l’iconographie du quotidien en Gaule

Jeanne-Marie Demarolle

Résumé

Les scènes dites « de la vie quotidienne » (scènes de métier, de toilette, de banquet notamment) sont fréquentes sur les monuments funéraires de la Gaule de l’Est et des Germanies. Depuis les années 1970 elles ont suscité de nombreuses études et différentes lectures. On en dresse ici le bilan dans le champ de l’histoire de l’art gallo-romain, de l’histoire socio-culturelle et de la construction du discours iconographique. Ces approches complémentaires, en insistant sur les codes de la représentation, invitent à nuancer le réalisme des images et à multiplier les confrontations entre l’iconographie et l’épigraphie.

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Mots-clés :

historiographie, iconographie

Schlüsselwörter :

historiographie, Ikonographie

Texte intégral

1Fidèle à une heureuse tradition d’alternance entre l’Orient et l’Occident de l’Empire, le colloque sur l’art provincial romain s’est éloigné de la Roumanie pour célébrer en France son XIVème anniversaire. Pour la deuxième fois, ce colloque international biannuel s’est réuni dans une province gauloise : après la Narbonnaise en 2007, ce fut en 2015 le tour de la Lyonnaise. Après Arles et Aix-en-Provence, prestigieuses cités antiques s’il en fut, le privilège d’accueillir tant de chercheurs venant d’horizons différents a échu à une « petite ville » lingonne, Divio.

2Ce fut là une immense fierté pour tous ceux qui, durant deux ans, se sont activement engagés dans la préparation de l’entreprise. L’Université de Bourgogne, le Musée archéologique, la ville de Dijon ont eu droit à notre sincère gratitude mais, derrière ces instances, nous avons salué les chevilles ouvrières qui n’ont pas ménagé leurs efforts, tout particulièrement nos collègues Sabine Lefebvre, Professeur à l’Université de Bourgogne et plusieurs enseignants-chercheurs de l’UFR et de l’UMR ArTeHiS, sans oublier Simone Deyts dont la compétence en matière de sculpture gallo-romaine tant en pierre qu’en bois est inégalée.

3Il faut ajouter aux universitaires Christian Vernou et l’équipe du musée qui ont œuvré avec passion pour rassembler à Dijon quelques beaux exemplaires des reliefs dont nous avons débattu. Je les remercie tous pour m’avoir amicalement confié la responsabilité d’ouvrir ce volume. J’attache beaucoup de prix à cet honneur mais, nul ne l’ignore, honos est onus. L’adage est d’autant plus vrai que, nul ne l’ignore non plus, je ne suis pas une spécialiste d’histoire de l’art.

4Toutefois, les œuvres provinciales sur lesquelles a reposé la thématique du colloque de 2015, si elles n’ont cessé depuis F. Drexel, L. Hahl, K. Schoppa, J.-J. Hatt ou H. Gabelmann d’être interrogées pour leurs spécificités artistiques et leur contribution à l’histoire de l’art gallo-romain, l’ont été de plus en plus, depuis les années 1970, pour leur apport à l’histoire sociale, qu’il s’agisse d’activités économiques, de techniques, de comportements, de modes de communication.

5D’autre part, longtemps condamnées à servir de simples illustrations en raison de leur valeur esthétique jugée médiocre au vu des canons de la « grande » sculpture, les figurations du quotidien sont largement entrées dans le champ des recherches sur la construction de l’image et le discours iconographique, laissant derrière elles les analyses historicistes de lecture immédiate au profit des apports de la sémiologie. C’est dans ces deux dernières perspectives que, de Metz où elles ont eu un grand succès auprès des Médiomatriques, je les ai moi même abordées.

Dijon et le XIVe colloque

Les scènes du quotidien et Dijon

6Avant même de retracer les grandes lignes de l’évolution historiographique, et plus particulièrement dans le cadre de la présence du quotidien dans la sculpture sur pierre de la Gaule du Nord-Est, je voudrais souligner combien le choix de Dijon et du visuel choisi pour le colloque, la stèle du marchand de vin, même si le monument choisi a été retrouvé à une trentaine de kilomètres au nord de Dijon, était en parfaite adéquation avec le thème retenu, Iconographie du quotidien. Jusqu’à présent, en dépit de sa cohérence, celui-ci n’est apparu que de façon accessoire dans les treize colloques précédents.

7Mais, en parcourant les riches collections muséographiques et l’exposition Pax Romana, nous avons pu vérifier une fois de plus combien, dans l’espace qui s’étend des Bituriges aux Germanies, de l’Autunois au Soissonnais (fig. 1), ce thème a rencontré une réelle faveur dans la sculpture régionale. Scènes de repas, de métier, de toilette, de voiturage mais aussi couples et familles dans leur gestuelle, leur tenue et leur parure, outils, instruments de musique, autant d’éléments qui permettent de brosser des tableaux concrets et expressifs. Ils doivent beaucoup, dans toutes les cités antiques de cette grande région, en Bourgogne mais aussi en Champagne et en Lorraine, à l’abondance sur les plateaux jurassiques d’une pierre de grande qualité, d’extraction facile.

Fig. 1. Principaux sites de découvertes de scènes du quotidien en Gaule du Nord-Est.

8Pour ce XIVème anniversaire, Fortuna elle-même semble avoir favorisé Dijon. En ouvrant à Arles le Xème colloque, M. Hainzmann appelait de ses vœux une collaboration plus étroite entre épigraphistes et historiens d’art. Depuis, la publication par l’archéologue St. Venault, Y. Le Bohec (pour les inscriptions) et S. Deyts (pour la sculpture) des découvertes faites à Autun à la nécropole de Pont-l’Évêque répond pleinement à cette attente. On peut féliciter les auteurs de la célérité avec laquelle ils ont mené à bien l’étude épigraphique et iconographique des monuments que l’excursion prévue au programme a permis d’apprécier. Pour rester dans le domaine de l’épigraphie, mais sans quitter Dijon, on sait combien les marmorarii, lapidarii, sculptores/scalptores et autres artisans de la pierre ont été des plus discrets dans le monde romain.

  • 1 CIL, XIII, 5475 (ILS, 7048a) = ILingons, 52 = CAG, 21-02, p. 282  : Divio.
  • 2 AE, 2007, 963 Augustodunum.

9Or, Divio a la chance de posséder l’inscription votive adressée à Iuppiter Optimus Maximus et à Fortuna Redux pour la préservation - pro salute - de leur patron par ses clients lapidarii1, et à Autun en 2004 a été dégagée l’épitaphe sur un autel funéraire de l’operarius Sacilus lapidarius2.

Fig. 2. Le monument (mutilé) du marchand de vin de Dijon.

Le monument du marchand de vin, représentatif du contexte des recherches

10Le monument dit « du marchand de vin », si souvent reproduit mais si souvent aussi de manière partielle, permet de revenir sur un certain nombre de réserves méthodologiques qui semblent nécessaires pour un usage véritablement scientifique du quotidien dans l’art provincial. Particulièrement étudié par S. Deyts (Deyts, 1976), un des plus célèbres de la belle collection du musée de Dijon, il est tout à fait emblématique à plus d’un titre des scènes du quotidien en Gaule romaine ou, plus exactement, des scènes du quotidien telles qu’elles sont figurées dans l’art gallo-romain et telles qu’elles apparaissent dans le discours scientifique. Les hasards des réemplois et des découvertes ont fait parvenir jusqu’à nous une « scène de rue » (fig. 2 et 3).

11De prime abord, il est représentatif de l’état des documents livrés à l’exégèse, jamais intacts, rarement complets, ayant souvent perdu leur inscription et la polychromie susceptible tout à la fois de « masquer » des défauts mais aussi, ce qui n’est pas négligeable en termes de réception des images, d’attirer le regard sur tel ou tel détail. C’est là un fragment d’un monument funéraire, type de lapidaire qui, piliers, autels, cippes, stèles confondus, est le support privilégié, sinon des représentations du quotidien (les mosaïques, les enduits peints ont eu également recours à cette thématique), tout au moins des analyses les concernant.

12Or, appartenir à la catégorie funéraire introduit nécessairement des interrogations sur le symbolisme, sur les rapports entre les morts et les vivants, interrogations qui, au-delà de la lecture immédiate, font elles aussi partie du quotidien. Son iconographie place le monument du « marchand de vin » dans la série bien fournie d’images de la vie « courante », et, de surcroît, dans la catégorie la plus riche, celle des scènes d’artisanat et de commerce.

13Retrouvé à une trentaine de kilomètres de Dijon, à Til-Châtel, le monument du marchand de vin provient d’un milieu urbain, d’une agglomération secondaire. Il est ainsi tout à fait représentatif de l’état de la question puisque la majorité des monuments sculptés de ce type a été exhumée dans des centres urbains, capitales de province (Reims) ou de cité (Langres, Metz, Trèves, Besançon) mais aussi agglomérations secondaires (Dijon certes, mais aussi Arlon, Auxerre, Saulieu, Saverne, La Bure, Soulosse, Entrains, Le Hérapel…). Aujourd’hui, le corpus mérite certes d’être jugé « urbain » mais c’est là d’abord un effet de source. La colonne d’Igel, seul monument de ce type ainsi décoré encore in situ, et les récentes découvertes de Durbach dans l’Eifel suffisent à prouver que les riches propriétaires fonciers, pour leurs imposants mausolées, ont puisé non seulement dans la sculpture mythologique érudite mais aussi dans les réalités plus ordinaires. Pas plus ici qu’en Italie (Zimmer, 1982), l’iconographie dite du quotidien ne saurait être considérée comme l’apanage d’un « art plébéien » et des seules catégories moyennes de la population. Au même titre que les scènes de toilette étudiées par J. Guerrier-Delclos (Guerrier-Delclos, 1978), celle-ci, contrairement à la règle générale, ne semble pas inspirée de modèles venant de Rome ou d’Italie.

Fig. 3. Le monument du marchand de vin de Dijon : proposition de restitution de l’ensemble par S. Deyts.

14Mais le monument ne laisse pas voir qu’il provient d’une nécropole de la station de Tilena, mentionnée sur la carte de Peutinger, alors que la grande majorité du corpus a été réemployée pour édifier des remparts. Issu de découvertes anciennes, dépourvu de tout contexte stratigraphique et d’inscription, ce monument témoigne bien des difficultés ordinaires de datation d’une grande partie de l’iconographie du « quotidien », presque toujours faite de membra disiecta. D’autres scènes et lesquelles complétaient-elles celle-ci, obligeant à d’autres interprétations, à d’autres conclusions, à d’autres restitutions ?

15Bref, d’évidence, le monument du marchand de vin, et pas davantage le petit millier de représentations du « quotidien » et plus encore les études menées, ne montrent qu’une partie de ce « quotidien ». En effet, deux pans importants de la vie des Gallo-romains tiennent peu de place dans ces représentations, la vie religieuse et le loisir. Dans ce monde d’images, le negotium l’emporte largement sur l’otium. Par ailleurs, dans la mesure où l’essentiel des représentations se situe du milieu du iie siècle au milieu du iiie siècle, c’est en extrapolant que nous parlons des scènes du quotidien en Gaule romaine. Autrement dit, les chercheurs ne disposent, en fait, que d’une séquence chronologique et d’une vision partielle. Pourtant, il a longtemps été admis que ces scènes correspondaient à autant d’instantanés pris sur le vif à Divio, Augustodunum, Agedincum ou Divodurum… Or, l’historiographie d’un demi-siècle de recherches incite à nuancer le propos.

Un demi-siècle de recherches sur l’iconographie du quotidien

16Même si dans La tombe gallo-romaine J.-J. Hatt (Hatt, 1986) s’était intéressé à ce type de représentations, si F. Braemer (Braemer, 1959) avait analysé de près le corpus de Bordeaux, et si le banquet funèbre avait suscité d’importantes études outre-Rhin, c’est à partir des années 1970 que la thématique du quotidien a fait naître un nombre considérable d’études fructueuses. Toutefois, dans le cadre des colloques sur l’art provincial, elle n’a jamais été abordée pour elle-même.

17Il ne saurait être question ici de traiter de toute la Gaule, et nous nous sommes limitée aux recherches, et elles sont fort nombreuses, portant sur le nord-est. Mais, même dans cet espace, aucune synthèse sur l’ensemble des reliefs conservés n’a encore abouti. Les travaux majeurs portent, en effet, soit sur le secteur rhénan et un type de scène ; soit les repas funèbre, repas de famille (Noelke, 2005 ; Colling, 2011), soit sur les scènes d’artisanat et de commerce (Reddé, 1978 ; Pannoux, 1985 ; Béal, 2000 ; Demarolle, 2001a ; Langner, 2001), soit sur tous les types de scènes mais dans un espace restreint (Baltzer, 1983 ; Freigang, 1997).

L’apport des recherches en histoire de l’art

18La priorité a longtemps été donnée à la grande sculpture architecturale et en ronde-bosse, qui offre des critères stylistiques de datation plus apparents. Quant aux classifications établies depuis M. Baltzer, elles ont avant tout pris en compte la typologie des monuments (stèles, piliers, autels), celle de la représentation des défunts (en pied, en buste), celle des décors architecturaux, et les catégories de sujets (vie privée, vie professionnelle) dans une double perspective, affiner les datations (Baltzer, 1983 ; Numrich, 1997), établir la « généalogie » de la figuration, mesurer la part respective de l’apport « romain » et du fonds « indigène ».

19Plus récemment, le travail des chercheurs a porté essentiellement sur l’identification et la datation d’ateliers régionaux, en Bourgogne du sud, chez les Séquanes, chez les Bituriges et chez les Leuques. En scrutant les rapports entre la sculpture architecturale et la sculpture funéraire (Hatt, 1986 ; Walter, 2000 ; Deyts, 2010), en s’attachant de plus près à des détails techniques (Moitrieux, Castorio, 2010 ; Coulon, Deyts, 2012 ; Deyts, 2013), une distribution géographique des ateliers et des transferts entre ateliers des capitales (Trèves, Autun) et ateliers des vici (Nuits-Saint-Georges, Arlon,) ont pu être mis en évidence ici (style de la Côte) et dans les Germanies (Noelke, 2006). De jeunes chercheurs de l’Université de Bourgogne, qui sont intervenus durant le colloque, prennent la relève, sur les ateliers de sculpture des Éduens et des Lingons et sur les monuments funéraires de ces deux cités.

20L’ensemble des travaux souligne l’inventivité des artisans aussi bien dans la typologie des monuments (cippe demi-cylindrique propre à une partie de la Trévirie), que dans la gestuelle. Il met aussi en valeur l’importance des variations régionales (contrairement aux Trévires et aux Médiomatriques, les Éduens, les Lingons et les Séquanes ont peu employé les éléments architectoniques) et celle des contraintes « techniques ». Représenter les personnages en buste (fig. 4) plutôt qu’en pied dépend peut-être plus de la difficulté de tailler une pierre dure que du choix délibéré d’un modèle italien.

21Pour l’instant, toutes les régions ne bénéficient pas d’inventaires exhaustifs, ce qui limite l’avancée des investigations sur la mobilité des artisans et la diffusion de cartons à l’échelle de grands ensembles, sachant toutefois que nombre d’artisans dont on retrouve des monuments en cours d’exécution dans de modestes sites campagnards ne sont intervenus que localement.

L’apport des recherches en histoire socio-culturelle

22Les historiens de la société gallo-romaine, et ce dès Camille Jullian, ont vu quant à eux dans les scènes du quotidien, une source magistrale documentant les croyances funéraires, le monde du travail, la célébration sociale.

23C’est essentiellement l’iconographie de la face antérieure, où les défunts apparaissent dans des poses (en pied, en buste, à table), des tenues, des gestuelles et avec des attributs stéréotypés (poculum, mappa, flacon, tablettes…) qui a suscité les interrogations et alimenté les débats (à propos par exemple du gobelet que tiennent les défunts) en glissant du registre symbolique de la mort et de la vie future à celui de l’identité culturelle.

Fig. 4. Défunts en buste (nécropole d’Autun, Pont-l’Évêque) (© Loïc de Cargouët, Inrap).

24Mais c’est le décor de l’ensemble du monument qui a été pris en compte pour étudier les deux autres domaines (Reddé, 1978 ; Pannoux 1985 ; Béal, 1996 ; Freigang, 1997 ; Noelke, 2000 ; Demarolle, 2007 ; Colling, 2011) en privilégiant deux sujets, les scènes de repas et les scènes de métier. Ces travaux ont eu pour contexte de recherche les hypothèses sur la culture « plébéienne » de R. Bianchi-Bandinelli (Bianchi-Bandinelli, 1969) et de P. Veyne (Veyne, 2000), la thèse de G. Zimmer (Zimmer, 1982) qui les réfute, le développement d’une histoire sociale de l’art et les propositions de P. Zanker (Zanker, 1987) sur la nature sociologique des images romaines, avant de tirer parti des pistes ouvertes en matière de sémiologie des images par R. Barthes et T. Hölscher.

25Ces travaux ont mis en évidence que ces représentations sont autant de « mises en scène » hybrides. Elles associent des éléments précis de réalisme (validés par l’archéologie, voire par l’archéologie expérimentale pour le vallus) indispensables pour assurer la lisibilité des messages, à divers codes à l’œuvre dans tout l’Empire (enfant entre ses parents, tibicen tenant son instrument au lieu d’en jouer…). Les éléments réalistes témoignent de l’inventivité des artisans, qui n’ont pas copié servilement les modèles venus d’Italie, et de l’attachement au fonds autochtone.

Fig. 5. Face latérale gauche du monument funéraire messin d’un entrepreneur, materiarius et pistor (© Musée de la Cour d’Or, Metz Métropole/L. Kieffer).

Fig. 6. Face latérale droite du monument funéraire messin d’un entrepreneur, materiarius et pistor (© Musée de la Cour d’Or, Metz Métropole/L. Kieffer).

26Mais il ne faut pas s’attendre à un panorama complet du monde professionnel puisque quelques secteurs (travail, du métal, du bois, de la pierre, du textile) ont été privilégiés, que les scènes de commerce l’emportent sur celles de production, que le monde agricole est pratiquement absent. Le niveau économique des activités - de modestes artisans, des « entrepreneurs » (fig. 5 et 6) - et le niveau social des commanditaires, uniformément drapés dans des vêtements « indigènes », soucieux d’une respectable autocélébration, restent objet de débats (Béal, 1996 ; Freigang, 1997).

27Ces approches, loin d’être exclusives, sont complémentaires. Les scènes de voiturage empruntent au quotidien la caisse tressée d’osier et aux conventions esthétiques le pas de parade des chevaux (Raepsaet, 2001) mais « récupèrent » peut-être aussi dans les pays celtes (Gaule, Pannonie) à l’époque romaine une partie de la symbolique du char de combat de l’aristocratie celte (Freigang, 1997).

Et maintenant ? En guise de conclusion…

28Tous les deux ans les colloques sont l’occasion non seulement d’approfondir le thème retenu mais aussi de revenir sur des questions d’importance fondamentale pour les progrès des recherches, questions liées à de récurrentes difficultés.

Relectures

  • 3 IKöln, 436 = Grabstelen, 114 = AE, 2012, 974 : Colonia Claudia Ara Agrippinensium.

29Reprendre sans relâche la lecture de l’iconographie du quotidien dans un souci constant d’approfondir, voire de renouveler les identifications et les interprétations est une nécessité. Deux exemples récents peuvent étayer mon propos. Les enfants de la scène dite « repas des parents et des enfants » (fig. 7) sur un cippe d’Arlon viennent d’être reconnus par C. Vendriès (Vendriès, 2013) comme de jeunes esclaves, dont un tibicen. On passe d’un repas célébrant la famille au sens d’aujourd’hui à une scène mettant en exergue la familia, l’aisance, la culture « romaine ». En revenant sur la stèle tout aussi célèbre de Severina, la nutrix de Cologne3, U. Rothe (Rothe, 2009) vient de démontrer que le monument a été érigé pour Severina et non par elle.

Fig. 7. Cippe d’Arlon (© Musée de la Cour d’Or Metz Métropole/L.Kieffer).

Fig. 8. Face principale du monument funéraire de Caratullius (© Musée de la Cour d’Or, Metz Métropole/L. Kieffer).

Qu’attendre de l’épigraphie ?

  • 4 AE, 1976, 484 = CAG, 57-02, p. 188 : Divodurum : […]/Caratullio Cintussi ilio/neg (otiatori) artis (...)

30Le monument de Cologne précise le métier de Severina, tout comme celui de Caratullius (fig. 8) à Metz. Dans ces deux exemples, l’inscription complète l’image ; la représentation du Médiomatrique, arborant fièrement chaîne et cadenas, ne permet pas de trancher : est-il fabricant, est-il fabricant/commerçant ? La dédicace fait voir en lui un marchand en gros puisqu’il se présente comme negotiator artis clostrariae4. Malheureusement, la majorité des inscriptions est très laconique et ne précise pas souvent le métier exercé. Et lorsqu’elle le fait, la polysémie des mots, comme vestiarius, ne facilite pas l’interprétation. En matière de datation, en dépit de tous les progrès, le chercheur doit se contenter de larges fourchettes : première moitié du iie siècle pour les stèles d’Autun (Pont-l’Évêque), d’environ 150 à environ 240 p. C. pour la majorité des reliefs.

De nécessaires élargissements

31Des élargissements semblent souhaitables pour mieux appréhender le quotidien de la Gaule romaine, puisque les colloques portent sur l’art provincial dans ses diverses expressions.

32Au-delà de la sculpture funéraire (cippes, stèles, piliers, sarcophages), la sculpture religieuse mérite d’être prise en considération. En dépit d’une nouvelle découverte, l’identification de la scène retrouvée à Grand au xixe siècle (fig. 9) (divinité ?, fabrication de savon, de remèdes, de fromage ?) reste incertaine.

33Et d’autres types de supports (sculpture en bois, enduits peints, mosaïques, céramique sigillée et médaillons d’applique), permettent d’enrichir les données et les confrontations. Enfin, d’autres aspects de l’iconographie du quotidien doivent être abordés et ce fut justement un des acquis majeurs de cette rencontre puisque des communications sur le sport, l’ars medica, le quotidien du soldat, la vie intellectuelle étaient annoncées. Ces élargissements n’ont pas manqué de mettre en exergue, à l’instar des sujets déjà bien étudiés, les valeurs d’adoption et d’adaptation qui font la richesse de la « romanisation ».

De nouveaux instruments de recherche

34Pour si diversifiées qu’elles soient, les scènes du quotidien que donnent à voir les reliefs du nord-est de la Gaule ne peuvent livrer tout leur potentiel scientifique qu’en les replaçant dans le cadre de l’Empire, pour constituer des séries et multiplier les comparaisons pertinentes. Nous savons ce que nous devons aux remarquables entreprises du CSIR et du Nouvel Espérandieu. En publiant voici cinq ans le volume consacré à Toul et à la cité des Leuques, G. Moitrieux et J.-N. Castorio (Moitrieux, Castorio, 2010) ont quintuplé le nombre de notices rassemblées par le commandant Espérandieu et le progrès, bien entendu, n’est pas que quantitatif. Un tel travail fait cruellement ressentir l’absence de volumes semblables pour les autres cités du Nord-Est. Mais ayons foi dans l’avenir : le Nouvel Espérandieu, dirigé par H. Lavagne, doit compter vingt volumes, Internet propose en ligne deux instruments de travail, la base VBI ERAT LVPA et l’« Ancien Espérandieu ». Par ailleurs, les collections de nombreux musées sont en cours de numérisation. Mais l’accroissement des données ne portera ses fruits que si les colloques sur l’art provincial favorisent les décloisonnements entre histoire de l’art et histoire, entre épigraphie et iconographie et si l’audience des bibliographies dépasse les frontières nationales. Il est grand temps maintenant de donner la parole aux spécialistes.

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Fig. 9. Scène religieuse (?) retrouvée à Grand au xixe siècle (Musée d’Épinal. © MDAAC Épinal. Photo J. Laurençon, CGV).

Bibliographie

Éléments de bibliographie

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Notes

1 CIL, XIII, 5475 (ILS, 7048a) = ILingons, 52 = CAG, 21-02, p. 282  : Divio.

2 AE, 2007, 963 Augustodunum.

3 IKöln, 436 = Grabstelen, 114 = AE, 2012, 974 : Colonia Claudia Ara Agrippinensium.

4 AE, 1976, 484 = CAG, 57-02, p. 188 : Divodurum : […]/Caratullio Cintussi ilio/neg (otiatori) artis clostrariae h (eres) p (onendum) c (uravit).

Table des illustrations

Légende Fig. 1. Principaux sites de découvertes de scènes du quotidien en Gaule du Nord-Est.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/1615/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 200k
Légende Fig. 2. Le monument (mutilé) du marchand de vin de Dijon.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/1615/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 1012k
Légende Fig. 3. Le monument du marchand de vin de Dijon : proposition de restitution de l’ensemble par S. Deyts.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/1615/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 192k
Légende Fig. 4. Défunts en buste (nécropole d’Autun, Pont-l’Évêque) (© Loïc de Cargouët, Inrap).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/1615/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 212k
Légende Fig. 5. Face latérale gauche du monument funéraire messin d’un entrepreneur, materiarius et pistor (© Musée de la Cour d’Or, Metz Métropole/L. Kieffer).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/1615/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 548k
Légende Fig. 6. Face latérale droite du monument funéraire messin d’un entrepreneur, materiarius et pistor (© Musée de la Cour d’Or, Metz Métropole/L. Kieffer).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/1615/img-6.jpg
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Légende Fig. 7. Cippe d’Arlon (© Musée de la Cour d’Or Metz Métropole/L.Kieffer).
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Légende Fig. 8. Face principale du monument funéraire de Caratullius (© Musée de la Cour d’Or, Metz Métropole/L. Kieffer).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/1615/img-8.jpg
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Légende Fig. 9. Scène religieuse (?) retrouvée à Grand au xixe siècle (Musée d’Épinal. © MDAAC Épinal. Photo J. Laurençon, CGV).
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/1615/img-9.jpg
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