1Je ne définirai pas ici le complexe chasséen, ce qui, par ailleurs, est fait avec brio dans le présent ouvrage. En 1864, sur la colline de Chassey étaient mis au jour les premiers tessons de ce qui deviendra, au milieu du xx^e s., l’un des grands sites éponymes du Néolithique français. De nombreux préhistoriens se sont penchés sur Chassey parmi lesquels figurent J. Déchelette, V. G. Childe, J. Arnal, l’Abbé Joly et enfin, J.-P. Thevenot qui publie en 2005 sous peu la synthèse d’un siècle et demi de travaux (Thevenot, 2005).

2Chassey, perché sur un plateau qui domine les vallées de la Dheune et de la Saône, est donc un site bourguignon. Mais, à ce jour, Chassey apparaît encore comme un îlot isolé entre nord et sud, entre le Bassin parisien et la dense occupation chasséenne de la vallée du Rhône. Hormis les informations issues de la Bassée, nos connaissances archéologiques sur le Chasséen étaient nulles dans un vaste triangle désertique compris entre Valence (26), Sorel-Mousel (28) et Jonquières (60).

3Progressivement, avec le suivi plus systématique des travaux d’aménagement du territoire, ce désert archéologique se comble. Le présent article se propose de dresser le bilan et les principaux acquis sur le Chasséen dans le bassin de l’Yonne.

Bilan archéologique

4En 1956, G. Bailloud reprend les collections de l’abbé Parat provenant de fouilles dans la vallée de la Cure (Bailloud, 1956). À Nermont (Yonne), il identifie un petit fonds chasséen de céramiques et d’industrie lithique mêlé à du mobilier d’autres cultures. Cette occupation intègre le Chasséen septentrional à la faveur de la première synthèse écrite sur le Néolithique du Bassin parisien (Bailloud, 1964). Les fouilles, puis la publication de Noyen (77) (Mordant, 1977) à la fin des années 70 permettent d’identifier une présence chasséenne non loin de la confluence Seine/Yonne (Henocq-Pochinot, Mordant, 1991). Sans doute est-ce la publication de Noyen qui incite H. Carré en 1977 à poser la question d’éventuels vases chasséens dans l’Yonne (Carré, 1980). En 1991, avec J.-P. Thevenot, nous avons tenté de préciser la séquence chronologique bourguignonne en considérant les nouvelles découvertes relatives au Néolithique moyen de Bourgogne (Prestreau, Thevenot, 1996). Aujourd’hui, à la lumière des fouilles de ces 20 dernières années, il devient possible d’affirmer une forte présence géographiquement contrastée du Chasséen dans l’Yonne.

Les sources documentaires

5Depuis le début des années 1980, le suivi des carrières et autres vastes aménagements qui dévorent de grandes surfaces a essentiellement bénéficié à la partie nord du département. Dans une zone comprise entre Villeneuve-la-Guyard et Auxerre, l’archéologie en carrières de granulat a multiplié les découvertes.

6En 2004, on dénombre dans la vallée de l’Yonne dix-huit points de découvertes qui se rapportent au Chasséen (fig. 1). La considération de ces découvertes varie beaucoup selon qu’il s’agit de tessons isolés ou de sites fouillés partiellement. À cet égard, on se rapportera à l’annexe qui décrit la nature de la documentation disponible.

7Une récente maîtrise soutenue à l’Université de Bourgogne (Frochot, 2002) montre cependant que la documentation concernant les plateaux environnant la vallée de l’Yonne est considérablement sous-estimée. Ce mémoire universitaire dresse un bilan intéressant des prospections systématiques de D. Peretto sur les hauteurs autour de Villeneuve-sur-Yonne. Plusieurs dizaines de sites livrent un mobilier lithique évoquant le Néolithique moyen sans qu’il soit possible d’en préciser l’attribution culturelle avec certitude. Toutefois, l’assemblage lithique est souvent conforme à celui inventorié sur les enceintes chasséennes de plaine (armatures, débitage laminaire…).

8Parmi les dix-huit gisements avec mobilier chasséen en vallée, deux ne livrent qu’un vase ou fragment de vase chasséen isolé, sans contexte précis. Il s’agit de Villemanoche et de Villeneuve-sur-Yonne. Le contexte funéraire est représenté par les sites de Monéteau, Bonnard, Saint-Denis-lès-Sens, Passy et Chichery. À Gron, Passy, il s’agit de nappes de vestiges. Ajoutons les sites livrant une stratigraphie ou une chronologie relative : Beaumont et Champlay. Vinneuf et Saint-Moré entreraient dans cette catégorie si les observations effectuées étaient fiables. Signalons le contexte des enceintes avec Beaumont (au moins 2 sur les 3), Monéteau et Esnon.

9De cette liste ne restent que Beaumont, Esnon, Champlay, Monéteau qui livrent des éléments fiables en quantité suffisante. Les deux enceintes de Beaumont représentent à elles seules, plus de 50 % du mobilier chasséen exhumé dans l’Yonne.

10Les gisements livrant une documentation fiable et relativement abondante sont tous localisés dans la partie médiane de la vallée de l’Yonne. Or, les zones les plus étroitement surveillées et fouillées se positionnent dans le nord du département.

11Malgré les difficultés éprouvées pour rassembler des ensembles cohérents, il apparaît que le mobilier montre une certaine homogénéité tant en ce qui concerne l’industrie lithique que la production céramique.

Hypothèses chronologiques

12La question du Chasséen dans l’Yonne n’a que peu été abordée. Les ensembles n’apparaissaient pas en quantité suffisante pour alimenter le débat sur l’extension du complexe chasséen. On peut donc résumer ainsi les quelques lignes directrices dégagées à la fin du xx^e s. :

• Il existe une courte phase chasséenne qui s’intercale entre le Cerny et le groupe de Noyen ; la vallée de l’Yonne servant de voie de passage vers l’expansion septentrionale du Chasséen (Mordant, 1977).

• On ne peut considérer le cours de l’Yonne comme un seul et même bloc homogène sur le plan culturel. Le Chasséen pénètre tôt dans le cours aval du bassin de l’Yonne. Pour autant, dans la zone de confluence Seine/Yonne, le Cerny semble résister aux avancées chasséennes (Prestreau, Thevenot, 1996).

13En résumé, les découvertes des années 80 permettent de proposer un « passage » du Chasséen sur le cours de l’Yonne, mais l’importance et la durée du phénomène restent à évaluer. Cette question reste tributaire de la durée des unités culturelles qui encadrent le Chasséen. Or la durée de ces dernières, que ce soit le Cerny avant ou le groupe de Noyen après, ne fait pas l’objet d’un consensus de la part de la communauté archéologique.

Le Chassén icaunais

Les vestiges immobiliers

14On distingue quatre types de vestiges très inégalement documentés.

Les enceintes

15Une trentaine d’enceintes, vraisemblablement néolithiques, sont connues dans le bassin de l’Yonne. Quatre relèvent du Chasséen avec certitude : Beaumont (2), Esnon et Monéteau. Sur une base de comparaison morphologique, on peut proposer que les enceintes de Chemilly, Cheny, Escolives-Sainte-Camille « le Moulin », Gurgy « le Nouzeau », voire Chablis « la Fontaine de Teigneuse » et Chichery « le Bois des Patureaux » sont aussi chasséennes (Prestreau, 2003). On peut donc évaluer à une petite dizaine le nombre des enceintes de plaine attribuables à cette période.

16Ces enceintes délimitent une surface d’environ 5 à 6 hectares. Elles comprennent un fossé composé de fosses parallélépipédiques irrégulières (érosion ?) doublé d’une palissade interne. Les entrées montrent des dispositifs complexes de protection. À l’intérieur, lorsque les données de fouilles le permettent, on a reconnu de nombreuses structures archéologiques.

17La documentation concernant les camps de hauteur demeure très limitée bien que les plateaux livrent de nombreuses traces d’occupation datant du Néolithique moyen ou récent. On peut citer les occupations de hauteur de Saint-Julien-du-Sault, Villeneuve-sur-Yonne, Les Bordes, Dixmont, Avrolles où l’association avec des structures défensives n’est pas clairement attestée mais où existent de fortes présomptions.

Les tombes et nécropoles

18L’un des points forts de cet inventaire est de mettre en évidence un potentiel connu mais rarement mis en perspective.

19Monéteau, bien que de découverte récente, reste la seule nécropole chasséenne connue (Augereau, Chambon, à paraître). À l’intérieur d’une enceinte palissadée, environ vingt tombes réparties en deux emplacements distincts attestent de coutumes funéraires peu documentées dans le Bassin parisien.

20Autour des camps de Beaumont qui s’appuient sur la rive gauche de l’Yonne et sur la rive droite du Serein, on peut aussi étudier le rituel funéraire chasséen. Ainsi, à Bonnard (infra fig. 10), sur la rive droite du Serein, la nécropole néolithique comportait plusieurs fosses similaires au dire des inventeurs dont une seule a pu faire l’objet d’une étude détaillée. La fosse comportait au moins cinq inhumés, enterrés non simultanément. À Chichery « le Bois des Patureaux », sur la rive gauche de l’Yonne, J.-P. Tainturier puis J.- P. Delor ont exhumé au moins treize sépultures dont deux accompagnées d’armatures chasséennes (fig. 2). Ces sépultures sont disposées en trois lignes, avec une faible différence angulaire entre leur axe d’alignement. Après relecture de ces archives et après avoir pris connaissance des informations concernant les nécropoles de type Passy, J.-P. Delor propose de rapprocher ce cimetière à celui de Passy (communication orale).

21Même si cette proposition peut faire débat, elle lance la question du mobilier chasséen découvert dans les nécropoles de type Passy. À Passy, à Balloy, à Gron, quelques pièces céramiques servent de base à l’attribution culturelle Cerny, bien que la plus grande part de la céramique soit atypique car trop spécifique à ce milieu funéraire. Sans remettre en cause cette attribution, on constate des assemblages lithiques troublants. Les sépultures riches en mobilier (Passy sépultures 4.1, 5.1 6.1, 10.1, 17.4 ; Gron, sépulture 14 ; Balloy sépultures 7, 45) témoignent d’importations technologiques lithiques Rössen ou Épirössen et chasséenne (fig. 2).

22Le rituel funéraire chasséen correspond donc soit à des sépultures individuelles regroupées en petites nécropoles parfois à l’intérieur d’enceintes (Monéteau et peut-être Chichery), soit à des sépultures multiples en fosses, elles aussi regroupées dans de petits cimetières. Les défunts reposent allongés sur le dos ; toutefois, la position latérale, membres groupés, existe. On constate une certaine inégalité de traitement entre quelques sépultures richement dotées de mobiliers et d’autres qui parfois en sont totalement dépourvues. La sépulture de Bonnard qui regroupe cinq individus, dont quatre de sexe féminin, ne comporte aucune armature. Il est donc possible que ces sépultures avec mobilier soient réservées aux hommes et que la chasse soit une activité essentiellement masculine.

L’habitat

23Lors de la fouille partielle en sauvetage de deux des trois camps de Beaumont, C. Pellet et J.-P. Delor ont étudié un enclos circulaire palissadé dont les fossés contenaient peu de céramique mais plus de sept cents pièces lithiques. Cette découverte passée inaperçue mais signalée dès 1981 (Pellet, Delor, 1981a) pourrait être rapportée au Chasséen.

24Par ailleurs, on rappellera que les photographies aériennes montrent à l’intérieur des enceintes la présence d’une dizaine d’enclos circulaires identiques à ceux d’Auneau (Verjux, 1998) ou d’Herblay (Valais, 1995). À Esnon, les photographies aériennes de J.-P. Delor montraient à l’intérieur de l’enceinte un bâtiment circulaire de même type. Partiellement fouillé, ce bâtiment n’a pas pu être daté mais il pourrait être contemporain de l’enceinte chasséenne.

Les nappes de vestiges

25Plusieurs nappes alluviales de l’Yonne ont livré des vestiges chasséens conservés dans le limon sans organisation apparente. Ainsi à Étigny, à Champigny-sur-Yonne, à Monéteau ou à Saint-Denislès-Sens, on constate ces épandages. La difficulté de fouiller de tels ensembles n’en rend pas aisée l’interprétation. Des emplacements de poteaux ont parfois été aperçus mais sans aucune organisation précise. Il est vraisemblable qu’il s’agit là de paléosols partiellement préservés mais aucune étude géochimique n’a jamais été entreprise sauf à Monéteau où le travail de D.E.A. de C. Dagobert (Dagobert, 1999) a démontré que le mobilier chasséen reposait dans un paliosol de même période.

Les productions matérielles

La céramique

26La céramique du Chasséen de l’Yonne se caractérise par des pâtes qui varient du beige au noir. À Beaumont où on reconnaît au moins trois phases, l’ultime étape voit apparaître le rouge, accompagné du dégraissant au silex. Antérieurement, le dégraissant comporte de la chamotte et du calcaire. L’Yonne charrie naturellement du mica. Toutefois, le module des grains observés dans la pâte chasséenne est nettement supérieur à celui des productions antérieures. Il faut donc en déduire l’introduction volontaire du mica dans la composition des céramiques.

27Le traitement de surface est souvent très soigné. Lissages ou lustrages, noir, beige ou gris, apparaissent sur les poteries à paroi fine, voire très fine. Un fin engobe se desquame parfois. Au rebours, il existe une céramique grossière, épaisse, rarement engobée.

28Les principales formes utilisées sont les écuelles carénées ou à simple épaulement, les marmites, quelques vases à ouverture rétrécie (bouteille ?), le plat à pain, le couvercle, la coupe à socle et le petit récipient en forme de tonnelet ou en « U ». La céramique grossière est destinée à des vases à plus forte contenance.

29Les décors sont très rares. On signalera une écuelle carénée décorée de triangles gravés incisés et un plat à pain à décor en soleil (Beaumont). À Esnon, il existe un cas de pastille collée. On constate quelques rares bords cochés. Quatre coupes à socle sont inventoriées dont trois ornées : décor de triangles à Villemanoche, de panneaux en damier de coups de poinçon à Nermont, et registre de panneaux ou de damiers remplis de coups de poinçon à Saint-Denis-lès-Sens.

30Il existe des anses en ruban, tunnelées horizontales ou verticales, à section arrondie rarement prismatique sauf, mais ceci reste à confirmer, dans le stade ultime de Beaumont. On ne trouve pas de flûte de Pan mais quelques petits vases à carène très prononcée multiperforée. Les oreilles, peu abondantes, sont parfois perforées.

L’industrie lithique

31L’industrie lithique est caractérisée par une recherche de produits laminaires. Le silex utilisé reste essentiellement d’origine locale. Très abondant dans le nord du bassin de l’Yonne, il présente de nombreuses gammes de couleurs et de textures. On signalera à Beaumont le débitage du quartz hyalin et celui d’un silex blond miel, inconnu dans le Sénonais avant et après le Chasséen.

32Le grattoir domine, le burin dièdre sur lame est abondant. En sus de ces pièces, la trousse à outils comporte des couteaux à dos, des tranchets, quelques burins d’angle, des pics. Peu de pièces comportent un lustré. Les armatures autres que les flèches restent rares. L’outillage poli est inexistant.

33En dehors des nécropoles, les armatures de flèches sont tranchantes à bords abattus. La retouche semi couvrante est souvent employée et la retouche inverse reste très marginale. Dans les sépultures, dans un contexte souvent mal défini ou Cerny, les armatures évoquent des horizons plus lointains comme la vallée de la Saône ou du Rhône. En effet, des perçantes, losangiques, ovalaires à base rectiligne ou concave, des triangulaires ont été exhumées. Le façonnage de ces pièces résulte de retouches semi couvrantes, parfois bifaciales.

La matière dure animale

34L’industrie osseuse comporte une gamme très variée de poinçons sur épiphyse d’ovicapridés ou de cervidés, des lissoirs, des baguettes fendues, des bagues en os, des défenses de sangliers ou des canines de canidés perforées.

35Nous ne disposons pas d’analyses environnementales sur le milieu naturel dans lequel évoluaient ces Chasséens. T. Poulain a étudié la faune des deux fosses de Beaumont fouillées par l’Abbé Merlange (fig. 9). Du sommet (C1) à la base (C5) ces deux fosses restent la principale base documentaire pour l’étude du Chasséen de l’Yonne (cf tableau ci-dessous).

36De petites variations apparaissent entre la couche 5 et la couche 1. De la base au sommet, le rapport entre les trois grands herbivores domestiques reste constant. La proportion d’animaux chassés s’avère importante. Comparé aux grands sites du Néolithique moyen du nord de la France, Beaumont s’apparente de ce point de vue à Mairy, site Michelsberg des Ardennes, seul gisement où le taux d’animaux chassés est aussi élevé (Arbogast et alii, 1991).

37Le cheptel des ovicapridés s’avère important et traduit vraisemblablement un mode de vie où le pastoralisme joue un rôle non négligeable. Dans l’avenir, il faudra mieux cerner ce rapport entre société agricole et société pastorale pour affiner nos connaissances sur la seconde moitié du Néolithique.

Les repères chronologiques

Le radiocarbone

38Les datations chronologiques obtenues pour le Chasséen de l’Yonne sont les suivantes :

39Ces données paraissent difficilement exploitables car le taux de dispersion est important. On peut toutefois caler entre 4250 et 3900 la période de présence chasséenne.

Les associations de mobilier

40Les associations entre le mobilier chasséen et celui d’autres cultures permettent d’émettre des d’hypothèses relatives à la position chronologique du Chasséen.

41Le plus ancien témoin chasséen reste vraisemblablement la cuiller de Molinons. Inconnue en milieu Cerny, une cuiller est en effet associée au reste du mobilier. Bien que comportant peu des signes distinctifs du Cerny de plaine, nous avons proposé d’attribuer au début de ce groupe le mobilier de Molinons (Prestreau, 2004).

42Le mobilier des tombes des structures de type Passy illustre la notion de contacts interculturels. Dans la sépulture 4.1 de Passy, on trouve une série d’armatures Cerny, Rössen et chasséennes. Cet assemblage se reproduit à Balloy, Gron, Chichery. À Passy, dans une cuvette, nous avons mis au jour à 500 m de la nécropole à monuments funéraires, un vase à épaulement étroitement mêlé à deux vases Cerny (Prestreau, Duhamel, 1991).

43L’association de plusieurs types de mobilier chasséen (céramique, industrie lithique…) demeure rare. À Champlay « les Carpes 2 », le mobilier chasséen était étroitement mêlé à des productions Épirössen (fig. 11). À Vinneuf, le même type d’association semble se répéter, mais cette fois entre Cerny et Chasséen. Cette stratigraphie reste très contestée sans doute à tort (Carré, 1991) (fig 16). Pour mémoire, on rappellera l’association entre mobilier Cerny et Épirössen de Gisy-lès-Nobles (Duhamel, Prestreau, 1997).

44En résumé, le Chasséen couvre l’ensemble de la séquence chronologique du Rössen et de l’Épirössen du Bassin parisien. Le Cerny est contemporain de la fin du Rössen et pour partie du début de l’Épirössen. On posera donc l’hypothèse que dans le bassin de l’Yonne, les populations Cerny sont supplantées progressivement par des populations chasséennes à la fin du Rössen dans le sud du département et au cours de l’Épirössen dans le nord.

Rapport avec le Chasséen de Chassey et le Chasséen sptentrional (fig. 3)

45Il demeure difficile de préciser ce qu’est le Chasséen de l’Yonne en raison de l’absence de grands ensembles de référence et de l’importante plage chronologique couverte. Seul le camp de Beaumont offre des séries conséquentes qui supportent une comparaison. Tentons toutefois de préciser les contours de ce Chasséen en se basant sur la série de Beaumont mais pas uniquement.

Rapport avec Chassey

46Le Chasséen de l’Yonne partage beaucoup de points communs avec le site éponyme. En 1991, avec J.-P. Thevenot, nous n’avions guère hésité à reconnaître cette parenté en assimilant Beaumont à du Chasséen de type Chassey. À la vérité, on distingue beaucoup de points communs :

• sur les questions de l’industrie lithique : débitage laminaire privilégié, avec recherche de belles lames à module régulier, présence de silex blond et quartz hyalin, outillage commun d’armatures tranchantes, burin dièdre sur lame, etc ;

• sur les questions relatives à la céramique : gamme de couleur du noir au gris beige, de vases à paroi externe lissée, voire polie, emploi massif de dégraissant calcite et micas, beaucoup d’écuelles à carène basse, présence de vases à épaulement, de micro-vases, d’assiettes peu profondes, etc.

47Toutefois, des différences apparaissent. Ainsi, le Chasséen de l’Yonne comporte peu d’outillage poli ; fait réel ou supposé ? La céramique s’avère très peu décorée. Les préhensions multiples (barrettes, flûte de Pan, baguettes) sont quasi absentes et les assiettes ne comportent pas de rebord plat.

Rapport avec le Chasséen septentrional

48Le Chasséen septentrional forme un ensemble homogène qui évolue durant environ cinq siècles, ce qui rend difficiles les comparaisons. Si l’on se réfère aux grands sites du nord-ouest de la France, Jonquières, Fort-Harrouard, Compiègne, Boury, etc., le Chasséen de Beaumont montre un lien étroit avec ce qui caractérise la phase ancienne de Jonquières (Blanchet, Petit 1972 ; Bailloud, 1982 ; Blanchet et alii, 1984). Ces deux sites partagent en effet les formes segmentées à carène basse, les plats à pain à cuisson oxydante, les traitements de surfaces lissées ou polies ainsi que la rareté des profils trisegmentés.

49Nous ne disposons pas dans l’Yonne, hors Beaumont, d’ensembles suffisamment représentatifs pour affiner une approche stylistique ou chronologique. Le niveau supérieur de Beaumont semble montrer une évolution assez rapide vers ce qui deviendra le groupe de Noyen. Ceci reste à quantifier par une approche statistique du mobilier. On peut suggérer que le groupe de Noyen recouvre pour partie la séquence chronologique chasséenne telle que présentée dans le nord-ouest du bassin de Paris.

Discussions sur le Chasséen dans l’Yonne (fig. 4)

50En mettant ainsi en perspective les informations recueillies, on peut proposer le schéma d’évolution suivant : le Chasséen fait sentir très tôt son influence, c’est-à-dire dès le début du Cerny. Il est même possible que les courants sud/nord et nord/sud, inaugurés durant le Néolithique ancien, n’aient jamais cessé et que le Chasséen ait ainsi bénéficié des voies ouvertes.

51Dans le sud du département, le Chasséen, en provenance de la vallée de la Saône, débouche tôt (Nermont ?). Si les groupes rubanés sont très implantés au nord d’Auxerre, la colonisation demeure plus difficile à saisir dans la partie méridionale de l’Yonne. Ultérieurement aux sites d’Augy ou de Sainte-Pallaye, les jalons manquent. La présence d’une nécropole de type Passy, fouillée partiellement à Escolives-Sainte-Camille, incite à la prudence sur l’interprétation de la fin de la séquence Cerny. Toutefois, à ce jour, la phase terminale du Cerny représentée par le Barbuise demeure inconnue au sud d’Auxerre.

52Sur la base des assemblages lithiques de certaines sépultures de nécropoles de type Passy, on peut estimer qu’à partir du Rössen II (sépulture 4.1 de Passy) l’influence chasséenne se fait sérieusement ressentir dans tout le bassin de l’Yonne. Selon toute vraisemblance, le bassin amont, jusqu’à la confluence Yonne/Serein passe à cette étape sous le « contrôle » des populations chasséennes qui remontent de la Saône. Le complexe de sites chasséens de Beaumont et alentours, (deux des trois camps et les nécropoles), incite à proposer une occupation de longue durée sur le secteur des confluences Yonne/Armançon/Serein.

53Le Chasséen de la moyenne vallée de l’Yonne montre une très forte parenté avec Chassey bien que les décors céramiques soient rares. Toutefois, il témoigne de contacts avec le milieu Cerny auquel il emprunte les bords cochés, les boutons collés, les grosses anses en ruban de Beaumont (fig. 5, n^o 5 ; fig. 9, F11 ; fig. 6, n^o 9) et d’Esnon (fig. 12, n^o 6), les poignées perforées ou non, et peut-être même les plats à pain.

54L’étude des associations interculturelles de mobilier permet de préciser la position du Chasséen par rapport aux autres courants culturels.

55- Dans le sud du département, jusqu’à la confluence Yonne/Armançon, en raison de l’occupation diffuse actuellement supposée du Cerny, on peut suggérer qu’il recouvre la séquence Rössen rhénane. À Champlay, il est contemporain de l’Épirössen.

56- Dans le nord du département, le mobilier lithique des tombes de Passy ou de Gron montre un Cerny contemporain de la fin du Rössen. À Gisy-les-Nobles, la cohabitation entre Cerny et Épirössen est démontrée. L’Épirössen est donc contemporain du Cerny au nord et du Chasséen au sud. On peut donc en déduire que le Cerny entre Joigny et Montereau offre une certaine résistance à la poussée chasséenne.

57Pour comprendre ce qui se passe ultérieurement, entre 4200 et 3900, on peut avancer au moins deux hypothèses : soit le Cerny perdure et s’achève lors de l’arrivée du groupe de Noyen, soit le Chasséen occupe tout le département, supplantant rapidement le Cerny.

58La seconde hypothèse paraît plus logique pour les raisons suivantes :

• elle concorde avec les séquences chronologiques des régions voisines ;

• elle permet d’introduire une durée de deux ou trois siècles d’occupation durant lesquels, à la faveur de contacts avec le Michelsberg, le Chasséen peut muter pour devenir groupe de Noyen.

59Toutefois, si l’on admet que le Chasséen occupe tout le cours de l’Yonne entre 4 200 et 3 900, comment expliquer la rareté des témoins chasséens dans le nord du département ? On peut avancer plusieurs pistes de recherches. Durant tout le Néolithique moyen II, l’occupation assez dense des plateaux contraste avec la pauvreté des témoins en plaine. Par ailleurs, le Chasséen n’est clairement perçu que lorsqu’il est associé à des enceintes ; dans tous les autres cas, ses traces restent très diffuses. On peut donc proposer deux hypothèses au demeurant compatibles entre elles :

• l’absence de témoins chasséens structurés est due à une faible emprise humaine en vallée car la dégradation climatique rend les plaines peu fréquentables à proximité de la confluence Seine/Yonne. À cet égard, on notera que les siècles entre 4200-4000 paraissent correspondre à une période de régression dans les lacs jurassiens et alpins (Magny, 1995) ;

• le mode de vie des Chasséens, plus fondé sur le pastoralisme, ne laisse que peu de traces. Dans cette hypothèse, seuls les lieux de rassemblements seraient aisément détectables (enceintes) ; ceci n’explique toutefois pas pourquoi l’espace entre Villeneuve-sur-Yonne et Montereau comporte aussi peu d’enceintes inventoriées (sauf Saint-Denis-lès-Sens, Villeneuve-la-Guyard, 3 ou 4, et peut-être Vinneuf).

60Pour conclure sur la séquence chronologique et culturelle, on insistera sur l’étude partielle du niveau supérieur de Beaumont qui montre indiscutablement une mutation vers le groupe de Noyen (introduction du dégraissant au silex, pâte rouge, petits bords rabattus…). Les formes qui semblent caractériser les phases évoluées du Chasséen septentrional paraissent très minoritaires (carènes hautes, profils en Z…) ; les rares dates ¹⁴C ne couvrent qu’environ 200 à 300 ans. Tous ces indices, ainsi que les études produites en Bassée permettent de supposer que le Groupe de Noyen se substitue au Chasséen qui poursuit son évolution dans le nord du Bassin parisien.

61Enfin, il est difficile d’aborder la question de la présence chasséenne dans l’Yonne sans poser la question de la voie de pénétration entre le Chasséen du midi et le Chasséen septentrional. La pénétrante la plus directe entre la Saône et le Bassin parisien n’est pas l’Yonne qui débouche du Morvan, mais l’Armançon qui prend sa source à quelques kilomètres de la Seine et flirte dans son cours aval avec les affluents de la Saône avant de se diriger vers le nord-ouest. Le bassin supérieur de l’Yonne s’ouvre vers la grande plaine parisienne. Géographiquement donc, rien ne s’oppose à ce que le bassin de l’Yonne ait été la voie de passage pour fonder le Chasséen septentrional. Toutefois, les données archéologiques, bien qu’encore fragiles, montrent une situation contrastée. Toute la question est de savoir si la « résistance » supposée des populations Cerny est bien réelle et quelle en est la durée. Si le Cerny perdure à la confluence Yonne/Seine, il peut y avoir gêne ou obstacle au passage. Si, au contraire, le Cerny est rapidement supplanté, alors l’Yonne peut participer avec les rivières du bassin de la Seine (Seine, Armançon, Serein) à ouvrir le passage pour des populations méridionales. Toutefois, bien que l’étude du mobilier issu du Fort-Harrouard (Gauvry, 2001) montre des assemblages peu fiables, il ne faut pas négliger le rôle de la Loire qui atteste de beaucoup de sites chasséens dans sa partie amont, au moins jusqu’au bec d’Allier.

Conclusion

62Le Chasséen du bassin de l’Yonne paraît montrer un taux d’occupation comparable à celui des autres régions du Bassin parisien où il est implanté. Il est particulièrement présent à la confluence entre l’Yonne, l’Armançon et le Serein, comme en témoignent les enceintes documentées de Beaumont, Esnon et Monéteau, les habitats de Champlay et la (ou les) tombe de Bonnard.

63Ce Chasséen, très proche de celui du site éponyme, s’en démarque par certaines originalités :

• assimilation de caractères Cerny marqués (pastilles collées, poignées perforées, grosses anses en ruban, bords cochés...) ;

• absence de certains critères (décors, assiettes à marli ornées, anses multiperforées…).

64Par ailleurs, à Beaumont, les informations recueillies sur deux des trois enceintes attestent d’au moins trois installations distinctes dans le temps, ce qui traduit une longue durée d’occupation. L’examen du mobilier céramique incite à paralléliser ces installations aux phases anciennes du Chasséen du Bassin parisien. La phase ultime, qui reste à caler dans le temps, marque une nette évolution vers le groupe de Noyen.

65Ce Chasséen entretient des relations avec le Cerny d’une part, avec l’Épirössen d’autre part ; il reste cependant à évaluer avec précision la durée de ces cohabitations. Dans un second ou troisième temps, on supposera que le Chasséen supplante le Cerny et que pendant les deux ou trois siècles durant lesquels il contrôle le bassin de l’Yonne, il entre en contact avec le Michelsberg pour devenir groupe de Noyen.

66Enfin, l’éventail des rivières du bassin de l’Yonne est une voie de passage naturelle entre le sillon rhodanien et le Bassin parisien. Toutefois, il est difficile de cerner avec exactitude le rôle de ce bassin dans la constitution du Chasséen septentrional. Cette étude permet d’ajouter à l’axe de passage du Bassin de la Loire celui du Bassin de l’Yonne, en insistant sur le rôle méconnu mais vraisemblablement majeur de l’Armançon.