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Le XIXe siècle et les débuts de la recherche archéologique en Haute-Saône

p. 11-29

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Mots-clés : Préhistoire, paléontologie, XIXe siècle


Texte intégral

1« Un éclat de silex taillé est pour l’antiquaire une preuve aussi certaine de la présence de l’homme que l’étaient pour Robinson les traces de pas empreintes sur le sable », sir John Lubbock lord Avebury, cité par Achille Bouillerot, 1875.

2En Haute-Saône, la recherche archéologique, dans le sens de préhistorique qu’elle prendra par la suite, a peut-être montré au départ, dans le cours du XIXe s., un cheminement un petit peu plus lent que dans le reste de la France, mais les échos des découvertes et des controverses arriveront jusqu’au plus profond des campagnes de la Haute-Saône, comme on le verra par la suite. Mais avant d’aborder cette période, il serait bon de jeter un coup d’œil sur le siècle précédent et de s’enquérir sur l’état d’esprit des érudits du moment et de leurs connaissances et convictions sur les Gaulois et sur les peuples qui les ont précédés, quand ils pressentaient qu’ils avaient existé.

Avant le xixe s. avec les érudits

3Les érudits locaux, et ils sont nombreux, en principe des ecclésiastiques, n’ont pas manqué de « disserter » sur les Antiquités de la province et principalement sur l’ancienneté des villes, ou plus exactement de leur ville ou de leur abbaye ; ce fut principalement le cas pour Luxeuil, Lure, voire pour Vesoul (fig. 1), mais tous arrêtaient leurs investigations avec l’époque romaine (Petitjean, 2002). Rares furent ceux qui « discourront » sur les curiosités naturelles ou sur les monuments antérieurs à la conquête.

4Un religieux récollet fait exception : il s’agit de Jean-Baptiste Maréchal, d’Amance, qui en 1750 visite avec d’autres personnes, la grotte de la Baume, à Échenoz-la-Méline, près de Vesoul, et en fait la description. On ne sera pas surpris de l’intérêt de cet ecclésiastique, d’ailleurs très porté sur les sciences, l’astronomie, l’architecture et la littérature, pour cette curiosité naturelle, puisque sa mère était Françoise Deroche, sœur de Pierre François Deroche, curé de la paroisse de Pont, dont faisait partie Échenoz-la-Méline

5(Thévenin, 1999 ; 2002a). La description de la grotte et de ses curiosités est très intéressante et permet de se rendre compte des connaissances de l’époque, mais l’intérêt du texte est double, car il mentionne l’utilisation de la grotte de la Baume comme refuge en 1595 par les habitants d’Échenoz, lors du siège de Vesoul, par l’aventurier lorrain, Louis de Beauveau-Tremble court.

6Le texte, dont on a donné en annexe la partie « archéologique » concernant notre sujet, reflète bien les connaissances de l’époque. Les calculs basés sur la Bible reportaient en effet la Création du monde à 5 277 ans avant J.-C., d’où les 5 000 ans de formation des pétrifications (stalagmites et stalactites) dans la grotte.

7J.-B. Maréchal a lui-même visité la grotte : il en donne un plan très vraisemblable, certainement réalisé au jugé, avec le porche et la salle d’entrée, le clocher (la « pyramide creuse ») et, dans sa dissertation, il insiste tout particulièrement sur les différents types de pétrifications (fig. 2 et annexe 1).

8On retrouve également dans ce texte les craintes et les superstitions attachées aux grottes par les populations. J.-B. Maréchal rassure le lecteur : « La grotte n’est gardée que par des chauves-souris… On peut y aller en toute sécurité sans rien appréhender des bêtes venimeuses et du Diable ». Dans une deuxième version, l’allusion au Diable, qu’il appelle « l’Hôte de Trophonius », est encore plus explicite. Tout ceci permet à notre auteur de montrer qu’il a des lettres et de bonnes connaissances en mythologie.

9Non loin de Vesoul et toujours sur le territoire d’Échenoz-la-Méline, une singularité topographique à l’extrémité d’un vaste plateau parfaitement horizontal, a depuis fort longtemps intrigué érudits et historiens. Il s’agit d’un retranchement bien reconnaissable dominant Vesoul et les villages proches et dénommé actuellement Cita, par certains auteurs Cité, et diversement dans les actes notariés, où l’on trouve même Citar (fig. 1).

10Dans son remarquable ouvrage « Les mémoires de la République Séquanoise… », Louis Gollut (1592) lui-même y fait allusion en 1592, en dissertant sur le nom même de Cita : « Ces lieux [les cités des Séquanes, civitates Sequanorum] semblent assés exprès, pour montrer qu’il y havoit une ville de ce nom. Et de vray, encor pour le jour-d’huy sur ce quartier Langrois, à demie lieuë proche de Vesoul, se treuve un lieu, que l’on appelle Cita. Combien que l’on pourroit dire, que ce mot de civitas, est souvent prins pour une République entière. « Omnis (dixit Cæsar) civitas Helvetia, in quatuor pagus divisa est ». Mais il semble que ces deux témoignages sont pour une cité, et non pour le corps d’une République ».

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Fig. 1. Carte de la Haute-Saône avec les sites paléontologiques ou archéologiques cités dans le texte.

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Fig. 2.Plan de la grotte de la Baume à Échenoz-la-Méline dressé en 1750 par le récollet Jean-Baptiste Maréchal (document collection particulière).

11La description la plus ancienne et la plus développée de ce lieu est due certainement à un capucin, le Père J.-M. Dunand (1719-1790), qui l’a visité en 1782. Il reconnaît entre autres (voir annexe no 2) qu’il y a une différence de constitution entre le retranchement lui-même et les murgers modernes que l’on observe au centre et qui sont dus à des épierrements. Il fait appel au texte de César pour y reconnaître l’œuvre des Gaulois, tant pour la construction que pour l’utilisation de ces endroits fortifiés. Il insiste sur le fait qu’il n’y a pas de tuileaux, qu’on n’a pas employé la taille de la pierre ni le ciment romain : le retranchement de Cita n’a jamais été un ouvrage romain. Le monument est plus ancien et « il est d’autant plus respectable que nous croions que depuis longtems il ne nous restoit pas le plus léger vestige de nos aieux ».

12Ce texte de 1782 est relativement bien en avance par rapport à celui d’un capucin haut-saônois originaire de Faucogney, le père Prudent (1743-1792) qui, dans sa Dissertation sur les antiquités romaines trouvées en Franche-Comté, classe le camp de Bourguignon-lès-Morey dans les camps romains (PRUDENT, 1773 [1838, p. 36, 39-40]). Cette qualification le restera encore longtemps comme on le verra par la suite.

Avec les premières découvertes dans les grottes et la conception des temps antédiluviens

13Avec les avancées des connaissances, bien engagées déjà en géologie, il fallait pouvoir mettre en coïncidence ces nouvelles données et les textes bibliques sur la Création du monde. En fait, il s’agissait pour l’époque d’un faux problème. « La géologie elle-même témoigne en faveur de la véracité de Moïse. Ses couches pierreuses renferment une immense quantité d’animaux et de végétaux ensevelis dans une pâte autrefois limoneuse et solidifiée subséquemment ; mais dans aucune de ces couches solides, on ne trouve de fossiles humains. Ceux-ci ne se rencontrent que dans les terrains meubles, dans ce que les géologues appellent le diluvium, parce que ces couches superficielles attestent une grande révolution de la surface du globe et présentent l’aspect d’un sol bouleversé et entraîné par les eaux ». Ce texte, tiré d’un ouvrage grand public publié en 1839, censé présenter une version renouvelée de la première édition de 1802 (Cousin-Déspreaux, 1839), donne un bon aperçu des connaissances en ce début du xixe s. Ainsi, on opposait le diluvium avec les hommes et la faune actuelle, et un monde antérieur antédiluvien, sans hommes, mais avec des animaux disparus. Le terme diluvium est cependant, pour certains auteurs, compris également comme ne renfermant pas de fossiles humains.

14Cette première moitié du xixe s. est en effet dominée par l’autorité de Cuvier (baron Georges Cuvier, 1769-1832), qui a cru, à diverses reprises, démontrer l’inexistence des hommes fossiles. Ses premiers travaux avaient fait de lui un des maîtres de l’anatomie comparée ; la conjoncture scientifique lui offrit un nouveau champ de recherche et apparemment plein de promesses : l’étude des fossiles. Il voulait cependant élever le débat au-dessus de la simple étude des vieux ossements : il voulait proposer une véritable vision du passé de la Terre. « La question principale est de savoir jusqu’à quel point est allée la catastrophe qui a précédé la formation de nos continents actuels… Il s’agit surtout de rechercher si les espèces qui existaient alors ont été entièrement détruites, ou seulement si elles ont été modifiées dans leurs formes, ou si elles ont été simplement transportées d’un climat dans un autre » (Cuvier, 1825).

15De ces trois hypothèses, Cuvier a opté pour celle de la destruction des espèces et il prit pour base de ses recherches paléontologiques le postulat du catastrophisme absolu : les nombreuses catastrophes universelles, les « révolutions » qui ont ravagé la Terre, sont des invasions brutales et terribles des mers, la dernière étant assimilée au Déluge biblique.

16Le rejet du catastrophisme de Cuvier fut essentiellement l’œuvre du géologue britannique Charles Lyell. « Dans ses Principes de Géologie publiés en 1833, il affirmait que tous les processus géologiques et climatiques du passé, étaient de même nature et de même intensité que ceux du présent ; Lyell mettait l’accent sur l’immensité des durées. Certains bouleversements du passé, tout catastrophiques qu’ils puissent paraître, n’étaient dus selon lui qu’à leur extrême durée. En s’opposant à toute conception catastrophique, Lyell affranchissait l’étude des temps antéhistoriques de l’épineux problème du Déluge biblique. Sa généalogie « uniformitarienne » fournissait en même temps le cadre indispensable pour admettre l’évolution graduelle et nécessairement lente des êtres vivants. Pour autant, Lyell n’admit pas de suite la très haute antiquité de l’homme ; il lui manquait, il est vrai, des preuves concluantes » (Thomas, 1999). Et il ne faut pas oublier le combat que mena également contre Cuvier, Lamarck, le père du transformisme, un autre grand zoologiste, mais aussi un grand paléontologiste (Monet de Lamarck, 1744-1829).

17Dans toute la France et les régions voisines, ainsi que localement dans le département de la Haute-Saône tout nouvellement créé (26 ventôse an 8 ou 14 mars 1800), les trouvailles qui vont suivre, auront un fort écho dans le monde scientifique ; elles seront interprétées suivant la voie la plus couramment admise à l’époque, la Préhistoire n’était pas encore née.

Le gisement de Fouvent-le-Bas

18La première découverte d’ossements fossiles est tout à fait fortuite ; elle a eu lieu en 1800 dans la petite bourgade de Fouvent-le-Bas (fig. 1), à 15 kilomètres de Champlitte, mais est présentée sous deux versions légèrement différentes. La première se retrouve dans l’ouvrage de Cuvier sur les Ossements fossiles : « M. Tourtelle, propriétaire à Fouvent-le-Prieuré, faisant enlever quelques parties d’un rocher pour agrandir son jardin, on découvrit dans une fissure une multitude d’ossements de diverses espèces » (Cuvier, 1825, cité dans Bouillerot, 1881). La chance voulut qu’un amateur éclairé d’histoire naturelle de la bourgade proche de Morey, un certain M. Lefèvre, recueille une partie des ossements et les adresse au général Vergnes, alors préfet du département et premier nommé dans cette fonction. Ce dernier fit expédier les ossements à Paris où ils furent étudiés par Cuvier. On fit alors de nouvelles fouilles, qui multiplièrent le nombre des fossiles recueillis. De ce premier lot, on a des indications précises : « des mâchelières et portions de défense d’éléphant, une molaire de lait ; une portion moyenne de fémur et trois humérus droits de rhinocéros, des os et dents de cheval, une portion d’humérus, une portion de mâchoire inférieure d’hyène et une canine ». Certains de ces éléments figurent d’ailleurs dans l’Atlas des Ossements fossiles (fig. 3).

19La deuxième version, reprise par L. Nodot en 1858, est de É. Thirria, ingénieur des mines, dont on reparlera par la suite. Le sieur Nicolas Guillaume, carrier, en voulant creuser une cave, tombe sur une petite salle (L = 10 m ; l = 4 m ; h = 1,80 m) entièrement remplie de sédiments et de blocs. La grotte en question est creusée dans le rocher dont est bordé le jardin du carrier et qui forme un petit plateau. Cette cavité est certainement une aubaine pour le propriétaire du sol qui élargit l’ouverture, déblaie et découvre ainsi une multitude d’ossements fossiles.

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Fig. 3. Grotte de Fouvent-le-Bas. Os fossiles découverts en 1800, envoyés par M. Lefèvre Demorey (sic) au général Vergnes, préfet de la Haute-Saône, et déterminés par Georges Cuvier.
A - « Molaire de lait d’un jeune éléphant » (Atlas, vol. 1, pl. 6) ;
B - « Portion d’humérus d’hyène fossile, vue par sa face postérieure et sa face antérieure » (Atlas, vol. 2, pl. 191) ;
C - « Portion de mâchoire inférieure d’hyène fossile, contenant les 4 molaires d’en bas » (Atlas, vol. 2, pl. 191) (d’ap.
Cuvier, 1825. Les dessins sont de Charles-Léopold Laurillard (1783-1853), né à Montbéliard, dessinateur et disciple de Cuvier).

20Le site a reçu par la suite la visite d’autres chercheurs d’ossements fossiles : tout d’abord É. Thirria qui exécuta, en 1827, de nouvelles fouilles ; il fit appel à Cuvier, qui, en plus des espèces précédemment citées, reconnut la présence du bœuf et du lion (« une portion de mâchoire inférieure portant deux dents molaires ») ; en 1842, M. Dubois, conservateur du musée de Gray, qui prit le parti d’enlever la partie supérieure de la voûte et mit à nu le gisement (fig. 4) ; A. Bouillerot lui même qui regretta d’arriver un peu tard, mais put recueillir une grande quantité de dents auprès de particuliers. Il fit d’ailleurs l’inventaire d’un lot de pièces choisies que le curé de Fouvent, l’abbé Billerey, avait obtenues au moment de la fouille, et dont il pensait faire une loterie au profit de son église. L’affaire n’eut pas eu lieu, mais les ossements furent perdus.

21Les produits des fouilles de Dubois furent déposés dans les musées de Gray, Dijon et Paris. On doit à L. Nodot, conservateur du musée de Dijon, une synthèse sur les découvertes de Fouvent (Nodot, 1858-59), et plus récemment, l’ensemble de la faune a été revu (Lovis, 1968).

22On peut conclure en faisant remarquer que « le matériel paléontologique de Fouvent a contribué à la mise en place du cadre-chronostratigraphique des grands mammifères du Quaternaire et à la reconnaissance d’espèces disparues : par exemple Cuvier (1825), qui a pu distinguer l’hyène des cavernes de l’hyène tachetée d’après les vestiges recueillis dans cette grotte, et P. Gervais (1870), qui a pour la première fois identifié le glouton dans un site français (Fosse, 1997).

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Fig. 4. Grotte de Fouvent-le-Bas.
A - Vue intérieure de la grotte : 1, « Forest marble dont la stratification semble avoir été dérangée par un éboulement » ; 2, « Remblais ossifère » ; 3, « Argile pure inférieure ».
B - Coupe d’une fouille réalisée en 1842. 1, « Place de la poterie » ; 2, « Place des couteaux » ; 3, « Place des ossements fossiles » ; 4, « Masse des remblais avec ossements fossiles » ; 5, « Argile rouge inférieure » (d’ap.
Nodot, 1858-1859).

23Mais l’histoire de Fouvent ne s’arrête pas là. En 1989, l’aménagement d’une propriété contiguë a mis au jour un boyau long d’une dizaine de mètres sur trois de large. Ce boyau, appelé abri Cuvier, a été fouillé jusqu’en 1992 et on y a recueilli un riche échantillon paléontologique réparti sur quatre niveaux stratigraphiques. Dans la partie la plus avancée du boyau, plus de 300 pièces lithiques ont été trouvées… Cette industrie serait à rapprocher d’un faciès châtelperronien ou moustérien (Huguenin et alii, 1991 ; Fosse, 1997).

La grotte de la Baume, à Échenoz-la-Méline (fig. 2)

24Il nous faut revenir à la grotte visitée et décrite par le religieux récollet Jean-Baptiste Maréchal. Suite certainement à son expérience à la grotte de Fouvent-le-Bas, Édouard Thirria, ingénieur des mines à Vesoul, tenta sa chance à la grotte de la Baume (fig. 5). « Les fouilles, qui nous ont fait découvrir les ossements, ont eu lieu à la fin du mois d’août 1827 ; nous en avons fait pratiquer dans les quatre chambres de la grotte, en différents points, et toutes nous ont donné des ossements en plus ou moins grande quantité. Celles qui ont été entreprises dans la quatrième chambre, ont été les plus productives, car chaque coup de pic y a fait rencontrer un os. La profondeur à laquelle ont été trouvés les ossements, a varié de 10 centimètres à un mètre… » (Thirria, 1833). Les ossements recueillis ont été adressés à Cuvier et à Marcel de Serres, qui en ont fait la détermination ; c’est l’ours des cavernes (Ursus spelæus-arctoideus, Cuv.) qui est l’animal le mieux représenté. Thirria a bien vu que la faune d’Échenoz ne correspondait pas exactement à celle de Fouvent et il a essayé d’expliquer cette forte présence d’ours. Première hypothèse : les ours sont bien dans leur repaire lors de la catastrophe diluvienne ; en revanche, les herbivores proviennent d’une translation diluvienne, de là, la prédominance des carnassiers sur les herbivores. Deuxième hypothèse : tous les animaux ont péri à la surface du sol, lors de la catastrophe diluvienne ; leurs débris ont été charriés par les eaux et déposés dans la grotte pêle-mêle avec les cailloux et les matières terreuses. Cette hypothèse, pour Thirria, explique parfaitement presque toutes les circonstances du gisement, mais elle ne rend pas compte de la grande quantité d’ossements enfouis dans la grotte, comparativement au faible nombre d’animaux détruits à la surface du sol par la catastrophe diluvienne ; il y a de plus la très forte proportion d’ours.

25Thirria opte pour une solution mixte : « Les effets des deux hypothèses ont eu lieu successivement, c’est-à-dire que les ossements d’ours proviennent en partie d’individus surpris dans la grotte par la catastrophe diluvienne, à laquelle ils cherchaient à se soustraire en s’y réfugiant, et en partie d’individus qui ont été détruits à la surface du sol par cette catastrophe, en même temps que les herbivores dont on trouve quelques débris dans la grotte. De cette manière, on conçoit très bien comment le dépôt ossifère a pu être constitué tel que nous l’avons décrit ».

26Assez curieusement Thirria ne changera pas, durant toute sa vie, de conviction, comme on peut le lire, en 1869, dans son dernier ouvrage posthume, publié par son fils, Hippolyte Thirria : « Nous dirons seulement que deux de ces grottes, celles d’Échenoz-la-Méline et de Fouvent-le-Bas, renferment des ossements d’animaux antédiluviens, c’est-à-dire d’animaux qui vivaient avant l’époque géologique dite quaternaire, et dont les races ou espèces sont éteintes… Nous n’avons trouvé parmi ces nombreux débris d’animaux aucun ossement humain, ni aucun reste de l’industrie de l’homme. Nos fouilles par conséquent n’ont fourni aucun fait à l’appui de l’opinion émise dans ces derniers temps au sujet de l’ancienneté de l’espèce humaine, que plusieurs savants voudraient faire remonter à l’époque quaternaire. L’absence d’ossement humain dans la grotte d’Échenoz-la-Méline tend au contraire à prouver que l’homme n’existait pas encore à cette époque, qu’il n’a pas été contemporain des animaux qui vivaient alors, et dont les espèces sont aujourd’hui perdues, qu’il n’est apparu sur terre qu’après la grande catastrophe qui lui a donné son relief actuel, et que les alluvions modernes sont les seuls dépôts dans lesquels on puisse trouver les ossements humains ».

27Dix ans plus tard, en 1879, E. Chapelain, inspecteur des forêts, mettra certainement un point final à la controverse, comme le montrent bien les quelques lignes de la notice consacrée à la grotte de la Baume, dans son Esquisse préhistorique du département de la Haute-Saône : « Lorsque M. Thirria fouillait le Trou de la Baume en 1827, non seulement il ne songeait pas à y chercher les vestiges de l’homme, mais encore il était l’adversaire déclaré de son existence pendant la période quaternaire, et de sa contemporanéité avec les grands animaux disparus ou émigrés, le mammouth, l’ours et l’hyène des cavernes, le renne, etc. ». Sa conviction n’a pas changé à cet égard, et dans la partie géologique de son Manuel à l’usage de l’habitant de la Haute-Saône, son dernier ouvrage, publié après sa mort, il cherche encore avec insistance à réfuter les preuves de la présence de l’homme, avant l’époque géologique actuelle. « Rien ne prouve, ditil, la coexistence de l’homme avec l’éléphant fossile et les autres grands herbivores ou carnivores qui sont considérés comme ayant vécu à l’époque quaternaire ». Ce n’est donc pas aux recherches de M. Thirria qu’il faut demander les preuves d’un fait qu’il nie avec tant d’énergie ».

28Thirria n’a, semble-t-il, fouillé qu’en 1827. Bien d’autres lui succédèrent à la même époque, comme le géologue Virlet d’Aouste (1837) ou Achille Bouillerot (1881, p. 47). Chapelain lui même a pratiqué une fouille dans la première chambre et a mis en évidence un foyer étendu, avec des fragments de poterie de diverses époques, mais pas de silex : « La grotte a été sans doute visitée à l’époque où les plateaux étaient habités ; il serait même étonnant qu’elle ne l’eut pas été. Mais elle ne paraît pas avoir été le siège d’une habitation prolongée, et il est jusqu’à présent certain que cette habitation a été postérieure à la période quaternaire. Là, M. Thirria est dans le vrai » (Chapelain, 1879).

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Fig. 5. Grotte de la Baume, à Échenoz-la-Méline. A – Coupe suivant le plus grand développement ; B - Coupe passant par l’entrée : a, entrée ; b, coteau ; c, la rivière la Méline. C - Coupe du grand clocher (on distingue le remplissage avec ossements) ; D - Plan général de la grotte (d’ap. Thirria, 1830).

29Boucher de Perthes, après la parution, en 1847, du premier volume des Antiquités celtiques et antédiluviennes, où il soutenait l’hypothèse de l’existence de l’homme antédiluvien, mettra dix ans à convaincre le monde scientifique et ce sont finalement des géologues et archéologues britanniques, Hugh Falconer, puis Joseph Prestwich et John Evans, qui contribuèrent à faire triompher ses idées. Charles Lyell, en 1859, se ralliera finalement à l’idée selon laquelle l’origine de l’homme comme celle de toutes les autres créatures, devait se mesurer à l’échelle de la géologie et non à celle de l’histoire (Thomas, 1999). Il faut peut-être également souligner le rôle d’Isidore Geoffroy Saint-Hilaire (1801-1861), professeur au Muséum national d’histoire naturelle de Paris, et de son aide naturaliste Jean-Albert Gaudry (1827-1908) dans cette reconnaissance (Fonton, 1992).

30L’épisode Thirria montre que les nouvelles données n’ont pas forcément été bien accueillies, ou l’ont été avec réticence, même dans le monde scientifique, et que bien tardivement certains s’accrochèrent désespérément à l’inexistence de l’homme fossile - le grave problème restant tout entier dans celui de l’origine même de l’homme, qui ne pouvait être que Adam (sans oublier Ève) de la Bible.

31Concernant encore la grotte de la Baume, Chapelain fait en outre un autre constat en 1879 : « Après [Thirria] la grotte d’Échenoz a retenti sous la pioche de nombreux chercheurs, et a fourni un nombre considérable d’ossements, surtout d’ours et d’hyènes. Mais aucune observation nouvelle n’a été faite. Depuis 1870, le sol en a été littéralement retourné par les Allemands d’abord, dont les cartes reproduisent la mention de celle de l’État-Major : Grotte mit fossilen Knochen, puis par des gens du pays cherchant des ossements pour les vendre à différents musées. »

32Il faudra attendre 1969 pour que de véritables fouilles soient pratiquées sous le porche de la grotte de la Baume par M. Campy et J.-F. Piningre et que la trace de l’homme de Néandertal soit bien mise en évidence (Campy, 1976 ; Campy, Piningre, 1984 ; Piningre, Vuillemey, 1976).

L’ère des pionniers et la Commission d’Archéologie de la Société d’Agriculture de la Haute-Saône (fig. 6)

33En ce début du xixe s., l’Archéologie va prendre un tournant significatif : elle se démocratise et touche davantage l’ensemble de la population. Ses objectifs, ses centres d’intérêts n’ont cependant pas changé : l’archéologie est par principe la science des choses anciennes. Elle s’attache plus spécialement à la connaissance des monuments de l’Antiquité et du Moyen Âge. Elle emprunte le secours d’un grand nombre de connaissances : notions générales d’art et de techniques, histoire et institutions, intelligence et critique des textes. Dans ce début du xixe s. qui nous intéresse, le terme archéologie est encore pris dans le sens le plus large : c’est l’étude de l’Antiquité toute entière, langues, religion, arts, institutions et mœurs. L’archéologie ne se limite pas à l’étude des monuments et aux produits de l’activité humaine, c’est un tout : les sciences historiques.

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Fig. 6. Le xixe s. et la Société d’agriculture, sciences, commerce et arts du département de la Haute-Saône : les personnalités marquantes de l’archéologie (Thévenin, 2002b).

34Aristide Déy, président de la Société d’Agriculture, fondée le 9 avril 1801, avançait encore en 1860, que pour apprécier les travaux de la Société dans la partie du programme des sciences, il fallait subdiviser « ce titre en deux paragraphes : l’un relatif aux sciences physiques et naturelles, l’autre aux sciences historiques, qui correspond à la section d’archéologie. »

35L’Archéologie, telle qu’elle vient d’être définie, a été à l’honneur dans les travaux de la Société d’Agriculture, dès 1805. Certains de ses membres ont dû cependant batailler dur pour faire admettre que l’archéologie devait avoir, par sa forte spécificité, une place privilégiée dans les préoccupations culturelles de la Société, qu’elle devait constituer une section propre au sein de la Société. Ainsi est née la Commission d’Archéologie en 1837 (Thévenin, 2002b). Il est vrai que la Société d’Agriculture de la Haute-Saône, fondée le 9 avril 1801 par le général Vergnes, préfet du département, avait d’autres ambitions. L’article premier du règlement de 1804 stipulait que « la Société s’occupe de tout ce qui peut tendre à l’utilité du département », sa mission primordiale est la promotion économique de la Haute-Saône. Comme elle est largement agricole, elle se doit d’accorder évidemment la priorité à l’agriculture (Michel, 2002).

36Dans ce mouvement d’idées qui se met en place, il faut bien reconnaître qu’en Haute-Saône, il ne fut réellement positif que dans deux secteurs, d’un côté Vesoul avec la Société d’Agriculture et sa Commission d’Archéologie, et de l’autre le secteur compris entre Champlitte et Jussey, avec pour épicentre les villages entourant la Montagne de Morey. Il est vrai que sont regroupés dans un rayon d’une dizaine de kilomètres des sites prestigieux, Fouvent-le-Bas, Farincourt (en Haute-Marne) et surtout l’habitat fortifié de Bourguignon-lès-Morey (fig. 1). C’est dans ce « triangle archéologique » que vont opérer de nombreux chercheurs ou érudits, Étienne Jacquemard, le docteur Pratbernon, le docteur Aillet, Achille Bouillerot, A. Travelet…

37Le camp fortifié de Bourguigon-lès-Morey avait été mentionné comme on l’a vu en 1773 comme camp romain par le père Prudent. Ce sont tout d’abord deux érudits locaux qui vont s’y intéresser : Étienne Jacquemard et le docteur François Pratbernon. La bibliothèque municipale de Besançon conserve un plan relativement bien précis du camp romain de Bourguignon, sur lequel figurent des notes manuscrites de Jacquemard avec la date de 1820, et récemment reproduit (Piningre, 1999, p. 25 ; Faure-Brac, 2002, p. 132).

38Nul doute qu’Étienne Jacquemard, poète et grammairien (1772-1830), ait été parmi les premiers à s’intéresser au site archéologique de Bourguignonlès-Morey, dit « camp de César » (Suchaux, 1864 ; Michel, 2002, p. 124-125), mais on retrouve un plan quasi identique dans un manuscrit du docteur Pratbernon, qui le décrit lui aussi comme camp romain (Pratbernon, 1820 [1977]). Les légendes des deux plans, en dehors des ajouts de Jacquemard, semblent bien venir de la même main. À une exception près, toutes les distances sont exprimées en mètres : les deux plans ne peuvent être que du début du xixe s.

39Bourguignon-lès-Morey va entrer dans l’histoire avec Napoléon III. L’Empereur a en effet été intéressé, d’une certaine manière, par ce monument. « En 1862, au moment où Napoléon III s’occupait de notre histoire nationale et que l’on pratiquait des fouilles au Mont Auxois, le docteur Aillet, de Bourguignon, demanda et obtint de l’Empereur qu’on fit des recherches dans notre camp. Un crédit fut accordé à la Commission d’Archéologie de la Haute-Saône, et M. Aillet fut chargé de la direction des travaux. » (Bouillerot, 1875, p. 190).

40Des fouilles auront encore lieu par la suite ; des occupations du Néolithique, de l’âge du Bronze et de l’époque gauloise, sont clairement identifiées dès cette époque. Depuis 1992, le site de Bourguignon fait l’objet d’un programme de fouilles pluriannuelles. Ce choix marque la volonté, avec des méthodes de fouilles modernes, de faire la lumière sur un des plus anciens monuments de notre patrimoine régional (Pi-Ningre, 1999 ; Piningre, 2002, p. 49-58 ; Faure-Brac, 2002, p. 133-139).

Un pionnier et un précurseur : Achille Bouillerot, de Cintrey

41Le personnage principal dans cette recherche des origines restera cependant Achille Bouillerot (1820-1885), qui peut être considéré comme un authentique pionnier. Il est le fils d’un officier supérieur d’état major, le commandant Pierre François Bouillerot. Sa mère, née Vidabovich, était de la Dalmatie, où son père l’épousa pendant les guerres de l’Empire.

42Il avait dû recevoir une bonne éducation et avoir des lettres : son père n’avait-il pas complimenté en latin sa majesté Louis Philippe Ier lors de son passage à Cintrey le 28 juin 1831.

43Achille Bouillerot, veuf, alors âgé de 33 ans seulement, « mit alors ses deux enfants en pension et demeura seul, paisible comme un ermite, dans sa maison de Cintrey. Faible de santé et de constitution, il vivait sobrement, occupait son temps à peindre, à dessiner, à sculpter et à cultiver son jardin. Il s’occupa de l’étude de la géologie, recueillit beaucoup de pierres naturelles fossiles et les dessina dans un album. Il étudia aussi l’archéologie, ramassa une collection de silex, de haches polies, de poteries antiques, dont il fit un petit musée. Il possédait une collection de médailles romaines et du Moyen Âge… » (Demongeot, 1867).

44Ce portrait de Bouillerot est très restrictif, car ses écrits nous montrent un homme ouvert, très au courant de tout ce qui se passe sur notre territoire, écrivant aux plus grands spécialistes du moment, parfois quelque peu grandiloquent dans ses écrits, mais si naturel... Il est vrai qu’il n’est pas coupé du monde. Son village, Cintrey, inclus dans le triangle archéologique de Bourguignon-lès-Morey, est un important relais de poste entre Combeaufontaine et Fayl-Billot, sur la route impériale de 2e classe no 19, qui relie Besançon à Paris par Vesoul et Langres.

45On ne lui connaît que deux importants articles, dans lesquels il s’exprime d’une façon très explicite sur ses expériences, sur les connaissances du moment (Bouillerot, 1875, 1881). Il est dès le départ acquis aux données nouvelles :

46« …le doute émis par Cuvier sur la coexistence de l’homme et des espèces disparues, tenait alors en respect les savants sur ce point, et personne n’osait toucher à cette question réservée par une autorité souveraine.

47« Il ne fallait pas moins que les découvertes nombreuses qui se succédèrent avec une étonnante rapidité, pour déterminer à passer outre et reconnaître enfin que la race humaine était beaucoup plus ancienne qu’on ne l’avait supposé jusqu’alors, qu’elle était contemporaine des espèces disparues, et que son apparition remontait avant le déluge de l’époque quaternaire.

48« J’avais donc le pied au seuil de la science qui a pour objet l’étude des origines de l’homme, lorsque fut publié l’ensemble des découvertes si extraordinaires, faites dans le diluvium des vallées de la Somme, dans les lacs de la Suisse, dans les cavernes du Périgord, dans les tombeaux du Danemarck, dans les tumulus de l’Angleterre, dans les camps de la Belgique, dans les dolmens de la Bretagne, dans les terramares de l’Italie.

49« Au milieu de ces richesses, l’humanité primitive réapparaissait splendide et merveilleuse, sous des horizons tout nouveaux.

50« J’étais désireux de découvrir dans le domaine de mes explorations scientifiques, si riche en débris d’animaux anciens, les indices de l’existence de cet homme qui y avait vécu en même temps qu’eux.

51« Je me suis mis à l’œuvre avec courage, et dans l’espace de quelques années, grâce à d’infatigables et nombreuses excursions, je fus assez heureux pour trouver, dans mon modeste coin de terre si privilégié, toute la série des curieux ustensiles que les savants signalent de toutes parts et que l’on retrouve partout, précédant toute civilisation et devançant l’époque des métaux, l’âge du Bronze et l’âge du Fer… » (Bouillerot, 1875, p. 169).

52En 1881, il reprend son discours, là encore plus direct : « L’archéologie préhistorique, dont le nom seul avait provoqué tant de rumeurs à son apparition, s’étend et se généralise avec un entrain remarquable. Partout le doute a fait place à la conviction ; ce que l’on qualifiait naguère de roman est de l’histoire bien positive, s’affirmant chaque jour par des découvertes certaines et des documents authentiques : de tous les coins du globe, nous voyons se dresser pour ainsi dire et sortir de la poussière du tombeau les populations primitives des siècles inconnus. Sur tous les points élevés de nos provinces et dans les alentours de nos villages, nous foulons sous nos pieds ces vestiges perdus, sur lesquels les regards du vulgaire ne s’étaient jamais arrêtés. » (Bouillerot, 1881, p. 13).

53L’archéologie préhistorique n’en est cependant qu’à ses tout débuts. « Ce que l’on désigne sous le nom de période préhistorique comprend le temps écoulé depuis que l’on a constaté la présence de l’homme jusqu’à celui de l’apparition des monnaies, qui sont, avec les inscriptions, le premier signe de la constitution des sociétés civilisées et l’origine des documents écrits qui ont servi à l’histoire.

54« Cette période se divise en deux âges : l’âge de la pierre ; l’âge des métaux.

55« L’âge de la pierre se divise en deux époques :

56« 1° l’époque paléolithique : pierre éclatée, animaux disparus ou émigrés ;

57« 2° l’époque néolithique : pierre polie, animaux asservis, agriculture.

58« L’âge des métaux comprend : l’époque du bronze, l’époque du fer. » (Bouillerot, 1881, p. 17).

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Fig. 7. Dessins d’Achille Bouillerot d’objets venant de la grotte II de Farincourt (Haute-Marne). On remarquera en bas le grès sculpté phalliforme avec la gravure d’un signe barbelé (d’ap. Bouillerot, 1881, pl. V).

59Bouillerot a rendu compte de la grande majorité de ses découvertes par le texte et par de très bons dessins (fig. 7) ; malheureusement toute sa documentation semble perdue, ainsi que sa correspondance. On peut regretter cette perte, car il a correspondu avec bon nombre de sommités de l’époque, dont Gabriel de Mortillet, conservateur au Musée de Saint-Germain-en-Laye, qui lui répond : « … l’ancienne archéologie, l’archéologie du parti pris contre laquelle vous vous élevez avec tant de vigueur et de raison, ne voyait que du romain ; l’archéologie d’observation, comme vous la faites, nous révèle tout un monde antérieur des plus intéressants. » Lettre du 12 septembre 1875 (Bouillerot, 1881, p. 91).

60Pour en terminer avec Achille Bouillerot, il faut bien reconnaître qu’il avait acquis une certaine notoriété pour recevoir la visite du savant anglais sir John Lubbock lord Avebury, et de solides connaissances, par exemple à propos du glouton : « D’après ce que m’a dit l’honorable savant anglais sir John Lubbock, qui a bien voulu me faire l’honneur de visiter ma collection, cette espèce n’a été signalée que depuis peu de temps dans nos cavernes de France [en 1870 par P. Gervais]. Dès 1842, je l’avais reconnue moi-même et déterminée à l’aide des dessins très complets de l’Atlas des Ossements fossiles de Cuvier ; elle n’est relatée dans aucune des fouilles de la même grotte [Fouvent]. » (Bouillerot, 1881, p. 59). Prospectant et travaillant à la même époque, mais hors du secteur de Bourguignon-lès-Morez, Alfred Millard, de Fédry, Auguste Perron, de Gray, parmi bien d’autres, méritent d’être également cités.

La Commission d’archéologie de la Société d’agriculture de la Haute-Saône (Thévenin, 2002b)

1801-1837 : Des érudits et un novateur : le docteur Pratbernon

61La Société d’agriculture de la Haute-Saône va, dès le départ de sa fondation en 1801, avoir une production plutôt littéraire, très érudite, encore très proche de celle du XVIIIe s. L’archéologie ne se comprenait pas sans recourir systématiquement aux textes des auteurs anciens, sans citation latine. Il en était d’ailleurs de même pour les rubriques ou les notices consacrées à l’agriculture. De cette période « érudite » qui va de 1801 à 1837, on retiendra surtout le fait majeur de la venue à Vesoul, en 1820, du docteur François Pratbernon, qui exerçait autrefois dans la région de Jussey. Son nom va désormais revenir de nombreuses fois dans les activités de la Société. Ce chercheur d’un nouveau style, bien qu’encore fortement conservateur, avait déposé un Mémoire sur les antiquités des cantons de Jussey, Combeaufontaine et Amance en partie, « enrichi de plusieurs dessins de monuments » et d’une « carte particulière » du camp de Bourguignon. On ignore pourquoi cette étude est restée inédite. Il ne semble pas qu’elle ait fait l’objet d’un compte rendu, comme ce fut le cas pour un article, resté également inédit, du docteur Humblot sur les Antiquités de Corre. Il semblerait qu’il y ait eu une certaine obstruction ( ?) dans la Société pour ce genre de travaux et de recherche ! L’auteur anonyme du compte rendu du mémoire du docteur Humblot ne parle-t-il pas de « notre laborieux collègue le docteur Pratbernon » ? Quel sens faut-il donner à laborieux ? Est-ce une formule de l’époque ou est-elle légèrement péjorative ?

1823 : Constitution de la Commission des antiquités du département de la Haute-Saône

62Quoiqu’il en soit, un courant favorable à l’archéologie et à l’histoire se dessine cependant dans les années 1823 et cela sous l’impulsion et les efforts du docteur Pratbernon. En effet, en 1860, soit 37 ans après, en prenant possession du fauteuil de président, Aristide Déy, faisant le bilan des activités de la Société depuis sa création, s’exprimait en ces termes : « En 1823, les archéologues qui se prétendaient étouffés par les grandes herbes, réclamèrent, dans l’intérêt de leurs travaux, une position moins dépendante, et ils obtinrent, le 29 novembre de se constituer en commission permanente, sous le titre de Commission des antiquités du département de la Haute-Saône. » On peut comprendre sans problème : « les grandes herbes », ce sont certainement les membres tout dévoués à l’agriculture.

63La confirmation de cette création vient d’un texte non signé du Recueil agronomique de 1824, intitulé « Recherche des monuments d’antiquité de la Haute-Saône », où l’on peut y lire ceci : « La Société centrale d’agriculture, sciences et arts du département de la Haute-Saône, sur la proposition du docteur Pratbernon, a formé dans son sein une commission permanente qui s’occupera de la recherche des antiquités de ce département et de tout ce qui peut intéresser l’histoire, en faisant connaître la situation et les événements mémorables de notre pays à différentes époques.

64« On a lieu d’être surpris du peu d’intérêt que des personnes même instruites prennent à l’histoire de leurs ancêtres et à celle de leur pays et des monuments qui y existent. Cependant il est d’autant plus important de s’en occuper qu’une nouvelle ère semble commencer, que les débris épars qui nous ont été laissés par une révolution plus hostile à détruire que le temps, vont nous échapper, et que la génération qui a vu une grande partie de nos monuments et a connu les usages du temps passé, est près de disparaître en emportant avec elle tout ce qui nous reste de traditions. »

65Pour concrétiser cet appel pour la sauvegarde d’un passé révolu, une circulaire a été préparée pour être envoyée à MM. les curés, aux « membres des conseils du département et des arrondissements », aux Sociétés d’agriculture et à « toutes personnes éclairées », en les priant de répondre à un questionnaire et de retourner, « sous couvert de M. le préfet, au secrétaire perpétuel de la Société d’agriculture, sciences et arts », en transmettant tout ce qu’ils connaîtraient ou découvriraient par la suite, d’intéressant sur l’un des objets dont on donne le détail :

66« 1° Les monuments celtiques ou gaulois, comme grandes pierres levées et percées ou les tertres réguliers en terre, regardés comme des tombeaux

67« 2°… s’en suivent les routes romaines, les fortifications, les châteaux, les abbayes, les pierres tumulaires, les inscriptions, les noms des lieux, les médailles, les traditions verbales… »

68La circulaire se terminait par une note propre à encourager ceux qui auraient des difficultés à répondre correctement : « On ne demande que de l’exactitude de la part des correspondants, et l’on recevra avec reconnaissance toutes les notes qui seront envoyées, quel qu’incorrect en soit le style, pourvu que l’on puisse compter sur la véracité des faits transmis. »

69Il n’est pas certain que la circulaire ait été réellement expédiée. Ce qui est sûr, c’est qu’en 1823, il existe, dans la Société, des membres bien décidés à sauver de l’oubli ce qui peut l’être encore, mais il faudra attendre encore 14 ans pour que les souhaits deviennent réalités.

1837 : Fondation de la Commission d’archéologie

70C’est en 1837, qu’est organisée, au sein de la Société, une Commission d’archéologie, sous l’impulsion d’Amédée Thierry, préfet de la Haute-Saône, plusieurs fois président de la Société d’agriculture. On notera que le docteur Pratbernon a été président de la Société l’année précédente.

71Lors de sa fondation, la Commission d’archéologie est composée de 11 membres, dont les docteurs François Pratbernon et Louis François Sallot, Charles Édouard Thirria, ingénieur des mines, Louis Suchaux, imprimeur, Charles Longchamps, avocat…

72Dès 1840, Thirria ne participera plus aux travaux de la Commission. Appelé à Paris comme secrétaire et membre du Conseil général des mines, il était obligé par ses fonctions de résider à Paris une grande partie de l’année, mais il resta fidèle à la Haute-Saône, fut membre du Conseil général pour le canton de Rioz, ainsi que du Conseil municipal de Vesoul.

73Si la Commission publie peu (trois articles seulement en 1839, republiés en 1856 !, tous dus au docteur Pratbernon), elle reçoit en revanche divers mémoires, qui malheureusement ne sont pas parvenus jusqu’à nous :

  • de M. Beaujard, sur les camps, les monuments druidiques et particulièrement les pierres percées de Traves, Aroz et Bucey-lès-Scey [Buceylès-Traves] ;

  • de M. Matty de la Tour, ingénieur des routes à Gray, sur des découvertes d’objets antiques (médailles romaines et du Moyen Âge) à Beaujeu et à Mantoche, avec le plan des premières mosaïques découvertes près de Membrey…

74Dans le cadre de ce dernier mémoire, il semble bien qu’il y ait eu des difficultés sérieuses entre la Commission d’Archéologie et les autorités départementales, tant locales que voisines. La Commission n’a pu, en effet, obtenir du ministère les instructions et l’autorisation par deux fois demandées.

75Prosper Mérimée, inspecteur des Monuments historiques, envoyé par le ministère de l’Intérieur, visitera le site et les ruines de Membrey, ainsi que les mosaïques « déjà dégradées par la gelée, mutilées par de faux amateurs », selon le docteur Pratbernon, qui ajoute : « Il est à craindre qu’il ne reste de cette découverte que le beau dessin de M. Le Beuffe et cette imparfaite notice. » (Pratbernon, 1839).

76De 1839 datent les derniers travaux du docteur Pratbernon, premier instigateur des recherches archéologiques dans la Société. Il meurt en 1842. La Société semble bien alors tombée en léthargie. On notera que la Société qui reçoit quelques dons d’objets, cherche à constituer un musée d’antiquités. « On pourra espérer d’avoir ce qui manque à Vesoul, c’est-à-dire un Musée départemental. »

1854 : Rétablissement de la Commission d’archéologie

77À partir de 1854, on assiste au rétablissement de la Commission d’archéologie. Il est le fait du docteur Sallot, qui, à la séance du 6 mai 1854, rappelle qu’en 1838, sous l’impulsion du préfet Amédée Thierry, « une Commission archéologique avait été organisée au sein de la Société, mais qu’après quelques travaux, cette Commission ne donna plus signe de vie. » Il propose de désigner quelques membres, qui seront chargés de présenter les bases de la réorganisation de la Commission d’archéologie et tout particulièrement de rédiger un programme de travaux. Les membres désignés, le docteur Sallot est nommé secrétaire, Dodelier fils, architecte, secrétaire adjoint est chargé de la conservation des objets archéologiques.

78On reprend l’idée d’envoyer, comme en 1824, un questionnaire fort long avec les mêmes rubriques aux membres du conseil général et des conseils d’arrondissement, ainsi qu’aux curés du département. La circulaire d’accompagnement est signé par « Jules d’Andelarre, le Président de la Commission, Président de la Société d’agriculture ». Cela monte bien que le Commission n’était que partiellement autonome. Quelque temps après, en février 1855, la circulaire est adressée à MM. les instituteurs. Il y est joint une planche avec les alphabets du xe au xvie s., afin de mieux déchiffrer les vieux textes ou décrypter les inscriptions lapidaires. Les instituteurs sont invités à répondre avant le 1er avril : ils ont un mois pour faire le travail demandé ! Le résultat ne se fera pas attendre. La Commission aura 400 réponses, mais la moitié des instituteurs ont répondu néant ou n’ont pas répondu. Trente travaux érudits ont cependant été envoyés.

79Les travaux de la Commission d’archéologie ont donné lieu à quatre volumes de Mémoires publiés entre 1839 (1856) et 1865. On peut essayer de quantifier (sur un total de 181 pages) :

80- Histoire de l’art, architecture

6 articles

69 pages

38 %

81- Recherches historiques

1 article

63 pages

35 %

82- Ethnographie

1 article

38 pages

21 %

83- Archéologie

1 article

11 pages

6 %

84L’histoire de l’art, les recherches historiques dominent nettement avec un total de 73 % en volume de pages. L’archéologie arrive en dernière position avec seulement 6 %. On notera le remarquable travail de Charles Longchamps sur les traditions populaires, travail qui a été réimprimé récemment par la Salsa (Longchamps, 1859 [1977]).

85Il faut rappeler que 1858 marque l’achèvement de la publication par planches, des cartes des cantons de la Haute-Saône, travail dû à l’initiative du préfet Hippolyte Dieu, et communément appelé Atlas Dieu. C’est encore à l’heure actuelle un remarquable et indispensable instrument de travail, même pour les archéologues.

1860-1857 : La période faste de la Commission d’archéologie

86La période 1860-1867 sera une période faste pour la Commission d’archéologie, avec le bureau suivant :

87Président : Charles Longchamps, bâtonnier de l’ordre des avocats ;

88Secrétaire : Louis François Sallot, docteur en médecine ;

89Vice-secrétaire : Alfred Gevrey, avocat ;

90Bibiothécaire-archiviste : Noirot, chef d’escadron en retraite ; Conservateur du musée : Charles Dodelier, architecte de la ville de Vesoul.

91Il faut également ajouter 12 membres titulaires et 8 membres associés, dont « Louis Gérôme, peintre d’histoire ».

92La Commission d’archéologie est dotée désormais d’un cabinet photographique. Il a pour but de fournir des planches de dessins au Recueil de la Commission et de « reproduire par série, à plusieurs exemplaires et dans un cadre uniforme, les objets composant le musée. »

93Le tome II des Mémoires permet d’appréhender la production publiée en 1860 (1ère livraison, 94 pages) et 1861 (2ème livraison, 221 pages) avec, entre autres :

94Charles Longchamps : Découvertes et observations archéologiques faites dans la Haute-Saône de 1842 à 1860 (t. II, 1860, p. 1-54) ;

95Aristide Déy : Quelques mots à l’occasion des fouilles faites au camp de Chariez (t. II, 1860, p. 61-67) ;

96Roger Galmiche : Rapport sur les recherches faites au camp de Chariez par ordre de la Commission d’Archéologie (t. II, 1860, p. 55-49) ;

97Alfred Gevrey : Dissertation sur les haches celtiques (t. II, 1861, p. 159-164).

98Ce qui donne (sur un total de 305 pages) :

99- Histoire de l’art, archéologie

1 article

3 pages

1 %

100- Recherches historiques

4 articles

156 pages

51 %

101- Archéologie

9 articles

146 pages

46 %

102L’archéologie fait une entrée remarquable dans les travaux publiés par la Commission d’archéologie, puisqu’en volume de pages, elle est très proche de l’histoire. La Préhistoire commence à passionner le monde scientifique : la Commission fait ouvrir le rempart du camp de Chariez et les discutions vont bon train au sujet de l’âge des objets gaulois ou celtiques. La Préhistoire a ses adeptes et ses dénigreurs : on est dans les années Boucher de Perthes.

103Les connaissances méthodologiques se diffusent relativement bien et trouvent un écho remarquable, puisque l’on retrouve, sous la plume de Charles Longchamps, en 1860, à propos d’une hache trouvée à Filain, une recommandation de repérage stratigraphique avant la lettre, pour bien dater les fossiles humains et leurs industries : « Un avertissement peut être donné en ce qui concerne les haches celtiques. Il est très important de constater avec soin la nature du sol dans lequel on les découvre, car leur présence dans certaines formations géologiques a révélé tout récemment à la science que plusieurs de ces pierres tranchantes ont été taillées par l’homme à une période antérieure au déluge de la Genèse (Voir notamment le Bulletin de la Société des antiquaires de Picardie, 1859) ».

104Le tome III des Mémoires (214 pages, 26 planches hors-texte), publié en 1862, comporte huit articles.

105Ce qui donne (pour un total de 194 pages) :

106- Recherches historiques

4 articles

80 pages

41 %

107- Archéologie

4 articles

114 pages

59 %

108L’archéologie passe bien en tête avec 114 pages, mais l’histoire est toujours bien présente dans les travaux de la Commission.

109Le tome IV des Mémoires (1865-1867) sera le dernier volume propre à la Commission d’archéologie, avec six articles.

110Ce qui donne (pour un total de 410 pages) :

111- Recherches historiques

8 articles

373 pages

91 %

112- Archéologie

3 articles

37 pages

9 %

1867-1679 : Le court passage de E. Chapelain et les dernières années de la Commission d’archéologie

113À partir de 1867, une dernière période s’ouvre pour la Commission d’archéologie. En 1870, arrive à Vesoul, E. Chapelain, sous-inspecteur des Forêts, qui participe aussitôt aux travaux de la Commission d’archéologie.

114La commission est encore bien présente en 1879. Ce sera sa dernière mention, avec, parmi ses membres, E. Chapelain, sous-inspecteur des Forêts, Charles Dodelier, architecte, Jules Finot, archiviste départemental, Paul Petitclerc, géologue, Albert Travelet, ingénieur des Ponts et Chaussées.

115L’homme providentiel pour la Préhistoire naissante, sera, malheureusement pendant un temps très court, E. Chapelain. En 1878, il entretient la Société des projets de la Commission d’archéologie, de sa constitution et des projets de recherches qu’elle se propose d’entreprendre. Dans le rapport des travaux de la Société pendant la même année, on constate que la Commission est sur une très bonne voie : « MM. Travelet et Petitclerc, membres de la Commission d’archéologie, ont terminé le classement des fossiles et des roches du musée, et ont entrepris le catalogue. Ils vont poursuivre leur tâche avec la partie préhistorique et la révision des médailles ; ils chercheront en même temps tout ce qui, dans les archives de la Société, se rapporte au Musée… M. Chapelain a bien voulu prendre l’engagement de nous présenter prochainement une esquisse comparative des divers terrains archéologiques de la Haute-Saône. Son expérience de la matière, depuis longtemps familière à la Société, donne à cet engagement un prix particulier ».

116On doit ainsi aux trois chercheurs précédemment nommés, plusieurs publications de qualité, les dernières avec la mention « Commission d’Archéologie » et désignées comme « Annexes du bulletin » :

  1. Deux catalogues du Musée de la Société d’agriculture, sciences et arts de la Haute-Saône, dressés par MM. Paul Petitclerc et Albert Travelet, un premier en 1878, un second en 1880 (1er Supplément), avec les résultats des fouilles exécutées dans la grotte d’Échenoz-la-Méline les 2, 16, 31 janvier et 13 février 1879 ;

  2. Un deuxième Supplément dressé en 1880, par Paul Petitclerc ;

  3. Enfin, une remarquable synthèse de E. Chapelain, datée d’avril 1878, intitulée : Esquisse préhistorique de la Haute-Saône, notice par M. Chapelain, Inspecteur des Forêts, Vesoul, A. Suchaux, 1879, 60 pages, avec une carte et deux photographies : pointes de flèche du camp de Cita, à Échenoz-la-Méline, et pirogue trouvée dans la Saône, près de Saint-Albin (clichés de E. Chapelain). Au travail de E. Chapelain était joint un article d’Eugène Perron, de Gray, L’atelier préhistorique d’Étrelles (Haute-Saône), p. 65-71, avec deux planches.

117La synthèse de E. Chapelain montre, comme on le verra plus loin, qu’on est à un tournant de l’archéologie (c’est également l’époque des travaux d’Achille Bouillerot) : la Préhistoire est dissociée des sciences historiques, elle prend ses preuves dans les objets eux-mêmes et dans les terrains d’où ils proviennent.

118Faut-il voir dans cette mutation, la cause de la disparition de la Commission d’archéologie ? Il est difficile de se prononcer. Plus simplement, les recherches archéologiques prenaient de plus en plus de poids dans les activités de la Société, et en prendront davantage par la suite ; les passionnés des « choses du passé » avaient désormais le champ libre pour leurs recherches et peu leur importait, semble-t-il, d’être autonomes ou non. Les orientations de la Société avaient bien changé depuis 1801 !

119On peut regretter que E. Chapelain ait quitté la Haute-Saône dès 1879. Dans le prologue de son Esquisse préhistorique de la Haute-Saône, il montre bien les enjeux de la Préhistoire, cette science toute nouvelle d’une trentaine d’années : « Les études préhistoriques, nées en France il y a environ trente ans, sont maintenant répandues dans le monde entier. Accueillies au début avec une railleuse incrédulité, les premières révélations de M. Boucher de Perthes ont été le point de départ d’une série de recherches, dont les résultats ont posé les bases d’une science nouvelle qui compte maintenant un grand nombre d’adeptes, depuis l’homme spécial jusqu’au simple chercheur.

120« Ces études, qui séduisent l’imagination et qui paraissent au premier abord à la portée de tout le monde, sont aujourd’hui tout à fait à la mode, et presque toutes les sociétés départementales leur font une large part dans leurs annales et dans leurs budgets.

121« Il était facile de s’en convaincre encore il y a quelques mois en voyant la part considérable prise à l’Exposition universelle par les expositions spéciales préhistoriques et anthropologiques. On était frappé à la fois par le nombre considérable d’objets exposés et par la multiplicité des provenances.

122« La Haute-Saône est restée jusqu’à présent à peu près en dehors de ce mouvement, non que les chercheurs et les découvertes y aient fait défaut, mais faute d’un point central où puissent converger les indications et les efforts isolés.

123« C’est à la suite de cette abstention que nous avons vu, à diverses époques, des études intéressantes et des objets précieux s’éparpiller hors du département. Ainsi, des fouilles entreprises en 1862 au camp de Bourguignon-lès-Morey ont exhumé des objets qui, pour la plupart, figurent au musée de Saint-Germain-en-Laye. Une étude de M. A. Bouillerot sur cette importante station, et sur les stations secondaires environnantes, est allée demander l’hospitalité des Mémoires de la Société d’émulation du Doubs. Nous ne connaissons que par ouï-dire les fouilles du Mont-Vaudois. Enfin si la place ne nous faisait pas défaut pour les objets encombrants, nous aurions sans doute pu conserver l’une des deux curieuses pirogues trouvées par M. Bouvaist, ingénieur des Ponts et Chaussées, dans les graviers et les atterrissements de la Saône.

124« C’est là une situation fâcheuse pour notre région, et préjudiciable même aux études archéologiques en général. Il est en effet incontestable que les objets destinés à provoquer et à faciliter ces études perdent à la fois de leur signification et de leur valeur, à mesure qu’ils s’éloignent de leur lieu d’origine.

125« Telle pièce importante dans une collection locale ne sera plus qu’un rebut de tiroirs dans le musée d’une grande ville, où elle restera anonyme et inaperçue à côté de son étiquette décollée, au lieu de porter avec elle sur place son enseignement et son utilité.

126« La Société d’agriculture a résolu de sortir de cette voie. Elle a, dans sa séance du 22 novembre 1878, réorganisé sa section d’archéologie, et voté des fonds pour exécuter elle-même des fouilles, subventionner les recherches particulières, etc. Ces efforts modestes, mais persistants, la mettront à même de conserver au département les matériaux de sa propre histoire, et de les mettre en œuvre.

127« J’apporte ma pierre à l’œuvre commune en présentant une carte et un sommaire, sorte de procès-verbal résumant les recherches ou découvertes faites jusqu’à ce jour, et ayant pour objet de préciser le point où en sont les études préhistoriques dans la Haute-Saône. »

128Chapelain avait de grands projets pour la Haute-Saône qu’il avait adoptée. L’année où ce texte était publié, il quittait le département… La Commission d’archéologie ne survécut pas à ce départ, mais la Société d’agriculture n’en continua pas moins, et avec succès, une politique très favorable aux recherches préhistoriques et archéologiques et à la conservation du patrimoine haut-saônois.

En conclusion

129Il faut bien convenir que retracer le cheminement des idées dans la reconnaissance du fait préhistorique, est bien difficile. On ne peut en effet se fonder que sur les écrits des différents acteurs, et encore quand ils ont osé se prononcer ouvertement sur les grands problèmes du moment. Ce fut le cas pour Thirria, Bouillerot et Chapelain. Ils ont en principe peu écrit, mais leurs plaidoyers pour ou contre la présence de l’homme sont toujours éloquents. Il faudrait évidemment en savoir plus sur leurs convictions philosophiques ou religieuses. Malheureusement, leur correspondance, leur documentation n’ont pas été conservées ou sont difficilement accessibles. Quoiqu’il en soit, leurs histoires mériteraient des études plus approfondies, car ils ont été de tous les combats et ils ont toujours eu cet enthousiasme qui abat les montagnes : « J’avais donc le pied sur le seuil de la science qui a pour objet l’étude des origines de l’homme », écrivait Achille Bouillerot en 1874. Ils étaient conscients que l’humanité primitive prenait sa revanche après tant de dénigrements et de soupçons ; « Ce que l’on qualifiait naguère de roman est de l’histoire bien positive, s’affirmant chaque jour par des découvertes certaines et des documents authentiques. » Bouillerot en 1881.

130Le problème de l’amateur, toujours d’actualité, ne transparaît pas chez Chapelain qui n’oppose pas « l’homme spécial et le simple chercheur ». Bouillerot a bien du respect quand il parle de Cuvier, même s’il ne le suit pas dans ses convictions bien arrêtées ; il n’hésite pas à contacter les plus grands, entre autres Gabriel de Mortillet, conservateur au Musée de Saint-Germain, qui « eut l’extrême obligeance de [lui] répondre » sur le produit des fouilles pratiquées au camp de Bourguignon en 1862 [et conservés à Saint-Germain] » (Bouillerot, 1875, p. 191-192).

131L’année 1859 est généralement considérée comme marquant la reconnaissance officielle de la Préhistoire. Après dix ans de recherches, Boucher de Perthes termine en effet la parution des trois volumes des Antiquités celtiques et antédiluviennes, où il s’efforce de démontrer la très haute antiquité de l’homme ; il a alors l’aval des savants britanniques Hugh Falconer, Joseph Prestwich et John Evans, sans oublier Charles Lyell.

132Dès 1875, Bouillerot cite indirectement Boucher de Perthes et Lartet, autre paléontologue et préhistorien français, qui, à l’issue de ses fouilles dans la grotte d’Aurignac, présenta vers 1860 à l’Académie des Sciences une communication : Sur l’ancienneté géologique de l’espèce humaine dans l’Europe occidentale.

133Pour cela, Bouillerot reprenait un texte d’un certain M. de la Blancherie : « Une science nouvelle, [la Préhistoire], inconnue il y a trente ans, fille ou plutôt sœur de la Paléontologie, est née des découvertes des Boucher de Perthes et des Lartet ; née, discutée, presque étouffée à son berceau, elle a grandi au milieu de la lutte... » (Bouillerot, 1875, p. 157).

134On est ainsi certain que les nouvelles données sur l’ancienneté de l’homme sont arrivées avec peut-être un léger retard en province, mais qu’elles sont bien arrivées et qu’elles ont été favorablement accueillies, même si quelques personnages, comme Thirria, les rejettent encore avec force et virulence en 1869.

135Le problème se pose du rôle de la Commission des antiquités de la Société d’agriculture de la Haute-Saône. Elle a eu ses promoteurs, passionnés et opiniâtres : le docteur Pratbernon, le docteur Sallot, Chapelain… Elle a eu des moments d’activités, de léthargie… Sa période faste, 1860-1867, peut être jumelée avec la date de 1859, où la Préhistoire est considérée comme reconnue par les autorités scientifiques. C’est à partir de cette période et jusqu’en 1878, que l’archéologie prendra une place de plus en plus importante dans les publications de la Commission d’archéologie. Il serait intéressant de comparer ses activités avec celles de ses voisines.

136Dans cet enchaînement de chercheurs, on retiendra tout particulièrement le récollet Jean-Baptiste Maréchal, littérateur curieux de tout, qui semble bien ouvrir la voie des futures découvertes par sa description de la Baume d’Échenoz. À côté des Pratbernon, Thirria, Chapelain, Achille Bouillerot restera le personnage le plus remarquable de son époque. En 1885, le grand Auguste Castan lui rend un hommage mérité : « Doué d’un remarquable esprit d’observation et d’une parfaite rectitude de jugement, il occupa ses loisirs à étudier le sol natal et à y recueillir des vestiges qui intéressaient à la fois la géologie et l’archéologie préhistorique… M. Achille Bouillerot ayant été en outre le plus modeste des hommes utiles, notre Compagnie a doublement le devoir d’exprimer au sujet de sa mort de sympathiques regrets. »

137Comment faut-il juger ou comment peut-on juger aujourd’hui tous ces personnages ? Est-il utile de les juger en fonction des connaissances actuelles ? Ils ont tous fait preuve de beaucoup d’audace et l’on peut reprendre la phrase de Bouillerot qui en dit long sur sa fierté de découvreur et de précurseur : « J’avais donc le pied au seuil de la science qui a pour objet l’étude des origines de l’homme. »

Bibliographie

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Bibliographie

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Annexe

annexe I

Texte de Jean-Baptiste Maréchal, d’Amance, sur la baume d’Échenoz-la-Méline (1750)

Ce texte est connu par deux copies manuscrites du xviiie s., présentant quelques variantes : l’une est conservée à la Bibliothèque Municipale de Besançon (Fonds Dunand – 21, f° 78-80), l’autre dans une collection particulière. Le texte qui suit vient de la deuxième version. On se reportera à la figure 2.

« Description de la Baume d’Échenoz lès Vesoul, faite en 1750 par feu Jean-Baptiste Mareschal, prêtre récollet, accompagné de plusieurs personnes.

« Cette baume ou caverne qui a environ six cents pieds [180 mètres environ] de longueur comme on peut le voir par l’échelle cy dessus tracée, est un souterrain dans le pur roc que l’auteur de la nature a formé dans la création de l’univers. Ce souterrain est élevé au-dessus du rez de chaussée d’Échenoz d’environ deux cents pieds [45 mètres environ]. Son entrée est au-dessus d’une belle côte de vignes qui est tournée vers l’orient. Auparavant que d’entrer dans cette grotte, on trouve une espèce de salle qui a 40 pieds de long sur 24 de large ; le roc luy sert de voûte ; on trouve à l’extrémité de cette salle, une ouverture qui a trois pieds de large sur deux de hauteur seulement, de façon qu’il faut ramper, la passer et pour entrer dans cette grande caverne qui ne reçoit d’autre lumière que celle que cette petite ouverture lui donne, c’est pourquoy on est obligez de se munir de chandelles et flambeaux pour voir les bautez de cette fameuse grotte. C’est là que l’on voit des eaux pétrifiez de toutes sortes de façon qui se sont formées par la chute des gouttes d’eau qui tombant insensiblement dans le même endroit depuis environ 5 000 ans, se sont endurcies et ont acquises la duretée de la pierre par une continuelle congélation. On voit dans ces pétrifications de la couleur et de la blancheur de l’alun de roche et des morceaux de plus d’un pied de diamètre et de la figure d’une cloche. Quantité de petits tuyaux pétrifiez de la longueur de 5-5 à 8 pouces ornent dans beaucoup d’endroits les voutes, ces tuyaux sont percez en longueur à jour, ils sont d’une grande blancheur, leur grosseur ne [dé]passe guère quatre lignes de diamètre ; ils sont luisants et lorsqu’on les casse, ils sont dans leurs fractures d’un poly admirable, il égale celui du cristal de roche que les lapidaires n’ont jamais attrapez. Quand on jette au feu de ces tuyaux, ils pétillent aussitôt et se mettent en pièces. Toutes les différentes pétrifications n’ont pas plus de dureté que l’albâtre. On voit dans plusieurs endroits de l’intérieur de cette grotte une chaîne de petits rochers attachés aux rocs de la hauteur de 8 à 9 pieds et la plupart de ces petits rochers sont couverts d’une pétrification continue de couleur roussatre et qui imite des espèces de dantelles et de broderies et qui représentent dans d’autres endroits comme des paux qu’on auroit coupées par bandes. Ces différentes couleurs dans ces pétrifications proviennent des différentes terres dont les eaux se chargent en les pénétrant. La voute de cette grotte est admirable, elle est presque partout en anse de panier surbaissée et qui est dans plusieurs endroits très unie. On diroit en voyant les pétrifications blanches qui remplissent les joints des rocs qui la composent que c’est un coulys de chaux blanche dont les ouvriers se sont servis pour la cimenter ; cette voute ne [dé] passe pas, dans les endroits les plus élevez, les 20 ou 25 pieds. La largeur de ce souterrain généralement parlant peut être de 30-35 à 40 pieds, mais sa longueur comme il en a été déjà dit, a au moins 600 pieds. Le plain pied de cette caverne est assez uni dans plusieurs endroits, et si l’on vouloit débarasser les pierres des autres endroits, ce qui seroit très facile, on la rendroit très praticable. Cette grotte est assé sèche malgrez les gouttes d’eau qui tombent de tems en tems et l’air qu’on y respire est très sain. On y voit une piramide creuse qui représente le dedans d’un clocher, et on luy a donné le nom de clocher, il peut avoir une quinzaine de pieds de diamètre dans sa base sur 40 de hauteur, et il faut ramper, comme dans la première ouverture, pour y entrer. Il s’y trouve au dessus de la grotte un grand bois, dont la terre recevant les eaux du ciel, les communique aux insensibles fentes du rocher, ce qui produit les pétrifications dont on a parlés. Quant on est parvenu en O, il faut descendre en P de six pieds de roy et la descente n’est pas commode. On voit en Q une espèce de colonne de deux pieds de diamètre qui parte de fond et qui s’élève jusqu’à la voute. La grotte n’est gardée que par des chauves souris que l’on voit attachez aux voutes ; nulle autre bête et insecte n’y paroissent, ainsi on peut y aller en toute sureté, sans rien appréhender des bêtes venimeuses. » (Suit ensuite la relation de la prise de Vesoul en 1595 et l’utilisation de la grotte comme refuge).

À signaler une petite variante, dans la première version, pour la dernière phrase : « … Nulle autre bête ou insecte n’y paroissent ; l’Hôte de Trophonius [ certainement le Diable] n’y préside pas ; aussi on peut y aller en toute sécurité sans rien appréhender des Bêtes venimeuses et du Diable.

« L’Antre de Trophonius : c’étoit un antre où un diable présidoit et qui baroit rudement ceux qui alloient le consulter et dans l’ancien proverbe, on disoit qu’une personne sortoit de l’Antre de Trophonius quand on la voyoit triste, abattue et de mauvaise humeur. »

annexe II

Description du camp de Cita, Échenoz-la-Méline (1782)

Ce texte tiré de l’important Fonds Dunand (22, f° 147-148), conservé à la Bibliothèque Municipale de Besançon, n’est pas signé. Il semble qu’on puisse l’attribuer au Père J.-M. Dunand lui-même (1719-1790).

Cita, montagne près de Vesoul, sur le territoire d’Échenoz-la-Méline et de Navenne ; description d’un camp qui est sur son sommet.

« La Cita, montagne dans le bailliage, est à demie lieue de la ville de Vesoul, la plus grande partie dans le territoire d’Eschenoz la Méline et la partie septentrionale dans celuy de Navenne.

« J’y montai le 11 octobre 1782, après en avoir parcouru le plateau où je ne trouvai que des meurgey, mur-jé, mur jetté, renversé, formés des pierres qu’on a ramassées en tas, pour faciliter le labourage. Je m’avancay vers la pointe qui est au nord. Comme j’en approchois, je rencontrai d’abord un murjé alligné ou formant la ligne de largeur au midi. Je la mesurai et j’y trouvai 410 pas de longueur. Je mesurai ensuite la ligne regardant au nord ou de l’est au nord et faisant face à Navenne, et elle se trouve avoir 400 de mes pas, comme la partie la plus au nord est presqu’arrondie, elle a 450 pas et celle qui est à l’ouest en a 412. Il me parut alors que la Motte de Vesoul devoit avoir quelques toises de plus d’élévation que la montagne de Cité. Je mesurai ensuite la largeur de cette espèce de mur et je trouvai au midi et à l’ouest qu’il avoit 30 pas de largeur ou d’épaisseur, qui réduite au tiers paroit supposer assés sensiblement que ce mur éboulé depuis des siècles, devoit avoir 10 pas d’épaisseur, ce qu’il y a d’évident, c’est que tout le plateau a été exactement environné d’un mur sec, sans taille, sans mortier, sans ciment, sans gyps, sans aucune sorte de liaison.

« Tout ce qui précède la partie au midi est plaine et cette ligne où le mur qui y étoit, paroît avoir été précédé d’un large fossé, ainsi que celle de l’ouest qui joignant un terrain assés plat, un mur d’une largeur égale à celle du midi, je veux dire de 10 à 12 pieds. L’enceinte à la partie du nord et à celle de devant, a une épaisseur moins forte d’un tiers, surtout dans les endroits rapides et escarpés, comme dans le milieu au centre. Au nord où le rocher forme un escarpement, on a lieu de croire que quoique la pierre fut sur place, on n’a pas fait ce mur pour pouvoir labourer ce plateau, qui l’est en effet sur la plus grande partie. Il est facile d’appercevoir que les murgés de l’intérieur du plateau sont plus récents de beaucoup et à peine leur donneroiton deux siècles. Il seroit facile sans doute, en perçant dans quatre endroits différents, de reconnoître l’épaisseur de ce mur, son allignement et peut-être même son parement dans plusieurs endroits. Je pense bien qu’on y trouveroit point de fondement, soit par rapport à la présence d’un roc, soit à la largeur que ce mur devoit avoir, soit à la façon de bâtir des Gaulois, ou soit qu’à vu des pierres engagées dans des poutres de bois formant le chassis, ils élevoient ainsi leurs murs de deffenses, ainsi que nous l’apprend César dans ses Commentaires des Gaules. Cet auteur donne beaucoup de places fortes aux Gaulois et qu’il appelle en latin oppida. C’était là où les peuples metoient en sureté leurs femmes, leurs enfans, leurs vieillards, quelques meubles et du bétail ; pour, les hommes tenoient la campagne pendant les incursions des peuples qui venoient chaque année du nord, on peut présumer par César même, liv. 2, que les Gaulois entre eux regardoient ces lieux comme des asyles et qu’ils s’étoient mutuellement défendus de les assiéger ; ces lieux n’étoient donc destinés qu’à la foiblesse et ils n’ont dû être fortifiés que pour les garantir des barbares.

« On ne peut croire que le mur de Cité ait jamais été un ouvrage romain. Ils auroient construit beaucoup plus solidement. Ils auroient employé la taille et leur fameux ciment. On y trouveroit des tuileaux, en un mot quelques caractères de leurs constructions. Cette montagne a donc dû servir aux Gaulois et présente par là même un monument plus ancien et d’autant plus respectable que nous croions que depuis longtems il ne nous restoit pas le plus léger vestige de nos aieux. Celuy de Cité est le second, il a une parfaite ressemblance avec celui du Montguérin, dans le bailliage et à deux lieues et demi au nord de la ville de Dole. On y voit une enceinte égale, un fossé sensible dans un endroit moins rapide. Cette montagne d’une forme assés semblable à celle de la citadelle de Besançon a 55 toises de roy d’élévation.

« Croire que Cité a été une ville du canton des Portisicus, ce seroit de la part d’un historien une complaisance que la connaissance de l’antiquité ne pourroit pas luy passer. Le mot de Cité que la tradition nous a transmis nous vient sans doute des Romains. Ils s’en servoient pour exprimer tout un canton, et il n’a pu être appliqué par ces peuples à la montagne dont nous parlons que parce que il devoit être le lieu où ils scavoient que les Gaulois avoient la coutume de retirer les femmes, les enfans, les vieillards de tout le canton. C’étoit, comme l’on sait, que sur des hauteurs et dans des lieux montagneux que les Gaulois construisoient de pareils asyles. »

Un plan très sommaire, qui porte quelques indications manuscrites, a été ajouté au texte.

Au centre du camp : « Ce plateau est labouré ; on y voit cependant des buissons, et ce qu’on appelle murgés - mur-gé – murus jacens - mur renversé. » À l’extrémité nord : « Lieu où le mur s’interrompt parce que le roc est escarpé. »

Tous les versants sont boisés, sauf celui d’Échenoz-la-Méline, où est noté : « Terres labourables. »

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