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Archéologie des enceintes urbaines et de leurs abords en Lorraine et en Alsace (XIIe-XVe siècle)

 | 
Yves Henigfeld
, 
Amaury Masquilier

Études monographiques

Verdun (Meuse)

Franck Gama, Laurent Gébus et Laurent Vermard

Texte intégral

1. PRÉSENTATION GÉNÉRALE ET ÉTAT DE LA RECHERCHE (F. G.)

1.1. Contexte géographique et géologique

  • 357 Plusieurs études particulières du rôle défensif des cours d’eau à Verdun font référence : Petitot-B (...)

1Dans la partie occidentale de la Lorraine, la ville de Verdun est implantée à l’intersection d’un axe routier est-ouest et de la vallée de la Meuse (fig. 249). La seule entaille profonde du plateau meusien est formée par la vallée qui s’étend de 70 à 80 m en contrebas d’un relief de cuesta. La rivière coule dans une vallée d’une largeur disproportionnée par rapport à son débit. Le couloir présente de nombreux méandres, dont le plus important est le cirque qui s’ouvre en face de Verdun, sur la rive droite. Située sur un promontoire détaché des côtes par la Meuse et son affluent, la Scance, la ville domine cette région, à l’intersection avec un tracé routier (Reims-Verdun-Metz) qui relie la forêt d’Argonne à la plaine de la Woëvre. À l’ouest, la citadelle a été édifiée sur le mont Saint-Vanne (fig. 249) à l’extrémité du plateau (cote NGF : 228,57 m), formé de calcaires oolithiques compacts. Ce substrat est exploité très tôt pour la construction. À l’est, la ville haute occupe un éperon rocheux (cote NGF : 225,65 m), qui présente une stratigraphie géologique, faite de calcaires siliceux du Glypticien, de calcaires oolithiques de l’Argovien et de marnes de l’Oxfordien. En contrebas, la ville basse (cote NGF : 198 m) se divise en îles découpées par la Meuse et ses chenaux (fig. 249). En amont de Verdun, le fleuve est formé actuellement de deux cours principaux. D’une part, le bras gauche s’écoule au nord en contrebas du Rocher et prend le nom de ruisseau Saint-Vanne, puis de canal des Augustins. D’autre part, le Moson, branche droite probablement créée lors des travaux de fortification au xviie siècle, alimente au sud le canal Saint-Airy et le Preillon357. Ces deux bras se rejoignent juste en amont du pont Legay et délimitent ainsi le Pré-l’Évêque et l’île Saint-Nicolas. Le bras droit forme plusieurs chenaux ou canaux dans la ville basse, dont la confluence rejoint la Meuse juste en amont du pont Chaussée (fig. 249).

1.2. Historique des recherches

  • 358 Les travaux postérieurs ne reprennent que partiellement ces sources initiales : Chaligne, 1939 ; Ev (...)

2Au xixe siècle, les recherches archéologiques sont réalisées uniquement au cours de travaux qui ne permettent que des observations ponctuelles dans l’urgence (Liénard, 1872 et 1884). Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la reconstruction n’offre pas un meilleur contexte d’intervention. Cependant les observations sont plus précises quant à la datation et la nature des vestiges observés (Chenet, 1936). Néanmoins, les “archives du sous-sol” étudiées à cette occasion ne concernent pas le thème de la fortification urbaine. En conséquence, les connaissances sur l’évolution des enceintes de Verdun sont uniquement le fait des études historiques. En particulier, l’Histoire de Verdun et du pays verdunois (Clouët, 1867, 1868 et 1870) apparaît comme le travail de référence concernant la topographie urbaine. Cependant, certaines indications ayant trait notamment à la fortification médiévale doivent être utilisées avec prudence358. Des travaux plus récents (Girardot, 1982a, b et c ; Girardot, 1992a, c et d ; Gama, 1996b et 1997b) permettent en particulier une lecture topographique plus précise des sources historiques. Enfin, l’archéologie préventive est pratiquée à Verdun depuis 1991 et livre régulièrement des informations concernant notamment la topographie historique (BSR Lorraine, [1991], 1993, 1994, 1995, 1997, 1998, 2001 et 2003).

Fig. 249. Verdun. Contexte géographique, échelle 1/25 000. 1. Pont Legay - 2. Pont Chaussée. DAO : H. Duval/INRAP.

1.3. État des connaissances

1.3.1. L’origine du site fortifié

  • 359 “Un large fossé existait probablement à l’ouest vers le bosquet de l’évêché […] une enceinte plutôt (...)
  • 360 Les études de la fortification moderne de Verdun sont nombreuses et mieux documentées : Frémont, 19 (...)

3Le site de hauteur est limité au sud et à l’est par des micro-falaises, hautes de 20 à 30 m. La citadelle et la ville haute de Verdun occupent cet espace au pied duquel s’écoulaient la Meuse et la Scance, son affluent détourné au nord à l’époque contemporaine (fig. 250). Cette configuration présente toutes les conditions naturelles nécessaires à un site fortifié de hauteur. Les historiens verdunois ont avancé l’hypothèse d’un éperon barré protohistorique359. Toutefois, aucune intervention archéologique n’a permis jusqu’à présent de confirmer ou d’infirmer l’existence d’une enceinte antérieure à celle de l’Antiquité tardive. Par ailleurs, les travaux de fortification et d’urbanisation aux époques modernes et contemporaines ont profondément bouleversé l’aspect du mont Saint-Vanne et de la ville haute360.

1.3.2. L’enceinte de l’Antiquité tardive

4Durant le Haut-Empire, Verdun apparaît comme une agglomération secondaire dont le chef-lieu est Divodurum (Metz). Le site est mentionné par l’Itinéraire d’Antonin (Evrard, Parisse, 1982 : 13) mais ne demeure connu que par quelques éléments constitutifs (Gama, 1997b : 21-24) (voie, repères d’habitat…). Durant l’Antiquité tardive, la civitas mediomatricorum est démantelée et conduit probablement à la création de la cité verdunoise (Verodunum) attestée par la Notitia Galliarum (Gauthier, 1980 et 1986 : 62). Les traditions historiques datent la construction d’un castrum de cette période (fig. 250, A).

  • 361 Au milieu du viiie siècle, l’ecclesia et la domus aeclesiae occupent le flanc sud du castrum (Gauth (...)
  • 362 Charte de fondation de la paroisse Saint-Sauveur : “ inter duos lapideos pontes Mosani cursüs, juxt (...)

5À la fin du vie siècle, le poème de Venance Fortunat livre la première mention de la cité enclose (Evrard, Parisse, 1982 : 20). En effet, le siège de Verdun par Clovis est relaté par Bertaire et Hugues de Flavigny plusieurs siècles après, tandis que Grégoire de Tours n’y fait aucune référence. Moine de Saint-Rémi à Reims, Richer produit la première description du site fortifié urbain. Au printemps 984, Verdun est assiégée par Lothaire. La description précise la topographie à l’ouest et au nord du castrum, attribué à cette époque aux fonctions épiscopales361. En venant de l’Argonne, le site est précédé par une vaste plaine facile d’accès. L’enceinte est doublée d’un fossé profond sur le front nord (rues Montgauld, de la 7e-Division-Blindée-U.S.A. puis Saint-Pierre). La face méridionale présente un aplomb certain du rocher qui descend brutalement sur la rive gauche de la Meuse (Clouët, 1867 : 352-353). Suite au siège, l’évêque Haimon ordonne la reconstruction de l’enceinte urbaine et son extension (Clouët, 1868 : 9, note 3). Dès cette époque, le site fortifié pourra être identifié par des noms différents dans les archives. Ainsi le cartulaire de l’abbaye Saint-Airy (fig. 250, no 7) utilise-t-il le terme arx pour désigner la ville haute362. L’abbé Clouët note également les mots Châtel, Ancienne ou haute Fermeté et enfin, castrum qui est utilisé dans les actes latins jusqu’à la fin du Moyen Âge (Clouët, 1867 : 42, 319, 459 ; Clouët, 1868 : 46, 202-203 ; Clouët, 1870 : 207). En échange de l’entretien des fortifications, l’évêque Haimon confère à l’abbaye Saint-Vanne (fig. 250, no 8) les portaiges, droits perçus sur les marchandises aux entrées de la ville (Clouët, 1867 : 319 ; Clouët, 1868 : 10, 229). Le système de la pitura sera développé par ce même évêque pour les autres abbayes. Vers 1041, la construction de la collégiale de la Madeleine (fig. 250, no 9) est l’occasion donnée au seigneur épiscopal de faire réparer le mur d’enceinte dans le secteur nord-est du Cloître (Clouët, 1868 : 46). Cette question de l’entretien sera fréquemment évoquée. Ainsi des accords sont-ils signés entre le chapitre et la Ville pour la Fermeté avec laquelle des maisons canoniales sont mitoyennes (Clouët, 1870 : 207). Les actes témoignent également de l’abandon progressif de l’aspect défensif de l’enceinte aux périodes où la ville s’entoure d’autres fortifications. Dès les xive et xve siècles, le mur est cédé aux particuliers (Clouët, 1867 : 459).

  • 363 Données inédites calculées à partir du plan à 1/10 000 (fig. 250).

6Longue de 1 105 m environ, l’enceinte antique serait édifiée sur la ville haute pour enclore un espace de 7,9 ha environ363 (fig. 250, A). Les portes de cette dernière ne sont connues avec certitude qu’à partir du xiie siècle. La voie occidentale en provenance de Reims devait probablement pénétrer le site fortifié par une ouverture située à l’emplacement de la porte Châtel (fig. 250, no 1), dite également Champenoise, mentionnée au xiie siècle (Clouët, 1867 : 42, 319, 353, 497, note 1). La porte du Princier (fig. 250, no 2) au bas de la rue de la Belle-Vierge n’est quant à elle mentionnée qu’au xiiie siècle (Girardot, 1982a : 103). En revanche, l’accès oriental n’est pas attesté. Une troisième ouverture, dite Mazel 347 (fig. 250, no 3), est signalée par l’abbé Clouët vers les Petits-degrés. Postérieur de plusieurs siècles, le cérémonial d’entrée des évêques (Clouët, 1870 : 501-508) autoriserait cette hypothèse.

Fig. 250. Verdun. Proposition de tracé des enceintes, d’après Gama, 1997b, échelle 1/10 000. A. Enceinte de la ville haute ; B. Fortification de la rive gauche ; C. Enceinte du bas Moyen Âge ; M. Enceinte des Bracences Negociatores. DAO : H. Duval / INRAP.

  • 364 AM de Verdun, plan cadastral de 1832, échelle 1/1 250.

7L’existence d’une tour sur le flanc oriental a été également proposée (fig. 250, no 4). En 1919, une carte postale montre la structure circulaire au milieu des maisons éboulées sur la place de la Libération. Cependant, ce document iconographique n’autorise aucune datation précise. Une démarche régressive couramment utilisée a conduit à proposer un tracé de l’enceinte à partir du premier plan cadastral daté de 1832364 qui renseigne essentiellement la localisation des murs de terrasse de la ville haute. Aujourd’hui, seules trois structures appartiennent assurément au système défensif : la porte Châtel encore en élévation sous sa forme du xiiie siècle (fig. 250, no 1), une archère simplement repérée à proximité de la place André-Maginot (fig. 250, no 5) et enfin une structure de forme circulaire sur le flanc sud (fig. 250, no 6). Ces deux derniers éléments n’ont jamais fait l’objet d’une étude précise. En conséquence, aucune datation ne peut être proposée.

1.3.3. L’enceinte des Bracences negociatores

8Au haut Moyen Âge, la cité est animée par un second pouvoir qui ne bénéficie d’aucun statut politique, mais dont l’importance est connue par ses liens commerciaux avec certaines cités d’Europe depuis le viiie siècle : les Bracences negociatores (Clouët, 1867 : 236-237 ; Girardot, 1992a : 159, note 8). Ces marchands disposent d’un enclos dans la ville basse entre deux bras de la Meuse (fig. 250, M). Ce castrum pourrait vraisemblablement être situé entre le canal Saint-Airy, voie de navigation pour les bateaux remontant le fleuve, et le ruisseau du Brachieul. Dans ce quartier, la place du Commandant-Galland est vouée au commerce et à l’artisanat au xvie siècle et pourrait correspondre au Negotiatorum claustrum cité par Richer de Reims (Clouët, 1867 : 353, 472 ; Girardot, 1982a : 98-99).

1.3.4. Les enceintes monastiques suburbaines

1.3.4.1. L’enceinte abbatiale Saint-Paul de la fin du xe siècle

9La plus ancienne des enceintes monastiques est citée dans une lettre de Lothaire à l’évêque Adalbéron en 986. Le roi demande la suppression des “hautes murailles” de l’abbaye Saint-Paul qui empêche la défense de la place (Clouët, 1867 : 367). Cette mention ne permet pas de préciser la date de construction de cette enceinte, ni sa nature, ni sa localisation précise (fig. 250, no 10).

1.3.4.2. L’enceinte abbatiale Saint-Vanne de la fin du xie siècle

10À l’ouest du castrum, l’évêque Haimon décide la fortification de l’abbaye Saint-Vanne à la fin du xie siècle (Clouët, 1867 : 353, note 1). Un siècle plus tard, l’abbé Conon (1146-1178) fait construire deux tours à l’enclos abbatial (Clouët, 1867 : 466 ; Clouët, 1868 : 298, 347). La topographie du site abbatial demeure méconnue pour cette période, et notamment en ce qui concerne l’enceinte (fig. 250, no 8).

1.3.4.3. Une fortification proche de l’abbaye Saint-Airy vers 1240 ?

  • 365 Cf. infra L’enceinte du quartier marchand de la rive gauche.

11Selon l’abbé Clouët (Clouët, 1868 : 187), un mur proche de l’abbaye Saint-Airy est mentionné en 1115, lors du siège de Verdun par Henri de Winchester, évêque allié pour la circonstance à Renaud, comte de Bar. La même source signale la construction d’une clôture par l’abbé Nicolas vers 1240 (Clouët, 1867 : 458, 464, 467). Cependant, l’enceinte bas-médiévale semble déjà enclore ce quartier à cette date (Girardot, 1992a : 155)365. En l’état actuel des connaissances, aucun élément ne permet de favoriser l’une ou l’autre hypothèse (fig. 250, no 7).

1.3.4.4. Une enceinte abbatiale Saint-Nicolas ?

12Une autre incertitude subsiste quant à la clôture de l’abbaye Saint-Nicolas, établissement fondé au début du xiiie siècle (fig. 250, no 11). Contemporaine du “grand rempart” bas-médiéval, l’existence de cette enceinte abbatiale pourrait se justifier compte tenu du statut particulier de ce bourg extra muros placé sous l’autorité directe de l’évêque et de la configuration du site, une île formée par les cours d’eau (Clouët, 1867 : 502-503, 505, note 1). Enfin, un accord signé en 1247 entre la Ville et l’élu Jean (élu du chapitre au siège épiscopal) signale l’existence d’un mur sur la rive droite du ruisseau Saint-Vanne à la hauteur de la porte en Rû (Clouët, 1867 : 512-513, note 4) (fig. 250, no 12). Cet acte pourrait consolider l’hypothèse d’une enceinte abbatiale.

1.3.5. L’enceinte366 du quartier marchand de la rive gauche

  • 366 Une tradition récente assigne à cette fortification du Moyen Âge central le nom de “petit rempart” (...)
  • 367 Données inédites calculées à partir du plan à 1/10 000 (fig. 250).

13Au pied du castrum, un second quartier marchand (Girardot, 1992a : 158, note 5), le Mazel, serait fortifié à la fin du xie siècle (fig. 250, B). Un espace de 13,4 ha serait clos par une limite de plus de 945 m environ367. Ces mesures ne sont données qu’à titre indicatif en raison des problèmes de localisation de cette fortification. La même source date les portes de l’enceinte de la rive gauche de la fin du xie siècle. Cette dernière datation a été par ailleurs vérifiée et confirmée (Girardot, 1992a : 158, note 5). Ainsi, deux ouvertures seraient attestées. À l’ouest, la porte en Rû (fig. 250, no 12) est datée de la fin du xe ou du xiie siècle (Clouët, 1867 : 318-319 ; Girardot, 1982a : 98 ; Girardot, 1992a : 158). Au sud-est, la porte d’Ancelrue (fig. 250, no 13) est datée du début du xiiie siècle (Clouët, 1867 : 352-353, 459, 477, 481 ; Clouët, 1868 : 364 ; Girardot, 1982a : 98 ; Girardot, 1992a : 158). Enfin, l’existence de tours n’est attestée que bien plus tard par les sources planimétriques modernes. L’axe d’origine antique traverserait la Meuse aux alentours du pont Legay et impliquerait également une porte qui n’est attestée qu’au xiiie siècle (Clouët, 1867 : 459) (fig. 250, no 14).

  • 368 Cf. infra La fouille du quai de Londres.

14La datation de l’enceinte de la rive gauche a fréquemment été fixée au xiiie siècle. Cette chronologie correspond davantage à une phase de travaux contemporaine de l’édification de la fortification bas-médiévale (reprise de l’ancienne enceinte ou tracé nouveau ?)368. Enfin, cette étape de la construction est éventuellement à mettre en lien avec l’ordre donné par l’évêque Haimon de reconstruire et d’étendre le castrum à la fin du xe siècle (Clouët, 1868 : 9, note 3).

1.3.6. L’enceinte du début du bas Moyen Âge

15Dès 1208, la commune naissante s’oppose à l’évêque pour obtenir un statut légal et reconnu. La Charte de Paix des années 1260 établit les limites juridiques et géographiques de la commune (Clouët, 1867 : 522-523). À l’émergence d’un pouvoir de la cité correspond l’édification d’une enceinte (ou Fermeté). Cette fortification est relativement bien localisée et certains éléments sont encore en élévation (fig. 250, C). L’histoire verdunoise a fréquemment décrit la cité fortifiée à partir de la première synthèse de l’abbé Clouët (Clouët, 1867 : 457-532). Son tracé souffre de certaines lacunes aux approches du mont Saint-Vanne où les travaux du xvie siècle et plus particulièrement de la fin du xviie siècle ont profondément bouleversé la configuration du site médiéval, notamment au nord-ouest.

  • 369 Acte “Contra communia civitatum” de 1231 à Worms (Clouët, 1868 : 393).

16Davantage encore, la chronologie de cette construction est lacunaire. Les publications ont daté cette enceinte de la fin du xive siècle avec pour preuves les mentions de travaux sur certains édifices. Cependant, il est nécessaire de distinguer trois phases de construction puis divers aménagements. Dans le premier tiers du xiiie siècle, les fonds d’archives traduisent la volonté communale d’ériger une enceinte en prélevant des tailles (période : 1208-1217) (Girardot, 1992a : 155). À l’attention des évêques ou de la cité, les sentences impériales font mention dès 1215 des munitiones (Clouët, 1868 : 358). La lutte qui oppose ces deux acteurs de l’histoire de Verdun se traduit par des travaux sur le terrain. Avant 1227, des fossés sont creusés à travers les clôtures des abbayes (Clouët, 1868 : 393). Ainsi un acte de 1247 décide-t-il de dédommager les Frères Prêcheurs (fig. 250, no 15) dont le cimetière a été bouleversé pour y pratiquer une tranchée sur le front nord-est de la ville dans les années 1220 (Clouët, 1868 : 449-450, note 3). Peu après, les tours de l’enceinte de l’abbaye Saint-Vanne (fig. 250, no 8) sont menacées par les Citains qui veulent y prélever des matériaux pour leur propre fortification (Clouët, 1868 : 433). Cette phase de construction est jugée illégale par l’empereur Frédéric II qui tente de mettre fin aux poussées des communes dans ses États369. Cependant les travaux reprendront et motiveront en partie un conflit armé entre la Ville et l’évêque allié au comte de Bar (défaite des Citains à Charny en 1246). Cette période agitée s’achève par la sentence arbitrale de Jacques de Troyes en 1254. L’accord conclut une première phase de construction dans le premier tiers du xiiie siècle et une séquence de remaniement entre 1248 et 1270 (Girardot, 1992a : 155, notes 1 et 2). Au xive siècle, l’enceinte connaît d’autres travaux de modernisation annoncés par le diplôme communal de 1378 et accordés par le roi de France, Charles IV (Clouët, 1867 : 466 ; Clouët, 1870 : 386).

17L’enceinte est percée de trois portes principales qui s’ouvrent sur des axes d’origine antique et haut-médiévale. À l’ouest, la porte du Mesnil (Clouët, 1867 : 466 et 495 ; Girardot, 1992a : 155-156) (fig. 250, no 16) ferme le mont Saint-Vanne et laisse le faubourg d’Escance extra muros. L’enceinte rejoint le canal Saint-Vanne au sud jusqu’à la porte Notre-Dame ou aux Foins (fig. 250, no 17), ouverte en période des fenaisons (Clouët, 1867 : 466 ; Clouët, 1870 : 386). À cet endroit, le tracé de la fortification demeure fort mal connu jusqu’à sa jonction à l’enceinte de la rive gauche. Le texte du Grand Vendange mentionne également la porte Saint-Victor (fig. 250, no 18) où sont perçus les portaiges (Clouët, 1867 : 466 ; Clouët, 1870 : 383-387 ; Girardot, 1992a : 28-29, 33-34, 156). Déjà cité, le texte du cérémonial d’entrée des évêques dans la cité livre quelques détails sur l’accès sud-est. En 1404, l’ouverture de Saint-Victor est précédée d’un baile qui pouvait correspondre à une place d’armes entre la porte et des avant-fortifications ou des palissades (Clouët, 1870 : 503). La porte Chaussée ou de Gravière (fig. 250, no 19) apparaît comme l’axe majeur du front oriental. Sur les fronts nord-est et nord, la topographie de la fortification est mal documentée. Traditionnellement, son tracé est proposé à partir de celui de l’enceinte moderne mieux connue par les sources planimétriques des xviie-xviiie siècles.

2. LES TRAVAUX RÉCENTS (F. G.)

  • 370 Cette étude a été initiée par le Centre National d’Archéologie Urbaine (Tours) et le Service région (...)

18À partir de 1991, l’espace urbanisé ancien verdunois fait l’objet d’une approche archéologique plus soutenue. En effet, l’instruction des documents d’urbanisme par le Service régional de l’archéologie de Lorraine et la mise en œuvre d’un Document d’évaluation du patrimoine archéologique des villes de France (DEPAVF)370 accompagnent des travaux d’urbanisme importants. Cette politique de prise en compte du potentiel archéologique concerné par des aménagements destructeurs conduit notamment à la réalisation de trois grandes études archéologiques dont certains résultats concernent les enceintes urbaines.

19Entre 1991 et 1995, le projet architectural du Centre mondial de la Paix, des Libertés et des Droits de l’Homme intéresse le quartier de la cathédrale et du palais épiscopal (fig. 250, no 20). Des études archéologiques du sous-sol et des élévations y sont accomplies et livrent des éléments novateurs quant à la compréhension de la topographie historique et l’évaluation du potentiel archéologique de la ville haute. En particulier, l’enceinte de cette dernière est concernée par ces interventions.

20En contrebas, la pose d’un collecteur d’eaux usées sur les bords de la Meuse est accompagnée d’un suivi archéologique constant de 1993 à 1995. Les résultats de l’étude archéologique concernent notamment des fortifications médiévales et modernes (fig. 250, nos 21 et 22).

21Enfin, un projet d’aménagement de la rive gauche de la Meuse à l’emplacement supposé de l’enceinte du Moyen Âge central est précédé de sondages archéologiques dont les résultats ont conditionné une importante fouille réalisée en 1999 (fig. 250, no 23).

2.1. Opérations archéologiques “Centre mondial de la Paix” (F. G.)

2.1.1. Présentation du site

2.1.1.1. Circonstances de l’intervention

22À partir de 1991, un important programme architectural conduisait à l’aménagement du Centre mondial de la Paix, des Libertés et des Droits de l’Homme dans les bâtiments du palais épiscopal, du Greta, du séminaire désaffecté, du chapitre et dans d’anciennes maisons canoniales (fig. 250, no 20).

23Des sondages puis une fouille des élévations ont été mis en œuvre sur les maisons Saint-Jean par une équipe AFAN en 1991 et 1992 (Gama, Chaplier, 1992). Puis, à l’ouest, la démolition du Greta et les terrassements dans la cour de service ont commandé à partir de 1993 la réalisation de diagnostic (Verdun - Greta, 1993) et de fouille (Keller, 1995c). Ces interventions ont été réalisées en collaboration avec le Service régional de l’archéologie de Lorraine, des équipes AFAN et l’archéologue municipal. Dans le même temps, de 1993 à 1995, les travaux ont engendré une étude sommaire des élévations, menée par ce dernier, en lien avec l’Architecte en chef des Monuments Historiques, Michel Goutal, et Xavier Fabre, architecte du projet (Gama, 1997a). Cette intervention a porté ponctuellement sur l’aile occidentale du cloître et les élévations intérieures du chapitre.

2.1.1.2. Localisation

24Sur la face sud du promontoire, les façades méridionales du palais épiscopal, du Greta et de l’ancien séminaire, puis des maisons canoniales dominent d’ouest en est la ville basse. Cette élévation est bordée d’un mur aux dimensions importantes formant une terrasse.

2.1.2. Présentation des vestiges par phases chronologiques

2.1.2.1. L’aménagement du relief originel : un premier mur d’enceinte ?

25Au cours de l’étude archéologique des élévations portant sur les maisons canoniales Saint-Jean au sud-est de la cathédrale, le substrat calcaire avait pu être observé. Les caves de ces bâtiments y sont creusées sur une profondeur minimale d’un mètre (Gama, Chaplier, 1992 : 15-17). Ces sous-sols sont disposés à l’arrière de la façade méridionale et limités au nord par un axe bâti, orienté est-ouest et parallèle à la terrasse.

  • 371 Information orale : Jacques Guillaume, ingénieur au Service régional de l’Inventaire - DRAC Lorrain (...)

26Dans le prolongement de ce dernier vers l’ouest, le mur nord du chapitre, suivi sur près de 50 m (fig. 251 et 252, tracé 1), montre une épaisseur de 2,70 m. Il s’appuie directement sur le substrat calcaire. La base de l’appareil est constituée de gros moellons calcaires jointoyés au mortier de chaux. Au nord de ce mur, le cloître est surélevé de 5,50 m. Dans les années 1960, un sondage réalisé dans la cour formée par les galeries et la cathédrale montrait la présence de “remblai” d’une puissance d’au moins 6 m sans que le sol naturel ait pu être atteint371. Le substrat présenterait ainsi un dénivelé de près de 3 m entre les murs 1 et 2, sur une distance de 11 m (fig. 252).

Fig. 251. Verdun. Tracé des murs de terrasse et/ou de fortification, d’après Gama, 1997a : 21, échelle 1/2 000. 1. Tracé 1 ; 2. Tracé 2 ; 3. Tracé 3 ; 4. Tour de l’évêque ; 5. Édifice de forme circulaire ; 6 Vieux chœur. DAO : H. Duval/INRAP.

Fig. 252. Verdun. Coupe du site entre l’enceinte et le cloître, d’après Gama, 1997a : 20, échelle 1/400. 1. Mur nord du chapitre reposant sur le substrat calcaire ; 2. Façade sud reconnue en fondation - 3. Mur de terrasse actuel. DAO : H. Duval/INRAP.

27Aucune datation ne peut être proposée. De plus, la fonction défensive de cette structure reste hypothétique. Seules les maisons canoniales datées du xiiie au xvie siècle construites extra muros contre ce mur constituent un terminus ante quem.

2.1.2.2. Une deuxième phase de fortification ?

28Reposant sur le tracé 2 (fig. 251 et 252, tracé 2), la façade méridionale longue de 204 m dans son état avant les travaux, associe, d’ouest en est, le palais épiscopal, le Greta, le séminaire et les maisons Saint-Jean. Ce mur est aujourd’hui appuyé sur une terrasse marquée au sud par un mur de l’Époque moderne (fig. 251 et 252, tracé 3). Dans l’une des caves des maisons Saint-Jean, ce dernier est percé d’une baie, aujourd’hui bouchée et située en dessous du sol actuel de la terrasse. Cette position témoigne ainsi du rehaussement du niveau de la terrasse depuis la fin du xviie siècle (Gama, Chaplier, 1992 : 15-17).

29À l’ouest, la façade sud a pu être également observée au cours d’une fouille en 1993 (Verdun - Greta, 1993). Cette étude met en évidence une accumulation de sédiments archéologiques contre le mur qui pourrait être due soit à un phénomène naturel de type dépression ou comblement de diaclase, soit à l’existence d’un aménagement anthropique retenant les terres à l’image d’un mur de soutènement de terrasse et/ou d’enceinte. Toujours dans le même secteur, la coupe fait apparaître des murs perpendiculaires à la façade qui n’ont pu être associés au bâtiment démoli. La tour dite de l’Évêque (fig. 251, no 4) s’inscrit éventuellement dans ce mur. Cette structure est approximativement située à l’emplacement de l’ancien Greta. Faute de temps, aucune étude précise de l’appareil n’a pu être menée. L’aspect de cette façade est encore perceptible sur la gravure d’Israël Sylvestre en 1669. Ce document iconographique présente cette élévation reposant sur un niveau de sol placé plus bas que celui de la terrasse actuelle.

30Là encore, l’absence de datation des structures observées et leur identification incertaine relèguent ces résultats au rang d’hypothèse. Enfin, le document iconographique de la fin du xviie siècle montre que la façade méridionale est doublée d’un autre mur en contrebas. À l’ouest, un édifice de plan circulaire (fig. 251, no 5) et un mur épais sont encore visibles en contrebas du palais épiscopal (fig. 251, tracé 3). Ces deux éléments pourraient s’inscrire dans une dernière étape de fortification (fig. 251, tracé 3).

31Ces études archéologiques du sous-sol et des élévations démontrent les limites d’une démarche régressive réalisée sur un site urbain où la densité et la succession de l’occupation provoquent des modifications importantes du cadre matériel.

2.1.2.3. Les abords

32En 1993 et 1994 (Keller, 1995c), plusieurs opérations archéologiques ont mis en évidence une occupation du Haut-Empire au sud de la cour de service entre les ailes orientale du palais épiscopal et occidentale du cloître. Cette occupation perdure comme semblent l’attester des niveaux d’habitats en matériaux périssables des ive-ve siècles. Selon la tradition verdunoise reprise par Wassebourg au xvie siècle, Polychronius aurait transféré la cathédrale du mont Saint-Vanne (site actuel de la citadelle, à l’ouest) à l’intérieur du castrum, à l’emplacement de “l’oratoire des apôtres” (vieux chœur de la cathédrale, fig. 251, no 6). Cependant, Bertaire ne qualifie pas cet évêque de fondateur de la cathédrale décrite par Venance Fortunat à la fin du vie siècle. Grégoire de Tours signale l’existence d’un groupe épiscopal composé de l’ecclesia, d’un oratoire et de la domus aeclesiae. En 587, la cathédrale est le lieu de refuge de Bertefredus, révolté contre le roi Childebert dont les hommes assaillent la demeure épiscopale et son oratoire. Vers 1100, Hugues de Flavigny ne mentionne pas davantage la tradition. Il faut attendre le milieu du viiie siècle et un grave incendie qui ruine la ville haute et l’édifice, pour connaître sa situation exacte. Bertaire en attribue la reconstruction à saint Madalvé (744-774). En 1993, un four à chaux et sa chambre de chauffe ont été mis au jour dans ce secteur. Aucune datation n’a pu être établie. À proximité, un lit d’épandage de chaux et une structure de refroidissement ont été repérés sur la largeur de la cour de service et sont datés des vie-viie siècles. Ces niveaux pourraient correspondre à la construction d’un édifice du complexe palais épiscopal-cathédrale. Dans la cour de service, la chapelle Saint-Nicolas-des-Clercs (Clouët, 1867 : 418 ; Clouët, 1868 : 590-592 : Clouët, 1870 : 210) est fondée entre 1314 et 1349 à proximité du mur d’enceinte. Les fondations de cet édifice ont été repérées au cours des fouilles de 1993-1994 (Keller, 1995c : 7, 17, 37, 45). Plus à l’est, le chapitre est attesté. Les différentes fonctions (Clouët, 1868 : 590-592) capitulaires y sont exercées : sacristie, salle des petit et grand chapitres, salle des causes, réfectoire, bibliothèque… Ces enseignements émanent cependant de sources tardives. Enfin, des maisons canoniales sont attestées au xiiie siècle (Gama, Chaplier, 1992 : 15-17).

2.2. Suivi archéologique du “ Collecteur rive Gauche : rue Mazel” (F. G.)

2.2.1. Présentation du site

2.2.1.1. Circonstances de l’intervention

33De 1993 à 1995, la pose d’un collecteur d’eaux usées de part et d’autre de la Meuse en pratiquant des excavations profondes mais peu larges dans de nombreuses rues, a donné lieu à un suivi archéologique constant. Cette opération a notamment été effectuée en 1994 en contrebas de la ville haute sur la berge gauche du fleuve (Gama, 1997a : 75-79) (fig. 250, no 21, et 253).

2.2.1.2. Localisation

34Au pied du promontoire, une bande de terrains forme la rive gauche du ruisseau Saint-Vanne, prolongé par le canal des Augustins. Puis, cet espace s’élargit au niveau de la berge ouest de la Meuse canalisée. Le Rocher et la Meuse forment ainsi les limites de la zone no 2 de cette opération.

2.2.2. Les structures

35Dans la rue Mazel, le tracé du collecteur franchissait l’axe supposé de l’enceinte de la rive gauche, localisée à cet endroit par les historiens au xixe siècle (fig. 250, no 13). Selon les mêmes sources confirmées plus récemment (Girardot, 1982a et 1992a), cette fortification est édifiée entre le xe et le xiie siècle en contrebas de la ville haute sur la rive gauche de la Meuse en englobant les quartiers des rues de Rû et Mazel.

36L’excavation destinée à la pose du collecteur dans la rue Mazel a mis au jour les caves des immeubles dont la façade a été alignée au début du xxe siècle. De fait, les observations acquises au cours de ces travaux concernent essentiellement une quarantaine de murs et de voûtes des sous-sols de l’habitat privé. L’étude du plan cadastral actuel sur lequel ont été replacés tous les murs observés permet de distinguer l’alignement des anciennes façades orientales dans la partie sud de la voie (hors-plan) et plus ponctuellement l’axe ouest de ce bâti dans la moitié nord de la rue Mazel. Certains murs perpendiculaires à celle-ci prolongent les limites de parcelles actuelles. Face à l’avenue de la Victoire en contrebas de la place de la Libération, la face ouest de la rue est interrompue. À cet endroit, l’habitat privé détruit par les bombardements de la Première Guerre mondiale n’a pas été reconstruit. Face à cet espace libre, les murs nos 2, 4 et 5 se distinguent sensiblement des autres.

Fig. 253. Verdun. Murs du « petit rempart » positionnés sur les plans cadastraux de 1832 et 1973, d’après Gama, Rohmer, 1997 : 77, échelle 1/500. DAO : H. Duval/INRAP.

37En particulier, le mur no 2 est reconnu sur 2,10 m de long et 50 cm d’épaisseur. Sa hauteur minimale observée est de 1,80 m. La base de ces trois murs n’a pas pu être atteinte. De fait, la mesure exprimée désigne la hauteur du mur observée. Son orientation est sud-est/nord-ouest. En revanche, celle des murs nos 5 et 4 est moins prononcée. Ce dernier élément montre une longueur de 1,60 m et une hauteur conservée d’au moins 1,70 m. Le mur no 5 quant à lui a été reconnu sur 2 m en travers de la tranchée et sa hauteur minimale atteint 1,80 m. Ce dernier est situé dans l’extension ponctuelle de la tranchée vers le centre de la voie où il est lié au mur no 3. Celui-ci, parallèle à l’axe des façades actuelles, est long de 3 m et d’une hauteur de 1,80 m. Bien que la tranchée soit en deux parties à cet endroit et qu’il n’ait pas été possible de vérifier leur lien, les trois murs semblent constituer une cave d’un immeuble en façade (mur no 2) sur la rue Mazel et ses murs de limite nos 3, 4 au sud et 5 au nord.

38Face à l’avenue de la Victoire, cette structure marque un point d’infléchissement de l’ancienne façade ouest de la rue Mazel repérée au nord. En effet, l’élément no 3 est avancé de 2 m vers le centre de la voie par rapport à l’axe déterminé par les repères 6 et 7. De plus, les murs perpendiculaires à la rue montrent une orientation plus prononcée vers le nord-ouest et le sud-est. Ce phénomène est confirmé par le plan cadastral de 1832.

2.2.3. Présentation des vestiges par phases chronologiques

  • 372 Ville de Verdun, plan cadastral, section AK – feuille renouvelée pour 1973, échelle 1/500.
  • 373 AM de Verdun, plan d’alignement de 1919, échelle 1/500.
  • 374 AM de Verdun, plan cadastral de 1832, échelle 1/1 250.

39Compte tenu du rythme de l’intervention au cours de laquelle il n’a pas été possible d’étudier chaque mur avec un minimum de précisions (enduits, nature et taille des moellons, mortier…) ainsi que leur relation chronologique, l’étude des structures ne peut s’appuyer que sur celle des documents cadastraux récents et anciens. Ainsi, trois sources ont été utilisées : le plan cadastral actuel372, un plan d’alignement de la rue Mazel établi en 1919373 à partir d’une feuille cadastrale de 1832374 qui constitue le premier document de ce type pour la ville de Verdun. Selon la notice de l’abbé Clouët (Clouët, 1867 : 481), l’immeuble no 21 de la rue Mazel portait au xixe siècle une inscription sur sa façade, qui conservait la mémoire de la porte d’Ancelrue, démolie à cet endroit en 1618.

40Selon la même source, le front nord de l’enceinte est parallèle à la face sud de l’avenue de la Victoire (ancienne rue du Saint-Esprit). La fortification s’appuie à l’ouest contre le Rocher, en contrebas de l’ancien castrum, et descend jusqu’à la rive gauche de la Meuse sur le quai de Londres. Le tracé est interrompu par la porte d’Ancelrue au niveau de la rue Mazel. Le fossé Lambin protège ce front et occupe l’espace de l’avenue de la Victoire. À 45 m au nord des murs nos 2 à 5, la coupe no 205.02 met en évidence le substrat calcaire à faible profondeur, 45 cm, sous le niveau actuel de la chaussée. Le sol naturel est aménagé à cet endroit pour créer le sous-sol du bâtiment et constitue ses murs de fondation (no 67 de la rue Mazel). Ce témoin montre que le relief initial en contrebas du Rocher était plus accentué qu’aujourd’hui. En effet, entre la coupe no 205.02 et les murs nos 2 à 5, le fond de fouille atteint la profondeur de 2,30 m sans que la roche ne soit mise en évidence. Ainsi, la présence du substrat calcaire à faible profondeur témoignerait-elle de l’existence d’une avancée ponctuelle du Rocher en pente douce de la ville haute vers la Meuse. Ce relief pourrait avoir été utilisé lors de l’édification de la fortification pour conforter l’aspect défensif et serait occupé par le fossé Lambin.

41Si cette hypothèse de localisation de l’enceinte de la rive gauche et de son fossé est proposée à partir de ces observations et des sources écrites, sa datation n’est cependant pas précisée. Les seules données disponibles concernent la porte en Rû à l’ouest (fig. 250, no 12). Un droit y est perçu sur les marchandises qui entrent vers les marchés de la cité (Clouët, 1867 : 318-319 ; Girardot, 1992a : 158). Cette entrée est attestée à la fin du xe ou au xiie siècle (Girardot, 1992A : 158). En revanche, celle d’Ancelrue à l’est (fig. 250, no 13) est traditionnellement datée du début du xiiie siècle. Cependant, cette période concerne une phase de fortifications qui touche principalement le “grand rempart” du bas Moyen Âge et ponctuellement la reprise de l’ancienne enceinte. Ainsi, cette mention de munitiones en contrebas de la collégiale de la Madeleine (fig. 250, no 9) doit-elle correspondre davantage à des travaux de modernisation de l’enceinte qu’à sa création.

42Seul le nom attribué à la porte livre une indication chronologique pour sa création. Le personnage Ancel est mentionné en 1089 et pourrait donner son nom au quartier et à la porte (Girardot, 1992A : 158). Enfin, cette dernière période est contemporaine de la mention de la porte en Rû.

2.3. Suivi archéologique “ Collecteur Rive Gauche : quai de Londres” (F. G.)

2.3.1. Présentation du site

2.3.1.1. Circonstances de l’intervention et localisation

43Dans le cadre de l’opération “Collecteur Rive Gauche”, une excavation profonde (fig. 250, no 22) a été exécutée juste au sud de la porte Chaussée (fig. 250, no 19). À partir de ce point, la tranchée peu profonde s’est poursuivie au sud sur le quai de Londres (Gama, 1997a : 82-83).

44Les terrassements sont localisés à quelques mètres de la rive gauche de la Meuse.

2.3.2. La structure

  • 375 Étude réalisée par Willy Tegel/Dendronet, Bohlingen - 14/10/1994.

45L’excavation, profonde, a permis d’observer le mur de fortification reliant la porte Chaussée encore en élévation sous sa forme des xive-xviie siècles au tracé supposé de l’enceinte de la rive gauche au sud. Cette courtine a été arasée au début du xxe siècle. D’une hauteur de 4,25 m, le mur conservé est épais de 1,70 m. Il est constitué de deux parements construits au moyen de blocs calcaires. Les éléments constitutifs de la face intérieure sont d’une hauteur moyenne de 30 cm et d’une épaisseur régulière de 45 cm. Le parement externe est quant à lui formé de moellons de taille sensiblement différente : hauts de 60 cm en moyenne et épais de 35 cm. Des pierres calcaires liées au mortier de chaux forment le blocage. La fondation du mur entame les alluvions. Chaque parement semble s’appuyer sur des pieux appointés. Seul l’un d’eux a pu être prélevé. La datation dendrochronologique est sujette à caution en raison du faible nombre de cernes et de leur comportement particulier. L’année 1225 est pourtant proposée comme date d’abattage en l’absence d’aubier375.

46Malgré les limites énoncées, cette datation est retenue car elle s’insère dans la chronologie de l’édification de la fortification bas-médiévale dont la première phase d’édification démarre en 1208-1217 (Girardot, 1992a : 155-161). Surtout, cette étude ponctuelle permet de mieux cerner l’évolution topographique des enceintes urbaines sur la rive gauche de la Meuse et notamment la jonction entre une éventuelle enceinte des xie-xiie siècles et la porte Chaussée.

47Par ailleurs, la mise au jour à faible profondeur des murs de l’habitat privé détruit au début du xxe siècle a permis de replacer avec plus de précision le plan cadastral de 1832. Cependant, cette démarche n’a pas permis de localiser la fortification avec certitude.

2.4. La fouille du quai de Londres (L. G. et L. V.)

2.4.1. Présentation du site

48Le projet d’aménagement du quai de Londres par la mairie a nécessité la réalisation d’un diagnostic archéologique, en décembre 1998, qui a révélé l’existence d’anciennes berges et la présence de pieux. Au vu de ces résultats, des connaissances historiques et archéologiques sur Verdun, une fouille préventive s’est avérée nécessaire (fig. 250, no 23). Sous la responsabilité de Laurent Gébus (AFAN) cette fouille s’est déroulée en octobre 1999 (Gébus et alii, 2002). D’une emprise de 3 200 m2, elle correspond à une étroite bande (L : 180 m, l : 5 à 20 m), située au bord de la rive, entre les ponts Legay et Chaussée (fig. 249, nos 1 et 2).

  • 376 Citation d’une charte de 1025 qui évoque sa destruction par une crue (Clouët, 1868 : 46).
  • 377 Cette charte citée par l’abbé Clouët (1867 : 511-513) définit ainsi cette propriété : “Deux moulins (...)

49Le quartier concerné par la fouille se situe sur la rive gauche de la Meuse, au pied du Rocher sur lequel était construit le castrum romain (fig. 249). Selon certains auteurs, ce secteur était depuis l’Antiquité un lieu de marché. Un pont y est mentionné dès 1025376. Il est cité lors d’une reconstruction, ainsi qu’un moulin377, dans une charte de 1041. L’un des faits marquants de l’évolution de ce secteur est son intégration à une enceinte fortifiée qui aurait été édifiée dès le xie siècle.

50La fouille archéologique du quai de Londres a permis d’appréhender plusieurs niveaux liés à l’évolution de la berge avant la fortification de cette partie de la ville, ainsi que le tracé d’une enceinte. Une partie de l’enceinte a également été observée en élévation (fig. 254). Une cote limite de fond de fouille imposée par l’aménageur n’a pas permis d’atteindre les pieux de fondation, privant ainsi de la possibilité de dater la construction du mur d’enceinte.

51Diverses observations concernant l’enceinte ont été réalisées sur quasiment toute la longueur de la fouille. Toutefois, elles sont très lacunaires dans le tiers sud du chantier. Dans le tiers suivant, le mur a été observé sur une longueur de 20 m et sur une hauteur maximum de 50 cm. Il servait de fondations aux élévations des habitats postérieurs. Au nord du chantier, une partie de la courtine était encore en élévation (L : 24 m, h : 2,50 m).

52Quatre grandes phases marquant l’évolution du site jusqu’à l’Époque moderne ont été perçues. La première est marquée par la stabilisation de la berge avant la construction d’une enceinte au xie siècle. Les premiers niveaux observés correspondent à des remblais humiques contenant de grandes quantités d’ossements d’animaux et des fragments de céramique attribuables au haut Moyen Âge. Ces dépôts sont vraisemblablement liés à une volonté d’extension et de stabilisation des surfaces exondées. Des aménagements en maçonnerie pour le maintien de la berge ont ponctuellement été découverts.

Fig. 254. Verdun. Fouille du « quai de Londres » et localisation de l’enceinte de la rive gauche, d’après Gébus et alii, 2002 : 121, échelle 1/1 000. DAO : M. Milutinovic / AFAN.

53Aucun vestige des xie et xiie siècles, en relation avec l’enceinte de la rive gauche, n’a été attesté. En revanche, les recherches archéologiques ont apporté des informations précieuses sur la construction et l’évolution de la fortification du xiiie siècle. Deux grandes phases liées à cette enceinte concernent, l’une sa construction au xiiie siècle, l’autre son évolution, et notamment diverses restaurations.

54La fouille a également permis d’appréhender la réorganisation du quartier depuis le début de l’Époque moderne, notamment le développement de l’activité de tannerie au xvie siècle qui a progressivement englobé l’enceinte entre le pont Legay et le moulin de la Magdeleine et, au nord, l’aménagement de jardins au-devant de la fortification après l’apport de remblais. Lors du premier conflit mondial, le quartier fut détruit et remplacé par un quai et une promenade.

2.4.2. Présentation des vestiges par phases chronologiques

2.4.2.1. Phase A : L’enceinte du xiiie siècle sur la rive gauche

- La courtine

55Dans le deuxième tiers sud de la fouille, un mur (fig. 254, M40) a été mis au jour sur une longueur de 20 m et interprété comme étant la fondation de l’enceinte du xiiie siècle. Il sert d’arase à des murs postérieurs. Son élévation, ponctuellement conservée (L : 4,80 m ; h maxi : 0,50 m ; épaisseur : 1,46 m), est construite en maçonnerie appareillée, constituée d’un appareil de revêtement en parement oriental et d’une fourrure. Le parement oriental est formé d’assises réglées composées de moellons calcaires (h : 17 et 26 cm), équarris, dressés sur cinq pans et assemblés à joints vifs. La fourrure est composée de pierres calcaires posées à plat, par lits, liées par un limon argileux brun vert mêlé à des petits graviers. En partie arrière, elle reposait sur le terrain en place.

  • 378 Cf. infra phase B.

56À l’extrémité nord du chantier, un pan d’enceinte a été observé en élévation sur une longueur de 24 m. Son tracé n’est pas rectiligne. Il s’oriente d’abord sud-ouest/nord-est puis sud-nord vers la porte Chaussée (fig. 250, no 19). Lors de la fouille, cette partie de courtine a été divisée en cinq portions. Leur étude a démontré que seule l’élévation de la portion 1 correspond à l’élévation originelle de l’enceinte du xiiie siècle (fig. 255) ; les autres portions ont subi des restaurations postérieures378.

57La portion 1 (L : 6,5 m, h : 2,80 m, épaisseur : 1,60 m) est construite en maçonnerie fourrée, constituée d’un parement oriental marqué de deux retraites successives, le divisant ainsi en trois parties. Hormis l’assise de la base, ce parement est composé d’assises réglées constituées de gros moellons calcaires (L : 50 et 90 m, h : 21, 25, 27 et 30 cm), équarris, dressés sur cinq pans. Ces moellons sont liés par des joints maigres au mortier de chaux blanc. Une reprise postérieure est visible à environ 4,50 m vers le nord (à 194,80 m NGF) et se développe en montant en gradin vers le sud. Elle se matérialise par un décrochement des assises au niveau de la liaison et par l’utilisation de moellons plus carrés (L : environ 50 m, h : 20, 31, 34 et 37 cm).

58L’appareil de revêtement ouest, visible uniquement en coupe, se différencie en trois parties. La première est formée de quatre assises réalisées en moellons calcaires (h : 10 à 15 cm), bien équarris, et liée par une terre brune ou un mortier maigre décomposé. La deuxième partie, d’environ 60 cm de hauteur, comprend six assises réalisées en pierres calcaires plates (h : 10 cm), juste ébauchées. Le liant est identique au précédent. La troisième partie (à 195,42 m NGF) est conservée sur trois assises, composées de gros moellons calcaires (h : 30 cm), équarris. Le liant est un mortier altéré, compact, brun crème incluant quelques charbons de bois. La qualité de cette partie de l’élévation laisse supposer que ce parement ouest était visible.

- Le moulin de la Magdeleine

59D’après les textes, le moulin de la Magdeleine était en activité jusqu’en 1772, date à laquelle il fut détruit pour faciliter l’écoulement des eaux dans la ville, et éviter les inondations. L’analyse des plans anciens permet de localiser son emplacement et montre qu’il fait partie intégrante de la fortification. Sa position sur la rivière au-devant des enceintes laisse supposer qu’il devait posséder des éléments défensifs pour ne pas fragiliser le système de fortification. Sur un plan du début du xviie siècle (Plan relief de Verdun, 1997 : 2) quatre tours sont représentées à l’emplacement du moulin et du barrage sur la Meuse.

60L’angle nord-est du moulin de la Magdeleine, formé des murs M113 au nord et M53 à l’est, a été mis au jour en bordure de fouille. Ces murs, visibles uniquement au niveau de leur parement externe sont construits en maçonnerie fourrée. Leur parement est formé d’assises réglées constituées de blocs calcaires (L : 40 et 60 cm ; h : pour M53, 30 à 36 cm, pour M113, 40 cm), équarris, dressés sur cinq pans. Le liant est composé de mortier à tuileaux pour le parement, et de terre pour la partie interne. L’angle du mur M53 n’est conservé que sur une seule pierre d’angle de taille importante (L : 77 cm, l : 60 cm, h : 60 cm).

- Les abords

61La zone de fouille entre le moulin de la Magdeleine et la portion 1, située au nord, est localisée à l’extérieur du tracé de l’enceinte, dans le lit ancien de la rivière. L’étude des archives et du cadastre suggère que l’alignement parcellaire brisé, visible en cœur d’îlot, correspond à l’emplacement de la fortification. Cette configuration concave n’est pas sans rappeler l’embarcadère naviforme de la place de la Comédie à Metz. Cette brisure peut également être mise en relation avec la présence du moulin et le débit de l’eau à cet endroit.

Fig. 255. Verdun. « Quai de Londres ». Différences de parement de l’élévation de l’enceinte bas-médiévale, d’après Gébus et alii, 2002 : 127, échelle 1/100. DAO : M. Milutinovic/AFAN

- Les indices de datation
  • 379 L’opération “Collecteur Rive Gauche” a mis au jour des murs dont la datation de l’un des pieux de f (...)

62La cote limite de fond de fouille imposée (194 m NGF) par l’aménageur n’a pas permis d’appréhender d’éventuels pieux de fondation de l’enceinte et du moulin de la Magdeleine, privant ainsi ces vestiges de datations par dendrochronologie. Les pieux retrouvés lors des sondages n’ont pu être rattachés lors de la fouille, ni au moulin, ni à l’enceinte. Le moulin peut être daté au moins du milieu du xiiie siècle pour l’une de ses phases d’aménagement par comparaison avec une opération proche379.

2.4.2.2. Phase B : Les restaurations de l’enceinte à l’Époque moderne

- La courtine

63L’étude de l’élévation de la courtine de l’extrémité nord du chantier permet de dater les portions 2 à 5 comme étant postérieures à la construction du mur d’enceinte attribuée au xiiie siècle. Il s’agit de phases de réfections qui englobent des éléments de maçonneries résiduels du mur primitif. Le découpage arbitraire fait en fonction de l’orientation des murs ne coïncide pas forcément avec les différences de constructions qui suggèrent des réfections diachroniques.

64Le premier type de réfection (L : 4 m, h : 2 m), qui correspond à la portion 2 et la moitié sud de la portion 3, est construit en maçonnerie fourrée, constituée d’un parement, côté est, et d’un blocage qui repose sur les couches en place, côté ouest. L’importante épaisseur (2,40 m) à la base s’explique par la fragilité de la fortification à cet endroit qui forme un angle face au courant de la rivière. Son profil présente un léger fruit. L’appareil de revêtement oriental est identique pour ces deux parties. Il est formé de sept assises réglées en gros moellons calcaires (L : 50 à 0,75 cm, h : 20, 28 et 36 cm), équarris, dressés sur cinq pans et liés au mortier de tuileaux posé à joint maigre. Le liant de la fourrure est un mortier brun crème. L’angle entre les portions 2 et 3 est formé de moellons à bossage avec une ciselure périmètrique importante (5 à 7 cm). Le blocage du mur, constitué d’un mortier de chaux blanc et de pierres jetées en vrac, repose sur une couche qui renfermait des fragments de céramique attribuables aux xiiie-xive siècles. La coupe réalisée au sud de la portion 2 montre à la base du blocage un élément résiduel de la fourrure du mur d’enceinte.

65Un deuxième type de construction est visible à la fois sur la moitié nord de la portion 3, sur la partie 4, et le début sud du suivant (5). Sa construction est semblable à la précédente mais la liaison entre les deux présente au niveau du parement oriental un décrochement des assises, marqué par l’utilisation de plusieurs moellons rectangulaires. Le blocage de cette partie repose sur un appareil de revêtement conservé sur deux assises (L : 70 cm, hauteur chacune : 30 cm) composées de gros moellons en calcaire coquillier, équarris, dressés sur cinq pans.

66La portion 5 (L : 19 m, h : 2,5 m, épaisseur : 1,60 m) est construite en maçonnerie fourrée. Le parement oriental est dressé, constitué d’assises réglées en gros moellons calcaires (L : 35 à 50 cm, h : 20 à 36 cm), équarris, dressés sur cinq pans, et liés par un mortier de chaux. Ce parement présente un aspect moins parfait que le précédent. L’appareil de revêtement ouest est formé d’assises non réglées irrégulières, constituées de moellons variés.

67Les traces d’outils. Sur les moellons du parement oriental de l’enceinte, six types de traces d’outils ont été répertoriés :

  • type 1 : ciselure sur périmètre (grossier) et dressage à la pointe ;

  • type 2 : outil rustique à dents – pointes // en ligne droite ;

  • type 3 : traces de tailles layées obliques. Les traces sont approximativement alignées suivant les diagonales, en fonction de la position de l’ouvrier. C’est une taille fonctionnelle ;

  • type 4 : dressée à la pointe ;

  • type 5 : traces de taille layée moins marquées que le type 3 ;

  • type 6 : finition lisse.

68Les marques lapidaires. Sur la façade orientale du mur d’enceinte, dix-huit pierres présentent des marques lapidaires ou de tâcherons. Elles sont réparties sur les portions 4 et 5.

69Ces marques lapidaires représentent des symboles mathématiques ou des chiffres, certains romains, d’autres arabes. La présence de chiffres arabes permet de dater le mur des xvie-xviie siècles. D’autres sites ayant utilisé des chiffres arabes comme signes lapidaires ont été datés de cette période ; c’est le cas du bastion d’Haussonville à Nancy ou de la caserne Barbade à Strasbourg dont l’enceinte est datée de 1657. Par ailleurs, la figuration du chiffre 5 confirme cette hypothèse. En effet, avant le xvie siècle, ce chiffre est figuré sans la barre de liaison verticale entre la boucle et la barre horizontale. Ce signe de liaison apparaît plus tardivement.

70Les symboles ou les chiffres peuvent apparaître seuls ou être associés entre eux, ils sont parfois inversés. Aucune des pierres ne présente la même association de signes.

71La fonction de ces marques lapidaires n’est pas déterminée. Plusieurs hypothèses méritent d’être mentionnées : il peut s’agir de marques de tâcherons ou de pose. Par exemple, pour la caserne Barbade de Strasbourg, les signes lapidaires en chiffres arabes sont des marques de pose qui correspondent à une hauteur d’assise précise. Dans le cas de l’enceinte de Verdun, le trop faible nombre de signes lapidaires ne permet pas de confirmer cette hypothèse car peu de marques sont identiques et les pierres semblent avoir été réemployées.

- Les abords

72Après l’abandon de sa fonction primitive de défense, la fortification a été englobée dans l’habitat privé. Le mur est alors repris ou modifié pour servir de façade. À partir des xvie-xviie siècles, l’habitat privé entre le pont Legay et le moulin de la Magdeleine s’étend au-devant de l’enceinte jusqu’à un quai nouvellement créé. Ce secteur riverain est alors occupé en grande partie par des tanneries. Cette information nouvelle est révélée à la fois par la présence de structures en relation avec cet artisanat et par certaines archives. Durant cette même période, la partie concave, externe à l’enceinte, située entre l’emplacement du moulin de la Magdeleine et la porte Chaussée, est remblayée pour former des jardins.

- Les indices de datation

73En l’absence de datation absolue, plusieurs éléments nous permettent de dater les réfections de ces portions de mur du début de l’Époque moderne. L’analyse des traces de taille sur les pierres permet de connaître les outils utilisés, mais dans l’état actuel de cette recherche, il n’est pas possible d’en tirer des conclusions chronologiques. En effet, les outils pressentis, notamment pour la taille layée (marteau taillant), sont utilisés, avec des variantes, depuis l’époque romaine jusqu’à nos jours (Bessac, 1986 : 49). Le blocage Us 1253 qui repose sur des niveaux du xiiie-xive siècle fournit une date ante quem de la construction de ces murs. L’étude des marques lapidaires repousse cette datation au moins jusqu’au xvie-xviie siècle.

2.4.3. Conclusion

74L’étude historique d’A. Girardot (Girardot, 1992a : 155-161) fournit des repères chronologiques qui situent les premiers éléments de construction du “grand rempart” entre 1208 et 1231. L’opération “Collecteur Rive Gauche” (voir infra § 2.3) corrobore cette chronologie par la datation d’un pieu de 1225. Cette opération et celle du quai de Londres en 1999 ont également permis de dater une phase de construction du moulin de la Magdeleine au milieu du xiiie siècle. Cette date ne remet pas en cause l’existence du moulin dans la première moitié du xie siècle. Elle atteste seulement une possible réfection ou son renforcement au moment de son intégration à l’enceinte bas-médiévale. La fouille du quai de Londres nous renseigne sur le tracé, la construction et l’évolution du “grand rempart”. Elle met en évidence une différence de matériaux entre la fortification du xiiie siècle et les différentes réfections postérieures, notamment l’utilisation de moellons plus petits et homogènes pour la première phase (h entre 20 et 30 cm) que les suivantes (h entre 20 et 38 cm).

Conclusion (F. G.)

75Cette étude de la fortification urbaine de Verdun, de ses origines probables, de l’Antiquité tardive à l’aube du bas Moyen Âge, montre certaines particularités vis-à-vis des autres sites présentés dans le cadre de cette étude des enceintes urbaines en Lorraine et en Alsace.

  • 380 Données inédites calculées à partir du plan à 1/10 000 (fig. 250).

76En premier lieu, la taille de la cité met en évidence des surfaces encloses importantes : de 7,9 ha environ pour le castrum, avec une extension éventuelle de 13,4 ha environ durant le Moyen Âge central, à 82,2 ha environ au bas Moyen Âge380. À titre indicatif, la surface enclose à Metz durant l’Antiquité tardive est de 70 ha. Une autre particularité concerne les commanditaires des défenses urbaines à Verdun : il peut s’agir de la cité, tant à l’époque antique que bas-médiévale, de l’évêque, des abbayes suburbaines ou encore des marchands. Cette caractéristique conduit à faire coexister sur une même entité géographique et historique, la cité, plusieurs môles fortifiés (fig. 256). Les lacunes de la documentation ne permettent cependant pas d’en fournir une restitution graphique fidèle. Enfin, un autre phénomène commun aux espaces urbanisés anciens concerne la densité de l’occupation et ses modifications rapides dans le temps qui conditionnent une forte évolution du paysage de la cité, et parfois des destructions. En particulier, la pression foncière au sein de l’espace enclos entraîne des constructions qui peuvent bouleverser le parcellaire antérieur. Ainsi, comme le montrent les fouilles récentes, les tentatives de démarche régressive à partir des plans cadastraux anciens trouvent rapidement leur limite. La fortification moderne a par ailleurs entraîné des destructions importantes des vestiges plus anciens. Il en est de même de la canalisation de la Meuse à certains endroits.

77En revanche, certains espaces sont susceptibles de livrer encore des informations importantes sur les enceintes de la ville. Ainsi, la fortification de la ville haute peut être encore conservée dans l’habitat privé. Néanmoins, cette localisation réduit considérablement les occasions d’étudier le mur en raison de la difficulté d’y surveiller des travaux potentiellement destructeurs. Certaines enceintes suburbaines peuvent être également mises au jour, notamment dans le cadre d’une politique de prise en compte du patrimoine archéologique susceptible d’être concerné par les aménagements urbains. Enfin, une lacune importante demeure pour le site verdunois. Pour le Moyen Âge, les éléments fortifiés encore en élévation, tant sur le site du castrum que de la ville basse, n’ont jamais fait l’objet d’une étude architecturale et archéologique détaillée. Une telle démarche offrirait certainement des éléments de compréhension et de comparaison pour les enceintes urbaines médiévales.

Fig. 256. Verdun. Essai de restitution du développement topographique des enceintes, échelle 1/25 000. 1. Antiquité tardive et haut Moyen Âge ; 2. Moyen Âge central ; 3. Bas Moyen Âge. DAO : H. Duval/INRAP.

Bibliographie

Source

Chadenet-Senocq C., Manuscrit B 174-1 de la Société philomatique de Verdun.

Notes

357 Plusieurs études particulières du rôle défensif des cours d’eau à Verdun font référence : Petitot-Bellavène, 1873 et 1888 ; Groussard, 1974.

358 Les travaux postérieurs ne reprennent que partiellement ces sources initiales : Chaligne, 1939 ; Evrard, 1982 ; Evrard, Parisse, 1982.

359 “Un large fossé existait probablement à l’ouest vers le bosquet de l’évêché […] une enceinte plutôt par la nature que par l’art” (Liénard, 1884 : 19-20).

360 Les études de la fortification moderne de Verdun sont nombreuses et mieux documentées : Frémont, 1965 ; Grillet, 1909 ; Durup de Baleine, Pedroncini, 1996.

361 Au milieu du viiie siècle, l’ecclesia et la domus aeclesiae occupent le flanc sud du castrum (Gauthier, 1986 : 64).

362 Charte de fondation de la paroisse Saint-Sauveur : “ inter duos lapideos pontes Mosani cursüs, juxtà viam publicam mediae civitatis, quoe ducit ad arcem”. Cartulaire de l’abbaye Saint-Airy : t. 1, 19 (Clouët, 1867 : 353, note 1).

363 Données inédites calculées à partir du plan à 1/10 000 (fig. 250).

364 AM de Verdun, plan cadastral de 1832, échelle 1/1 250.

365 Cf. infra L’enceinte du quartier marchand de la rive gauche.

366 Une tradition récente assigne à cette fortification du Moyen Âge central le nom de “petit rempart” (Clouët, 1867, 1868 et 1870). Le terme “grand rempart” est quant à lui attribué à la nouvelle enceinte du xiiie siècle, mais également à celle de la rive gauche. Pour des raisons de cohérence topographique et afin d’éviter les confusions, ces termes ne seront utilisés que pour les enceintes clairement identifiées.

367 Données inédites calculées à partir du plan à 1/10 000 (fig. 250).

368 Cf. infra La fouille du quai de Londres.

369 Acte “Contra communia civitatum” de 1231 à Worms (Clouët, 1868 : 393).

370 Cette étude a été initiée par le Centre National d’Archéologie Urbaine (Tours) et le Service régional de l’Archéologie de Lorraine en collaboration avec l’Architecte en Chef des Monuments Historiques et la Ville de Verdun.

371 Information orale : Jacques Guillaume, ingénieur au Service régional de l’Inventaire - DRAC Lorraine.

372 Ville de Verdun, plan cadastral, section AK – feuille renouvelée pour 1973, échelle 1/500.

373 AM de Verdun, plan d’alignement de 1919, échelle 1/500.

374 AM de Verdun, plan cadastral de 1832, échelle 1/1 250.

375 Étude réalisée par Willy Tegel/Dendronet, Bohlingen - 14/10/1994.

376 Citation d’une charte de 1025 qui évoque sa destruction par une crue (Clouët, 1868 : 46).

377 Cette charte citée par l’abbé Clouët (1867 : 511-513) définit ainsi cette propriété : “Deux moulins sous l’église de la Magdeleine, autour d’eux un terrain de franc alleu et la pêche depuis le pont neuf jusqu’au guet Saint-Paul” ; le deuxième moulin se trouve alors sur l’autre rive.

378 Cf. infra phase B.

379 L’opération “Collecteur Rive Gauche” a mis au jour des murs dont la datation de l’un des pieux de fondation concerne le milieu du xiiie siècle (Gama, Rohmer, 1997 : 93). L’identification du moulin de la Magdeleine est proposée par l’intervention archéologique sur le quai de Londres (Gébus et alii, 2002 : 156).

380 Données inédites calculées à partir du plan à 1/10 000 (fig. 250).

Table des illustrations

Légende Fig. 249. Verdun. Contexte géographique, échelle 1/25 000. 1. Pont Legay - 2. Pont Chaussée. DAO : H. Duval/INRAP.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/12823/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 384k
Légende Fig. 250. Verdun. Proposition de tracé des enceintes, d’après Gama, 1997b, échelle 1/10 000. A. Enceinte de la ville haute ; B. Fortification de la rive gauche ; C. Enceinte du bas Moyen Âge ; M. Enceinte des Bracences Negociatores. DAO : H. Duval / INRAP.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/12823/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 848k
Légende Fig. 251. Verdun. Tracé des murs de terrasse et/ou de fortification, d’après Gama, 1997a : 21, échelle 1/2 000. 1. Tracé 1 ; 2. Tracé 2 ; 3. Tracé 3 ; 4. Tour de l’évêque ; 5. Édifice de forme circulaire ; 6 Vieux chœur. DAO : H. Duval/INRAP.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/12823/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 128k
Légende Fig. 252. Verdun. Coupe du site entre l’enceinte et le cloître, d’après Gama, 1997a : 20, échelle 1/400. 1. Mur nord du chapitre reposant sur le substrat calcaire ; 2. Façade sud reconnue en fondation - 3. Mur de terrasse actuel. DAO : H. Duval/INRAP.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/12823/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 72k
Légende Fig. 253. Verdun. Murs du « petit rempart » positionnés sur les plans cadastraux de 1832 et 1973, d’après Gama, Rohmer, 1997 : 77, échelle 1/500. DAO : H. Duval/INRAP.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/12823/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 244k
Légende Fig. 254. Verdun. Fouille du « quai de Londres » et localisation de l’enceinte de la rive gauche, d’après Gébus et alii, 2002 : 121, échelle 1/1 000. DAO : M. Milutinovic / AFAN.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/12823/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 284k
Légende Fig. 255. Verdun. « Quai de Londres ». Différences de parement de l’élévation de l’enceinte bas-médiévale, d’après Gébus et alii, 2002 : 127, échelle 1/100. DAO : M. Milutinovic/AFAN
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/12823/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 232k
Légende Fig. 256. Verdun. Essai de restitution du développement topographique des enceintes, échelle 1/25 000. 1. Antiquité tardive et haut Moyen Âge ; 2. Moyen Âge central ; 3. Bas Moyen Âge. DAO : H. Duval/INRAP.
URL http://books.openedition.org/artehis/docannexe/image/12823/img-8.jpg
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