1Durant le XIX^e siècle et sous la III^e République, le cumul des mandats n’a guère suscité de réactions. Il est vrai qu’il s’agissait d’un phénomène assez restreint, encadré dans un premier temps par des règles de bon sens, et qui était somme toute assez bien intégré dans la vie politique. Encore au début de la V^e République, le cumul est parfaitement assumé, au point que Michel Debré n’hésitait pas à y voir une caractéristique du régime politique français (G. Toulemonde). L’ancienneté de cet usage explique sans doute les fortes résistances qui se sont exprimées à chaque tentative de limiter la possibilité pour les élus d’exercer plusieurs mandats. Pour mieux lutter contre cette attitude, les détracteurs du cumul ont alors stigmatisé une exception française espérant ainsi apporter la démonstration irréfutable qu’un système politique pouvait fort bien fonctionner avec des élus n’exerçant qu’un mandat. La réalité est que la France n’était pas, avant même les lois du 14 février 2014, une exception. Car s’il existe bien une tendance générale dans l’Union européenne au non-cumul, une analyse non partielle et impartiale révèle une gradation entre les pays. Dans certains pays, il n’y a pas d’incompatibilité entre le mandat parlementaire et un mandat local électif, alors que d’autres ont fait le choix de l’interdiction, et qu’un troisième groupe a adopté une position intermédiaire. La France n’est donc pas le vilain petit canard de l’Europe même s’il y apparaît que le cumul concerne des niveaux de fonctions assez élevés, en tout cas, plus élevés que dans les autres pays cumulards (J. Navarro).

2 Donc, la France n’est pas une exception. Il reste que des réticences, sans doute typiquement hexagonales, se sont manifestées et se manifestent toujours. Toutefois, celles-ci sont sapées par un discours dominant très hostile au cumul qui a reçu un appui populaire certain depuis plusieurs décennies créant ainsi une lame de fond. Et c’est sans doute le sens de l’histoire. Il y a des tendances lourdes dans une société qui finissent par faire bouger les lignes. Et les esprits étaient suffisamment mûrs pour que, en 2013-2014, le président de la République soit en mesure d’imposer sa volonté aux récalcitrants. Et c’est ainsi que la commission Jospin a pu être composée de telle sorte qu’elle ne soit pas noyautée de l’intérieur, afin que le projet ne soit pas tué dans l’œuf. En effet, elle a été formée d’experts, et aucun parlementaire ni élu local n’y a siégé. Bref, la commission se trouvait sans ancrage parlementaire ou local, gage qu’elle pourrait au moins sortir du port (J. Benetti).

3Cela étant, la question de fond de la réforme du cumul des mandats est de savoir si celle-ci présente un intérêt pour la démocratie. Il est possible, mais l’avenir le dira, qu’elle pourrait conduire à une meilleure égalité entre les candidats (P.-O. Caille). Le maire d’une commune qui se présente à la députation bénéficie incontestablement d’un avantage par rapport à un candidat qui n’aurait aucun un mandat local ou serait simple membre d’une assemblée délibérante. Il est maire. Il a une visibilité. Même s’il est vrai que le code électoral limite la communication promotionnelle en période préélectorale et électorale (art. L. 52-1 et L. 52-4), il n’empêche qu’il peut utiliser le journal municipal à ses fins à condition de le faire avec suffisamment de finesse. Le maire peut inaugurer. Or, qui dit inauguration, dit compte-rendu dans le journal municipal et dans la presse locale... L’élu sortant est alors satisfait ; il bénéficie d’une couverture médiatique supérieure à son adversaire. Il en résulte qu’avec le mandat unique (on n’y est cependant pas encore !), la démocratie locale pourrait y gagner. Inversement, le député dispose d’un ascendant politique évident pour gagner une ville, ne serait-ce que par l’utilisation électoralement judicieuse de la réserve parlementaire (même si cela est à nuancer – J.-G. Contamin). Le développement considérable de l’intercommunalité depuis la loi du 12 juillet 1999, pose désormais la question du cumul du mandat de maire et de président d’établissement public de coopération intercommunale. Il s’agit ici d’un débat qui dépasse en réalité largement la question du cumul des mandats, car ce dernier, à l’échelon local et intercommunal, découle en réalité de l’organisation du territoire local qui adosse l’intercommunalité aux communes (P. Demaye-Simoni). La question se résoudra sans doute d’elle-même si les communes finissent pas être vidées de leurs compétences au profit des établissements publics de coopération intercommunale (B. Dolez).

4Quels seront les impacts de cette réforme de 2014 ? On sait qu’une réforme produit toujours des effets inattendus et que les effets poursuivis ne sont pas toujours atteints. En l’occurrence, on ne pourra les mesurer qu’après 2017. En premier lieu, est-ce que les Français porteront un regard plus positif sur les politiques ? Cela n’est pas certain. La difficulté à adopter un statut de l’élu en est le signe. Pourtant, il faudrait sans doute y venir, ne serait-ce pour que soit pleinement reconnu l’investissement considérable que représente un mandat (A. Hacquet). Plus encore, il est certain que si le personnel politique ne peut plus briguer un mandat national avec un mandat d’exécutif local, il sera beaucoup plus exposé aux vicissitudes des élections, ce qui pourrait justifier qu’il bénéficie de certaines garanties. En deuxième lieu, est-ce que le Parlement jouera un rôle plus important grâce à l’implication de membres désormais à quasi-temps plein ? Cela n’a rien de certain si la réforme de 2014 ne s’accompagne pas d’un accroissement des moyens des parlementaires pour accomplir leurs missions. En troisième lieu, est-ce que les collectivités locales y gagneront de l’autonomie ? A priori oui, car en raison de l’apparition d’établissements publics de coopération intercommunale aux périmètres étendus, à la population considérable et dotés de vastes compétences, des élus pourraient se satisfaire d’une carrière purement locale (F. Rangeon).

5Finalement, si l’impact majeur de cette réforme conduit vraiment à une valorisation de la vie locale, c’est un changement très profond qui pourrait intervenir. Alexis de Tocqueville a montré dans La démocratie en Amérique que pour qu’il y ait une liberté véritable, cette liberté doit d’abord se développer à l’échelon local, par une prise en charge des intérêts d’une communauté par les personnes les plus immédiatement concernées (principe de subsidiarité). La généralisation de grands élus locaux sans mandat national pourrait ainsi donner un sens très tocquevillien au processus de décentralisation enclenché il y a bientôt 25 ans. Toutefois, cela supposerait de trouver un échelon intercommunal pertinent alliant efficacité, mutualisation et démocratie de proximité. La constitution d’immenses métropoles et communautés d’agglomération regroupant des centaines de milliers d’habitants est peut-être pertinente au regard des bassins de vie et d’emploi, il reste à prouver que les élus intercommunaux sauront rester au plus près de leurs électeurs afin que vivent réellement la démocratie et les libertés locales.