Échanges
p. 191-197
Texte intégral
1 Jacques Vernier :
2Un petit mot pour dire – ayant cumulé un mandat parlementaire et un mandat local – combien c’est vrai qu’il faut être parlementaire à temps plein, comme l’a dit Marc Dolez, pour faire son travail (c’est-à-dire, faire la loi) et c’est Pierre-Olivier Caille qui le disait ce matin (je l’avais noté), il manque au Parlement non pas des pouvoirs, disant que finalement l’absence de pouvoir du Parlement français, dans la Ve République, c’est un peu la tarte à la crème, et il remarquait que juridiquement parlant, dans les textes, le Parlement français avait peut-être plus de pouvoirs que dans d’autres pays mais qu’il manque au Parlement non pas des pouvoirs mais des parlementaires pour les exercer [remarque de Marc Dolez : Absolument !]. Et, alors, cela, je peux en témoigner. Je dis souvent autour de moi que contrairement justement à cette tarte à la crème de la faiblesse du pouvoir du Parlement, je peux vous dire qu’un parlementaire qui bosse a du pouvoir. Ce n’est pas très humble ce que je vais dire mais j’ai essayé de bosser. J’ai été deux fois rapporteur d’une loi (rapporteur de la loi Barnier sur l’environnement et rapporteur de la loi sur la pollution de l’air) ; Marc Dolez, il bosse aussi, il pose des questions, etc. Eh bien, je peux vous dire que quand on bosse, le Parlement a le pouvoir. Le Parlement – le rapporteur – est parfois « mano a mano » avec le ministre qui est à côté de lui et il y a un vrai bras de fer qui peut s’exercer entre le Parlement (et son rapporteur) et le ministre ! Et, pour ne pas parler simplement de mon expérience personnelle, je peux vous dire que quand André Fanton – Bon, j’étais là bien que ce n’était pas mon sujet. Mon sujet, vous l’avez compris, c’est l’environnement –, quand André Fanton a défendu la loi constitutionnelle qui allait donner au Parlement le pouvoir de débattre du budget de la sécurité sociale… Avant cette loi constitutionnelle, on vivait dans un paradoxe car en dépit du fait que le budget de la sécurité sociale était plus important que le budget de l’État, la représentation nationale n’avait rien à y voir !… Bref, quand André Fanton a défendu ses arguments, ses amendements, j’ai été sidéré par le poids non pas du ministre mais de Fanton qui était là en affrontant et en vainquant, en étant vainqueur du ministre sur certains sujets importants de cette loi constitutionnelle ! Le parlementaire qui bosse – prépare, auditionne – entraîne ses collègues et il pèse ! [Intervention de Marc Dolez : Bien sûr !]. Et pour peser, il faut être présent !
3 Guillaume Glénard :
4En vous entendant, je pensais à une objection que le professeur Olivier Beaud avait formulé dans une commission de l’Assemblée nationale sur cette question du cumul. L’un de ses arguments était de dire : si l’on supprime le cumul, cela renforcera la présidentialisation du régime. En ce sens que si l’on a des élus députés ou sénateurs qui par ailleurs sont également des élus locaux, ils auront à cœur de défendre certains intérêts locaux – pas forcément de leur commune, de leur région ou de leur département – et cela constituera un contrepoids à l’État, donc au Président de la République. Je voulais savoir ce que cette objection vous inspire ?
5 Marc Dolez :
6Je pense que l’on a déjà répondu ! Le principal contrepoids au Président de la République, c’est la loi, un Parlement, qui joue pleinement son rôle et avec des parlementaires qui font leur travail ! Moins le Parlement joue son rôle, moins les parlementaires sont présents, plus le champ est libre au Président de la République qui a la majorité au Gouvernement qu’il a nommé. Deuxièmement, le fait de ne pas cumuler (Jacques Vernier l’a dit) n’empêche pas de défendre les dossiers de son territoire.
7 Jacques Vernier :
8Sur le fond, quand les rapporteurs ont remporté leur victoire – en tout cas pour les miennes ! –, quand j’arrivais à fédérer mes collègues de l’Assemblée pour défendre tel ou tel aspect de la loi Barnier ou tel ou tel aspect sur le code minier, ce n’était pas parce que j’étais maire de Douai. Cela était indifférent à mes collègues de toutes les régions de France. En vérité, c’était une bataille que je voudrais qualifier d’intellectuels, d’intérêts, c’est-à-dire que je les convainquais ou pas d’ailleurs de mes arguments. Et après, j’arrivais à remporter une victoire contre le ministre simplement au nom du débat que j’avais eu avec mes collègues. Je les avais ou pas convaincus ! J’avais vaincu parce que j’avais convaincu.
9 Marc Dolez :
10Jacques Vernier a raison : pour vaincre, pour être à la hauteur du débat, il faut beaucoup travailler. Parce que le ministre lui (il est ce qu’il est… il y en a qui sont plus ou moins armés, qui ont plus ou moins de poids et d’influence), il a une armée autour de lui. On lui passe des papiers… Il y en a d’ailleurs qui ne comprennent pas toujours ce qu’ils lisent… cela arrive… Je vous donnerai des exemples un autre jour… J’ai même vu une fois un ministre répondant à une autre question ! Son collaborateur derrière se trompe de papier et le ministre donne une réponse qui n’avait rien avoir avec la question… et je ne suis pas sûr qu’il s’en soit aperçu… Ce que je veux dire, comme Jacques Vernier, c’est que quand l’on est rapporteur d’un texte de l’Assemblée, ce n’est pas un petit travail ! Quand on est rapporteur d’un texte ou quand on est l’orateur principal de son groupe dans les débats, il faut beaucoup, beaucoup travailler parce qu’on est seul ! Quelque part, c’est vraiment un travail d’artisan que l’on doit faire. Il faut se préparer, etc… C’est un énorme travail mais c’est passionnant !
11 Jacques Vernier :
12Parce que dans ce que j’appelais ce « mano a mano », c’est vrai qu’à supposer – moi, cela m’est arrivé plusieurs fois – que vous vainquiez le ministre, que vous battiez le ministre parce que vous avez convaincu vos collègues, alors c’est vrai que le Gouvernement a toujours des armes prévues par la Constitution. Il a l’arme sur telle ou telle partie du vote qui lui aurait fortement déplu de demander une deuxième lecture. Ce n’est pas tellement fréquent car c’est quand même une sorte d’agression vis-à-vis du Parlement : « Vous avez voté cela hier soir… mais, en fait, il était tard. Vous n’aviez pas vos esprits mesdames et messieurs les parlementaires… La nuit portant conseil, je vous demande de… ». C’est quand même rare ! De la même manière qu’il a le fameux article 49 alinéa 3 qui lui permet d’engager sa responsabilité sur un texte, puis le vote bloqué… Tout cela, ce sont des armes atomiques que tout compte-fait sur la plupart des textes, il n’utilise pas. Donc, sur la plupart des textes, le travail parlementaire et l’enrichissement d’un texte parlementaire sont une réalité dans la cinquième République. C’est même impressionnant.
13 Tanguy Le Marc’hadour :
14C’est peut-être parce que les députés ne sont pas dangereux et s’ils étaient dangereux, ils devraient les utiliser plus souvent. C’est parce qu’ils n’ont pas peur des députés qu’ils n’utilisent pas l’arme lourde !
15 Marc Dolez :
16L’une des questions que cela pose, c’est qu’évidemment le Gouvernement, en théorie, a une majorité à l’Assemblée. Sauf que la majorité en question peut être divisée sur un sujet ou sur un autre. C’est souvent dans ces cas qu’il y a une deuxième délibération. La majorité doit faire physiquement la démonstration des débats de l’Assemblée et montrer qu’elle est vraiment la majorité. Il peut arriver que le groupe majoritaire ne soit pas suffisamment nombreux en séance et à ce moment-là on obtient un vote [Remarque de Jacques Vernier : Là, c’est légitime !]… ce sont les conséquences de l’absentéisme !
17 Guillaume Glénard :
18J’aurais une autre question. Elle porte sur les compétences des députés et des sénateurs d’être le relai des réformes locales par rapport à l’exemple que je vais prendre de débattre sur la réforme territoriale. Imaginons qu’aujourd’hui aucun député ni aucun sénateur ne soit maire, président de conseil général ou président d’une intercommunalité. Est-ce que cela ne comporterait pas un risque finalement ? Les élus locaux pourraient ne pas être véritablement entendus dans ce type de réforme ? Alors, c’est vrai que je prends un exemple qui est la réforme territoriale parce que l’on pourrait le multiplier. Je prends celui-ci qui est très emblématique.
19Est-ce que l’on ne pourrait pas prendre le risque que finalement les lois soient adoptées sans prendre en considération les idées et les expériences des élus du terrain ? Tout à l’heure, on a en partie répondu à cette question. Les membres du Parlement ne sont pas toujours des exécutifs locaux. Je reviens sur l’exemple de tout à l’heure : vous avez eu un relai, monsieur Dolez, qui n’est pourtant pas élu local. Les élus locaux sont allés voir leur député. Ils auraient pu tout aussi bien aller voir leur sénateur et lui demander d’intervenir. Si les relations sont bonnes et que l’on est entre personnes de bonne compagnie, cela peut marcher. Si les relations sont plus tendues, cela peut être plus compliqué.
20Mais, sur cette question de la réforme territoriale, on sait à quel point les élus locaux y sont très sensibles à tous points de vue. On sait à quel point les combats sont très vifs et ce ne sont pas des combats qui suivent le clivage droite-gauche. Les clivages sont autres : les maires ruraux, les maires des communes moyennes, les maires des grandes agglomérations. Est-ce que cela ne pourrait pas poser une difficulté ?
21 Marc Dolez :
22Moi, je ne pense pas que cela pose de difficultés parce que ce n’est pas parce que l’on ne cumule pas que l’on n’est pas au fait des questions, que l’on n’est pas au courant des positions des uns et des autres et que l’on n’a pas son idée sur le sujet.
23Deuxièmement, je pense que là, pour le coup, on peut être placé dans des situations de conflits d’intérêts parce que, sur un sujet comme la réforme territoriale – je l’ai vu à l’Assemblée –, les présidents de régions défendent les régions, les présidents de conseils généraux défendent les départements et on peut être dans cette situation alors que les députés (les parlementaires) sont des élus de la Nation. La seule question que l’on doit se poser (quand on est un élu de la nation), – au-delà de la réforme territoriale –, c’est quelle est pour vous la meilleure organisation territoriale possible pour satisfaire au mieux les intérêts de la population et l’intérêt général ? Alors, je ne suis plus élu local. Je n’ai jamais été maire (mais j’avoue que j’avais un concurrent exceptionnel et je n’ai aucun regret). Je n’ai jamais été maire et je suis à peu près le seul dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale à défendre les 36 600 communes. Je suis le seul à m’être opposé à la proposition de loi dont vous avez parlé tout à l’heure sur les communes nouvelles.
24 Patricia Demaye-Simoni :
25Pour rebondir sur ce que disait tout à l’heure Jacques Vernier au sujet de la QPC – que je n’ai pas évoquée ce matin par manque de temps –, effectivement, la QPC « Commune de Salbris » est tombée à un moment inapproprié. L’on aurait souhaité que la question soit traitée bien avant cela puisque la répartition des sièges avait déjà été effectuée fin aout 2013 et que la réponse a été donnée le 20 juin 2014. Mais face à toute censure constitutionnelle problématique, l’on observe que les députés et les sénateurs répondent très rapidement et proposent de nouvelles dispositions législatives pour parer à une nouvelle censure constitutionnelle. Et là encore, une proposition de loi Sueur et Richard tend à permettre à ces 90 % de communautés d’agglomération et de communautés de communes concernées par ces accords locaux – qui ont été mis en cause par le Conseil constitutionnel (même s’il existe un différemment de l’application de cette décision) – de porter cette marge de manœuvre démographique ou du moins de différenciation démographique entre les communes à 20 % (1/5e), comme c’est le cas notamment pour la nouvelle répartition des cantons qui a pu être opérée l’an passé par Manuel Valls. Deuxième remarque que je souhaiterais formuler : vous avez évoqué tout à l’heure la baisse de la centralité des communes dans le poids des intercommunalités, la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010 – modifiée par la loi Richard du 31 décembre 2012 pour les seuils –, a sensiblement accru la baisse de la centralité dans le poids des intercommunalités. Enfin, la charge que vous évoquiez tous les deux, au niveau local, est telle que lorsqu’on est maire d’une grande commune et en même temps d’une grande agglomération, c’est difficilement tenable sur la durée.
26 Jacques Vernier :
27C’est vrai que maintenant avec la nouvelle proposition de loi Sueur sur la représentation de chaque commune dans l’intercommunalité, cette représentation pourra être décalée de plus ou moins 20 % par rapport à la population. Le problème qui se posait avant était que la sous-représentation de la ville de Douai dans la communauté d’agglomération du Douaisis était largement supérieure à 20 %. Donc, là, on ne respectait plus du tout l’à peu près proportionnalité.
28 Tanguy Le Marc’hadour :
29Vous évoquiez tout à l’heure la difficulté de ne pas être à la fois maire de la commune centrale et président de l’intercommunalité. Avez-vous une proposition de solution à part l’absorption ?
30Jacques Vernier :
31Non, je n’ai pas de solution clé en main. Je l’ai dit : c’est difficile de cumuler les deux fonctions, maire de la ville-centre et président d’intercommunalité. C’est comme cela que j’ai cessé en plein mandat d’être président de la communauté d’agglomération. Cela me paraissait être salutaire. Mais j’ai observé après qu’il y avait des inconvénients aux dépens des intérêts et de la vitalité de la ville-centre. Et donc quand on dévitalise le noyau, on dévitalise la cellule.
32 Tanguy le Marc’hadour :
33Parce qu’il y a un poids des services de la ville-centre qui est supérieur au point de vue régional.
34 Marc Dolez :
35Il faut en revenir à ce que doit être une intercommunalité : une intercommunalité de projet. La solution que vous esquissez qui consiste à dire qu’il faudrait fusionner les communes... Le problème étant que l’on retombe sur la perspective des 12 régions et 2 000 communes…
36 Jacques Vernier :
37Il y a une autre solution qu’avait choisie Pierre Mauroy, par exemple, à Lille et Jacques Legendre à Cambrai : eux avaient fait le même choix que moi, à un moment, j’ai fait. C’est qu’eux, à un moment donné de leur carrière, ont dit : « Je ne veux plus être maire de la ville-centre et président de l’intercommunalité ». Mais quand ils ont fait ce choix tous les deux, Jacques Legendre, ancien maire de Cambrai et Pierre Mauroy, ancien maire de Lille, ils ont quitté la ville pour aller à la communauté urbaine ou à la communauté du Cambrésis en disant : c’est là que sont conçus les grands projets ! J’ai eu un grand débat télévisé avec Pierre Mauroy là-dessus. Il m’a dit : « La communauté urbaine de Lille, c’est 10 milliards de francs (à l’époque), la ville de Lille, c’est bien plus petit, donc j’ai fait le choix de la grosse structure qui a le choix, du pouvoir, des projets… ». Et c’est amusant, quand les gens choisissent, ils font rarement le choix de rester maire ! Moi, je l’ai fait pour des raisons infiniment personnelles : parce que professionnellement, je suis un technocrate… Alors, être technocrate dans une communauté, l’être à Paris en tant que fonctionnaire d’État, cela faisait trop de technocratie et j’ai préféré le mandat de maire, les escaliers d’HLM, plutôt que les grands projets de la communauté. Mais la plupart de ceux qui choisissent font un choix différent !
38 Tanguy Le Marc’hadour :
39On revient finalement à une question qui a été posée plusieurs fois, celle du vivre dignement. Est-ce que le non-cumul va permettre aux gens de vivre dignement ?
40Jacques Vernier :
41L’intervention de Marc Dolez était très bien et très objective là-dessus. C’est vrai que pour un certain nombre de personnes, ayant un certain profil ou ayant une certaine formation, une seule indemnité d’une seule collectivité locale ne suffit pas pour vivre. Il ne faut pas confondre le cumul des mandats et des indemnités. Malheureusement, pour les gens, le cumul des mandats, c’est le cumul des mandats « sonnants et trébuchants ». C’est vrai que ce cumul des mandats « sonnants et trébuchants » qui peut être impopulaire quelque part est mal perçu et qu’il était une nécessité parce que chaque indemnité – en tout cas les indemnités des maires (pour gérer 700 personnes…) – n’est pas à la hauteur. Il faut se pencher sur le statut de l’élu ! On ne peut pas gérer un budget de 50 millions d’euros avec 700 personnes avec 3 500 euros par mois, qui est le tiers de ce gagne un ingénieur des ponts et chaussées ! Ce qui est terrible dans ce débat-là, je déborde, c’est que l’on n’arrive pas à avoir de débats sur ces problèmes d’indemnités des élus politiques simplement parce que, globalement, on manque d’une transparence en France sur les revenus tout court ! Sur les revenus de tout le monde ! Si la population française savait ce que les fonctionnaires gagnent par rapport à ceux qui exercent des responsabilités dans le pays, c’est faible ! Comme les gens ne savent pas, ils se focalisent !
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