Intervention de Monsieur Jacques Vernier
p. 181-186
Texte intégral
1Merci de nous avoir invités à ce colloque. Le débat va être un petit peu faussé parce, bien qu’étant du même parti politique que Daniel Fasquelle que nous venons d’entendre, moi, je suis au sein de mon parti, opposé au cumul des mandats.
2J’ai eu la chance ou la malchance de vivre les deux situations puisque j’ai été maire de Douai pendant 31 ans (Vous avez vu mon successeur ce matin ; j’avais décidé de ne pas me représenter) et pendant une première partie de ma vie politique, j’ai cumulé mon mandat de maire pendant 9 ans avec un mandat de député européen et pendant 4 ans avec un mandat de député du Nord. Donc, j’ai été – si je puis dire – député-maire pendant 13 ans sur les 31 et, ensuite, je n’ai plus souhaité cumuler.
3Quand Daniel Fasquelle nous dit – c’est l’argument classique… – laissons les électeurs choisir, trancher, etc., c’est une façon de faire. Cela me rappelle exactement ce que disaient les gens opposés à la parité en disant : puisque les électeurs reconduisent sans arrêt les mêmes gens aux mêmes postes, ce n’est pas la peine de faire une loi sur la parité. Laissons le choix aux électeurs et même aux électrices, etc. Avec des raisonnements pareils, on n’aurait jamais fait progresser la parité en France.
4Le deuxième grand argument, c’est de dire que les parlementaires qui ne seront pas maires, exécutifs locaux, vont être déconnectés du terrain. Ils seraient des apparatchiks désignés par leur parti et surtout déconnectés du terrain. Ils seront sans arrêt dans les réunions de leur parti, c’est ce qui vient d’être dit, à l’Assemblée nationale et on ne les verra plus sur le terrain. Moi, depuis que l’on me raconte cette histoire, j’en raconte une autre. J’en raconte une autre qui, d’ailleurs, implique mon voisin de gauche [Marc Dolez, présent dans la salle] – dans tous les sens du terme ! Je leur disais, écoutez : quand j’étais député-maire, député à l’Assemblée nationale et maire entre 1993 et 1997, qu’est-ce que je faisais ou plutôt qu’est-ce que j’étais censé faire ? J’étais censé fabriquer la loi à l’Assemblée nationale, c’est quand même le métier d’un député et même, plus qu’un métier, un devoir, une ardente obligation comme aurait dit le Général De Gaulle. Un métier car on est censé être à Paris. Et puis j’étais maire de Douai. Je l’ai dit tout à l’heure : 700 emplois, un budget de plusieurs dizaines de millions d’euros ; tout ce personnel, ce budget à générer ; aller partout dans la ville pour les travaux, pour les réunions associatives, etc. Comme, en plus, j’étais député d’une circonscription qui a 26 communes, au lieu de faire simplement la fanfare municipale de Douai, je faisais aussi la fanfare municipale de Féchain-Fressain, de Bugnicourt, j’en passe et des meilleurs… la fête du bœuf, etc., etc. Écoutez : au bout de 4 ans de député-maire, j’ai été battu par mon voisin [Marc Dolez], j’aurais pu après décider de me représenter ou de me présenter au Sénat, à défaut de l’Assemblée nationale. J’ai décidé de ne pas le faire ! Parce que j’ai trouvé tout simplement que c’était mission humaine impossible d’être à la fois maire d’une grande ville avec tout ce que cela implique de gestion, représentant ou faisant de la représentation dans 26 communes et en même temps faire un peu son travail à Paris.
5Et quant à la déconnexion et à cette histoire de parlementaire qui ne serait pas maire et qui serait de ce fait déconnecté de la réalité du terrain, je leur disais :
Mais, excusez-moi, j’en ai à Douai le contre-exemple vivant (je ne veux pas vous faire rougir Marc !), parce que, figurez-vous, pendant que j’étais englué (englué est un mauvais terme parce que cela me passionnait), en tout cas occupé par mon métier de maire, par mes 700 agents communaux, par la gestion de mon budget, par la gestion de mes travaux, etc., mon concurrent de gauche – qui n’avait pas toute cette gestion à faire – passait son temps lui à labourer le terrain bien plus que je ne le faisais et bien plus que je ne pouvais le faire. Il était présent à toutes les associations, etc.
6Donc, moi, je dis le contraire. C’est qu’un député qui fait correctement son travail a beaucoup plus de libertés, de possibilités de labourer le terrain et d’être au contact de sa population qu’un maire englué dans sa gestion ! Donc je défends l’argument contraire.
7Le seul bémol que j’émettrais à cette suppression des députés-maires ou des sénateurs-maires, c’est un bémol important : c’est l’accès à l’État, l’accès des maires à l’État ! L’un des orateurs l’a dit tout à l’heure : le maire d’une ville moyenne qui n’est plus parlementaire, comment arrive-t-il à frapper à la porte d’un ministre pour défendre quelque chose qui lui tient à cœur ? Il aura du mal. Le même orateur – je crois que c’est François Rangeon – disait : de toute façon, les maires des très grandes villes ou les présidents de région ou les présidents de département, eux, pourront continuer à pousser la porte des ministres ! Je crois que ce point est un vrai souci. C’est un vrai souci parce que les élus locaux – quelle que soit la taille de leur collectivité – ont besoin quand même de pouvoir accéder à l’État, et notamment aux ministères et aux ministres. Ils en ont besoin parce que simplement ou bien l’on considère selon une formule fameuse utilisée naguère par un Premier ministre que, sur certains sujets, « l’État ne peut rien » (si on considère que l’État ne peut rien, ce n’est effectivement pas nécessaire de frapper à la porte de l’État !) ou bien on considère que, sur certains sujets, l’État peut encore quelque chose. Dans une ville comme Douai, dans une circonscription comme Douai, où la sphère publique est encore importante parce qu’il y a un régiment et que la carte militaire entendait fusiller certains régiments, parce qu’il y avait l’Imprimerie nationale qui est une entreprise publique, parce qu’il y a une entreprise fabriquant des wagons et que les wagons sont commandés par une entreprise publique qui est la SNCF, j’en passe et des meilleures… parce qu’il y a une faculté qu’il faut défendre, parce qu’il y avait un IUFM (Institut de formation des maîtres) que l’on a essayé de défendre et qui a disparu… parce qu’il y a une cour d’appel et que la carte judiciaire menaçait les tribunaux ici ou là, donc, on voit bien que dans un secteur géographique où la sphère publique (ici comme ailleurs) est encore importante, on a besoin de se mobiliser parfois pour défendre la sphère publique locale à laquelle on est attachée. Et c’est vrai que là, un élu local – quelle que soit la taille de la commune, fût-ce une région ou fût-ce un département – a moins d’accès à l’État, aux ministères, qu’un parlementaire. Je vous donnerai un témoignage de quelqu’un qui n’est pas là : Marie-Christine Blandin. Marie-Christine Blandin a été, comme vous le savez, 6 ans présidente « verte » de la région Nord-Pas de Calais entre 1992 et 1998 et, après, elle est devenue sénatrice. Un jour, elle me dit dans le train :
Mais, Jacques, vous n’imaginez pas ! Vous n’imaginez pas ! J’ai été présidente d’une région qui quand même est l’une des régions les plus importantes de France (4 millions d’habitants). Pendant les 6 ans où j’ai été présidente de région, je n’arrivais pas à avoir les ministres. Depuis que je suis sénatrice et déchargée de la collectivité régionale, il suffit d’être dans l’hémicycle. Les ministres sont là. Je descends les marches, je donne mon papier au ministre et j’ai un accès direct que je n’avais pas en tant que présidente de région.
8Histoire plus récente et histoire douaisienne ! Je vous parlais de la défense de la présence des tribunaux à Douai. On avait, on a actuellement un souci de développement immobilier de la Cour d’appel de Douai et les choses traînaient. Qui a essayé de se mobiliser ? Le maire de Douai… actuel que vous avez vu ce matin, l’ancien maire de Douai et l’on a sollicité le député. Qui a finalement obtenu une entrevue avec Christiane Taubira pour les trois larrons en question (pour le député Dolez, pour le maire actuel et pour l’ancien maire) ? Qui ? Marc Dolez ! Marc Dolez parce qu’il a descendu les marches de l’hémicycle et qu’il a donné un mot à madame Taubira ! Voilà ! C’est exactement comme cela que cela s’est passé.
9Donc, c’est peut-être le seul bémol (dans toute chose, il faut mettre des dièses et des bémols) que je mettrais sur mon plaidoyer en faveur du non-cumul des mandats.
10Dernier mot peut-être. Dernier mot. Ce matin, Patricia Demaye-Simoni a, dans son intervention, évoqué – et elle a bien fait de l’évoquer – l’autre cumul des mandats, celui qui n’est pas visé par la loi de 2014 : le cumul entre les mandats communaux et les mandats intercommunaux. Et, l’on a bien vu, dans l’exposé de Bernard Dolez, que quelque part ce cumul se substituait au cumul ancien entre maire et parlementaire. Là, c’est pareil : j’ai fait les deux. C’est-à-dire que j’ai fondé la communauté d’agglomération du Douaisis en 2002. Elle rassemblait 35 communes. J’ai consacré une énergie folle, des réunions qui n’en finissaient pas de finir, des réunions qui se terminaient toutes à 1h30 du matin parce que vous imaginez ici les 35 communes, le parti socialiste est très présent, le parti communiste est très présent, la droite est très présente…, les compétences de cette future communauté… J’y ai mis toute mon énergie de président fondateur et, au bout de trois ans, trois ans seulement, à la surprise générale on peut dire, j’ai dit : j’arrête. J’arrête d’être à la fois maire et président de la communauté d’agglomération parce que, là aussi, j’ai trouvé que c’était humainement au-dessus de mes forces. Je vais vous décrire pourquoi. Président de la communauté d’agglomération, c’était le développement économique, l’archéologie, la politique de la ville, le logement, l’assainissement, les ordures ménagères, etc. Et alors, pour gérer tout cela, c’était réunion sur réunion à la communauté d’agglomération. Et, je vous l’ai dit, pour gérer la ville de Douai, c’était réunion sur réunion pour gérer le personnel et le budget. Si bien que ma semaine était consacrée aux réunions ! Et donc, même syndrome que lorsque j’étais à l’Assemblée nationale, je n’arrivais plus à être sur le terrain. Je vais vous raconter une anecdote. J’avais décidé de visiter tous les locataires HLM de ma ville, de faire – comme m’a dit ironiquement un jour un collègue – les escaliers des HLM (bon, précisons que les escaliers HLM, ce sont les gens, pas les escaliers HLM mais les gens !). J’avais décidé de faire cela. Et puis, toutes les semaines, quand j’étais président de la communauté et maire de Douai, je prenais mon carnet et je disais : « La semaine prochaine, quand est-ce que je vais visiter tel HLM ? ». Et, toutes les semaines ce n’était pas possible. Ce n’était pas possible parce qu’il y avait une réunion ici, une réunion là, etc. Les semaines tournaient les unes après les autres et, un jour, j’ai dit : « Cela suffit ! Cela suffit ! Je veux le faire. Je veux faire les escaliers des HLM. Je veux aller voir les gens. Et donc j’arrête la présidence de la communauté ». Cependant, de même qu’il y avait un bémol, je l’ai dit tout à l’heure, dans le fait de ne plus être député-maire et sénateur-maire, le bémol étant le non accès à l’État et aux ministres, il existe aussi un bémol dans le fait de ne pas cumuler les fonctions de maire et de président de la communauté (je l’ai vu après d’ailleurs ; je n’ai pas regretté ma décision mais j’ai vu qu’elle avait des inconvénients). C’est qu’à partir du moment où le maire de la ville-centre arrêtait d’être président de la communauté, il a été finalement remplacé par le maire d’une petite commune. Et l’on a vu – et il n’y a pas qu’à Douai car à la communauté urbaine de Lille, cela s’est passé de la même manière ! – l’on a vu finalement le maire de Douai (et, à Lille, la maire de Lille), perdre son pouvoir de président de l’intercommunalité au profit d’un maire d’une ville de 1 500 – 2 500 habitants fédérant la cohorte des autres maires (et à Lille c’est encore moins : Damien Castelain est maire d’une toute petite ville, 900 habitants, je crois), d’un maire fédérant les maires ruraux etc. Je n’ai rien contre les maires ruraux sauf que, de même qu’une cellule a besoin d’un noyau pour être vivante, une intercommunalité ne peut pas être dénoyautée. Parce qu’une ville-centre, c’est quand même un centre culturel, sportif, social ! La plus grande partie des fonctions vitales d’un territoire (le Douaisis) sont exercées dans la ville-centre et parfois d’ailleurs par la ville-centre. Et, à partir du moment où le pouvoir est pris – car c’est cela à Douai et je pense que c’est cela aussi dans la communauté urbaine de Lille maintenant et dans d’autres communautés – à partir du moment où le pouvoir est pris par la cohorte des maires périphériques, on ne porte plus les grands projets des territoires comme les élus des villes-centres les portent. De ce point de vue-là, j’ai un peu regretté mon départ de la présidence de la communauté d’agglomération du Douaisis et je pense que cela a porté un peu tort à la ville de Douai. Ce phénomène s’est accentué parce que la loi qui prévoyait la représentation des communes au sein d’une intercommunalité n’avait pas pris la précaution d’accorder à chaque ville de l’intercommunalité une représentation minimale proportionnelle à sa population. Si bien que la ville de Douai dans cette communauté d’agglomération qui aurait pu avoir 28 délégués n’en a actuellement que 11 ! Donc on voit bien comment une « cohorte périphérique » a réussi à « dénoyauter » la communauté d’agglomération du Douaisis. Et a posteriori – et à titre posthume si je puis dire puisque je ne suis plus maire –, je suis de ceux qui se sont réjouis que le conseil constitutionnel, dans la question prioritaire de constitutionnalité du 20 juin 2014, a censuré la loi qui précisément ne donnait pas suffisamment de représentation aux communes, ne donnait pas suffisamment de proportionnalité dans la représentation des communes dans l’intercommunalité, ce qui faisait courir le risque de sous-représentation manifeste de la ville-centre ou d’autres villes. C’était une QPC qui portait sur le cas de la commune de Salbris dans le Loir-et-Cher. Voilà, donc, cette anomalie sera un peu rectifiée. Mais, encore une fois, faire les deux me paraissait mission impossible ! Ne plus faire les deux a fait visiblement courir le risque de donner le pouvoir aux maires des petites villes plutôt qu’aux maires des grandes villes, ce qui parait, aussi, problématique…
Auteur
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Jacques Vernier
Conseiller régional, ancien maire de Douai, ancien député
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