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Le cumul des mandats, la professionnalisation des élus et la réforme territoriale
p. 155-167
Texte intégral
1Sur le plan institutionnel, deux réformes emblématiques resteront sans doute associées au quinquennat de François Hollande. La première concerne la limitation du cumul des mandats. Alors que le gouvernement Jospin avait échoué à faire voter par le Parlement l’interdiction de cumuler un mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale, les lois du 14 février 2014 obligeront dès 2017 les élus à choisir entre leur mandat de député ou de sénateur et leur fonction de maire ou de président de conseil départemental. La seconde traite de la réforme territoriale. Elle entend réduire par deux le nombre de régions et supprimer à terme l’échelon départemental, au moins dans les territoires ruraux. Dans les deux cas, pourtant, il est frappant de constater que les logiques qui sous-tendaient ces réformes n’ont pas été poussées à leur terme. Dans le premier cas, on aurait pu imaginer que le législateur instaure le principe du « mandat unique ». Dans le second cas, on peut s’étonner que le bloc communal reste, pour l’essentiel, en dehors du champ de la réforme annoncée par le Président de la République au printemps 2014.
2Sur la réforme territoriale, l’exécutif a singulièrement godillé. Dans un premier temps, il a semblé vouloir conforter l’institution départementale en détricotant deux points essentiels de la loi du 16 décembre 2010 votée sous le quinquennat précédent : la loi du 17 mai 2013 a abrogé la réforme du conseiller territorial et procédé à un nouveau découpage cantonal, accréditant ainsi l’idée de la pérennité de l’institution départementale ; la loi MAPTAM du 27 janvier 1994 a rétabli la clause générale de compétences pour le département et la région, également supprimée par loi du 16 décembre 2010. Mais la loi MAPTAM n’était pas encore promulguée que l’exécutif a mis en chantier une seconde réforme, inspirée par une toute autre philosophie. On ne peut comprendre ce brusque changement de pied sans avoir présentes à l’esprit la situation des finances publiques et les relations que la France entretient avec l’Union Européenne. Tout en accordant à la France un délai de deux ans pour ramener son déficit public sous la barre des 3 %, l’Union Européenne recommandait dès le printemps 2013 que la France s’attache, au cours de la période 2013-2014 :
à maintenir le cap d’un assainissement budgétaire propice à la croissance et à renforcer encore l’efficacité des dépenses publiques, notamment en procédant comme prévu à un réexamen des postes de dépenses dans tous les sous-secteurs des administrations publiques ; à prendre, dans le cadre de la prochaine loi de décentralisation, des mesures destinées à améliorer les synergies et les économies entre les différents niveaux de l’administration, central, régional et local (29 mai 2013).2
3On comprend mieux pourquoi l’exécutif a mis en chantier une seconde réforme prenant le contrepied de la loi MAPTAM, alors que celle-ci n’était pas encore promulguée. Dans les vœux pour 2014 adressés aux Français le 31 décembre 2013, François Hollande fit sien, presque mot pour mot, le discours de la Commission :
D’abord, je veux réduire la dépense publique. Nous devons faire des économies partout où elles sont possibles. Et j’ai la certitude que nous pouvons faire mieux en dépensant moins.
Cela vaut pour l’État, qui doit se concentrer sur ses missions essentielles, mais aussi pour les collectivités locales, qui doivent voir leurs compétences clarifiées.3
4Dans un premier temps, l’existence du département ne sembla pas menacée. Le Président de la République déclarait encore le 18 janvier 2014 dans ses « vœux aux Corréziens » qu’il n’était pas favorable à leur disparition4. Ce n’est que dans un second temps que l’existence des départements fut remise en cause : au fil des semaines, les contours de la réforme évoluèrent, au point que dans sa tribune publiée dans la presse quotidienne régionale le 2 juin 2014, le Président annonça dans un même mouvement la création de grandes régions et la suppression, à terme, du conseil général.
5Au vu du principal objectif de la réforme – faire des économies et faire les réformes structurelles réclamées par Bruxelles – on peine à comprendre que le bloc communal soit épargné. D’une part, parce que les dépenses (2012) des communes et de leurs groupements se montent à elles seules à plus de 126 milliards, contre 71 milliards pour les départements et 28 milliards pour les régions5. Si la réforme doit générer à terme entre 12 et 25 milliards d’euros d’économies, comme l’affirme André Vallini, secrétaire d’État à la réforme territoriale6, on peine à croire que celles-ci puissent uniquement être effectuées en réduisant par deux le nombre de régions et en transférant à d’autres niveaux les compétences des départements7. D’autre part, parce que l’envolée des dépenses des collectivités locales est très largement liée à l’évolution des effectifs des collectivités et singulièrement de ceux des communes et de leurs groupements. De 1998 à 2010, les effectifs des collectivités ont progressé de 400 000 agents (hors transferts de compétences), dont 320 000 pour le seul bloc communal8. La loi Chevènement de 1999 et le quasi achèvement de la carte intercommunalité, loin de générer des économies d’échelle, se sont traduits par des doublons qui ont des conséquences directes sur les effectifs et donc sur les finances des collectivités.
6On peut toutefois penser que la réforme du bloc communal sera entreprise, à plus ou moins brève échéance. D’une part, parce que le discours officiel inclut implicitement le bloc communal dans le champ des réformes en cours : les chiffres avancés par André Vallini correspondent selon ses dires aux économies susceptibles d’être effectuées par toute réforme de structure, soit entre 5 % et 10 % du montant total des dépenses locales (226 milliards d’euros en 2012). D’autre part, parce que l’objectif de réaliser a minima 12 milliards d’économies correspond très exactement au poids de l’augmentation des effectifs de la fonction publique territoriale depuis la loi Chevènement, hors transfert de compétences : 400 000 emplois pour un coût moyen de 30 000 euros par agent9 font bien 12 milliards d’euros. Si la réforme territoriale a pour but de supprimer les doublons, elle ne pourra pas épargner le bloc communal.
7Il reste à comprendre pourquoi l’exécutif n’ose visiblement pas aller au bout de sa réforme en incluant expressément le bloc communal dans le champ des réformes en cours. C’est ici que le parallèle avec la réforme du cumul des mandats prend tout son sens. Une même hypothèse peut être formulée pour les deux réformes : faire le mandat unique et inclure le bloc communal dans le champ de la réforme ruineraient dans les deux cas l’économie du métier politique local. En d’autres termes, le cumul des mandats et l’intercommunalité permettent aujourd’hui de professionnaliser plusieurs dizaines de milliers d’élus, dont la survie économique serait directement menacée si les réformes étaient menées à terme (II). C’est pourquoi, sur la réforme du cumul des mandats (I) comme sur la réforme territoriale (III), l’exécutif s’est (momentanément ?) arrêté en chemin.
I. La réforme inachevée du cumul des mandats
8Les lois du 14 février 2014 sont, en apparence au moins, un coup rude porté au cumul des mandats. À compter de 2017, le cumul entre un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale sera prohibé. Pour prendre la mesure de la réforme, il suffit de rappeler que, actuellement, 80 % des parlementaires détiennent un mandat local.
9Le premier effet de la réforme sera de bouleverser la morphologie des assemblées, 60 % des députés et sénateurs (soit les trois-quarts des « cumulards ») exerçant une fonction exécutive locale, au sens des lois de 2014 (tableau 1). En 2017, il ne sera plus possible d’être parlementaire et maire ou maire-adjoint, président ou vice-président d’un EPCI, président ou vice-président d’un conseil départemental ou régional.
Tableau 1 : Les parlementaires et le cumul des mandats (I)
Assemblée nationale | Sénat | Total | |
Au moins une fonction exécutive locale | 338 (59 %) | 211 (61 %) | 549 (60 %) |
Mandat local non exécutif | 132 (23 %) | 53 (15 %) | 185 (20 %) |
Aucun mandat local | 105 (18 %) | 84 (24 %) | 189 (20 %) |
Total | 575 (100 %) | 348 (100 %) | 923 (100 %) |
Source Assemblée nationale et Sénat10.
10L’entrée en application de la réforme aura un deuxième effet, moins visible, en fragilisant les carrières politiques, voire en les abrégeant. Selon Pierre Sadran, le cumul « favorise la concentration du pouvoir entre un groupe relativement restreint d’élus dont le territoire est constitué en “fief” »11. Le cumul permet de consolider le fief et de minimiser les risques de défaite électorale. Le cumul des mandats (cumul horizontal) favorise ainsi la réélection des sortants (cumul vertical), notamment quand ils sont maires12. Le cas échéant, il favorise le retour sur scène, un mandat plus tard, des battus. Pour un député-maire, par exemple, perdre l’un ou l’autre de ses mandats n’entraîne pas la perte de sa qualité « d’élu ». Bien qu’entamées, ses ressources politiques ne sont pas pour autant réduites à zéro. Le battu reste dans la course pour... solliciter, lors du prochain renouvellement, le mandat dont il vient d’être privé par le suffrage universel. En 1986, par exemple, l’Assemblée nationale (élue cette année-là à la proportionnelle) compte 281 nouveaux députés, parmi lesquels 91 « revenants », battus en 1981. De même, 61 députés PS battus en 1993 retrouvent leur siègent quatre ans plus tard, en 1997. Ils représentent le quart des effectifs du nouveau groupe socialiste, où ils sont plus nombreux que leurs collègues qui avaient conservé leur mandat pendant la législature précédente. En sens inverse, une quarantaine de députés de droite battus en 1997 regagnent l’Assemblée nationale en 2002. Le cumul horizontal des mandats favorise ainsi le cumul vertical, continu ou discontinu, et freine donc le renouvellement du personnel politique. A contrario, l’impossibilité de cumuler un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale rendra plus difficile le retour à l’Assemblée des députés battus.
11Enfin, la troisième question – ouverte celle-là – porte sur les effets de la réforme sur le Parlement ou, plus exactement, sur sa place dans l’architecture institutionnelle. L’absentéisme parlementaire – et donc le cumul des mandats – est régulièrement présenté comme un des principaux – sinon le principal – facteur explicatif de l’assoupissement du Parlement. Le remède découle logiquement du diagnostic : l’impossibilité de cumuler un mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale libérera les agendas des parlementaires et leur permettra d’exercer pleinement leur fonction. Uniquement peuplées de parlementaires « à plein temps » exclusivement attachés à faire la loi et à contrôler l’action du gouvernement, les chambres retrouveront ainsi leur lustre d’antan.
12L’argument, pour séduisant qu’il soit, semble un peu naïf. Le déclin du Parlement sous la Ve République ne saurait être imputé aux seuls parlementaires : les racines du mal sont plus profondes et puisent directement dans le terreau de la constitution des origines, marquée par la défiance envers le « régime des partis » et l’institution parlementaire elle-même. Le cumul des mandats – et le relatif désintérêt des parlementaires pour leur fonction qu’il traduit – s’est généralisé dans les années 1970 et 1980, comme si le déclin du Parlement sous la Ve République avait poussé les parlementaires à rechercher localement des fonctions plus gratifiantes, vérifiant ainsi la formule de Jules César selon laquelle mieux vaut être « le premier dans son village que le deuxième à Rome ». On peut se demander, dès lors, si les « grands élus » en situation de cumul choisiront de privilégier leur mandat national ou leur fonction exécutive locale. Aujourd’hui, plus de quatre cents parlementaires sont maires ou présidents d’un conseil départemental ou régional. On peut parier qu’un grand nombre d’entre eux choisiront leur mandat local, plus gratifiant et électoralement moins aléatoire. Le cas échéant, ceci accélérerait certes le renouvellement du personnel parlementaire mais celui-ci serait en quelque sorte un personnel de « deuxième choix ». À vrai dire, la tendance est déjà engagée depuis quelques temps déjà. À l’exception notable de François Hollande, les principaux présidentiables du PS à la fin des années 2000 n’étaient ni député, ni sénateur : Dominique Strauss-Kahn dirigeait le FMI, Martine Aubry était maire de Lille, Ségolène Royal, présidente de conseil régional et Bertrand Delanoë, maire de Paris – ces deux derniers ayant renoncé volontairement à leur mandat parlementaire sans pour autant renoncer en l’époque à leurs ambitions nationales. Et Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, qui ne sont ni l’un ni l’autre parlementaires, apparaissent aujourd’hui comme les deux favoris de la future primaire qui désignera le candidat UMP à la prochaine présidentielle.
Tableau 2 : Les parlementaires et le cumul des mandats (II)
AN (575) | Sénat (348) | Total (923) | |
Maires | 240 | 123 | 363 |
Présidents de conseil général | 11 | 34 | 45 |
Présidents de conseil régional | 4 | 4 | 8 |
Total | 255 | 161 | 416 |
Source : Le Monde13.
13Il faut souligner, toutefois, que la réforme de 2014 limite le cumul des mandats, mais ne le supprime pas. Les parlementaires pourront continuer à exercer un mandat de conseiller municipal, intercommunal, départemental ou régional, au nom de la sauvegarde du « lien de “proximité” entre l’élu et ses électeurs »14. Mais l’argument, avancé par le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, manque cruellement de consistance, y compris à ses propres yeux, puisqu’il écrit :
la plupart de nos collègues parlementaires étrangers ne pratiquent pas le cumul des mandats, sans que l’on puisse pour autant en déduire qu’ils seraient moins « proches » de leurs électeurs ou moins au fait des réalités économiques et sociales que ne le sont les parlementaires français.15
14La vraie raison est ailleurs. Instaurer le mandat unique pour les parlementaires aurait conduit par contagion à instaurer le mandat unique pour tous les élus et à bouleverser l’économie du métier politique local : interdire le cumul entre un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale affectera le sort d’un petit millier de parlementaires ; bannir totalement le cumul toucherait de plein fouet plusieurs milliers d’élus locaux et constituerait un véritable séisme dont on peine à mesurer l’ampleur.
II - Le millefeuille et la professionnalisation des élus locaux
15Le cumul des mandats pallie l’absence de statut de l’élu. Le constat n’est pas nouveau : il était déjà dressé par Michel Debré en 1955 dans un article publié dans la Revue française de science politique :
La charge de maire dans les villes d’une certaine importance a toujours été des plus lourdes et en tout temps elle a absorbé aisément l’activité d’un homme. Je n’ai pas besoin de préciser que ce qui était vrai il y a cinquante ans l’est davantage encore aujourd’hui. Or, chez nous, la charge municipale, pendant longtemps, n’a pas été le moins du monde rémunérée. Le caractère uniforme de notre législation municipale aboutit à la gratuité des fonctions : le maire d’une bourgade minuscule comme celui d’une capitale provinciale sont logés à la même enseigne, pour celui-là justifiée, pour celui-ci inadmissible. Les indemnités progressives allouées depuis peu ne modifient guère la situation car elles compensent malaisément les charges de l’administrateur qui veut tenir son rang. Dès lors le salaire du parlementaire devient une sorte de nécessité et apparaît comme la condition d’un exercice indépendant d’une difficile et absorbante fonction municipale. Le mandat politique assure à la ville un défenseur et au défenseur les moyens de vivre.16
16Soixante ans plus tard, le constat dressé par Michel Debré n’a pas pris une ride : le cumul des mandats peut être vu d’abord comme un moyen pour les élus locaux de se professionnaliser (A). Depuis 1955, toutefois, le système administratif français s’est transformé. De nouveaux mandats électifs sont apparus (conseiller régional) et l’exercice des mandats locaux est désormais mieux indemnisé. Surtout, l’intercommunalité apparaît aujourd’hui comme le principal vecteur de la professionnalisation des élus municipaux (B).
A. La professionnalisation des élus locaux par le cumul des mandats
17La question de la professionnalisation des maires se pose évidemment de façon très différente selon la taille des communes qu’ils administrent. Dans les très grandes villes, le maire ne vit pas seulement « pour » la politique. Il peut également vivre « de » la politique. Plus précisément, il peut vivre exclusivement de ses indemnités municipales, comme l’a spectaculairement illustré la décision de Bertrand Delanoë, sitôt élu maire de Paris en 2001, de renoncer à son mandat sénatorial. Dans les toutes petites communes, en revanche, les maires ne perçoivent qu’une faible indemnité même si, bien entendu, l’exercice de leur fonction élective est beaucoup moins chronophage et est donc conciliable, en pratique, avec une activité professionnelle.
18La question de la professionnalisation des maires ne se pose en fait que dans les communes de taille intermédiaire, celles où la charge est pesante et l’indemnité modeste. À mesure que la taille de la commune croît (plus de 5 000 habitants ? plus de 10 000 ? plus de 20 000 ?), quelques heures par semaine le soir et le week-end ne suffisent plus pour administrer efficacement la commune. Les services rendus aux administrés et les politiques publiques menées se développent et le nombre d’agents municipaux à encadrer augmente – sans que pour autant le maire puisse s’appuyer (comme les maires des grandes villes) sur un nombre conséquent d’agents de catégorie A ni sur un cabinet fourni. Pour mener à bien ses projets, le maire doit également tisser des relations étroites avec les services de l’État, ceux du département et de la région et, bien entendu, avec ceux de l’intercommunalité. Il doit aussi rencontrer des entrepreneurs, des responsables associatifs, des entreprises délégataires de service public. La charge est d’autant plus lourde que dans ces petites villes le lien entre le maire et ses administrés reste étroit, donc chronophage.
19L’indemnité, pourtant, reste modeste et interdit en pratique la professionnalisation complète des maires de ces petites villes ou de ces villes moyennes. Ainsi, par exemple, le maire d’une commune de 15 000 habitants ne perçoit qu’une indemnité de 2 500 euros brut par mois – sauf bonification éventuelle en fonction des caractéristiques de la commune (tableau 3). En pratique, c’est la conquête d’un second mandat – et donc le cumul – qui va permettre au maire de vivre exclusivement de la politique et de se professionnaliser. Le cumul permet alors au maire, s’il le souhaite, de quitter son activité professionnelle d’origine et donc de se consacrer totalement à ses mandats électifs. L’élection au conseil départemental d’un maire d’une ville de 15 000 habitants lui permet de toucher une seconde indemnité d’un montant équivalent (si l’on prend l’exemple d’un département d’un million d’habitant, tableau 4) pour un total de 5 000 euros et donc de vivre exclusivement « de » la politique.
20Le cumul des mandats est ainsi la voie la plus facile pour se professionnaliser et, loin des clichés dont l’opinion publique est abreuvée, la façon la plus efficace pour un homme ou une femme dans la force de l’âge de se consacrer entièrement à la vie publique. S’ils le peuvent, les maires se feront élire au Parlement. À défaut, et de manière schématique, les mieux implantés localement choisiront le département ; les autres, la région.
Tableau 3 : Indemnités de fonction pour l’exercice effectif des fonctions de Maire (Article L.2123-23-1 du CGCT)

Indice de base = IB 1015 (IM 821). IM 821 au 1er juillet 2010 = 45 617,63 Euros annuel.
Source : circulaire du 19 juillet 2010 relative aux indemnités de fonction des titulaires des mandats locaux.
Tableau 4 : Indemnités de fonction des élus départementaux (Article L.3123-16 du CGCT)

Indice de base = IB 1015 (IM 821). IM 821 au 1er juillet 2010 = 45 617,63 Euros annuel.
- Président du Conseil Général (article L.3123-17 du CGCT) : IB 1015 majoré de 45 %.
- Vice président ayant délégation de l’exécutif du Conseil Général (article L.3123-17 du CGCT) : indemnité de conseiller majorée de 40 %.
- Membre de la Commission permanente (article L.3123-17 du CGCT) : indemnité de conseiller majorée de 10 %.
Source : circulaire du 19 juillet 2010 relative aux indemnités de fonction des titulaires des mandats locaux.
B. La professionnalisation des élus locaux par l’intercommunalité
21Les mandats départementaux et régionaux constituent cependant une ressource rare (4 000 conseillers départementaux et 1 800 conseillers régionaux), qui ne permet de professionnaliser qu’une petite minorité de maires. La division par deux du nombre de régions et la suppression programmée des conseils généraux rendront à terme la professionnalisation par le cumul marginale.
22Mais une autre voie, beaucoup plus large, permet aujourd’hui aux maires de se professionnaliser. La loi Chevènement de 1999 a provoqué une révolution silencieuse. Avec l’achèvement de la carte intercommunale, la quasi-totalité des 36 000 communes françaises sont aujourd’hui rattachées à un EPCI à fiscalité propre : communauté de communes, communauté d’agglomération, communauté urbaine ou métropole. La loi du 17 mai 2013 a certes bouleversé le mode d’élection des conseillers communautaires. Mais, de façon moins connue, elle garantit aujourd’hui la présence du maire au sein du conseil de communauté : dans les communes de plus de 1 000 habitants, grâce au fléchage tel qu’encadré par le législateur ; dans les communes de moins de 1 000 habitants, parce que les élus municipaux siègent désormais à l’intercommunalité dans l’ordre du tableau.
23Les 2 000 EPCI à fiscalité propre que compte le pays sont administrés par 60 000 élus communautaires, dont 36 000 maires. Parmi ces 60 000 élus, 15 000 environ ont des responsabilités exécutives (président ou vice-président). Et ces 15 000 élus sont, dans la grande majorité des cas, maires de leur commune.
24Sur le plan matériel, la loi Chevènement et l’achèvement de l’intercommunalité ont, en quelques années, bouleversé l’économie du métier politique local. On peut estimer qu’aujourd’hui entre un quart et un tiers des maires du pays exercent une responsabilité exécutive indemnisée au sein de l’EPCI auquel leur commune est rattachée. Concrètement, pour reprendre le même exemple, le maire d’une commune de 15 000 habitants percevant une indemnité de 2 500 euros brut par mois bénéficiera d’une indemnité identique s’il est vice-président d’une communauté d’agglomération de plus de 100 000 habitants (tableau 5). L’intercommunalité procure ainsi à 15 000 élus locaux une indemnité équivalente à celle d’un conseiller départemental ou régional, sans l’aléa du suffrage universel et sans passer sous les fourches caudines d’un parti politique dont l’investiture est précieuse (conseiller départemental), voire nécessaire (conseiller régional) pour décrocher un second mandat.
25Bien évidemment, la professionnalisation par le cumul et la professionnalisation par l’intercommunalité ne sont pas deux voies exclusives. Les deux pratiques s’additionnent très souvent. Être maire d’une petite ville ou d’une ville moyenne – ce qui assure presque automatiquement d’être président ou vice-président de son intercommunalité – et siéger également au conseil départemental ou régional permet alors de percevoir des indemnités supérieures à l’indemnité parlementaire. Les élus locaux ne sont plus aujourd’hui les semi-professionnels de la politique que Michel Debré décrivait autrefois et les carrières politiques locales n’ont plus grand-chose à envier aujourd’hui aux carrières nationales. D’une certaine façon, l’intercommunalité fournit aujourd’hui aux élus locaux le « statut » que le législateur leur a toujours refusé.
Tableau 5 : Indemnités de fonction des Présidents et Vice-Présidents de Communautés Urbaines, de Communautés d’Agglomération et de Communautés d’Agglomération Nouvelle (Article L.5211-12, R.5211-4, R.5215-2-1 ; L.5211-12, R.5211-4, R.5216-1 ; L.5211-12, R.5211-4, R.5331-1 du CGCT)

Indice de base = IB 1015 (IM 821). IM 821 au 1er juillet 2010 = 45 617,63 Euros annuel.
Source : circulaire du 19 juillet 2010 relative aux indemnités de fonction des titulaires des mandats locaux.
III - Le bloc communal, – provisoirement ? – épargné par la réforme territoriale
26La réforme du bloc communal sur le modèle dit « PLM » est une idée qui fait son chemin. Selon les promoteurs d’une telle réforme, les 2 000 intercommunalités du pays auraient vocation à se transformer en « communes nouvelles », les communes-membres perdant leur qualité de collectivités territoriales pour devenir de simples communes déléguées, dont les attributions correspondraient à celles exercées aujourd’hui par les arrondissements ou les secteurs de Paris, Lyon et Marseille. Le principal avantage de la réforme serait de mettre un terme aux doublons administratifs, en plaçant les services des anciennes communes sous l’autorité de l’exécutif de la « commune nouvelle », qui pourrait alors procéder à une réorganisation administrative générale.
27Aujourd’hui, tous les éléments sont en place pour un big-bang territorial. Les pièces du puzzle ne demandent plus qu’à être assemblées. En premier lieu, la carte de l’intercommunalité est aujourd’hui achevée, ou presque achevée. En second lieu, les nouvelles modalités de désignation des conseillers intercommunaux – issues de la loi du 17 mai 2013 – sont très largement inspirées du modèle PLM (en pratique, les premiers de liste siègent à la fois au conseil municipal et au conseil intercommunal ; les suivants, uniquement au conseil municipal). En troisième lieu, le cadre juridique (la « commune nouvelle ») existe déjà, depuis la loi du 16 décembre 2010. Il suffirait juste de l’adapter : la création d’un commune nouvelle repose actuellement sur une procédure complexe, qui exige l’accord unanime des communes membres ou, à défaut, un référendum local (articles L. 2113-2 et 2113-3 du CGCT). Aujourd’hui créée sur une base volontaire, on peut imaginer que leur création s’opère demain sur une base autoritaire. Enfin, symboliquement, la loi MAPTAM a érigé le Grand Lyon en collectivité territoriale, créant ainsi le précédent montrant aux yeux de tous que le législateur peut transformer un EPCI en collectivité territoriale.
28Sur cette question, les esprits évoluent rapidement. L’AMF, qui est par construction LE défenseur de l’identité communale, est ouvertement favorable à une diffusion du modèle de la « commune nouvelle » : son président a déposé en janvier 2014 une proposition de loi visant à en faciliter la création et le fonctionnement17. Dans un contexte financier tendu, la réflexion s’accélère. L’AMF elle-même présente la « commune nouvelle » comme « un dispositif permettant de constituer des communes plus fortes dans un contexte budgétaire contraint »18. Sa réflexion rejoint les conclusions du rapport Malvy-Lambert, ou anticipe leur mise œuvre. La proposition 29 de ce rapport rendu au printemps 2014 suggère de « verser la DGF au niveau intercommunal »19.
2912 régions, 2 000 communes ? Proposé dès les années 1960 par le club Jean-Moulin, ce schéma est aujourd’hui dans toutes les têtes, y compris dans celle d’André Vallini quand il affirme :
Le budget des collectivités locales représente au total 250 milliards d’euros. Les meilleurs spécialistes pensent qu’en tablant sur des économies d’échelle et des suppressions de doublons qui pourraient à terme représenter de 5 % à 10 % on arrive à un gain annuel de 12 à 25 milliards d’euros à moyen terme. Ce qui est beaucoup. Sans parler des gains de temps et d’efficacité qui sont difficilement quantifiables mais sans doute très importants20.
30Mais, outre les réticences qu’elle soulèverait en brisant de fait le cadre communal auquel les révolutionnaires de 1789 eux-mêmes n’avaient osé s’attaquer, la transformation des 2 000 EPCI en autant de « communes nouvelles » menacerait directement le « statut » que se sont bricolés eux-mêmes les élus locaux, grâce à l’intercommunalité. Les mandats municipaux et intercommunaux constituent aujourd’hui encore deux mandats distincts, même s’ils procèdent désormais d’un scrutin unique depuis l’adoption de la loi du 17 mai 2013. Les fonctions exécutives municipales et intercommunales sont chacune indemnisées. La transformation des EPCI en « communes nouvelles » ne laisserait subsister qu’un seul mandat et donc qu’une seule indemnité, remettant ainsi en cause la professionnalisation de plusieurs milliers d’élus.
31Au-delà du sort matériel des élus locaux directement intéressés, l’adoption du mandat unique et la réforme du bloc communal modifieraient profondément les équilibres de notre système politique local et toucheraient de plein fouet les partis politiques. Aujourd’hui, la possibilité de cumuler les mandats est un moyen efficace de domestication du personnel politique local : les maires sont à la fois incités à s’enrôler dans les partis et à y respecter une forme de discipline partisane pour espérer bénéficier de leur investiture à un autre scrutin. La professionnalisation des élus locaux est, elle, essentielle à la survie des partis politiques. François Mitterrand avait coutume de dire sous forme de boutade que la moitié des 120 000 adhérents du Parti socialiste sont des élus, l’autre moitié aspirant à le devenir. Trente ans plus tard, le constat vaut toujours : l’ossature du PS et celle de l’UMP reposent plus que jamais sur leurs élus locaux ; le PCF ne survit que grâce à ses élus ; l’UDI est d’abord un parti d’élus.
32Le mandat unique et big-bang communal conduiraient ainsi, soit à « déprofessionnaliser » les élus locaux et à fragiliser davantage encore les partis, soit à bâtir un « statut de l’élu » en remettant à plat la question de leur indemnisation. Quel que soit son choix, le chemin s’annonce périlleux pour le législateur. La seconde étape de la réforme territoriale s’annonce autrement plus difficile que la première.
Notes de bas de page
1 Ce texte a fait l’objet d’une première présentation lors du colloque du GRALE organisé à l’ENA les 21 et 22 mai 2014.
2 COM (2013) 360 final du 29 mai 2013, Recommandation du Conseil concernant le programme national de réforme de la France pour 2013 et portant avis du Conseil sur le programme de stabilité de la France pour la période 2012-2017. Consultable en ligne : http://ec.europa.eu/europe2020/pdf/nd/csr2013_france_fr.pdf
3 http://www.elysee.fr/declarations/article/v-ux-aux-francais-5/ (consulté le 19 septembre 2014)
4 http://www.elysee.fr/declarations/article/v-ux-du-president-de-la-republique-aux-correziens/ (consulté le 19 septembre 2014)
5 Source : DGFIP, DGC. V. « Les collectivités locales en chiffres. 2014 », http://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/files/Chapitre_1%282%29.pdf (consulté le 19 septembre 2014)
6 Le Figaro, 8 mai 2014.
7 Selon Moody’s, les mesures envisagées « ne font que redistribuer les coûts vers d’autres organes de l’État ». « Ces changements vont faire faire quelques économies aux collectivités locales, mais sans de sérieuses réductions dans les coûts en pleine expansion de la masse salariale, nous ne pensons pas que les économies seront substantielles », V. Le Monde, 9 juin 2014.
8 « La croissance des effectifs de la fonction publique territoriale ralentit depuis 2008 », Bullletin d’information statistique de la DGCL, n° 89, juillet 2012. Consultable en ligne : http://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/files/BIS_89_version_en_ligne.pdf
9 Cour des Comptes, Les finances publiques locales, octobre 2013, p. 213.
10 Cité par Christophe Borgel, Rapport fait au nom de la commission des lois, Doc. AN 1173 et 1174, 26 juin 2013.
11 Pierre Sadran, « Démocratie locale : les carences de l’acte II » in Décentralisation, État et territoires, Les cahiers français n° 318, La documentation française, janvier-février 2004, p. 76.
12 Martial Foucault, « How Useful is the “Cumul des Mandats” for Being Re-elected ? Empirical Evidence from the 1997 Legislative Election », French Politics, volume 4(3), 2006, 292-311.
13 Samuel Laurent et Alexandre Léchenet : « Les trois quart des députés cumulent les mandats », Le Monde, 27 juin 2012.
14 Christophe Borgel, op. cit. p. 24.
15 Idem.
16 Michel Debré, « Trois caractéristiques du système parlementaire français », RFSP, 5e année, n° 1, 1955. p. 25 s.
17 Jacques Pélissard, proposition de loi relative à l’amélioration du régime de la commune nouvelle, doc. AN 1778, 2014.
18 AMF, Qu’est-ce qu’une commune nouvelle ? http://www.amf.asso.fr/document/fichier.asp?FTP=AMF_12486SYNTHESE_DE_LA_PRESENTATION_COMMUNE_NOUVELLE.pdf&ID_DOC=12486 & DOT_N_ID=38 (consulté le 19 septembre 2014).
19 Martin Malvy et Alain Lambert, Pour un redressement des finances publiques fondé sur la confiance mutuelle et l’engagement de chacun, avril 2014.
20 Le Figaro, 8 mai 2014.
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Le renforcement de la limitation du cumul des mandats et des fonctions
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