Avant-propos
p. 13-16
Texte intégral
1Dans un monde désenchanté, c’est un lieu commun que d’évoquer la crise de la démocratie représentative ou encore la crise de la représentation politique, crise déjà ancienne mais inhérente aux sociétés modernes. Corrélée à la prise de conscience des citoyens du caractère artificiel de la représentation, cette crise est au fondement de la quête d’une démocratie renouvelée1 dont l’une des facettes passe par le rapprochement des représentants politiques des citoyens. De manière générale, le constat est souvent dressé d’un étiolement ou d’un délitement des liens de confiance entre les citoyens et leurs représentants dont l’intensité s’accroit avec la mise à jour des conflits d’intérêts traversant la classe politique2. Plus profondément, la défiance des citoyens à l’égard du personnel politique est assortie d’une désacralisation des fonctions politiques. Caractéristique du système politique français, le cumul des mandats interpelle quant aux conséquences qu’il induit. Brouillage des représentations, absentéisme parlementaire et désintérêt pour l’activité parlementaire quotidienne, difficulté à réformer le local, gestion technocratique par délégation, non-renouvellement de la classe politique ou patrimonialisation des fonctions électives, autant d’éléments fréquemment invoqués pour dénoncer le fléau du cumul des mandats, véritable « fourrier de la corruption »3. Régulièrement dénoncé et dévoyé, le cumul des mandats ne fait pourtant pas l’économie d’apories. À cet égard, condamné par les sondages, le cumul des mandats ne l’est assurément pas à la sortie des urnes puisque les citoyens n’hésitent pas à élire ou reconduire des cumulants aux fonctions électives (il est vrai dans le cadre d’un choix délimité).
2Le malaise ambiant est néanmoins réel. Il suppose de redorer le blason des politiques par le renouvellement des règles du jeu politique comme des institutions dans une République que François Hollande a appelé à l’exemplarité. Quelque part, l’une des étapes incontournables à franchir pour poser les bases d’une refondation du système politique n’est autre que la césure entre la représentation nationale et la représentation locale. Présenté comme un obstacle au bon déroulement du système démocratique ou un frein au redéploiement de la décentralisation et des différents niveaux territoriaux, le cumul des fonctions exécutives locales et nationales ne saurait perdurer même si certaines voix saluent encore parfois le cumul pour le présenter comme une soupape de sécurité face à la domination des logiques purement partisanes ou encore comme « l’un des rares contre-pouvoirs à la toute-puissance présidentielle »4.
3L’ampleur du phénomène du cumul des mandats, qui n’a cessé de s’accentuer sous la Cinquième République, s’est accompagnée de réflexions de plus en plus nombreuses sur l’effectivité des missions exigées des représentants des différents niveaux territoriaux, qu’il s’agisse de l’échelon national ou des échelons locaux. Dans ce contexte, l’interdiction du cumul entre les fonctions électives nationales et les fonctions exécutives locales à l’horizon 2017 posée par les lois du 14 février 2014 et adoptée dans la douleur, marque un temps fort de la présidence Hollande.
4Bien que les fonctions locales ne soient pas totalement déconnectées d’un mandat national, la réforme du 14 février 2014 sur le cumul a déchiré les arènes politiques tant il est vrai que le cumul appartient à la culture française.
5Aussi, juristes, politologues et hommes politiques se sont réunis pour présenter et confronter leur point de vue sur cette question à l’occasion d’un colloque relatif au renforcement de la limitation du cumul des mandats et des fonctions organisé le 4 décembre 2014 à la faculté de droit Alexis de Tocqueville de Douai.
6Les points de vue exposés par les élus présents à ce colloque mettent en évidence les trajectoires politiques d’élus cumulants ou non ou ayant cumulé dans un contexte général où il devient de plus en plus difficile d’afficher son attachement au cumul des mandats sans susciter les foudres de ses détracteurs. Inscrite à plusieurs reprises sur l’agenda politique par la gauche, la question de la restriction du cumul des mandats traverse pourtant le clivage gauche-droite : le rejet du cumul ou l’attachement au cumul semblent intimement liés à l’éthique personnelle de chacun même si la pression exercée par les partis peut contrarier les conditions dans lesquelles se déroulent les carrières politiques.
7Profondément ancré dans le système politique (Gilles Toulemonde) et consolidé sous la Cinquième République, le cumul des mandats est l’objet de débats virulents entre ses partisans et ses détracteurs. Les clivages ont même été exacerbés au niveau parlementaire au cours des débats relatifs à l’adoption des lois de 2014, les sénateurs ayant entendu se prévaloir de la figure de grand représentant des collectivités territoriales incarnée par leur institution d’appartenance pour échapper à l’interdiction de cumul (Julie Benetti). Les tensions palpables lors de chaque avancée de la législation restreignant les possibilités de cumul aboutissent à une situation de protection du mandat plus que de la liberté de l’électeur (Pierre-Olivier Caille). Pour contrer les stratégies de cumul, quels qu’en soient les tenants, l’édification d’un véritable statut de l’élu s’impose comme contrepoids face aux incertitudes et aléas des carrières politiques même si la reconnaissance juridique du professionnalisme politique se fait encore attendre (Arnaud Haquet). Cette reconnaissance favoriserait la disjonction encore non établie entre les mandats communaux et intercommunaux, avec en ligne de perspective la pleine reconnaissance du pouvoir intercommunal, car si le droit intercommunal a été saisi par les lois du 14 février 2014, la législation générale sur le cumul (lois du 5 avril 2000) ignore superbement le fait intercommunal (Patricia Demaye-Simoni).
8Dépeint comme une énième exception française au regard de la législation européenne, le cumul est pourtant ancré dans les pratiques et le droit interne de certains États européens (Julien Navarro). Toujours est-il que la législation de 2014 provoquera à terme une rupture entre le mandat national de député ou de sénateur et la figure exécutive locale dont les effets devraient être ressentis tant au niveau du déroulement des carrières politiques que sur le renforcement du rôle du Parlement ou encore sur le rôle des collectivités territoriales, sans que l’on ne puisse cependant en mesurer parfaitement l’ampleur (François Rangeon). Au centre des attentions, la question du cumul des mandats et des fonctions débouche sur celle des conflits d’intérêts entretenus entre les titulaires de mandats nationaux et locaux (Jean-Gabriel Contamin), conflits d’intérêts qui rendent particulièrement délicate la réalisation de la réforme des collectivités territoriales. Les voies actuelles empruntées pour la professionnalisation politique affectent le réformisme ambiant porté par un renouvellement rapide de la législation, lequel n’échappe pas aux affres de sévères contradictions au point d’aboutir à des législations sur le cumul ou sur la réforme territoriale encore inachevées (Bernard Dolez).
9 La publication des actes5 de ce colloque reprend le déroulement de cette journée d’études. L’allocation d’ouverture de monsieur Frédéric Chéreau (maire de Douai) bien que constitutive d’un élément du point de vue des élus suit donc cet avant-propos.
10L’ouvrage est ensuite structuré autour de trois parties qui correspondent aux trois temps du colloque :
11La première partie intitulée « Questionnements juridiques sur le cumul des mandats et sur les restrictions apportées à cette pratique » reproduit l’ordre des interventions des juristes qui furent placées sous la présidence de monsieur Guillaume Glénard, professeur de droit public à la faculté de droit Alexis de Tocqueville de Douai.
12La seconde partie relative aux « Questionnements en science politique sur la pratique du cumul et ses restrictions » prend appui sur les interventions en science politique placées sous la présidence de madame Patricia Demaye-Simoni, maître de conférences en droit public à la faculté de droit Alexis de Tocqueville de Douai6.
13La troisième partie portant sur « Le point de vue des élus » rend compte des interventions des élus et des échanges placés sous la présidence de monsieur Tanguy Le Marc’hadour, Doyen de la Faculté de Droit Alexis de Tocqueville de Douai.
Notes de bas de page
1 Marie-Anne Cohendet, « Une crise de la représentation politique », Cités, n° 18, 2004/12, p. 41-61.
2 Yves Mény, « Cumul des mandats : encore un moment, monsieur le bourreau ? », Pouvoirs locaux, n° 36, V/1998, p. 16-20.
3 Patrice Duran, « Limiter le cumul des mandats ou comment assumer la décentralisation ? », Pouvoirs locaux, n° 36, V/1998, p. 20.
4 Olivier Beaud, « Cumul des mandats : peut-on encore faire entendre une voix dissonante ? », AJCT, 2013, p. 213.
5 Dont les écrits ont été remis au cours de la première moitié de l’année 2015.
6 Les débats faisant suite aux interventions universitaires ont été réunis à ce niveau.
Auteur
Maîtresse de conférences en droit public à l’université d’Artois - Centre de recherche en Droit Éthique et Procédures EA 2471 (CDEP)
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