Le Code noir, retraverser un océan de douleur

1Je tiens à remercier les organisateurs du colloque « Esclavage et droit » dont les actes sont publiés aujourd’hui, Tanguy Le Marc’hadour et Manuel Carius. Le thème général de cette rencontre, s’insère naturellement dans la problématique fédératrice de notre centre « Éthique et procédure » : la protection des personnes.

2Si le doyen fut ravi d’ouvrir ce colloque, l’enseignant-chercheur, philosophe du droit, ayant pris goût aux débats qui agitent le siècle des Lumières, ne le fut pas moins. Tout au long du siècle monte, sur les modes conjoints de la protestation éthique et de l’argumentation juridique, une revendication que la France républicaine finira par entendre : abolir l’esclavage, contraire au Droit naturel et à l’Amour de l’Humanité. Deux courts extraits confirment cette critique radicale : l’un de Condorcet tiré de ses Remarques sur les Pensées de Pascal (1776), l’autre, classique, de Rousseau attentif à mettre son temps face à ses paradoxes (Livre 1, chapitre 4 du Contrat social). Notre colloque cheminera ainsi de la protestation à l’argumentation.

3Sous la plume de Condorcet, l’esclavage est présenté comme une absurde injustice ; ce philosophe nous invite à ne jamais oublier l’océan de douleur que traversèrent ces milliers d’esclaves, opprimés parmi les opprimés, exploités parmi les exploités.

Arracher des hommes de leur pays, par la trahison et par la violence, pour les exposer en vente dans des marchés publics comme des bêtes de somme ; s’accoutumer à ne mettre aucune différence entre eux et les animaux ; les contraindre au travail à force de coups ; les nourrir non pour qu’ils vivent mais pour qu’ils rapportent ; les abandonner dans la vieillesse ou dans la maladie, lorsque l’on espère plus de regagner par leur travail ce qu’il en coûterait pour les soigner ; ne leur permettre d’être pères que pour donner le jour à des enfants destinés aux mêmes misères, devenus comme eux la propriété de leur maître, qui peut les leur arracher et les vendre ; que pour voir leurs femmes et leurs filles exposées à toutes les insultes de ces hommes sans humanité comme sans pudeur. Voilà comme nous traitons d’autres hommes !

4L’extrait de Rousseau date de 1762 ; ce chapitre IV complète et amplifie le chapitre III qui s’est attaché à démontrer l’incohérence de l’expression : « droit du plus fort ».

5La notion de « droit de l’esclavage » tente d’entériner une situation de fait sous une argutie juridique que Rousseau s’ingénie à démonter ici :

Ainsi de quelque sens qu’on envisage les choses, le droit d’esclavage est nul, non seulement parce qu’il est illégitime, mais absurde et ne signifie rien. Ces mots, esclavage, et droit, sont contradictoire ; ils s’excluent mutuellement. Soit d’un homme à un homme, soit d’un homme à un peuple, ce discours sera toujours également insensé. Je fais avec toi une convention toute à ta charge et toute à mon profit, que j’observerai tant qu’il me plaira, et que tu observeras tant qu’il me plaira.