1 Nous citerons le texte dans la version anglaise, qui a été traduite du russe (Dar) par Michael Scammell et Dmitri Nabokov en collaboration avec Vladimir Nabokov. Étudier la question de la traduction à partir d’une traduction, c’est déjà opérer un premier déplacement, depuis le texte original vers une version certes seconde mais minutieusement contrôlée et retravaillée par son auteur.

Sur la question de la traduction collaborative, voir les articles de Morgane Allain-Roussel et Stanislas Gauthier sur Lolita, celui de Julie Loison-Charles sur Ada et celui de Chiara Montini sur Volšebnik (note des directeurs d’ouvrage).

2 Nabokov a forgé, pour désigner ce travers du traducteur, le mot « otsebyatina », qu’il définit ainsi dans son article « Pounding the Clavichord » : « This convenient cant word consists of the words ot, meaning “from,” and sebya, meaning “oneself,” with a pejorative suffix, yatina, tagged on (its ya takes improper advantage of the genitive ending of the pronoun, coinciding with it and producing a strongly stressed bya sound which to a Russian’s ear connotes juvenile disgust). Lexically translated, it can be rendered as “come-from-oneselfer” or “from-oneselfity”. It is employed to describe the personal contributions of self-sufficient or desperate translators (or actors who have forgotten their speeches). » (Nabokov 1973 : 238-239)

3 Le choix de la langue à traduire est loin d’être anodin. Lorsque Nabokov évoquera plus tard avec Jane Howard (interview d’août 1964) son plurilinguisme, ce sera en effet pour associer ses trois langues à des préférences organiques : « Which of the languages you speak do you consider the most beautiful? My head says English, my heart, Russian, my ear, French. » (Nabokov 1973 : 49) Dans une interview pour Playboy (janvier 1964), il avait déjà établi une gradation dans la difficulté à traduire en fonction des couples de langue : « Translating Russian into English is a little easier than translating English into Russian, and ten times easier than translating English into French. » (Nabokov 1973 : 36)

4 On retrouve en particulier la réflexion sur l’intraduisible dans l’œuvre de Henri Meschonnic (Meschonnic 1973) et Antoine Berman (Berman 2006), mais aussi chez Jacques Derrida (Derrida 1996) – le point commun de ces auteurs étant de considérer que la valeur d’un texte se mesure précisément à son intraductibilité. Chez Lotman aussi, « la traduction de l’intraduisible porte une information de grande valeur » (Lotman 1992 : 27).

5 On peut évoquer ici la tradition des « noms parlants » (govorjaščie imena) de la littérature russe (même si on la trouve dans d’autres littératures), qui remonte au classicisme et particulièrement au théâtre classique de Fonvizine, et que l’on retrouve plus tard chez Griboedov puis dans la dramaturgie et la prose gogoliennes.

6 La nouveauté radicale de sa Vie de Tchernychevski sera d’ailleurs conspuée en ces termes par un critique hostile : « The author writes in a language having little in common with Russian. He loves to invent wordschap. » (Nabokov 1963 : 300)

7 « He named the nameless » (Nabokov 1963 : 117).

8 Et dans l’original russe : « “Наша репейница”, – рассказывал он, – ‘крашеная дама’ англичан, ‘красавица’ французов. » (Nabokov 1937-1938 : 294)

9 Un exemple de métaphore récurrente dans le roman est la métaphore de l’habitat pour désigner tout ce qui a trait à l’écriture, de façon à signifier que la véritable patrie de l’écrivain émigré est en lui-même et dans ses mots.

10 On pourra consulter par exemple La Forêt romantique, Vigor Caillet (éd.), Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2012, « Eidôlon », n^o 103.

11 À la fin du passage, le narrateur reviendra à une description de la nature domestiquée et salie par l’homme, le retour à la réalité décevante des corps nus, laids et pathétiques détruisant « l’étoffe » qu’il a « tissée », « the charmed fabric which he himself had so carefully spun » (Nabokov 1963 : 334).

12 « those artless Sunday impressions (paper trash, a crowd of picnickers) out of which the Berliners’ conception of “Grunewald” was composed » (Nabokov 1963 : 331).

13 « Ce sentiment [Romain Rolland] l’appellerait volontiers la sensation de l’éternité, il y verrait le sentiment de quelque chose d’illimité, d’infini, en un mot : d’“océanique” » (Freud 1930 : 6).

14 « for a long time, half an hour, five hours, twenty-four, a week, another. Finally, on the 28th of June around 3pm, he came out on the other shore » (Nabokov 1963 : 334).