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Préface
p. 9-13
Texte intégral
1L’histoire du football n’a pas encore beaucoup d’ancienneté et les premières publications avaient envisagé la question dans une perspective incomplète et donc peu satisfaisante. En conséquence, les résultats sont demeurés très limités. L’objectif premier des auteurs d’alors visait à légitimer la thématique. Cela consistait à montrer l’intérêt de l’histoire du football pour les disciplines dites nobles comme l’histoire économique, sociale ou politique, par exemple ; elle apparaissait au mieux comme une possible science auxiliaire de la « grande histoire ». Ce temps est révolu et des historiens abordent désormais l’histoire du football comme une discipline autonome et, aux aspects évoqués plus haut, ils ajoutent aussi l’histoire du jeu lui-même, sa pratique, les techniques mises en jeu, l’histoire des joueurs et des autres acteurs.
2Lorsque Laurent Grün est venu à l’Université de Metz pour me parler de la possibilité d’étudier l’histoire des entraîneurs de football professionnels, j’ai accueilli l’idée avec enthousiasme. Elle allait précisément dans le sens souhaité pour les futures études historiques sur le football. Après un début prometteur, les circonstances de la vie de l’un et de l’autre ont ensuite conduit Laurent Grün à achever sa thèse de doctorat à Lyon, sous la houlette de Thierry Terret. Grâce à Olivier Chovaux, les éditions Artois Presses Université ont bien voulu accueillir le résultat final.
3Laurent Grün consacre une longue introduction à la présentation de ses objectifs et aux problématiques de ce sujet inédit. Avec raison, car si l’histoire de différentes professions a déjà été explorée, celle d’entraîneur de football n’a pas de précédent. Il a fallu tout inventer ou presque, sources et méthodes, même si Laurent Grün a pu s’appuyer sur des modèles comme les histoires des métiers ou professions. Certes, les thèmes principaux de l’étude sont bien identifiés ; l’entraîneur a pour charge d’encadrer une équipe de football, de la préparer physiquement, techniquement et tactiquement, à gagner les rencontres. À l’origine, au début du XXe siècle, ces tâches ne s’accompagnaient pas de la mise en œuvre de savoirs complexes. Il n’en est plus ainsi ; aujourd’hui, le métier exige toujours davantage de connaissances, de plus en plus diversifiées. Ainsi l’entraîneur a des compétences et des tâches élargies : il doit connaître les capacités physiques des joueurs, mais également leur profil psychologique. Il est obligé de s’informer sur les techniques toujours renouvelées de la mise en condition physique, posséder la capacité de nouer et de conserver des relations toujours plus complexes avec les dirigeants qui le salarient.
4D’autres problèmes nouveaux surgissent au fil des années : Laurent Grün démêle le problème de la constitution d’une profession, l’apprentissage qui s’impose, la sélection des postulants. Enfin, il décrit les étapes menant à la formation d’un véritable métier, à son organisation et à la médiatisation des acteurs. Pour mener à bien ses recherches, Laurent Grün s’appuie sur une approche prosopographique qui l’autorise à nous informer sur les origines des entraîneurs, leur profil, leur formation et même sur leur perception par les autres acteurs.
5En tant qu’historien, soucieux de mettre l’accent sur les changements, ce dernier a logiquement recours à un plan chronologique en trois périodes : de 1890 à 1942, c’est la lente émergence du métier d’entraîneur ; de 1942 à 1973, la profession s’est structurée tout en renforçant son professionnalisme et, depuis 1973 et la réforme engagée alors par la FFF, la diversification des enjeux est spectaculaire. À l’intérieur de ces trois grandes parties, l’auteur développe des chapitres thématiques, identiques pour chaque partie.
6Au cours de la période menant jusqu’en 1942, le football accuse un retard au niveau de la préparation des joueurs, c’est-à-dire du secteur de l’entraînement. On en connaît le responsable : l’USFSA, chantre de l’amateurisme intégral et promoteur de l’effort gratuit et désintéressé et où les joueurs, issus des classes aisés maintiennent une certaine distance par rapport aux résultats, c’est-à-dire la victoire. Peu soucieux de préparation, le football français demeure longtemps sans cadres techniques ; d’où la présence dominante des entraîneurs britanniques et même d’Europe Centrale à la technicité déjà reconnue. En 1937 encore, sept Britanniques et six venus d’Europe centrale contre un seul Français occupent le poste d’entraîneur d’une équipe professionnelle de Première Division. La tendance commence à s’inverser à la veille de la guerre seulement.
7Avec l’instauration du professionnalisme en 1932, les joueurs se résignent progressivement à s’astreindre à l’entraînement. Le premier stage d’entraîneurs a eu lieu en 1929 ; le contenu aussi bien que la fréquentation ont été pauvres. Laurent Grün souligne les difficultés rencontrées par les entraîneurs pour imposer leur légitimité et obtenir un statut notamment face au capitaine de l’équipe, longtemps le maître sur le terrain et face aux dirigeants.
8Cependant les attributions de l’entraîneur commencent à être précisées ainsi que les méthodes d’entraînement physiques et techniques, grâce à l’intervention de quelques journalistes de renom, soucieux du niveau du jeu par rapport aux équipes étrangères. Avant 1942, les entraîneurs répercutaient généralement un savoir acquis durant leur carrière d’ancien professionnel.
9 La guerre a déstructuré le football professionnel et pourtant la FFFA devenue la FFF tout court poursuit sa tâche de former des entraîneurs. Ce qui explique le choix de placer le début de la deuxième grande partie en 1942. Après la guerre, l’empirisme continue d’être la règle pour les entraîneurs, désormais quasi tous des Français, la guerre ayant éloigné les étrangers. Réunir les joueurs dans la semaine représentait toujours une véritable gageure pour eux. Désireux d’améliorer la qualité de leur travail, ils se chargeaient aussi de tâches diverses, sans rapport avec une séance d’entraînement classique ; cela va jusqu’à la contribution à l’entretien du terrain. Les entraîneurs comme certains joueurs ne se consacraient pas encore entièrement à leur métier pourtant reconnu désormais.
10Au cours de cette période allant de 1942 à 1972, les entraîneurs étaient généralement des hommes autoritaires voire autoritaristes ; une minorité seulement faisait preuve d’une pédagogie plus fine (Batteux, Arribas). Cela résultait du mode de recrutement parmi les anciens joueurs professionnels. Le métier représentait une forme de reconversion. Le stage annuel prévu pour les recruter ainsi que les stages de recyclage devenus bientôt obligatoire les rendait plus visibles.
11Devenu instructeur national en 1958, l’ancien instituteur mais non joueur professionnel, Georges Boulogne va désormais imposer son mode de recrutement des entraîneurs et imprimer sa marque aux programmes d’entraînement. Il exerça une véritable dictature, privilégiant longtemps l’aspect physique du jeu. Laurent Grün a choisi la modération dans son appréciation du mode d’action de Boulogne, un homme aux manières rudes et intransigeantes. C’est ce dernier qui a fermé la porte aux postulants pour le poste d’entraîneur qui n’auraient pas été joueurs professionnels ou qui appartenaient au corps des professeurs d’éducation physique. Pour obtenir le diplôme, ses conceptions devaient être acceptées et appliquées sans discussion. C’est lui qui a choisi le personnel d’encadrement pour les stages de façon arbitraire, se laissant aller au favoritisme et au dogmatisme, au point que d’anciens professionnels ayant des points de vue différents ont renoncé à embrasser la carrière d’entraîneur. D’autres observateurs mettent plutôt l’accent sur des aspects positifs de son bilan pour la formation des entraîneurs français et surtout pour la reconnaissance de la profession.
12Au cours de cette deuxième période, les entraîneurs ont encore gagné en visibilité grâce à la presse qui les met en avant, parfois davantage que les joueurs. Le phénomène a débuté avec Albert Batteux, à la suite de sa réussite lors de la Coupe du Monde de 1958. Laurent Grün consacre un long développement aux conditions de travail des entraîneurs placés dangereusement entre les joueurs et les dirigeants et manquant souvent de moyens. Des tableaux formalisent de façon concrète l’instabilité du métier, sans doute l’un des plus précaires.
13Un quatrième chapitre, très dense, traite magistralement de la question de l’entraînement. Cela ne doit pas étonner, sachant que Laurent Grün, à côté de ses fonctions d’enseignant à l’Université, est aussi intégré dans l’équipe des entraîneurs du FC Metz. Après 1958 surtout, le contenu de l’entraînement est devenu plus complexe. Avant cette date, le physique prédominait au point que certains entraîneurs proscrivaient l’usage du ballon lors des séances. Lors des premiers stages nationaux, la FFF avait d’ailleurs fait appel à des spécialistes de l’éducation physique comme Maurice Baquet. La séparation du travail physique et de la préparation technique et tactique constituait la règle. L’obsession du physique caractérisait Georges Boulogne qui n’avait d’admiration que pour les Allemands en général qui, selon lui, travaillaient plus. Il admirait les solides gabarits et n’aimait pas les fins techniciens comme par exemple Alain Giresse. En dépit des progrès accomplis, la presse posait de façon lancinante la question de la quantité des séances d’entraînement physique ; une réaction aux résultats internationaux très médiocres des années soixante. Cependant la dimension psychologique de l’action des entraîneurs a fait son chemin, du moins chez ceux qui ont acquis une certaine compétence dans le domaine.
14La dernière partie de cette étude est plus étoffée, ce qui peut se justifier puisque le rôle de l’entraîneur n’a cessé de grandir dans la constellation du football. Le premier chapitre est consacré à l’analyse de la Charte du football professionnel élaborée au lendemain de la contestation de mai 1968 et ses incidents survenus au siège de la FFF. La fonction des entraîneurs a été concernée par les attendus de cette Charte : la création des centres de formation par exemple qui exigeait une augmentation de leur nombre, l’avènement des entraîneurs adjoints aussi. Dans le même temps, le rapport avec les présidents et aussi avec les joueurs mieux payés qu’eux est devenu de plus en plus délicat. Leur vie quotidienne est toujours plus orageuse et harassante. Une typologie de l’entraîneur termine ce chapitre.
15Le deuxième chapitre évoque l’évolution de l’organisation professionnelle, y compris le remplacement de la paire Guy Roux et Georges Boulogne par une équipe plus professionnelle et plus engagée dirigée par Joël Muller. Celle-ci a cherché à s’opposer avec plus de détermination à l’engagement d’entraîneurs étrangers ; sans succès puisque l’Union européenne s’est immiscée dans les affaires du football et a décidé en sens contraire. Un certain nombre d’entraîneurs français ont alors été contraints d’accepter des offres de pays étrangers, africains notamment et devenir ainsi un article d’exportation.
16Cette troisième période, après 1972, se caractérise par la surexposition médiatique, du moins pour les entraîneurs des grands clubs. Des experts les forment pour remplir le rôle de communicant. Ce qui conduit aussi à l’amélioration de leur statut financier et de la précision des contrats, néanmoins aisément rompus par les dirigeants. Les entraîneurs des clubs professionnels sont désormais à la tête d’une véritable équipe de techniciens spécialisés dans la préparation des joueurs des différents compartiments du jeu, des gardiens par exemple. Eux-mêmes sont devenus partiellement des hommes de bureau, de communication et de programmation. Voilà pourquoi Laurent Grün les assimile à des cadres supérieurs ; comme eux, ils ont une vie quotidienne très chargée, une responsabilité croissante, une exposition aussi. La précarité de leur carrière est devenue proverbiale. Du même coup, leur organisation professionnelle, l’UNECATEF, multiplie ses interventions.
17Toujours un peu à part, le quatrième chapitre porte sur l’évolution des méthodes d’entraînement. Le développement est solide puisque l’auteur maîtrise la question grâce à son expérience personnelle. La rigueur et toujours plus de rigueur, tel est le mot d’ordre dans le milieu. Les entraîneurs ont l’obligation de suivre régulièrement des stages nationaux, sous peine de voir invalider leur diplôme. Les instances fédérales demandent aux clubs de fournir aux entraîneurs des bases matérielles solides pour leur permettre d’accomplir leur tâche. De même, les efforts imposés aux joueurs ne cessent de s’intensifier : à la fois sur le plan physique mais de plus en plus en direction de l’engagement et de la motivation. D’où le recours croissant à la psychologie. Boulogne déplorait rituellement le manque d’esprit positif des joueurs français par rapport aux étrangers. L’aspect mental de la préparation prend une place prépondérante, au détriment souvent du souci physique et tactique. Mais comment faire admettre cette dimension par les instances du football ou par les dirigeants et surtout par certains entraîneurs dépourvus de formation culturelle poussée ? Quelques spécialistes comme Jacques Crevoisier y parviennent parfois parce qu’ils sont du sérail. Crevoisier a eu un parcours de joueur très honorable. Vers la fin du siècle, l’entraînement est désormais dit « intégré », c’est-à-dire que toutes les composantes, physiques, tactiques et psychologiques sont prises en considération à égalité.
18Impossible, en conclusion, de résumer la densité des apports de ce livre. Quelques remarques seulement : l’histoire de la profession d’entraîneur du point de vue institutionnel et organisationnel est privilégiée. Cela relève sans doute du souci habituel de légitimer l’étude sur le football. Il est vrai que l’on assiste à la véritable naissance d’une profession qui n’a cessé, en un siècle, de gagner en importance par la multiplication de ses tâches. Laurent Grün a peut-être fait preuve d’un excès de retenue en se montrant peu disert sur la violence des conflits auxquels l’entraîneur est confronté toujours davantage au fil du temps. Et c’est là que l’on pourra aussi regretter le caractère trop sommaire des esquisses d’histoires de vie de ces entraîneurs soumis à des pressions croissantes. Elles auraient apporté davantage de vie à ce texte passionnant pour les initiés et très instructif pour les autres aussi qui pourront engranger un supplément de savoir sur la vie sociale en France au XXe siècle.
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Entraîneur de football en France
Ce livre est cité par
- Desfontaine, Pierrick. Isserte, Simon. Cavaillès, Olivier. (2022) Les analystes vidéo du football de haut niveau français ; une néo-profession innovante en quête de légitimité. Movement & Sport Sciences - Science & Motricité. DOI: 10.1051/sm/2022008
- Joly, Alexandre. (2020) Michel Vautrot : la construction d’une figure populaire de l’arbitrage (1959-1991). Sciences sociales et sport, N° 15. DOI: 10.3917/rsss.015.0103
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