Présentation
p. 169-173
Texte intégral
1À propos de la question de la réalité médiatique, une première interrogation concerne cette idée même de réalité qui s’appliquerait à tout processus de médiatisation. Jean D’Arcy, un des artisans pionniers de la télévision, déclarait lors de la création du premier journal télévisé sous l’autorité de Pierre Sabbagh :
Le direct, c’est la continuité d’un événement retransmis grâce à plusieurs caméras, ce qui rend très difficile le trucage et donne une grande impression d’authenticité. Retransmettre en direct, c’est pouvoir regarder autour de soi la vie telle qu’elle est1.
2Si les médias construisent leur légitimité autour de la recherche d’effets d’authenticité, il nous faut dépasser cette illusion d’un réel montré, d’un fait relaté objectivement. Dans ce cas, il est nécessaire d’appréhender la médiatisation comme un processus d’appropriation-reconstruction de l’événement sportif, nous obligeant ainsi à différencier ce qui est de l’ordre de la pratique sportive, ce qui relève du spectacle et ce qui concerne sa transcription médiatique. La médiatisation est avant tout une co-construction, par l’image, par les commentaires, par l’écrit ou par les photos, tout ce qui constitue le récit médiatique.
3Par ailleurs (et pour être synthétique), il apparaît que les grands directs sportifs et les JO en particulier répondent à différents règles.
4Un processus d’industrialisation des médias, un lieu d’innovations techniques qui conditionne également les contenus pour les médias. L’événement sportif est par ailleurs le lieu de stratégies industrielles multiples, les programmes de sport devenant alors des produits de consommation médiatique.
5Le spectacle sportif médiatisé est un lieu de mise en scènes d’idéologies sociales et politiques. Les grandes fêtes républicaine de la fin du XIXe ont permis de structurer la République naissante, l’affirmation ou la réaffirmation de valeurs qui elles-mêmes évoluent, sont également très marquées par des préoccupations contemporaines : autrefois le mérite, l’altruisme, le dépassement de soi, et aujourd’hui la santé ou le développement durable. Sur le plan politique les Jeux olympiques de Berlin ont révélé les processus d’instrumentalisation politique possible. Ce furent les premiers Jeux ayant fait appel à toutes les stratégies de communication et à tous les supports disponibles de l’époque, et cela à des fins propagandistes. L’histoire des Jeux est émaillée d’exemples concernant ce processus politique.
6Les Jeux olympiques constituent désormais un événement médiatique archétypique des phénomènes de communication globale. Si la référence à l’idéal originel peut apparaître comme usurpée, en raison de sa confrontation avec les enjeux économiques et politiques de la société contemporaine où la marchandisation n’épargne aucun domaine, il apparaît que les JO, dès leur création, posent les bases de cette inscription médiatique. Ils constituent à la fois un lieu de « la mémoire des conflits » du XXe siècle, une « guerre sans coups de feu »2 et un lieu d’histoire des techniques médiatiques. Une caisse de résonance de nos sociétés modernes où l’universalité laisse place à l’internationalisation des messages.
7Les trois conférenciers ont appréhendé la réalité médiatique dans un processus de communication (au sens large du terme, c’est-à-dire non limité à la com-marketing) prenant ainsi appui sur ses trois dimensions définies par Dominique Wolton3. Il s’agit d’abord de la technique. Celle-ci, du téléphone à Internet, en passant par les médias, est omniprésente dans tous les rapports, publics ou privés. Il apparaît que dans ses relations aux médias, le sport a toujours su mobiliser les techniques de communication les plus avancées et, dans le même temps, le sport fut un véritable laboratoire expérimental pour les médias. Ensuite, intervient l’économie. La révolution technique n’est rien sans l’expansion considérable des industries de la communication, fer de lance aujourd’hui de la mondialisation. Le sport et son spectacle sont également, dans ce cas, exemplaires, puisqu’ils mobilisent des adhésions fortes où se conjuguent un universalisme présupposé et une internationalisation des messages sportifs, au sein d’une économie mondialisée. Enfin, les conditions sociales et culturelles déterminent les manières de communiquer. La nature des finalités allouées au sport et à son spectacle ainsi que les conditions de production de l’information inscrivent le spectacle sportif médiatisé dans sa contemporanéité.
8Après l’ère des médias électroniques, les premiers directs de 1936, les JO de Rome 1960 en eurovision, ceux de Tokyo 1964 en mondovision, ceux de Grenoble et Mexico en couleur, nous sommes à la fois à l’apogée des processus médiatiques télévisuels, sur le plan technique, mais également par le rôle structurant de ce média d’image et de direct sur l’économie du sport et des jeux. Si le direct sportif est à la fois la forme aboutie et dominante du processus de médiatisation, Bourdieu4 définit ainsi une « loi de l’hétéronomie », imposée par la télévision à l’ensemble du champ journalistique. Cette loi s’impose d’autant plus que le direct sportif a la capacité de déterminer le choix et la hiérarchisation des informations dans les journaux. De nouvelles interrogations se posent désormais, concernant le développement massif des médias du numérique. Si ces nouveaux médias étaient attachés à une conception libertaire de l’information à l’image des radios libres dans les années 1980, on voit apparaître aujourd’hui un processus de régulation, pour des raisons économiques ou morales. Plus globalement ces nouveaux supports réinterrogent la question des contenus et des usages.
9Françoise Papa rappelle ainsi que le XIIIe Congrès olympique réuni à Copenhague à l’automne 2009 a pris la mesure de la révolution numérique et des évolutions techniques et sociétales qu’elle rend possibles. Les recommandations issues du congrès invitent le Mouvement olympique à en analyser les conséquences sur l’ensemble de ses activités et de ses missions, et trace comme perspective l’élaboration d’une stratégie globale de communication articulée à la configuration d’une société en réseau et de communication instantanée. Cette perspective dessine, du point de vue de l’information et de la communication, des enjeux qui sont principalement de deux ordres pour le Mouvement olympique :
- la capacité à articuler le modèle historique, vertical, de la communication mass-médiatique avec les modalités horizontales de la communication sociale. C’est un changement de paradigme et le passage de la communication de masse à la communication en réseau qui se joue ici.
- la capacité à articuler les niveaux d’action des institutions et du Mouvement olympique et ceux de la société civile, des groupes et des individus qui la composent. Ces enjeux sont porteurs d’évolutions notables du mouvement olympique en tant que système, mais aussi de ses modalités d’action et de communication, en particulier lors des Jeux olympiques. L’expérience des Jeux de Pékin et de Vancouver, puis des Jeux olympiques de la Jeunesse de Singapour, est tout à fait significative de ces évolutions.
10Cette dimension économique, qui n’est pas en soi nouvelle5, pose néanmoins la question du statut de l’information sportive : est-ce un bien public ou un bien privé ? Dans ce cas, si une retransmission est un produit de consommation médiatique, quel peut être alors le rôle des journalistes, pris entre la distance nécessaire à la recherche de la vérité et la connivence qui devient indispensable pour accéder à l’information ? Le traitement du sport par les médias s’inscrit pleinement dans leur fonction sociétale en tant que lieux de la parole publique et de construction de sens sur le monde6. Pourquoi le sport échapperait-il à cette perspective ? Le journaliste de sport au même titre que les autres journalistes est un co-constructeur de sens7. Son rôle serait donc de bousculer, critiquer, conforter ou confronter, légitimer ou délégitimer des discours sociaux qui lui préexistent.
11Hugh O’Donnell montre que les Jeux olympiques d’été et ceux d’hiver rassemblent (en Écosse au moins) des publics très différents : plus généraliste dans le premier cas, plus spécialiste (et beaucoup plus petit) dans le second. Ils présentent par conséquent des défis différents aux journalistes, tant à ceux de la presse écrite qu’à ceux de la télévision, en ce qui concerne leur relation avec leurs lecteurs/spectateurs. Dans le cas concret de l’Écosse, un défi additionnel dérive du fait que – contrairement à ce qui se passe dans le football ou le rugby, par exemple – il n’y a pas d’équipe écossaise, les athlètes écossais s’incorporant dans l’équipe britannique. Hugh O’Donnell examine la couverture écossaise des JO d’été de Barcelone (1992) et celle des JO d’hiver de Lillehammer (1994) et de Salt Lake City (2002). Les JO de Barcelone ont reçu une couverture sérieuse, voire respectueuse dans la presse écossaise. En plus les journalistes écossais ont célébré les succès des athlètes britanniques en général, sans trop souligner une identité écossaise « à part ». Les JO d’hiver suivants, par contre, ont été traités avec un mépris non déguisé où le « politiquement incorrect » était clairement en évidence et où les sports en question ont été présentés comme « ridicules ». Les journalistes ont, en effet, utilisé cet événement pour négocier une certaine compréhension de « l’identité nationale » écossaise avec leurs lecteurs, une stratégie qui insistait sur les différences entre l’Écosse et l’Angleterre et présentait les Anglais comme hautains, antipathiques et peu sportifs. Malgré leurs différences très évidentes, ce que ces deux approches avaient en commun était d’assurer la fidélité du public et de contribuer simultanément à la santé économique des institutions où les journalistes travaillaient.
12L’intervention de Roël Puijk a permis de compléter le propos, au sujet de l’articulation d’un processus médiatique antagoniste : conflit et intégration. Les sports sont souvent considérés comme une force d’intégration dans la société. Les athlètes des différents pays et les spectateurs interagissent les uns avec les autres dans une ambiance festive. Bon nombre d’auteurs caractérisent les sports comme une religion civile, comme une force d’intégration dans la société. Dans une perspective d’adhésion de plus en plus grande, le récit surdimensionne les processus cérémoniels inhérents au spectacle sportif médiatisé et lors du direct, cette perspective se trouve renforcée, par le processus cérémoniel du média lui-même8. L’univers spectatoriel de l’événement sportif est recomposé et, à l’exemple des cérémonies d’ouverture des Jeux olympiques, c’est le culte de l’Olympisme qui est célébré. Ce conditionnement scelle les valeurs qui y sont prétendument développées. Ces cérémonies ont une fonction d’intégration explicite avec les rites et les symboles d’unité sociale. De l’autre côté, le spectacle sportif médiatisé est le lieu de revendications identitaires et de luttes et la force du message, son internationalisation, permet la publicisation de nombreux conflits associés aux Jeux olympiques – conflits reliés à la commercialisation des sports, au dopage, aux « hooligans », aux conflits politiques contemporains : droits des peuples indigènes comme à Sydney et Vancouver ou les droits de l’homme pendant le relais international de la flamme de Beijing. Ces moments d’intégration, comme ceux des conflits, sont tous rapportés par les médias. Roël Puijk souligne alors que le traitement médiatique diffère, il quitte le registre du sport pour apparaître dans les rubriques internationales ou faits de société.
Notes de bas de page
1 Francis Cazeneuve, Pionnier et visionnaire de la télévision, Jean d’Arcy parle, Paris, INA, « La Documentation Française », 1984, 187 p.
2 Georges Orwell, cité par L’Équipe magazine, Paris, 11 novembre 1989.
3 Dominique Wolton, L’Autre mondialisation, Flammarion, 2003.
4 Pierre Bourdieu, « Journalisme et éthique », Actes du colloque fondateur du centre de recherche de l’École Supérieure de Journalisme de Lille, Les Cahiers du journalisme, ESJ Lille / Université Laval, Québec, 1996, n° 1, p. 10-17.
5 Fabien Wille, Le Tour de France : un modèle médiatique, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2003, 336 p.
6 Jean-François Tétu, « Introduction », dans Claude Jamet, Anne Marie Jannet (dir.), Les stratégies de l’information, Paris, L’Harmattan, « Champs visuels », 1999, p. 1-17
7 Bernard Delforce, « La responsabilité sociale des journalistes : donner du sens », Les cahiers du journalisme, « Le journaliste, acteur de société », Lille, École Supérieure de Journalisme de Lille, décembre 1996, n° 2, p. 16-33.
8 Daniel Dayan, Elihu Katz, La Télévision cérémonielle, Paris, PUF, « La politique éclatée », 1996, 288 p.
Auteur
URePSSS, Université de Lille 2
Fabien Wille est Professeur des Universités à l’Université Droit et santé de lille 2 et membre de l’URePSSS (EA7369). Directeur de l’équipe 2, « responsabilité et stratégie des acteurs du Sport et de l’Éducation », ses recherches portent sur les dispositifs et les processus de médiatisation du sport. Il aborde de façon plus précise la question de la responsabilité sociale des médias et des journalistes de sport. Il a participé à différents projets collaboratifs nationaux et internationaux sur ce thème. Il a publié un ouvrage en 2003 : Le Tour de France, un modèle médiatique, contribué à différentes revues ou ouvrages collectifs et coordonné en 2013 le numéro 25 des cahiers du journalisme : « Journalisme sportif, journaliste de sport : vers une redéfinition de la profession ».
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