Chapitre 11. Synthèse : l’évolution d’un quartier de périphérie urbaine
p. 269-279
Texte intégral
1L’opération d’archéologie préventive réalisée entre 2013 et 2014 sur le site de l’ancienne Gare routière de Clermont-Ferrand a bénéficié de conditions particulièrement favorables pour analyser l’évolution de la périphérie sud de la ville. La première est la surface concernée par les travaux – 4 500 m² –, qui constitue une opportunité rare en milieu urbain, même si Clermont-Ferrand a été le théâtre de plusieurs fouilles de grande ampleur ces dernières années. Cette superficie a permis d’apprécier la densité de l’occupation à différentes périodes et, par conséquent, d’observer les phénomènes d’extension et de rétraction du quartier antique et médiéval.
2Par ailleurs, le recouvrement sédimentaire comme l’absence de constructions contemporaines ont en grande partie protégé les vestiges. Le milieu d’enfouissement, très humide, a en outre préservé de nombreux éléments organiques qui sont généralement absents des sites archéologiques, notamment le bois.
3La documentation recueillie est extrêmement riche. À l’échelle locale, elle éclaire l’histoire de la périphérie de Clermont, complétant ainsi les données récemment publiées du site de la rue Fontgiève (Martinez dir. 2021). L’étude du site de l’ancienne Gare routière s’inscrit par ailleurs dans les relectures actuelles des marges d’une ville antique (Ménard, Plana-Mallart éd. 2015 ; Besson, Blin, Triboulot éd. 2016).
11.1. Le quartier antique de l’ancienne Gare routière
4L’ancienne Gare routière est située au pied de la butte de Clermont, à partir de laquelle s’est développée la ville antique créée au début de notre ère. Le site, initialement localisé en dehors de l’agglomération, est progressivement intégré à cette dernière dans le courant du IIe siècle.
5L’étude a ainsi mis en lumière les modalités d’investissement, de gestion et d’exploitation d’un milieu humide pour permettre l’urbanisation de cette zone de frange, abandonnée à la fin du IVe siècle.
11.1.1. Le site et son environnement
6Le fond de vallée de la Tiretaine du Sud forme un obstacle naturel à l’expansion de la ville (Sauget, Sauget, Parent 1988 : 211-212) et constitue la limite du noyau urbain initial. Face à la pression foncière, les autorités publiques ont entrepris des travaux de drainage qui ont permis d’investir ces espaces insalubres.
11.1.1.1. La topographie et le réseau hydrographique
7L’assiette urbaine définie par la trame viaire s’interrompt, en partie méridionale d’Augustonemetum, au niveau du decumanus K, mis au jour lors des fouilles du 49 boulevard Gergovia (fig. 8, no 6 ; Liegard, Fourvel 1996 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 68-69). Cet axe correspond à une rupture topographique dans la mesure où il s’inscrit entre les pentes orientales de la butte et le fond de la vallée de la Tiretaine du Sud. Il rejoint, à l’est, les itinéraires menant aux territoires vellave, ségusiave et allobroge.
8Les terrains situés au-delà de cette rue n’ont ainsi, dans un premier temps, pas été lotis. Cela s’explique principalement par leur caractère palustre, impropre aux installations humaines. Les plus anciens niveaux anthropisés du site de l’ancienne Gare routière prennent en effet place au-dessus d’argiles indurées par les battements de la nappe phréatique, recouvertes par des vases fluvio-lacustres. Leur sommet est formé de tourbes minéralisées qui traduisent le retrait de la nappe d’eau au début du Haut-Empire. L’environnement demeure néanmoins humide puisque le secteur concerné par la fouille est traversé par un cours d’eau qui s’étend d’est en ouest sur 70 m environ.
9Avant sa progressive canalisation durant l’époque contemporaine, la Tiretaine a considérablement divagué au fil de son histoire. Ces variations se manifestent par une alternance de sédiments grossiers, résultant de la circulation de l’eau, et de niveaux tourbeux, qui se sont formés alors que le lit du ruisseau s’était déplacé.
10Il est par conséquent difficile de cartographier précisément son tracé. Le lit majeur a néanmoins pu être étudié dans le cadre de la fouille préventive réalisée à l’angle des rues Kessler, Ledru et Raynaud (Alfonso 2007b ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 124-126), à environ 200 m à l’est de l’emprise de l’opération de 2013-2014 (fig. 8, no 9). Les premiers aménagements de ses berges remontent à la fin de l’âge du Fer, avec un empierrement destiné à limiter les inondations. Durant le deuxième quart du Ier siècle ap. J.-C., un grand fossé est creusé en bordure nord du cours d’eau afin d’assurer un meilleur drainage du terrain, parcouru par plusieurs ouvrages en bois. Il est en partie transformé en conduit maçonné au milieu du IIe siècle.
11Bien qu’exondé au moment des premières installations humaines, à la fin du Ier siècle ou au début du IIe, le site de l’ancienne Gare routière est soumis à d’importantes contraintes liées à l’humidité du milieu. La nappe phréatique demeure à un niveau élevé et la présence d’un bras de la Tiretaine représente une menace constante en cas de débordement.
11.1.1.2. La gestion du milieu et son évolution
12Au tournant du IIe siècle, le risque de submersion ne constituait pas, semble-t-il, un obstacle suffisant pour interdire la construction des premiers édifices sur le site (sur ces questions, voir Leveau 2012). L’un d’entre eux (B) est même installé immédiatement au nord du bras de la Tiretaine, sans mesure de précaution particulière. Dans plusieurs villes de Gaule Belgique, comme Amiens ou Beauvais, les premières installations précèdent également les grandes entreprises d’assainissement des terrains situés en zone inondable, à proximité des berges des cours d’eau (Coquelet 2011 : 107-108). Sur le site de l’ancienne Gare routière, des épisodes de crue surviennent dès la fin du IIe siècle. Ils sont matérialisés par des dépôts de sable, identifiés aux abords des bâtiments A et B.
13Si le risque encouru pouvait paraître acceptable pour un quartier faiblement urbanisé, la volonté de le lotir durablement a nécessité la maîtrise du cours d’eau. Les travaux, entrepris en partie est de l’emprise de la fouille, ont consisté en la construction d’un canal maçonné d’une largeur de 1,10 m, probablement voûté, qui forme le prolongement occidental de celui qui avait été identifié en 1985-1986 lors des fouilles de l’ancienne confiturerie Humbert (fig. 60 ; Sauget, Claval 1989 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 92-94). Son tracé atteint donc plus de 120 m de long et, même si aucune rue n’est à ce jour attestée entre les deux sites, il parcourt peut-être plusieurs îlots. En tout état de cause, il se développe sur plusieurs propriétés distinctes puisque, au niveau de l’ancienne Gare routière, il est construit entre l’auberge B et son extension G tandis que, de l’autre côté de l’actuelle rue Léo-Lagrange, ce sont deux maisons qui sont établies de part et d’autre de l’ouvrage (fig. 8, no 3). Ces observations indiquent que l’autorité publique est très vraisemblablement à l’origine de la canalisation de ce bras de la Tiretaine.
14À Jaude, la viabilisation des terrains a débuté environ un siècle auparavant. Elle a, dans un premier temps, pris la forme d’un grand fossé de plus de 150 m de long. Celui-ci est par la suite remplacé par un canal maçonné, avant l’aménagement de l’espace monumental dans la deuxième moitié du IIe siècle (Alfonso, Arnaud, Le Barrier 2011 : 47-49 ; Alfonso dir. 2012 : vol. 2, 615 ; Dartevelle dir. 2022 : tome I, 449-451). À l’angle de la rue de Rabanesse et du boulevard Jean-Jaurès, la charnière des IIe et IIIe siècles est également marquée par la mise en place d’un nouveau réseau de drains (fig. 8, no 14 ; Martinez 2016 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 116). Sur le site de la rue Fontgiève, le développement du quartier fait suite à la domestication du bras de la Tiretaine du Nord qui le traverse, à la fin du IIe siècle ou au début du IIIe siècle (Martinez dir. 2021 : 45-47).
15Les exemples de la rue Fontgiève et de l’ancienne Gare routière témoignent de la réalisation concomitante de travaux d’assainissement comparables dans des zones périphériques de l’agglomération, à laquelle ils sont désormais intégrés, et qui sont à l’origine d’un renversement du rapport des hommes avec leur environnement. Grâce à une meilleure gestion du risque, celui-ci n’est plus seulement vécu comme une contrainte, mais aussi comme un facteur de développement économique. Les cours d’eau constituent en effet une ressource, exploitée dès le début des années 130 rue Fontgiève (Martinez, Ollivier 2018 : § 14-22 ; Martinez dir. 2021 : 37-39), qui est mise à profit pour l’installation de moulins hydrauliques. D’autres activités utilisant peut-être cette énergie (boulangerie, travail du bois) ont, de la même manière, été pratiquées au sein du bâtiment F (voir infra, chap. 11.1.3.2.).
16La situation change dès la fin du IIIe siècle. La destruction du canal maçonné et de nouveaux débordements aboutissent à l’abandon des édifices situés en rive droite. Ces événements n’ont probablement pas une cause unique. La première pourrait être environnementale puisque cette période est marquée par une hausse du niveau de la nappe phréatique et par des inondations plus fréquentes, pour partie liées à l’occupation et à l’exploitation des bassins versants (Ballut 2001 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 309-310). Les écoulements sont plus difficiles à maîtriser, notamment dans les secteurs directement exposés comme celui de l’ancienne Gare routière, situé au pied de l’escarpement qui sépare la plaine du plateau où la Tiretaine prend sa source. Il est également possible d’envisager un défaut d’entretien des infrastructures de drainage. En effet, le canal et le cours d’eau sont progressivement comblés, ce qui contribue à favoriser les crues. Suite à son abandon, la rive droite redevient une zone humide où se forment des couches argileuses et une végétation hygrophile, attestée par les résultats des analyses palynologiques. Les opérations de drainage qui sont alors entreprises se résument au creusement de quelques drains de faible envergure, manifestement peu efficaces.
17Malgré ce retour à un environnement inhospitalier, la rive gauche est encore occupée durant le IVe siècle. D’importantes modifications – remodelage du bâtiment B puis construction de l’édifice I – y sont même réalisées. L’abandon définitif du quartier n’est pas non plus imputable à des facteurs climatiques ou environnementaux, puisqu’il est contemporain d’importantes transformations qui affectent l’ensemble de la ville.
11.1.2. La place du site au sein de la ville antique
18Comme l’indique son nom, Augustonemetum est une création augustéenne, qui connaît sa pleine expansion dans le courant du IIe siècle. Les premiers mouvements d’abandon sont datés du siècle suivant dans certains quartiers, et ce phénomène s’accentue dans le courant du IVe siècle.
19Ces données très générales, et sans doute quelque peu schématiques, peuvent être confrontées à celles obtenues lors de l’opération de l’ancienne Gare routière. La prise en compte de la chronologie est, en outre, indispensable avant toute réflexion sur la place occupée par le site et, plus généralement, le quartier dans la topographie urbaine.
11.1.2.1. Les premiers temps de l’occupation
20Les plus anciennes installations humaines sur le site de l’ancienne Gare routière remontent à la charnière des Ier et IIe siècles (phase 1). Un premier ensemble est édifié au nord (A). Bien qu’incomplètement reconnu dans la mesure où seul son angle sud-est a été identifié, certaines caractéristiques permettent de l’interpréter comme un habitat au sens large. Celui-ci est contemporain d’un grand établissement destiné à l’accueil des voyageurs (B), probablement organisé autour d’une vaste cour dès cette phase et dont un corps de bâtiment a été intégralement mis au jour en rive gauche du cours d’eau.
21À l’image de nombreuses villes de Gaule romaine (pour l’Aquitaine, voir Bouet 2015 : 153), l’époque flavienne et les premières années de règne des Antonins inaugurent à Augustonemetum une phase de développement économique remarquable. Durant le IIe siècle, des programmes édilitaires de grande envergure sont en effet initiés (Dartevelle, Le Barier 2016 : 546-552), comme l’ensemble monumental de Jaude et le Vasso Galate (Dartevelle dir. 2022 : tome II, 343-356) – qui lui était probablement associé –, ou encore le temple de Mercure au sommet du Puy de Dôme (Paillet, Tardy 2003 ; Tardy 2009 : 183-185 ; Dousteyssier 2011 : 28-31 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 367-380). Dans les quartiers résidentiels du versant oriental de la butte de Clermont, des modifications substantielles, qui témoignent également des capacités d’investissement des élites, sont attestées. Ainsi, à l’École supérieure de Commerce (Jouquand, Sauget, Wittmann 1994 : 105-122) et rue de l’Oratoire (Ollivier et al. 2016a : § 124-145), elles ne se limitent pas à des mutations de propriété puisque, au début du IIe siècle, le parcellaire est totalement modifié à l’intérieur des îlots hérités de la période précédente. Ces terrains, très prisés en raison de leur proximité avec le centre monumental, sont désormais entièrement lotis et les seuls secteurs susceptibles d’accueillir de nouvelles constructions se trouvent en périphérie. Les édifices A et B de l’ancienne Gare routière prennent ainsi place dans des zones jusque-là non bâties, où le tissu urbain paraît encore lâche.
22Ce dernier est tout d’abord défini par le réseau des rues (fig. 8). La plus proche est le decumanus K, mis en place à l’époque tibéro-claudienne. Il s’agit d’une voie de contournement de la butte, suivant un schéma bien documenté en Narbonnaise (Monteil 2003 : 85 ; Nin 2011 : 297-306), et son prolongement occidental peut être restitué à une vingtaine de mètres environ de la limite nord de l’emprise de la fouille de 2013-2014. La deuxième rue identifiée à proximité est la desserte méridionale d’Augustonemetum, située au niveau de l’actuelle rue de Rabanesse (voie 1). Il s’agit des principaux axes structurants – dont la proximité est d’ailleurs une des explications pour l’installation de l’auberge à cet emplacement (voir infra, chap. 11.1.3.1.) –, auxquels devaient se greffer d’autres rues, comme celle reconnue à l’angle de la rue de Rabanesse et du boulevard Jean-Jaurès, datée de la charnière des IIe et IIIe siècles (fig. 8, no 14 ; Martinez 2016 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 116), ou encore la voie 14 (Dartevelle dir. 2022 : tome II, 293). Ces découvertes ne permettent cependant pas de reconstituer un parcellaire dont les grandes lignes nous échappent.
23Durant cette période – fin du Ier siècle et début du IIe siècle –, les constructions repérées aux alentours sont elles aussi peu nombreuses. Plusieurs sites ont livré des indices d’activités artisanales, pratiquées au sein de locaux bâtis en matériaux légers. La métallurgie semble occuper une place spécifique puisque plusieurs ateliers de ce type ont été reconnus, avenue Marx-Dormoy ou encore à l’angle de la rue de Rabanesse et du boulevard Jean-Jaurès (fig. 8, nos 2 et 14 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 85-86 et 115). Réputées polluantes et/ou dangereuses, ces activités sont couramment rejetées à l’écart des centres-villes, comme l’illustre, par exemple, le site du Lycée militaire à Autun (Chardron-Picault, Pernot dir. 1999).
24En effet, le quartier de l’ancienne Gare routière fait partie de la périphérie immédiate de l’agglomération jusque dans le courant du IIe siècle. Cette notion – suburbium, périphérie ou frange urbaine, faubourgs, espaces périurbains, etc. –, dont l’analyse a donné lieu à plusieurs publications récentes (Ménard, Plana-Mallart éd. 2015 ; Besson, Blin, Triboulot éd. 2016), est généralement définie à partir de normes juridiques et religieuses. Ainsi, par commodité et en l’absence d’enceinte fixant de manière claire l’assiette urbaine, les archéologues s’appuient le plus souvent sur la localisation des aires funéraires. Dans le cas clermontois, ces dernières se sont principalement développées au-delà des zones palustres (Sauget, Sauget, Parent 1988 : 212 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 419-423) qui forment, de fait, la véritable limite de la ville durant le Ier siècle. Au sud, le fond de vallée de la Tiretaine constitue en quelque sorte un entre-deux assurant la transition entre l’espace proprement urbain, situé au nord du decumanus K, et la campagne. Pour cette phase, les analyses palynologiques témoignent ainsi d’un milieu largement ouvert, où dominent les taxons de plantes herbacées. Ces terres étaient probablement travaillées ou mises en pâture, comme le montrent les résultats des analyses paléoenvironnementales effectuées sur le site fouillé à l’angle des rues Kessler, Ledru et Raynaud (fig. 8, no 9 ; Alfonso 2007b : vol. 1, 63 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 127).
11.1.2.2. L’intégration progressive à l’agglomération
25À la faveur des travaux d’assainissement évoqués plus haut, le quartier connaît un développement spectaculaire dès la fin du IIe siècle (phase 2). L’habitat A est rasé, entraînant un redécoupage parcellaire des terrains qui, jusque-là, n’étaient que partiellement bâtis.
26La destruction de l’édifice A bénéficie en premier lieu à l’établissement hôtelier. Il est doté d’une nouvelle cour à l’ouest et s’étend désormais de l’autre côté du chenal canalisé (G). Immédiatement à l’ouest, une maison à cour centrale est construite (D), suivant une configuration – bâtiments au nord et jardin au sud – qui était peut-être aussi celle de la propriété voisine (C), où aucune construction n’a été identifiée lors de la fouille (voir infra, chap. 11.1.3.1.). Enfin, en rive droite, les berges de la rivière sont occupées par des locaux artisanaux principalement dédiés à la production de farine, à la boulangerie (F) et probablement au stockage des denrées (E).
27Si les deux rives du bras de la Tiretaine sont désormais occupées, la densité des maçonneries y est quelque peu différente. La rive gauche est intégralement lotie tandis qu’en rive droite, plusieurs espaces libres subsistent entre les différents bâtiments identifiés. Même si l’exemple de l’auberge montre qu’une même parcelle pouvait se développer de part et d’autre du cours d’eau, ce dernier semble former, à l’ouest, une nouvelle limite entre les propriétés septentrionales et les édifices de la rive droite. Les aménagements y sont plus épars et ne semblent pas obéir à un découpage aussi strict que celui régissant l’organisation des lots situés au nord.
28Sur le site voisin de l’ancienne confiturerie Humbert (fig. 8, no 3 ; Sauget, Claval 1989 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 97-99), une première maison (maison 2) est construite au sud du canal. Après l’abandon de ce dernier – soit au IIIe siècle selon les fouilleurs –, un deuxième édifice (maison 1) est construit au nord. Il s’agit d’une maison à cour centrale, dont certaines pièces sont équipées d’un chauffage par hypocauste. Rue de Rabanesse (fig. 8, nos 10 et 14), une série de travaux aboutit, à l’angle du boulevard Jean-Jaurès, au développement de deux îlots séparés par une rue est-ouest. Au nord, les bâtiments se répartissent autour de cours et semblent avoir une fonction artisanale et/ou commerciale (Martinez 2016 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 116-118).
29La densification semble donc répondre à une pression foncière accrue. Si l’on excepte l’édifice A du site de l’ancienne Gare routière, dont l’interprétation demeure sujette à caution en raison de sa fouille incomplète, les premières maisons de notables apparaissent durant cette période. Leur installation dans ce secteur périurbain indique probablement la pénurie de terrains disponibles sur le versant oriental de la butte, mais également l’attractivité du quartier.
30À l’échelle du site fouillé en 2013-2014, ce phénomène semble néanmoins limité aux parcelles situées entre le bras de la Tiretaine et la voie de contournement de la butte. En revanche, les opérations préventives de la rue de Rabanesse ont montré le développement de multiples bâtiments plus au sud, le long de la voie d’accès méridionale à Augustonemetum. Successivement équipée d’un trottoir puis d’un portique (Martinez 2016 ; Mitton 2016) – ce qui contribue à renforcer son caractère urbain –, celle-ci pourrait avoir polarisé les constructions de part et d’autre de son tracé, comme cela a pu être mis en évidence à Nîmes (Pomarèdes et al. 2012 : 299-303) ou encore à Aix-en-Provence (Aujaleu, Nin, Reynaud 2014 : 249-250).
31On assiste ainsi, à partir de la fin du IIe siècle, à une forme d’étalement qui paraît plus dense aux abords des principaux axes de communication. L’assainissement du quartier a fait évoluer son statut, tout en repoussant les limites de l’agglomération et de sa périphérie, nécessairement fluctuantes.
11.1.2.3. Rétraction urbaine et abandon du quartier
32L’amorce d’une déprise est perceptible sur le site à partir de la fin du IIIe siècle (phase 3). Elle se traduit par deux séries d’événements probablement liés : d’une part, la multiplication des débordements du cours d’eau et la destruction du canal maçonné, d’autre part, l’abandon du tiers sud de l’emprise. Les premiers sont sans doute à l’origine des seconds, mais il est également possible d’envisager que la désaffectation de la rive droite ait mis fin à l’entretien des infrastructures de drainage.
33Au nord du bras de la Tiretaine, la maison D est réaménagée, notamment au niveau de son aile orientale. Les systèmes d’évacuation des eaux usées sont repris, au même titre que ceux de la parcelle C voisine. Il s’agit donc de modifications ponctuelles, tandis que l’auberge B connaît des transformations plus importantes. L’emprise au sol du bâtiment est revue – avec notamment de nouvelles limites à l’est et au sud – et son centre de gravité est déplacé vers la cour septentrionale, cernée par un portique reconstruit à cette occasion. La lecture du plan incite à proposer un changement de fonction de l’édifice B, qui semble alors s’apparenter à une maison à cour centrale. Cette transformation pourrait, en outre, expliquer l’absence de numéraire daté de la deuxième moitié du IIIe siècle, synonyme d’absence d’activité économique sur le site durant cette période (voir supra, chap. 6.4). La nature des constructions de la propriété C demeure en revanche inconnue. Néanmoins, l’analyse des carporestes contenus dans le comblement du conduit évacuant ses déchets vers la rivière suggère l’existence de pratiques agricoles à proximité avec, peut-être, une zone de maraîchage en fond de parcelle.
34Si l’abandon de la partie sud de l’emprise constitue évidemment une certaine forme de repli à l’échelle du quartier, les travaux entrepris au nord attestent au contraire des capacités économiques de ses habitants. Les maisons B et D semblent occupées jusque dans le courant du IVe siècle, même s’il est délicat de proposer une datation fine de leur destruction. Dans le cas de l’édifice B, cet événement est suivi par une nouvelle phase de réaménagement (phase 4), qui voit la mise en place de maçonneries dans chacun de ses angles (I). L’espace interne n’a pas livré de vestiges permettant de proposer une interprétation satisfaisante de cet ensemble, à l’exception d’un enclos fossoyé, sans doute de peu postérieur (phase 5).
35La fin de l’occupation est datée du IVe siècle, probablement de ses dernières décennies si on se fie à la découverte, dans les couches de destruction du bâtiment I, d’un nummus frappé entre 378 et 388. L’état de conservation des couches supérieures de la stratigraphie, largement affectées par des phénomènes d’induration consécutifs aux battements de la nappe phréatique, ne permet cependant pas d’avoir une vision très claire des événements de cette période. Bien qu’elles aient joué un rôle prépondérant dans l’histoire du site, les conditions environnementales ne semblent pas être à l’origine de son abandon.
36Ce sont, en revanche, les remontées d’eau qui conduisent à la fin de l’occupation du site étudié à l’angle de la rue de Rabanesse et de la rue Raynaud, au cours du IIIe siècle (fig. 8, no 10 ; Mitton 2016 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 114). Les abords du lit majeur de la Tiretaine sont désertés au même moment (fig. 8, no 9 ; Alfonso 2007b), même si le lien avec son activité n’est pas établi. Au niveau de l’ancienne confiturerie Humbert, la maison 1 ne paraît pas abandonnée avant la deuxième moitié du IVe siècle (fig. 8, no 3). En l’occurrence, il s’agit probablement d’une destruction par le feu puisque les fouilleurs indiquent qu’une « couche épaisse de cendres et de charbons de bois recouvrait les sols » (Sauget, Claval 1989 : 39).
37Les rares sites fouillés à proximité ne sont donc pas tous abandonnés au même moment et différentes explications – environnement, destruction violente – peuvent être invoquées. En réalité, la situation est comparable à celle d’autres secteurs de la ville, progressivement délaissés durant les IIIe et IVe siècles.
11.1.3. Nature de l’occupation
38L’histoire du site de l’ancienne Gare routière est donc aussi celle de l’expansion puis de la rétraction progressives de la périphérie sud de l’agglomération. Ses limites ont varié au fil du temps, au même titre que les formes de l’occupation du quartier. Ces évolutions peuvent être analysées sous l’angle de leurs relations fonctionnelles avec la ville (Reddé 2016 : 653-654), même si le site fouillé en 2013-2014 ne dévoile qu’une partie de ces relations complexes. Les informations recueillies permettent néanmoins de s’interroger sur les spécificités de cette zone périurbaine et sur la sociologie de ses occupants.
11.1.3.1. L’habitat
39L’habitat revêt deux formes distinctes sur le site. La première est collective, avec l’auberge, tandis que la seconde relève du domaine privé, avec les bâtiments A, B (phase 3), C ( ?) et D.
40L’auberge B est construite dès la fin du Ier siècle ou au début du IIe (phase 1a). Son interprétation, objet d’une première étude préliminaire (Ollivier et al. 2016b), repose sur plusieurs indices que nous rappellerons brièvement. Le premier est sa localisation. L’établissement est en effet situé à proximité des deux principaux axes de circulation de la périphérie sud d’Augustonemetum, donnant ainsi la possibilité aux voyageurs de faire étape dans la capitale des Arvernes sans traverser l’agglomération. La deuxième série d’arguments concerne le plan de l’édifice et de la parcelle au sein de laquelle celui-ci s’insère. Le bâtiment B, d’une superficie hors œuvre de 260 m² environ, est principalement composé de pièces chauffées et dotées d’un décor soigné, mais de faibles dimensions, ce qui nous incite à les interpréter comme des chambres à coucher. Les autres espaces sont des couloirs qui donnent directement accès aux appartements depuis l’extérieur et deux grandes salles vraisemblablement destinées à la préparation des repas pour la première, à leur prise en commun pour la seconde. L’ensemble forme donc manifestement un lieu d’hébergement collectif qui, en plus de ses équipements internes, était pourvu d’une grande cour assurant une prise en charge aisée des montures et des véhicules. Enfin, la découverte d’une inscription mentionnant un uiator – et s’adressant donc probablement à la clientèle – constitue le dernier argument faisant de l’auberge de l’ancienne Gare routière un des exemples urbains les mieux documentés de la partie occidentale de l’Empire (Le Guennec 2019).
41En effet, hormis les établissements italiens et en particulier pompéiens, la plupart ont été reconnus en milieu rural, le long des grands axes routiers (voir, notamment, les contributions rassemblées dans Colleoni dir. 2016). Certains sont des constructions autonomes, probablement liées au transport d’État – comme la mutatio Vanesia à Saint-Jean-Poutge (Gers ; Colleoni 2016) –, quand d’autres peuvent appartenir à un ensemble plus vaste et polyvalent, le propriétaire mettant à profit la proximité d’une voie pour proposer le gîte aux gens de passage – à l’image de la « ferme-auberge » de Soumaltre à Aspiran (Hérault ; Thernot, Bel, Mauné 2004).
42Comme l’avait déjà relevé P. Leveau (2014b : 36-40), la périphérie des villes convient particulièrement bien à l’installation des auberges et c’est dans cette catégorie de sites que s’inscrit l’établissement clermontois (voir aussi Coquelet 2011 : 169-170). Sa création coïncide avec les prémices de l’urbanisation du quartier. Le propriétaire de l’auberge a pu acquérir de vastes terrains dans un secteur encore peu loti et créer ainsi un lieu d’hébergement offrant de multiples prestations. Au tournant du IIIe siècle (phase 2a), la réorganisation parcellaire permet une extension sensible de ses capacités d’accueil (G et cour occidentale), alors que la pression foncière s’accroît considérablement. La fin de l’activité de l’établissement peut vraisemblablement être datée de la fin de ce siècle, à une période où l’habitat privé supplante les autres formes d’occupation (phase 3).
43Cette deuxième catégorie apparaît vraisemblablement, elle aussi, durant la première phase d’occupation du site, avec le bâtiment A (phase 1a). Si cet édifice n’a été que partiellement reconnu, plusieurs caractéristiques permettent en effet de lui assigner cette fonction. Il est en effet équipé de sols en dur, de peintures murales et probablement d’au moins un foyer-cheminée comparable à ceux de l’auberge. Le mobilier découvert lors de sa fouille va dans le même sens, avec une importante proportion de vaisselle de table et de service. Avec les modifications qui interviennent à la fin du IIe siècle (phase 1b), la moitié orientale du corps de bâtiment est transformée en une salle unique, dotée d’un plancher.
44Assez rapidement, l’ensemble A est détruit. Cet épisode s’inscrit dans une redéfinition des limites parcellaires, qui voit la création, à l’ouest de l’auberge, de plusieurs lots entre le decumanus K et le cours d’eau (phase 2a). L’un d’entre eux (D) a été reconnu sur toute sa largeur et sur une bonne partie de sa longueur, ce qui permet d’en proposer une restitution assez fiable. Il s’agit d’une maison à plan centré dont la configuration, contrainte par le tissu urbain de plus en plus serré, rappelle celle de plusieurs édifices de Saint-Romain-en-Gal (fig. 92, nos 1 et 2). La forme de la parcelle offre une surface suffisante pour masser les différents corps de bâtiment au nord, tout en bénéficiant au sud d’un vaste espace d’agrément proche du cours d’eau. Les constructions sont organisées autour d’une cour à portique avec, très probablement, une partie résidentielle située dans l’aile sud. La fouille de la parcelle voisine, à l’ouest (C), n’a pas révélé de vestiges bâtis et il est donc impossible de déterminer son organisation ou encore la nature des bâtiments qui l’occupaient. Le contexte, qui est également celui de la construction des premiers édifices au niveau de l’ancienne confiturerie Humbert, nous incite cependant à proposer la restitution d’une nouvelle maison à cet emplacement.
45La dernière demeure identifiée sur le site de l’ancienne Gare routière est issue de la transformation du bâtiment B à la fin du IIIe siècle (phase 3). Cette identification repose principalement sur la lecture de son plan, sensiblement modifié durant cette période. La partie sud est ainsi abandonnée, ce qui aboutit au recentrage des espaces bâtis autour de la cour septentrionale, dont le portique est reconstruit. En parallèle, une aile supplémentaire est ajoutée sur son flanc est. Ainsi, l’édifice B s’apparente désormais à une maison à plan centré.
46Celle-ci permet d’enrichir, avec la maison D, le corpus des maisons clermontoises presque intégralement dégagées (fig. 206 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 381-403). Ces demeures correspondent à un modèle largement diffusé dans les provinces gauloises à partir de l’époque flavienne (Gros 2006 : 187-194). C’est à cette même période qu’est construite la domus de l’îlot Neyron (état II), dont les dimensions sont exceptionnelles, avec une emprise de 2 116 m² (Hettiger 1993 : vol. 1, 161 ; Provost, Mennessier-Jouannet 1994 : 166). Les exemplaires du site de l’ancienne Gare routière présentent pour leur part une superficie de 900 m² pour la maison D et de 1 650 m² pour la maison B, soit des dimensions bien supérieures à celles de la plupart des autres demeures d’Augustonemetum. Cela s’explique probablement par la plus grande disponibilité des terrains accessibles en périphérie de la ville et l’îlot Neyron constitue, à ce titre, une exception. Entre la fin du IIe siècle et le IVe siècle, l’habitat privé occupe une place croissante au sein du quartier. Néanmoins, en l’état actuel de nos connaissances, ce phénomène semble limité à la zone située entre le decumanus K et le bras de la Tiretaine du Sud. À partir du IIe siècle, l’installation de plusieurs maisons de notables témoigne de l’attractivité de ce secteur loti tardivement, qui semble constituer une alternative de plus en plus recherchée aux quartiers résidentiels investis au début du Ier siècle, où plus aucun terrain n’était libre pour de nouvelles constructions.
Fig. 206 - Plans comparés de différentes maisons clermontoises.

11.1.3.2. L’artisanat
47À la suite des travaux d’assainissement et de régularisation du cours d’eau, le site de l’ancienne Gare routière accueille plusieurs ateliers artisanaux. Leur installation en rive droite est contemporaine du véritable essor du quartier et traduit le développement de ses fonctions économiques.
48Si celles-ci étaient déjà en partie assumées par l’auberge au cours de la phase précédente, elles prennent une nouvelle forme à partir de la fin du IIe siècle (phase 2). La mieux documentée est la production de farine, étroitement liée à la domestication du bras de la Tiretaine qui traverse l’emprise de la fouille dans la mesure où elle fonctionnait grâce à l’énergie hydraulique. La meunerie était localisée au niveau du bâtiment F et, bien que des doutes subsistent sur la restitution précise de ses différentes parties, la chambre de mouture prenait vraisemblablement place dans son angle nord-est (fig. 67). La roue était installée dans le cours d’eau, dont le courant était peut-être ponctuellement alimenté, à cet endroit précis, à l’aide du canal situé en face du bâtiment F. L’édifice accueillait par ailleurs une boulangerie, qui est notamment attestée par la découverte d’un pétrin mécanique. Ce dernier était lui aussi localisé à proximité immédiate du cours d’eau, si bien que l’énergie hydraulique était peut-être également utilisée pour son fonctionnement.
49La présence d’une boulangerie au sein du bâtiment F indique que la farine produite était directement utilisée sur place. Si une partie pouvait être destinée au marché urbain, la cohabitation de ces deux activités montre qu’il existait, dans le secteur, un débouché direct pour le propriétaire de cette officine. Notre méconnaissance du réseau des rues nous prive d’informations sur les éventuelles boutiques susceptibles de vendre le pain produit sur le site de l’ancienne Gare routière. En revanche, l’auberge constituait très probablement un lieu de consommation important et il convient, à ce titre, de remarquer que les capacités d’accueil de l’établissement – et donc la clientèle potentielle – augmentent considérablement à la même période. L’auberge et la meunerie-boulangerie appartenaient donc peut-être à un même propriétaire, même si les données archéologiques ne permettent pas de le certifier.
50D’autres activités de production étaient pratiquées plus à l’ouest, au niveau du bâtiment E. Elles sont matérialisées par un grand four pour lequel nous n’avons pas pu proposer d’interprétation satisfaisante, en l’absence de déchets caractéristiques notamment. Compte tenu des traces de rubéfaction peu importantes, il pourrait s’agir d’un séchoir, même si la forme de la structure ne correspond pas vraiment aux exemplaires connus par ailleurs. Cette hypothèse aurait cependant le mérite d’établir une complémentarité entre le four et la pièce attenante au nord. En effet, il s’agit manifestement d’un espace de stockage, dont le sol était surélevé au-dessus d’un vide sanitaire. Les denrées étaient peut-être placées dans des dolia, dont de nombreux fragments ont été mis au jour à proximité.
51Les autres indices d’activités artisanales ont été découverts lors de la fouille des abords méridionaux du cours d’eau, en particulier dans le bâtiment F. C’est tout d’abord le cas du travail des peaux, attesté par quelques chutes de cuir, des alènes en fer, des fragments d’amphore de Lipari – utilisée pour le transport de l’alun – ou encore par des rejets de faune dans le chenal. La tabletterie a également livré des fragments issus de différentes étapes de la chaîne opératoire, avec des bois de cerf ou des os sciés, des déchets de débitage, des plaques-supports pour le débitage de jetons et des rebuts de tournage. Enfin, le travail du bois est documenté par des outils d’ébéniste et de menuisier, mais également par des déchets tournés qui, comme sur le site de la rue Fontgiève, posent la question de l’utilisation de l’énergie hydraulique pour cette activité (Martinez, Ollivier 2018 : § 114-117).
52Ces multiples activités cessent avec l’abandon de la rive droite du cours d’eau, à la fin du IIIe siècle (phase 3). Les vestiges de la phase 2 témoignent d’une certaine forme d’imbrication des fonctions résidentielles et artisanales, relativement fréquente dans les villes antiques mais plus particulièrement répandue dans les zones périurbaines (Ménard, Plana-Mallart 2015 : 18 ; Weinkauf 2021). On assiste ensuite à un déplacement des fonctions économiques puisque, dans le même temps, l’auberge est transformée en maison. À l’échelle du quartier, ce déplacement s’est peut-être effectué au profit des établissements situés le long de la voie 1, sans doute plus à même d’attirer la clientèle.
11.2. L’occupation de la fin du Moyen Âge et de l’époque moderne
53L’abandon du site antique est contemporain de celui d’autres quartiers d’Augustonemetum, délaissés au cours du IVe siècle. Même si les contraintes environnementales sont probablement à l’origine du mouvement de rétraction perceptible à partir de la fin du IIIe siècle, elles ne semblent pas être la cause de la fin de l’occupation dans le quartier.
54Par la suite, le retour à un environnement humide – déjà perceptible en partie sud pour la phase 3 – se traduit par le dépôt de couches à dominante argileuse sur l’ensemble de l’emprise fouillée en 2013-2014. En revanche, les colluvions détectées à l’occasion du diagnostic de 2007 (Alfonso 2007a : 10, 14) n’ont été que très partiellement reconnues, le terrassement pleine masse réalisé avant le démarrage de la fouille préventive ayant probablement fait disparaître l’essentiel des couches concernées.
55Il est par conséquent délicat de reconstituer l’évolution du site avant sa réoccupation à la fin du Moyen Âge. Les témoins mobiliers les plus anciens remontent au milieu du XIIIe siècle, mais la confrontation des données issues de l’étude de la céramique et des analyses radiocarbones plaide plutôt pour un réinvestissement des lieux au cours du XVe siècle. Les parcelles sont alors mises en culture, probablement à l’initiative des seigneurs ecclésiastiques ou laïcs dont les textes nous montrent l’influence déterminante sur l’exploitation des terrains bordant la Tiretaine.
11.2.1. Topographie urbaine, environnement et paysage
56Le site de l’ancienne Gare routière est localisé à 400 m environ au sud de l’enceinte de Clermont (fig. 207). Cette dernière englobe, en partie méridionale de la ville, le quartier Saint-Genès depuis le XIIIe siècle et couvre alors 28 ha, en laissant cependant plusieurs faubourgs extra-muros (Grélois 2013 : 72). Son tracé connaît sans doute quelques modifications ponctuelles dans le courant du XVe siècle afin d’inclure les couvents des Carmes et des Cordeliers (Dartevelle dir. 2022 : tome I, 80).
Fig. 207 - Emplacement du site par rapport à l’enceinte, dans son état du XVe siècle.

57Le secteur étudié dans le cadre de l’opération préventive de 2013-2014 demeure néanmoins à l’écart de la ville médiévale.Il correspond à différents terroirs mentionnés dans les textes – Jaude, les Salins, la Croix de la Pierre et Rabanesse –, parcourus par la Tiretaine du Sud, qui a généré l’installation de plusieurs moulins. L’un d’entre eux était installé immédiatement à l’ouest de l’emprise de la fouille. Aux XIIIe et XIVe siècles, il était la propriété de la famille Laurens qui, à la même période, possédait des terres qualifiées de champs et de jardins à la Croix de la Pierre et à Rabanesse. Les pouvoirs ecclésiastiques prennent ensuite le relais et le moulin devient le « Moulin des Pauvres » (appellation utilisée sur le cadastre de 1831), en écho à son propriétaire, l’Hôpital des Pauvres.
58Les sources archivistiques offrent ainsi l’image de terres exploitées au sein d’un paysage largement ouvert. Les analyses paléoenvironnementales confirment ces données, tout en livrant des informations complémentaires. Les diagrammes polliniques montrent par exemple un recul des essences arborées. Celles-ci sont représentées par les châtaigniers, les noyers ou encore la vigne dans un des seuls ensembles clos de cette période. Pour leur part, les carporestes provenant de la flore sauvage sont principalement des plantes rudérales, suivis par les adventices des cultures sarclées et des jardins. Les fruitiers représentent l’essentiel des plantes cultivées.
59Le quartier médiéval de l’ancienne Gare routière est donc une zone ouverte et cultivée qui a probablement fait l’objet de travaux de drainage pour assurer la mise en valeur des terres. En effet, les analyses paléoenvironnementales montrent un recul des taxons hygrophiles ou aquatiques. Par ailleurs, les niveaux archéologiques attribués à cette période ne présentent pas, contrairement aux phases précédentes, les caractéristiques d’un milieu humide.
11.2.2. Développement d’une agriculture spéculative aux portes de Clermont
60Les vestiges de la phase 6 ont été détectés à la surface des couches de destruction du site antique en partie nord et au sommet des niveaux sableux couvrant le tiers sud de l’emprise. Ils consistent en tranchées au sein desquelles sont apparus de nombreux piquets en bois. Dans les secteurs les moins bien conservés, ces derniers matérialisent l’emplacement des tranchées disparues. L’observation des structures les mieux préservées a, en revanche, montré que leur creusement était concomitant de celui des cavités destinées à accueillir les piquets et que ces opérations avaient été presque immédiatement suivies par le comblement des excavations. Ces structures forment un réseau de plantations principalement orientées nord-sud et organisées en cinq parcelles distinctes.
61Leur interprétation repose sur un faisceau d’indices issus de l’étude archéologique des vestiges, de la lecture des textes médiévaux et des analyses paléoenvironnementales. La première, déjà en partie évoquée plus haut, indique l’utilisation de la technique du défoncement en tranchées. Les structures ont en effet été rapidement comblées après leur ouverture à l’aide des terres préalablement extraites et probablement amendées. La répétition de ces opérations est en outre révélée par la présence de microfossiles non polliniques marqueurs d’érosion et de remaniement des sols dans les prélèvements sédimentaires, mais également par la succession des différentes phases d’exploitation identifiées au niveau de la parcelle occidentale. C’est ainsi qu’ont été obtenues des cultures en lignes, montées sur des échalas dont la partie inférieure est exceptionnellement conservée.
62Les archives des fonds seigneuriaux et notariés évoquent à de multiples reprises l’existence de vignes dans le secteur (vinea/vin(h)a). Les plus anciennes sont signalées à Rabanesse au Xe siècle. Dans certains cas, des précisions sont apportées avec l’emploi des vocables trilia/trelia, qui fait référence à la conduite de la vigne par palissage, et plantata/plantada, qui désigne de jeunes plants. La vigne est également bien représentée dans les prélèvements sédimentaires effectués au sein du comblement des tranchées. Si ses carporestes – très abondants si on les compare à ceux issus des contextes antiques – doivent sans doute être considérés comme des indices indirects de la proximité de telles cultures (fumure ?), les pollens sont sans doute plus significatifs en raison de leur très faible dissémination.
63Plusieurs indices convergent donc pour identifier un vignoble sur le site de l’ancienne Gare routière, même si d’autres cultures ont également pu être pratiquées. C’est en particulier le cas du maraîchage, lui aussi évoqué dans les textes et perceptible grâce aux études paléoenvironnementales.
64La vallée de la Tiretaine du Sud fait ainsi l’objet d’une mise en valeur intensive de la part des propriétaires des terrains puisque, à partir du XIIIe siècle, la zone n’est plus habitée mais exclusivement dédiée à des cultures de rapport. Le développement de cette agriculture spéculative portée par des notables laïcs puis des ecclésiastiques correspond à un phénomène bien documenté dans d’autres villes françaises. Comme à Clermont, les vignobles se répartissent très souvent en périphérie et à proximité immédiate des enceintes urbaines. C’est ce que montrent, par exemple, l’illustration des Très Riches Heures du duc de Berry pour le mois de mars ou encore le plan Bredin de Dijon, réalisé en 15741. À Bordeaux, le développement d’un « vignoble suburbain » ou « bourgeois » est également sensible à partir de la fin du Moyen Âge et tend progressivement à la monoculture (Porcher 2011 : 44-71 ; Lavaud 2013 : § 12-13).
Notes de bas de page
1 Le Vray Portraict de la ville de Dijon, Archives municipales de Dijon, 4 Fi 956.
Auteur
Drac-SRA Occitanie, UMR 5608 TRACES
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