Chapitre 4. La rétraction progressive du quartier (phases 3 à 5 : fin du iiie siècle - fin du ive siècle)
p. 95-116
Texte intégral
1La période qui s’ouvre à partir de la fin du IIIe siècle est marquée par de profondes mutations. Elle débute par l’abandon du tiers méridional de l’emprise de la fouille pour aboutir à la désaffectation de la plupart des édifices au cours du IVe siècle. La nature des constructions qui subsistent évolue également.
4.1. Le site à la fin du IIIe siècle et au début du IVe siècle (phase 3)
2Cette phase de retrait s’amorce avec l’abandon de la rive droite du cours d’eau. Dans le même temps, les édifices septentrionaux connaissent d’importantes transformations. C’est plus particulièrement le cas du bâtiment B, dont l’organisation est en grande partie repensée, ce qui suggère que de nouvelles fonctions lui ont été assignées. À l’image des deux périodes qui précèdent, l’évolution progressive du site nous a conduit à distinguer une phase 3a (fig. 93) et une phase 3b (fig. 94).
Fig. 93 - Plan des vestiges de la phase 3a sur fond cadastral.

Fig. 94 - Plan des vestiges de la phase 3b sur fond cadastral.

4.1.1. L’activité du cours d’eau et l’occupation des marges
3Les bâtiments E, F et G sont détruits au cours de la seconde moitié du IIIe siècle (phase 2b). Les lieux, désormais en marge, connaissent de nouvelles formes d’occupation qui traduisent clairement le statut de cette zone à partir de la fin du IIIe siècle.
4.1.1.1. Description générale
4Le comblement progressif du cours d’eau se poursuit après la destruction du canal maçonné, dont les ruines sont rapidement enfouies (fig. 95). De multiples entreprises de drainage sont néanmoins perceptibles à travers le creusement de tranchées qui, pour la plupart, observent la même orientation que le chenal. Certaines sont même établies sur son tracé, mais il est désormais clair que le bras de la Tiretaine échappe à tout contrôle et que les occupants des lieux ont dû, tant bien que mal, s’en accommoder. Ce retour à un environnement humide, confirmé par les analyses palynologiques (indices du développement d’une végétation hygrophile), est marqué par le dépôt de couches argileuses dans la partie sud de l’emprise.
Fig. 95 - Coupe de la partie supérieure du cours d’eau, au sud du bâtiment B.

5Le chenal conserve malgré tout sa fonction d’exutoire pour les eaux usées issues des parcelles C et D (fig. 96). Dans le cas de la première, le mur de clôture méridional est reconstruit et, à cette occasion, un système d’évacuation est installé à travers la maçonnerie. Contre le parement nord du mur, un assemblage de planches verticales et horizontales (sapin, chêne, hêtre), clouées et disposées sur des tasseaux, forme un dispositif destiné à canaliser les eaux vers l’ouverture ménagée dans la construction (fig. 97). Intégralement bâti en chêne au sud du mur, il s’apparente ici à une évacuation classique – dont la couverture est en partie conservée –, qui observe un léger coude pour diriger les effluents dans le cours d’eau (fig. 98). Dans la propriété voisine (D), un conduit d’évacuation occupe également la partie arrière du jardin D17. Il est construit en fragments de terre cuite architecturale au nord et en bois plus au sud. Dans ce secteur, il était peut-être associé à un autre ouvrage du même type, extrêmement dégradé et découvert au niveau de l’ancien canal situé entre le cours d’eau et le fond de la parcelle.
Fig. 96 - Sépultures situées au sud de la parcelle C.

Fig. 97 - Dispositif de recueil des eaux usées de la parcelle C.

Fig. 98 - Conduit évacuant les eaux usées de la parcelle C.

6La partie occidentale de ce dernier est reprise pour l’édification d’une construction énigmatique. Ouverte à l’ouest, elle est formée de deux murs principalement bâtis en blocs de grand appareil en grès, recouverts pour le mur sud de deux assises de pierres volcaniques liées au mortier blanc crème. Un sol en béton établi sur un puissant radier constitue le niveau de circulation au sein de cet espace, dont l’interprétation pose problème.
7L’unique vestige signalant que la rive droite du cours d’eau est, d’une certaine manière, encore occupée consiste en un conduit d’adduction en bois. Établi à travers les ruines du bâtiment F, il se développe sur une longueur totale de 13 m, mais nous ignorons tout de son point de départ et d’arrivée. La canalisation est constituée, en partie est, de pièces de bois en chêne et, en partie ouest, de conduits en sapin. Les tronçons sont de section circulaire à l’intérieur et hexagonale à l’extérieur.
8À l’exception d’un fragment de coupe en sigillée de l’Argonne Chenet 320, cette zone n’a livré aucun mobilier postérieur au IIIe siècle. Les productions les plus tardives sont les céramiques métallescentes. En conséquence, compte tenu de ces données et de la chronologie retenue pour la fin de la période précédente, il semble que la rive droite du cours d’eau ait été définitivement abandonnée à la fin du IIIe siècle.
4.1.1.2. Développement d’une zone funéraire (avec AC)
9À partir de cette période, le tiers sud de l’emprise correspond donc à un secteur en marge de l’habitat, qui se limite désormais à la seule rive gauche du cours d’eau. Cet espace est alors, de manière significative, utilisé à des fins funéraires.
10Trois sépultures d’immatures sont ainsi installées immédiatement au sud du mur de clôture de la parcelle C (fig. 96). Cette configuration rappelle, dans un contexte un peu différent et à une échelle largement plus réduite, celle du site de Champ-Madame à Beaumont (Puy-de-Dôme), où la zone funéraire est localisée au niveau du mur d’enclos nord de l’établissement (Alfonso, Blaizot dir. 2004 : 150). La distinction opérée entre le monde des morts – qui, dans les deux cas, sont des nourrissons – et celui des vivants répond cependant à un même schéma. Le mode d’inhumation correspond également à une coutume bien connue chez les Arvernes, puisque les individus ont été placés dans des contenants en terre cuite à fond plat et parois verticales, généralement qualifiés de « bassines » ou de « terrines » (Bel, Fabre 2000 ; Blaizot dir. 2009 : 77).
11La sépulture la mieux conservée (2442) comporte une fosse dans laquelle a été disposé le vase-cercueil, recouvert de fragments de terre cuite architecturale (fig. 99). Il abrite les restes d’un sujet périnatal, dont l’âge au décès peut être estimé à 40 semaines de vie in utero d’après la mesure des diaphyses des os longs (Adalian et al. 2002 ; Schaefer, Black, Scheuer 2009) et le stade de minéralisation des germes dentaires (Moorrees et al. 1963). L’individu est allongé sur le côté droit, avec les membres supérieurs et inférieurs fléchis et la tête à l’est, face tournée vers le nord. Les nombreux déplacements osseux observés confirment la décomposition du corps en espace libre, sans effet de contrainte ou de paroi, qui aurait permis de restituer une enveloppe souple autour du corps. Un vase miniature de forme globulaire a été découvert entre le creusement de la fosse et le vase-cercueil.
Fig. 99 - La sépulture 2442 et le mobilier associé.

12D’autres vestiges d’un dépôt (17 fragments d’une cruche à engobe blanc) sont associés à la sépulture 2441, dont la bassine était en position retournée sur les restes du défunt (fig. 100). Ce dernier était également âgé d’environ 40 semaines de vie in utero. Il est couché sur le dos, avec la tête au nord et la face tournée vers l’est. Son membre supérieur droit est fléchi et repose sur l’abdomen, tandis que le gauche est en extension le long du thorax. Les membres inférieurs sont fléchis, ainsi que les articulations coxo-fémorales, ramenant les genoux contre la cage thoracique. Les multiples déplacements osseux traduisent là encore une décomposition en espace vide, celui de la terrine, sans effet de paroi ni de contrainte.
Fig. 100 - La sépulture 2441 et le mobilier associé.

13La troisième sépulture (2440), au sud-est, est extrêmement dégradée (fig. 101). Elle contient les restes d’un sujet périnatal (38-40 semaines de vie fœtale), disposés en amas sur le fond de la bassine, elle aussi détruite en grande partie.
Fig. 101 - La sépulture 2440 et le mobilier associé.

14Les deux autres sépultures de cette période ont été mises au jour au sud du bâtiment B (fig. 102).
Fig. 102 - Plan détaillé du bâtiment B (phase 3a).

15La première (2696), en rive droite du cours d’eau, correspond une nouvelle fois à une inhumation d’un individu périnatal âgé d’environ 40 semaines in utero au moment de son décès (fig. 103). Il a été déposé sur un assemblage de quatre douelles en sapin issues d’un seau ou d’un petit tonneau, ainsi que semble l’attester la présence de poix sur la surface interne des pièces de bois (voir infra, chap. 8.5.). Le sujet est couché sur le dos selon une orientation nord-sud, la tête au nord. Les membres supérieurs et inférieurs sont fléchis, les pieds ramenés au-dessus de l’abdomen. Les différents déplacements dans et hors du volume corporel indiquent une décomposition en espace libre, sans effet de paroi ni de contrainte.
Fig. 103 - La sépulture 2696 et le mobilier associé.

16La seconde (2854) est celle d’un adulte, inhumé au niveau de la cour B15 (fig. 104). Selon la diagnose sexuelle probabiliste (Murail et al. 2005), il s’agit d’un homme dont l’âge au décès peut être estimé, d’après la cotation de la surface sacro-pelvienne iliaque (Schmitt 2005), entre 20 et 39 ans. L’individu repose sur le dos au sein d’une fosse, selon une orientation nord-sud, la tête au sud et la face tournée vers l’ouest. Les membres inférieurs sont fléchis. Les membres supérieurs le sont également, la main droite au niveau du coude gauche et la main gauche au niveau du pubis. Le maintien de nombreuses connexions labiles et de certains éléments osseux en équilibre plaident pour une décomposition en espace colmaté, et donc une inhumation en pleine terre.
Fig. 104 - La sépulture 2854.

17La faible densité de sépultures traduit une utilisation ponctuelle de l’espace plutôt qu’une véritable transformation de la zone en aire funéraire. Les inhumations semblent plus particulièrement associées aux parcelles qu’elles jouxtent (B et C) et il est donc possible d’envisager un lien entre les défunts et leurs occupants. Quoi qu’il en soit, elles illustrent une nouvelle fois la variabilité du traitement réservé aux sujets périnatals (position du corps et du vase-cercueil, réutilisation d’un contenant en bois), malgré le recours à un mode d’inhumation courant dans la région.
4.1.2. Le réaménagement du bâtiment B
18La destruction de l’extension G de l’auberge implique un recentrage de la parcelle B sur la partie située au nord, en rive gauche du cours d’eau (fig. 102). L’édifice adopte alors une nouvelle configuration et, probablement, de nouvelles fonctions.
4.1.2.1. Abandon de la partie sud
19Au même titre que les constructions situées en rive droite, les espaces constituant la partie méridionale de l’auberge sont abandonnés. Dans l’ancienne aile sud, les ouvertures assurant la communication entre les salles B10, B11 et B12 sont condamnées et l’ensemble est remblayé à l’aide de gravats, dont le sommet est recouvert par des sols rudimentaires qui indiquent que la zone est encore fréquentée, au moins ponctuellement. Les espaces attenants (B17 et B18) sont pour leur part détruits.
20Plus à l’est, l’accès à l’aile centrale est bouché et les pièces B19 et B20 sont remplacées par un nouvel espace (B28) dont les dimensions atteignent environ 33 m². Les murs qui le délimitent sont conservés sur sept assises en élévation, avec un liant qui varie du blanc au violet. Les chaînages d’angle extérieurs sont particulièrement soignés. Ils sont formés de pierres de taille en trachyandésite ou, fait unique sur le site, en calcaire oolithique. Le plus ancien sol de la pièce B28 est un plancher, apparu sous la forme de ses lambourdes orientées est-ouest. Plusieurs niveaux de circulation successifs – en terre battue ou en mortier – alternent ensuite avec de multiples remblais. Ces nombreux réaménagements signalent une importante fréquentation des lieux, mais aucun témoignage direct de leur fonction n’a été décelé.
4.1.2.2. Les transformations de la partie nord
21En partie nord, les principales modifications opérées durant cette période concernent la cour B13 et les espaces associés.
22L’ensemble du secteur est remblayé, probablement pour le mettre hors d’eau. Un sol en gravier de pouzzolane est ensuite établi au sein de la cour. Cette dernière est cernée par deux tranchées perpendiculaires qui matérialisent l’emplacement de constructions récupérées durant le IVe siècle (phase 3b), délimitant un espace d’une surface minimale de 200 m². La première tranchée, à l’ouest, s’étend sur au moins 17,80 m du nord au sud (fig. 105). Elle conserve à son extrémité nord trois blocs d’arkose, évidés en partie supérieure et placés bout à bout pour former une rigole (fig. 106). Il s’agit donc d’un système d’évacuation, associé à un muret de pierres volcaniques liées au mortier beige orangé, uniquement préservé en bordure occidentale de l’excavation. La seconde tranchée se développe sur une longueur totale de 13,40 m au sud de la cour (fig. 107). En partie est subsiste un aménagement formé d’une dalle en arkose (L : 1,60 m ; l : 0,55 m ; ép. : 0,15 m), placée perpendiculairement à l’axe de la tranchée et formant un angle droit avec un bloc en calcaire très délité (L : 1,06 m ; l : 0,55 m). La dalle comporte deux dépressions ovales qui constituent peut-être des traces d’usure liées à la présence d’une descente d’eau pluviale.
Fig. 105 - Tranchée de récupération bordant le portique B14, avec les bases des supports de la toiture.

Fig. 106 - Caniveau recueillant les eaux de la toiture du portique B14.

Fig. 107 - Tranchée de récupération au sud de la cour B13.

23La cour est encadrée par deux espaces distincts. Le premier (B14) est localisé au nord de la salle B1 et s’apparente à un portique dont les supports prenaient appui sur des bases longeant le caniveau mentionné précédemment, selon une disposition classique qui permettait l’évacuation des eaux de la toiture. Les bases (L : 1,16 à 1,25 m ; l : 0,52 à 0,86 m) sont espacées de 1,50 à 1,90 m. Elles sont constituées d’une fondation de pierres volcaniques liées au mortier gris, sur laquelle reposent des moellons d’appareil en grès. Un bloc en arkose de grand appareil (L : 0,79 m ; l : 0,64 m ; H : 0,59 m), découvert à proximité en position secondaire, est peut-être issu du démantèlement du portique. Bien que la largeur de ce dernier soit relativement importante – environ 6 m –, aucun support intermédiaire n’a été détecté. Le premier sol du portique est un simple mortier blanc, recouvert par un béton lissé établi sur un radier de pierres volcaniques. En partie sud-est, deux seuils matérialisent l’accès à la cour B13 et à l’espace B26 (fig. 108). Il s’agit dans le premier cas d’un bloc en grès fin, dont l’interprétation demeure sujette à caution faute d’aménagements caractéristiques, et dans le deuxième d’une pièce en chêne (L : 1,16 m ; l : 0,31 m ; ép. : 0,16 m). Elle constitue le seuil de la porte ouvrant sur la galerie B26, fermée à l’est par de nouvelles constructions. La première prolonge le mur nord de l’ancienne aile centrale de l’auberge, chaînée à un mur qui se développe sur au moins 9,20 m du nord au sud et qui constitue également la limite orientale de la cour B13. À cet endroit, cette maçonnerie présente sur son parement ouest un petit appareil fictif formé de joints regarnis (fig. 109). Le sol de l’espace B26, dont la largeur est de 1,70 m sur sa branche occidentale et de 2,70 m sur sa branche sud, est un mortier blanc rudimentaire, très dégradé par l’humidité du sous-sol.
Fig. 108 - Seuils des ouvertures situées au sud-est du portique B14.

Fig. 109 - Parement ouest du mur oriental de la cour B13.

24Les autres travaux attribués à cette période sont plus limités. Dans ce qui constituait l’aile centrale de l’auberge, les espaces B5 et B24 sont réunis pour former une nouvelle salle (B27) de fortes dimensions (92 m²), mais de destination inconnue. Les niveaux d’occupation ont en effet disparu et il est simplement possible d’affirmer que son sol reposait sur des niveaux de destruction laissés en place pour servir de remblais. De la même manière, dans l’aile nord, les espaces B3 et B4 sont transformés en une salle unique (B29). Dans ce même secteur, une abside est adossée à la pièce B1 à l’ouest. Si cette forme architecturale est parfois associée à des balnéaires, aucune installation liée au chauffage ou à l’eau n’est apparue lors de la fouille. Sa construction implique la disparition de la galerie B23 qui bordait la cour occidentale de l’établissement.
25Les productions céramiques associées à cette phase (3a) couvrent une période comprise entre la fin du IIe siècle et la fin du IIIe siècle, avec notamment une proportion croissante de céramique métallescente. Le recours à la dendrochronologie permet de préciser les données. Ainsi, le chêne utilisé pour la confection du seuil de la baie séparant les espaces B14 et B26 a probablement été abattu entre 264 et 292. Même si un réemploi ou un remplacement de la pièce d’origine ne peuvent être exclus, cette datation est conforme à celle que nous proposons pour l’abandon de la partie sud de l’emprise. Les travaux affectant la parcelle B, qui en sont une conséquence indirecte, seraient ainsi datés de l’extrême fin du IIIe siècle ou du début du siècle suivant.
4.1.2.3. L’évolution de l’édifice B
26Au début du IVe siècle (phase 3b), la transformation progressive du bâtiment B se poursuit (fig. 110). Ces modifications s’inscrivent dans la lignée de celles opérées à la fin du IIIe siècle et affectent donc principalement les mêmes secteurs.
Fig. 110 - Plan détaillé du bâtiment B (phase 3b).

27C’est ainsi que les opérations consistant à isoler l’édifice du cours d’eau s’achèvent par la clôture définitive de la parcelle. Suite au remblayage de l’espace B35, le mur sud de l’ancienne aile centrale de l’auberge est prolongé en direction de l’est. Son extrémité est chaînée à une construction d’orientation nord-sud, dégagée en limite d’emprise.
28Ces travaux confirment que la cour B13 constitue dorénavant le centre de gravité du bâtiment B et les nouvelles constructions méridionales peuvent, à ce titre, être considérées comme périphériques. Approximativement au centre, trois pièces (B31, B32 et B33) sont délimitées par des maçonneries hétéroclites, ce qui s’explique avant tout par la reprise de constructions plus anciennes. Ces salles communiquent entre elles par l’intermédiaire de portes situées en partie nord. Les seuils, principalement composés de dalles en arkose, portent l’empreinte des chambranles en bois, ainsi que des mortaises qui peuvent être assimilées à des crapaudines (fig. 111, nos 1 et 2). Ces espaces ont été puissamment remblayés (fig. 44), ce qui trahit l’activité du cours d’eau voisin, mais aucun sol construit ou niveau contemporain de l’occupation des lieux n’a été identifié. Il est donc délicat d’en proposer une interprétation définitive. Les seuls indices sont ceux fournis par l’analyse du mobilier céramique qui, pour l’ensemble de la phase 3, présente dans cette zone une importante proportion de vases de stockage – 15 % du NTI (nombre typologique d’individus), hors amphores et dolia, eux aussi découverts en grand nombre –, avec une part croissante de vases culinaires par rapport à la vaisselle de service. Le secteur pourrait, en conséquence, avoir été utilisé comme lieu de stockage des denrées. Les trois pièces étaient recouvertes par des couches d’effondrement de toiture et, au sein de la salle B33, le squelette d’un homme âgé de plus de 30 ans a été découvert sous l’une d’entre elles. Son étude, qui a révélé une décomposition des chairs en espace colmaté, ainsi que sa position, avec notamment le membre supérieur droit fléchi sous le crâne, pourraient indiquer un décès accidentel lors de la destruction violente de cette partie de l’édifice, même si nous manquons de certitudes sur ce point.
Fig. 111 - Seuils du bâtiment B (phase 3b).

29La redéfinition des limites méridionales de la parcelle B – si l’on excepte les constructions adossées qui viennent d’être décrites – s’accompagne de la mise en place de plusieurs aménagements comparables à ceux édifiés entre les propriétés B et D à la fin du IIe siècle (voir supra, chap. 3.2.2 et 3.3.1).
30Il s’agit en premier lieu de deux exèdres bâties contre le mur sud de l’édifice, à ses extrémités occidentale et orientale. Dans le cas de l’espace B30, les maçonneries ne sont conservées qu’en fondation. Elles délimitent un espace rectangulaire de 3,20 m² environ et sont formées de moellons volcaniques liés au mortier violacé. À l’est, l’espace B34 est contemporain de l’extension du mur de parcelle méridional dans cette direction. Il est un peu plus grand (environ 4 m²) et son état de conservation est légèrement meilleur, même si les phénomènes d’oxydation ont en grande partie modifié l’aspect des maçonneries. Le mur sud de cet ensemble a ainsi livré les traces d’un enduit interne, de couleur blanc-gris. L’exèdre est ouverte sur l’espace B35 par l’intermédiaire d’une porte dont le seuil est comparable à ceux précédemment décrits pour les salles B31, B32 et B33 (fig. 111, no 3).
31Entre l’exèdre B34 et la salle B33, un massif carré de 1,40 m de côté a également été construit dans le même temps (fig. 112). Il est bâti en fondation sur trois assises de pierres volcaniques liées à la terre, au-dessus desquelles se dresse une maçonnerie hétérogène composée de moellons d’origine volcanique (basalte, pouzzolane, trachyandésite) et de fragments de terre cuite architecturale liés au mortier violacé (H : 0,53 m). Les quatre faces sont couvertes d’un enduit qui était probablement blanc à l’origine. Les niveaux associés à la destruction de sa superstructure ont livré un fragment de colonne en arkose, un élément taillé en trachyte qui pourrait correspondre à un fragment d’autel, plusieurs exemplaires de statuettes en terre cuite (fig. 174, nos 2 et 14), ainsi que des tessons de coupelles engobées caractéristiques des contextes cultuels (Romeuf, Dumontet 2000 : 49-52 ; Delage 2002 : 87).
Fig. 112 - La base de l’espace B15 et le mobilier associé.

32La base est longée au nord par un conduit d’évacuation dont le fonctionnement ne peut être clairement restitué. Il est formé de tuiles reposant sur une couche d’argile jaune d’étanchéité, calées en bordure par des fragments de terre cuite architecturale disposés de chant et en épi. L’eau s’écoulait en direction de l’est, où l’extrémité du conduit est en partie engagée dans les fondations de l’exèdre B34, sans que ces dernières ne le coupent réellement (fig. 113). Nous ignorons en revanche d’où provenaient les fluides (toiture ? base maçonnée ?).
Fig. 113 - Extrémité est du conduit longeant la base maçonnée.

33La fonction cultuelle de la base maçonnée doit, comme pour l’exemplaire découvert entre les parcelles B et D, être privilégiée. C’est ce que montre assez nettement le mobilier associé et, là encore, il faut probablement lier la mise en place de cette construction avec une certaine forme de bornage du territoire. L’emplacement de la base se confond en effet avec la nouvelle limite méridionale de la parcelle. La fonction des exèdres est en revanche plus difficile à établir, faute d’aménagement ou de mobilier spécifiques, mais il n’est pas inutile de remarquer que, pour deux d’entre elles (en incluant B21), leur mise en place est contemporaine de celle des bases maçonnées qui les jouxtent. Elles pourraient ainsi leur être associées, même si elles sont, pour leur part, ouvertes sur la partie interne de l’édifice B.
34La chronologie des constructions de cette période repose sur une série d’indices concordants. Les premiers sont issus de la fouille des remblais coupés par les fondations des murs de l’extrémité sud-est de l’édifice B, qui délimitent l’espace B35. Ils comportent des tessons de céramique sigillée du IVe siècle, ainsi qu’un fragment de bol Drag. 33 du Bas-Empire. De la céramique estampée a également été découverte dans un niveau de destruction de l’espace B33. Les réaménagements de la partie sud de la parcelle B comme l’abandon des espaces concernés peuvent donc être datés du IVe siècle, sans qu’il soit possible d’être plus précis.
35Le principal objectif des travaux de cette période est de créer les nouvelles limites méridionale et orientale du bâtiment B. Cette hypothèse repose sur les aménagements de la phase suivante (4), qui occupent les angles de la parcelle. Ils autorisent également la restitution de la limite nord de l’ensemble, dont la superficie interne peut être estimée à environ 1 450 m² – la surface hors-œuvre avoisinant les 1 650 m², exèdres et espaces méridionaux inclus. L’auberge était autrefois ouverte sur le cours d’eau, mais les incessantes crues de ce dernier ont conduit les bâtisseurs de la fin du IIIe siècle et du début du IVe siècle à déplacer le cœur de la propriété vers le nord, autour de la cour B13. La configuration générale de l’édifice est donc totalement repensée. Elle s’apparente désormais à celle d’une maison à plan centré autour d’une cour qui a également fait l’objet d’importants travaux, au même titre que les différentes ailes qui la bordent. Des cloisonnements sont abattus et les espaces sont remodelés. Même s’il est impossible d’être très précis sur ce point, leur fonction change très probablement au cours de cette période, à l’image de l’ancienne salle B5 qui est englobée dans un espace plus vaste (B27). La fonction technique qui lui était dévolue semble désormais échoir aux salles B31, B32 et B33, en position périphérique.
4.1.3. Les parcelles C et D
36En dehors de la réfection des systèmes d’évacuation des eaux usées, identifiés en fond de parcelle, les seules modifications du plan de la partie occidentale de l’emprise concernent la maison D (fig. 93).
37Elles portent plus particulièrement sur son aile est. Ce secteur a été en grande partie affecté par les battements de la nappe phréatique, qui ont provoqué l’induration des couches supérieures de la stratigraphie, pour la plupart attribuées aux phases 3 et 4. Leur analyse est donc délicate. L’espace (D25) ouvert suite à la destruction des cloisonnements légers à la fin du IIIe siècle (phase 2b) est ainsi remblayé à l’aide de gravats qui, compte tenu du tri visiblement effectué, pourraient également avoir fait office de radier pour de nouveaux sols dont le revêtement n’a toutefois pas été reconnu. À la même période, les portes situées dans son angle sud-ouest sont obturées et un escalier est construit au nord. Établi sur un radier de pierres volcaniques, il se compose de trois degrés recouverts de fragments de terre cuite architecturale (fig. 114). Sa construction est contemporaine de la mise en place du sol en béton de la salle D4, à laquelle l’escalier permettait d’accéder (fig. 115). Le revêtement est un mortier blanc à jaunâtre incluant de petits éclats de roche volcanique ou, dans une moindre mesure, de calcaire, coulé sur un hérisson de pierres – basalte et pouzzolane – et de fragments de terre cuite architecturale calibrés (0,05 à 0,10 m). Les murs de la pièce étaient ornés de peintures rouges à jaunes, en place sur quelques centimètres de haut et en grande partie effondrées à l’intérieur de la pièce.
Fig. 114 - Escalier d’accès à la salle D4.

Fig. 115 - La salle D4.

38Parallèlement, le portique de la cour est abattu. L’espace est ainsi agrandi (D24), mais aucune couche ne permet d’en saisir l’aspect.
39À l’exception des travaux affectant la salle D4, à laquelle un soin particulier semble avoir été apporté, les modifications paraissent avant tout guidées par la volonté de dégager des espaces plus vastes. L’état de la stratigraphie ne permet cependant pas de déterminer s’ils ont été véritablement réaménagés. Elles pourraient en effet constituer les prémices du démantèlement de la maison (fig. 94). Hormis la formation de couches de destruction, les traces les plus tangibles en ont été détectées dans l’aile sud, où bon nombre de murs sont épierrés. Cette récupération sélective illustre probablement, de manière indirecte, la qualité des maçonneries mises en œuvre dans la partie résidentielle de la demeure.
40La chronologie de ces événements peut être définie grâce à la présence, au sein des niveaux de destruction de la cour et du comblement des tranchées de récupération, de tessons de sigillée du IVe siècle et de coupe Drag. 37 du Bas-Empire. La destruction de la maison D est donc probablement contemporaine de celle de l’édifice B voisin.
4.2. Les aménagements du IVe siècle (phase 4)
41Le IVe siècle est marqué par l’abandon définitif de l’ensemble des bâtiments construits au cours des périodes précédentes (fig. 116). La parcelle B est néanmoins réinvestie, mais la destination du nouvel édifice (I) demeure mystérieuse (phase 4).
Fig. 116 - Plan des vestiges des phases 4 et 5 sur fond cadastral.

42Au cours du même siècle, un enclos est aménagé dans l’angle sud-ouest du bâtiment I. La relation chronologique entre les deux ensembles n’ayant pu être clairement établie, il a été attribué à une autre phase (phase 5).
4.2.1. La destruction des édifices
43Au début du IVe siècle (phase 4), le démantèlement des bâtiments C et D se poursuit, ce qui entraîne la formation d’épaisses couches de destruction. Certains murs font à nouveau l’objet d’épierrements.
44Des creusements linéaires apparaissent également dans différents secteurs. Cinq tranchées ont ainsi été identifiées au sein de l’ancienne parcelle C et leur comblement, principalement sableux, pourrait les désigner comme des drains. Il en va de même pour plusieurs exemplaires détectés dans l’ancien jardin de la maison D. Plus au nord, une deuxième concentration semble en revanche liée à la destruction de la maison puisque les excavations sont pour l’essentiel comblées de gravats.
4.2.2. Le bâtiment I
45Au sein de la parcelle B, seuls les murs délimitant la propriété sont conservés. Trois nouvelles maçonneries sont ajoutées dans les angles et une quatrième doit probablement être restituée au nord-est (fig. 117). Elles sont appuyées contre les murs périmétraux (fig. 118), dont les parements ont par endroits été arrachés pour faciliter l’accrochage des nouvelles constructions. Ces dernières sont fondées à travers les niveaux de destruction de la période précédente et leur largeur est d’une cinquantaine de centimètres en moyenne. L’élévation est conservée sur quatre assises et recouverte, dans le cas du mur situé dans l’angle sud-ouest, d’un enduit en mortier de tuileau (parement nord-est) également appliqué contre le mur sud. Deux lambeaux de sol en mortier sont associés à cette phase, contre le mur de l’angle sud-est et en partie orientale de l’espace I1.
Fig. 117 - Plan détaillé du bâtiment I.

Fig. 118 - L’espace I4.

46Contrairement aux périodes précédentes, le mauvais état de conservation des parties supérieures de la stratigraphie ne facilite pas l’interprétation des vestiges, qui ne peut guère s’appuyer que sur la lecture du plan. Le sanctuaire du Haut-Bécherel à Corseul présente des aménagements comparables dans les angles de la galerie cernant la cella du temple (Provost, Mutarelli, Maligorne 2010 : 47-48). Ils sont interprétés comme des renforts soutenant la charpente et le dispositif clermontois avait sans doute la même fonction, même si l’espace couvrait une superficie quatre fois supérieure à celle de l’édifice de culte coriosolite. Il est en effet peu probable qu’il réponde à une volonté esthétique puisque les salles octogonales n’apparaissent généralement que dans les édifices thermaux ou, pour la même période, dans les vastes demeures rurales de l’aristocratie aquitaine (Balmelle 2001 : 169 et 173). Il s’agit en l’occurrence de vestibules ou de pièces de réception, aux proportions largement plus réduites. La fouille n’a en effet révélé aucune autre construction à l’intérieur du vaste espace (1 450 m²) défini par les murs de clôture des bâtiments antérieurs, mais la présence d’enduits montre que le chantier de construction était sans doute achevé. Aucune trace de récupération n’a été détectée et il faut donc en conclure que l’espace I1 était dépourvu de tout aménagement bâti, à moins qu’il n’ait abrité des murs très peu fondés. Faute d’éléments supplémentaires, il paraît délicat de statuer sur la fonction de l’édifice I.
47Le comblement des tranchées identifiées en partie occidentale de l’emprise a livré de nombreux tessons de céramique du IVe siècle (sigillée du Bas-Empire, coupes à engobe brossé, pots à lèvre en bandeau ou encore céramique estampée). Le même constat peut être dressé pour les niveaux associés à la destruction de l’édifice I, au sein desquels un nummus frappé entre 378 et 388 a également été découvert.
4.3. Les dernières traces d’occupation (phase 5)
48C’est également au cours du IVe siècle qu’un enclos fossoyé est aménagé en partie sud-ouest du bâtiment I (fig. 116). Comme pour les fondations des murs délimitant les espaces I2, I3 et I4, les creusements sont apparus à partir des niveaux correspondant à la destruction de l’édifice B (phase 3b). Nous avons cependant choisi de l’attribuer à une phase différente (phase 5), faute notamment de pouvoir établir un lien stratigraphique ou fonctionnel entre ces deux ensembles.
49L’enclos est légèrement trapézoïdal, avec une superficie interne d’un peu moins de 150 m². L’accès se trouvait au nord, où la tranchée qui le délimite de ce côté présente une interruption de 1,40 m de large en partie centrale. La tranchée sud est longue de 14 m, celle située à l’ouest mesure 13,50 m et celle qui ferme l’enclos à l’est 12,80 m. Leur largeur est comprise entre 0,75 et 1,02 m à l’ouverture, pour une profondeur variant de 0,18 à 0,58 m. En partie inférieure, les comblements sont des argiles tourbeuses et compactes – ce qui témoigne de la stagnation de l’eau au fond des creusements –, scellées par des limons riches en matériaux de construction (fig. 119).
Fig. 119 - Coupes de l’enclos de la phase 5.

50L’angle nord-est de l’enclos est coupé par une fosse ovale qui, en l’absence de fouille, ne peut être caractérisée ni datée précisément.
51La céramique recueillie dans le comblement des tranchées de l’enclos couvre tout le IVe siècle : amphore africaine Keay 35b, sigillée du Bas-Empire (coupe Drag. 37, gobelet Bet 102/Déch. 72) ou encore coupe à engobe brossé. Il s’agit donc d’une chronologie voisine de celle du bâtiment I, mais il n’est pas possible d’être plus précis.
Auteurs
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Julien Ollivier
Drac-SRA Occitanie, UMR 5608 TRACES
-
Agathe Chen
Hadès étude archéo-anthropologique
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