Chapitre 2. Les premières périodes d’occupation (phase 1 : fin du ier siècle - fin du iie siècle)
p. 31-65
Texte intégral
1La croissance d’Augustonemetum, à partir de la fin du Ier siècle ap. J.-C. et surtout au cours du IIe siècle, se traduit par la mise en chantier de plusieurs programmes monumentaux d’envergure (Dartevelle, Le Barrier 2016 : 546-552) et par l’investissement de ses marges, au-delà du premier noyau urbain centré sur la butte. C’est à cette période que remontent les plus anciennes constructions identifiées sur le site de l’ancienne Gare routière. Elles sont à l’origine de la création d’un quartier qui conjugue fonctions économiques et résidentielles et qui, bien qu’édifié sur des terrains marécageux en fond de vallée de la Tiretaine, s’est développé de manière spectaculaire dès la fin du IIe siècle grâce à l’adaptation au milieu de ses habitants.
2La première phase d’occupation du site est représentée par deux édifices indépendants mais contemporains. Tous deux sont en effet bâtis à travers la même couche tourbeuse dont la surface comporte les plus anciennes traces d’occupation. Ils adoptent en revanche une orientation légèrement divergente et, malgré quelques parentés dans la configuration des espaces, les techniques de construction employées présentent plusieurs différences qui témoignent de deux projets architecturaux distincts.
3Deux états principaux ont été distingués. Le plus ancien (1a) est daté de la fin du Ier siècle ap. J.-C. ou du début du IIe siècle (fig. 10) et le second (1b), qui regroupe les réaménagements les plus importants, a été daté de la fin du IIe siècle (fig. 11). L’absence de liens stratigraphiques entre des secteurs parfois très éloignés ne permet cependant pas d’assurer la stricte contemporanéité des travaux entrepris au sein des deux édifices.
Fig. 10 - Plan des vestiges de la phase 1a sur fond cadastral.

Fig. 11 - Plan des vestiges de la phase 1b sur fond cadastral.

2.1. Un bâtiment incomplet au nord (A)
4L’édifice A a été partiellement dégagé au nord. De ce côté, il se développe en effet hors emprise tandis que, vers l’ouest, les travaux de terrassement préalables à l’édification de la maison D à la fin du IIe siècle ou au début du IIIe siècle (phase 2a) ont fait disparaître une aile qui n’est matérialisée que par un mur isolé.
5L’existence d’un bâtiment antérieur est attestée par la présence de trois segments de mur au niveau des espaces A2 et A5. Deux d’entre eux sont chaînés et le troisième présente un mode de construction identique, ce qui incite à les rattacher à un même ensemble architectural impossible à circonscrire. Ils sont formés de deux assises de moellons en basalte liés au mortier blanc, recouvertes d’un enduit peint rouge dans le cas du parement sud du mur détecté dans la salle A2. Ce dernier est associé à un sol en mortier lissé blanc, dont la surface est parsemée d’éclats de basalte et de terre cuite. Le piètre état de conservation de ces vestiges ne nous permet pas de déterminer leur chronologie ni leur fonction, mais la stratigraphie et leur mise en œuvre les distinguent clairement du bâtiment A (fig. 12).
Fig. 12 - Coupes du bâtiment A.

2.1.1. Architecture de l’édifice à la fin du Ier siècle / début du IIe siècle
6La partie conservée du bâtiment A se développe initialement (phase 1a) sur 11,15 m du nord au sud pour 10,95 m d’est en ouest (dimensions hors-œuvre). Elle se compose de cinq espaces qui peuvent être regroupés en deux ensembles (fig. 13).
Fig. 13 - Plan détaillé du bâtiment A (phase 1a).

7À l’est, deux salles de 21,35 m² au nord (A3) et de 15,40 m² au sud (A5) sont ouvertes sur un couloir (A4) qui communique avec la partie occidentale de l’édifice. L’induration consécutive aux battements de la nappe phréatique a considérablement modifié l’apparence des murs et notamment la texture des liants employés, dont la nature explique peut-être en partie le phénomène. Les maçonneries, dont la largeur est comprise entre 0,42 et 0,67 m, sont en effet formées d’un mélange de terre et de mortier sableux, gris violacé par endroits – lorsque la charge en poudre de pouzzolane est plus importante –, mais le plus souvent orange en raison de son oxydation. Les matériaux utilisés sont des pierres volcaniques, des briques d’argile et des fragments de terre cuite architecturale, parfois placés de chant pour régulariser les parements (fig. 14). Ces derniers sont recouverts d’enduits sur lesquels quelques traces de peinture ont été détectées dans la pièce A5 (rouge) et dans le couloir A4 (gris moucheté et rouge), malgré les multiples réfections dont ils ont fait l’objet. Le mur nord de la salle A3 est le mieux conservé, avec 0,90 m en élévation.
Fig. 14 - Détail de la mise en œuvre du mur ouest de la pièce A3.

8Le sol de la salle A3 est un béton lissé, dont le mortier blanc-gris inclut un semis dense d’éclats de pierres volcaniques (fig. 15). Il repose sur un puissant radier de blocs en basalte et en pouzzolane, dont les dimensions peuvent atteindre 0,50 m. Le sol porte en surface, contre le mur oriental, une empreinte quadrangulaire de 0,45 m sur 0,78 m, qui semble correspondre à l’emplacement d’un foyer en dalles de terre cuite, comparable aux nombreux autres exemplaires mis au jour sur le site (bâtiments B, D et G) et probablement démonté lors du réaménagement des lieux à la fin du IIe siècle. Pour sa part, la salle A5 a livré deux sols successifs attribués à cette première phase de construction. Le premier est un mélange très dégradé de mortier et d’argile établi sur un hérisson de pierres décimétriques en basalte, immédiatement recouvert par le radier, constitué de pierres volcaniques et de fragments de terre cuite architecturale, du second sol, un béton de tuileau très riche en éclats de terre cuite.
Fig. 15 - La pièce A3.

9Les salles A3 et A5 encadrent un couloir large de 1,70 m (A4), bâti dans un second temps puisque ses murs sont appuyés contre celui qui délimite la partie orientale de l’édifice. Il est couvert par une succession de plusieurs sols rudimentaires en mortier ou en terre. Le couloir est ouvert sur la partie ouest de l’édifice A et, à son extrémité orientale, sur les salles A3 et A5. Les seuils sont formés d’un simple mortier lissé, avec des piédroits en grès ou en mortier coffré, mais les données manquent pour restituer précisément les systèmes d’ouverture.
10La moitié occidentale de l’édifice est nettement moins bien documentée dans la mesure où, contrairement à la partie est, elle n’a pas été remblayée lors des réaménagements de la phase 1b. Elle a par ailleurs été profondément affectée par la mise en place du réseau hydraulique de la phase 1b, puis par la construction de l’édifice D et de l’extension occidentale du bâtiment B (phase 2a). Cette partie adopte un module à peu près comparable et semble avoir été divisée en deux salles, A1 au nord et A2 au sud. La mise en œuvre des murs qui, pour la plupart, ont conservé leurs enduits, obéit aux mêmes règles que celles précédemment décrites. Les éléments sont une nouvelle fois liés à la terre et au mortier, dont la couleur varie du blanc au grisâtre.
11Différents sols ont été mis au jour dans la salle A1, sans qu’il soit toujours possible de les associer. Ils ont en effet été détruits par les fondations des poteaux soutenant l’auvent de la Gare routière et sont apparus de part et d’autre des murs de la fin du IIe siècle / début du IIIe siècle (phase 2a), dans des sondages de taille réduite et soumis aux remontées de la nappe phréatique en partie inférieure. Les plus anciens semblent être de simples sols en mortier incluant des fragments millimétriques de calcaire et de basalte. Un plancher extrêmement dégradé a également été détecté par l’intermédiaire de ses lambourdes, orientées est-ouest. La pièce A2 présente un sol identique et légèrement mieux conservé, à une altitude comparable. Un sol en mortier, sans lien stratigraphique avec ce plancher, semble correspondre à un aménagement ultérieur puisqu’il est contemporain d’une réfection des enduits des murs de la pièce.
12L’élévation du mur occidental de cet ensemble architectural est chaînée à une construction isolée qui se développe sur 2,45 m en direction de l’ouest. Elle présente cependant des caractéristiques qui la distinguent des autres maçonneries appartenant à l’édifice A. Sa fondation est constituée de moellons en basalte et en travertin liés au mortier à téphras, qui forme un lit de 4 cm d’épaisseur à la jonction avec l’élévation. Cette dernière est conservée sur deux assises de moellons en basalte, dont l’irrégularité est masquée sur son parement nord par des joints regarnis épais de 2 cm, créant un petit appareil fictif (fig. 16). Un tel habillage était peut-être aussi destiné à protéger la maçonnerie de l’humidité (voir infra, chap. 7.1.1.3), auquel cas il serait possible d’envisager la présence d’un espace ouvert à l’ouest de la pièce A1.
Fig. 16 - Mur identifié à l’ouest du bâtiment A (au premier plan).

13Au sud du bâtiment, différentes couches correspondant au chantier de construction ont été identifiées. Elles se présentent sous la forme de remblais incluant de nombreux éléments architecturaux et de niveaux de travail. Le dernier d’entre eux, constitué d’un mélange de mortier blanc-jaune, de petits fragments de terre cuite et de gravier, pourrait aussi correspondre à un sol extérieur.
14Il convient enfin de signaler la découverte, à l’occasion du diagnostic, d’un conduit d’évacuation en bois coupé par un mur large de 0,45 m de large en partie occidentale de l’emprise (Alfonso 2007a : 15). Leur profondeur d’enfouissement n’a pas permis une étude détaillée, aussi bien lors du diagnostic que de la fouille. Néanmoins, leur niveau d’apparition est situé à une altitude voisine (376,90 m NGF) de celle du mur se développant à l’ouest du bâtiment A (376,76 m NGF), si bien que ces éléments pourraient, sous toutes réserves, appartenir à la même période d’occupation.
2.1.2. Évolution des constructions à la fin du IIe siècle
15Dès la fin du IIe siècle, le bâtiment A est profondément modifié (fig. 17). Là encore, les moitiés occidentale et orientale peuvent être distinguées dans la mesure où elles ne connaissent pas le même sort. À l’est, les trois espaces A3, A4 et A5 sont réunis (A6) tandis qu’à l’ouest, l’édifice est détruit pour laisser la place à plusieurs canalisations. Le regroupement au sein d’une même période (phase 1b) de l’ensemble de ces événements ne rend pas totalement compte de la complexité de l’évolution du secteur, mais les données chronologiques obtenues par l’analyse du mobilier nous indiquent qu’ils se sont produits durant un laps de temps relativement court, avant la destruction définitive de l’édifice A et la mise en place du bâtiment D lors de la phase 2a.
Fig. 17 - Plan détaillé du bâtiment A (phase 1b).

16La salle A6, d’une superficie de 48,30 m², correspond à la réunion des pièces A3, A4 et A5. La baie ouvrant sur l’espace A2 est condamnée et les cloisons sont abattues. Leur arase est recouverte par un premier niveau de circulation en terre probablement contemporain des travaux. Les enduits des murs préservés sont refaits, avec une partie inférieure peinte en rouge et surmontée d’un filet horizontal noir, au-dessus duquel la paroi paraît avoir été traitée en blanc. En parallèle, l’espace est remblayé à l’aide des gravats issus du démantèlement des constructions, avant la mise en place d’un plancher très dégradé dont il ne subsiste que quelques fragments calcinés en partie nord-ouest. Un nouveau remblai scelle ce premier sol et un second plancher est établi (fig. 18, 19). Il repose sur un réseau de lambourdes en sapin et en genévrier, principalement orientées est-ouest (en partie centrale) et dont la largeur est comprise entre 6 et 14 cm, pour une épaisseur conservée qui n’excède pas 10 cm. Quelques planches, issues des mêmes essences, sont conservées. Les plus longues, au sud, mesurent 1,10 m de long et 0,20 m de large (épaisseur conservée 2 cm). Plusieurs clous ont également été découverts, mais leur rôle précis dans l’assemblage des pièces de bois n’a pas pu être déterminé. Les différents éléments encore en place permettent de restituer l’organisation générale du plancher (fig. 20). Les lames étaient disposées perpendiculairement aux murs de la pièce à l’est, au nord et à l’ouest, mais uniquement dans le décrochement nord-ouest de l’espace pour la partie occidentale de la pièce. Au sud, elles étaient agencées selon une orientation est-ouest, dans l’axe de celles placées le long du mur oriental. Cette organisation détermine un espace central rectangulaire de 7,80 à 8 m du nord au sud sur 3 à 3,50 m d’est en ouest.
Fig. 18 - La pièce A6.

Fig. 19 - Le plancher de la pièce A6.

Fig. 20 - Proposition de restitution du plancher de la pièce A6.

17La moitié occidentale du bâtiment A est presque intégralement détruite. Seul l’angle nord-ouest est, pour des raisons qui nous échappent, repris à cette période (A7). Les murs sont remontés sur 0,63 m de haut pour le mur nord et 1,25 m dans le cas du mur ouest, soit 11 assises. Les nouvelles constructions sont bâties en moellons de basalte liés au mortier blanc crème et recouvertes d’un enduit sur lequel, malgré l’oxydation, des traces de peinture rouge ont été détectées. Les murs sont associés à plusieurs niveaux de sol, dont un plancher. La plupart sont néanmoins rudimentaires et semblent s’apparenter à des niveaux de circulation d’un espace ouvert, notamment par l’utilisation de la pouzzolane.
18En partie sud, la mise en place d’un nouveau sol en gravier lié au sable de pouzzolane confirme que cette zone correspond pour l’essentiel à un espace extérieur à l’édifice. Ce sol est recouvert par la plus ancienne couche de débordement identifiée sur le site, qui montre que les premières crues se sont produites à la fin du IIe siècle.
2.1.3. La mise en place d’un réseau hydraulique
19Les niveaux de la phase 1b découverts dans la moitié occidentale de l’édifice A sont coupés par les tranchées d’installation d’un réseau hydraulique (fig. 17). Celui-ci est constitué de canalisations1 en bois et a été plusieurs fois refait avant que toute la zone ne soit remodelée par l’extension du bâtiment B vers l’ouest et la construction de la maison D, à la fin du IIe siècle ou au début du IIIe siècle (phase 2a).
20À l’ouest, la plus ancienne canalisation est un conduit d’adduction (2549) qui longe le mur occidental de la pièce A6. Dégagé sur une longueur totale de 18,70 m, celui-ci dirigeait les eaux en direction du sud, mais nous ignorons quels espaces étaient desservis puisque son extrémité méridionale est détruite. Le conduit se compose de neuf tronçons de section circulaire, pour la plupart en sapin (8), mais également en chêne (1), dont la longueur est comprise entre 0,58 et 2,66 m. Leur diamètre intérieur est de 8 à 9 cm, pour un diamètre extérieur de 10 à 13 cm. Ils sont assemblés par des emboîtures en fer encastrées dans l’épaisseur du bois (fig. 21). À la jonction entre les différentes pièces, les éléments sont par ailleurs calés à l’aide de pierres ou de fragments de terre cuite architecturale et de sols en béton, disposés au fond de la tranchée (fig. 22). Ce conduit est coupé, au niveau de l’angle sud-ouest de la salle A6, par une canalisation (2364) qui évacuait les eaux en direction du sud-est (fig. 23). Cette dernière est formée de pièces en sapin, avec deux parois verticales clouées aux planches de fond. Celles-ci avaient leurs extrémités chanfreinées pour l’assemblage des différentes portions du canal (fig. 24), d’une largeur interne de 0,20 m. Le tracé de cet ouvrage a ensuite été repris par un nouveau conduit d’adduction (2678). Son mauvais état de conservation, lié aux battements de la nappe phréatique, nous permet simplement de déterminer que ses dimensions étaient comparables à celles du premier conduit décrit plus haut et qu’il a été construit en chêne.
Fig. 21 - Détail d’une emboîture de la canalisation 2549.

Fig. 22 - Partie nord de la canalisation 2549.

Fig. 23 - Conduit 2364.

Fig. 24 - Détail de l’assemblage des planches de fond du conduit 2364.

21Ce réseau est complété par d’autres conduits identifiés entre les édifices A et B. Malgré un état de conservation assez médiocre, leur orientation et la stratigraphie nous permettent de les associer aux exemplaires précédemment évoqués. Au nord, deux planches en sapin forment le fond de la canalisation 2555. Orientée sud-est – nord-ouest, il est possible que son prolongement méridional bordait le mur de clôture de la parcelle B. Elle est couverte par un remblai qui accueille deux nouvelles canalisations orientées nord-sud. La première (2661) est un assemblage de planches en sapin clouées, qu’il faut peut-être associer à une autre portion extrêmement dégradée et située plus au sud (2447). Entre cet ouvrage qui lui est antérieur et le bâtiment A, la canalisation 2533 est un conduit d’adduction d’eau, dont seule la partie inférieure est préservée sur 1,40 m de long.
22Les différentes canalisations qui viennent d’être décrites appartiennent à trois étapes principales de fonctionnement du réseau hydraulique (fig. 25). La plus ancienne est marquée par les conduits 2549 à l’ouest et 2555 à l’est. Le premier assurait l’alimentation d’une zone qu’il n’a pas été possible de localiser, tandis que le second évacuait les eaux de la partie située au nord de l’emprise, probablement vers le cours d’eau. Dans un deuxième temps, les canalisations 2364 et 2447/2661 sont mises en place. Toutes deux étaient sans doute liées puisqu’une tranchée a été identifiée entre les parties est et ouest du réseau qui, là encore, se dirigeait manifestement vers le sud. Enfin, de nouveaux conduits d’adduction sont installés lors d’une troisième étape, plus difficile à décrire que les précédentes pour des questions de conservation.
Fig. 25 - Évolution du réseau hydraulique de la phase 1b.

23Quelle que soit la période, le réseau contourne ce qui subsiste du bâtiment A. Les systèmes d’évacuation dirigeaient les fluides vers le paléochenal et pourraient prendre naissance au niveau de constructions situées hors emprise. Les dimensions des conduits montrent que leur rôle se limitait probablement à évacuer les eaux sales de l’îlot. Les conduits d’adduction respectent globalement la même orientation, mais il est ici impossible de déterminer leur point d’arrivée. En revanche, ils étaient sans doute liés à des installations situées plus au nord, au niveau de la rue. Cela impliquerait un raccordement au réseau public de la ville, alimentée par l’aqueduc du Colombier depuis le début du Ier siècle (Dartevelle, Le Barrier 2016 : 545 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 316).
2.1.4. Chronologie et interprétation
24La chronologie de la construction et des premières phases d’occupation du bâtiment A (phase 1a) repose sur une très faible quantité de mobilier céramique. Une strate mise en place avant sa construction contenait des tessons qui ne sont pas antérieurs aux Flaviens et la fouille des premiers niveaux de la pièce A1 a mis au jour plusieurs productions du Ier siècle (terra nigra, bol en sigillée de Lezoux de type Bet 28/Drag. 27). Les couches les plus récentes de cette même pièce sont datées du IIe siècle par des fragments de coupelle Bet 15/Drag. 35-36 et de bol Bet 44-45/Curle 15 et un des derniers sols du couloir A4 a livré un bord de pot en verre produit à partir des années 125-150. La construction de l’édifice est donc datée, au plus tôt, de la fin du Ier siècle. Son occupation doit, pour sa part, être attribuée au IIe siècle.
25Les réaménagements de la phase 1b remontent à la fin du IIe siècle. C’est d’abord ce que nous indique le mobilier découvert dans les remblais supportant les deux planchers successifs de la salle A6. Ils contenaient notamment de nombreux tessons de vaisselle fine (sigillée, céramique métallescente), dont certaines productions de la phase 7 de Lezoux (170-240), comme une coupelle Bet 31/Walters 80. La fouille des espaces situés à l’ouest a permis de découvrir, entre autres éléments, un as d’Hadrien et une pièce de bois débitée après 153 d’après la dendrochronologie. Cette technique n’a pas pu être appliquée de manière totalement satisfaisante aux canalisations à cause de la disparition des derniers cernes de croissance. Seules les datations obtenues sur la canalisation 2549, la plus ancienne de la partie occidentale du réseau, indiquent que le chêne utilisé pour sa confection a été abattu après 169. En conséquence, et dans la mesure où les éléments permettant de fixer la mise en place des constructions de la phase 2a sont eux aussi datés d’une période comprise entre la fin du IIe siècle et le début du IIIe siècle, il nous paraît raisonnable de retenir une chronologie haute pour la phase 1b, soit le dernier tiers du IIe siècle.
26La présence de sols en dur, de peintures murales et de certains éléments de confort comme le foyer de la salle A3 indiquent que l’édifice A avait une fonction résidentielle au sens large. C’est aussi ce que montre l’analyse du mobilier céramique. La vaisselle de cuisine représente en effet 59 % du lot et environ 35 % des vases sont liés au service et à la table (NMI ; nombre minimum d’individus).
27La caractérisation des différents espaces est en revanche plus délicate à établir. Si les pièces A3 et A5 pourraient être des chambres à coucher desservies par un couloir, l’état de conservation de la partie occidentale de l’édifice fragilise nos hypothèses. Les sols paraissent moins soignés et il s’agissait donc peut-être de locaux utilitaires. Un espace ouvert semble s’être développé plus à l’ouest, au nord de l’unique mur conservé de cette partie de l’édifice. Durant la phase 1b, l’isolement total de la pièce A6 nous prive des indices nécessaires à son interprétation.
2.2. L’édifice B
28Le bâtiment B a été découvert en partie orientale de l’emprise de fouille (fig. 10, 11). Il s’intègre à une parcelle qui, contrairement à l’édifice proprement dit, n’a pas été complètement reconnue. Elle est délimitée au sud par le cours d’eau, à l’ouest par un mur de clôture dégagé sur une longueur de 42 m et se développe hors emprise à l’est et au nord. De ce côté, son extension maximale était limitée par le decumanus K, tandis qu’à l’est, les limites sont plus incertaines (fig. 26).
Fig. 26 - Hypothèse de restitution des parcelles A et B.

29Tous les sondages profonds réalisés dans le secteur ont montré l’absence de traces d’occupation antérieure. La construction de l’édifice B est contemporaine de celle du bâtiment A, comme l’indiquent à la fois la stratigraphie et le mobilier associé à ses niveaux les plus anciens (chantier et occupation). Elle doit ainsi être placée à la charnière des Ier et IIe siècles. De même que pour le bâtiment A, les réaménagements opérés à la fin du IIe siècle ont été regroupés au sein d’une même phase 1b.
30Plusieurs arguments, déjà exposés dans une publication préliminaire (Ollivier et al. 2016b), permettent d’interpréter cet ensemble comme une auberge. Il constitue, en dehors de l’Italie, un des rares exemples avérés de lieu dédié à l’accueil mercantile en milieu urbain.
2.2.1. Architecture : données générales
31Dans son premier état, l’édifice couvre une surface hors-œuvre d’environ 260 m². Il se présente sous la forme d’un T dont le sommet est adossé au mur de clôture de la parcelle à l’ouest et se compose ainsi de trois ailes (fig. 27). La plus vaste se développe en partie centrale, selon un axe est-ouest. Elle est flanquée au nord et au sud de deux ailes symétriques.
Fig. 27 - Plan détaillé du bâtiment B (phase 1a) .

32À l’origine, le bâtiment B comporte 12 salles, même si deux d’entre elles – B3 et B4 – peuvent sans doute être considérées comme une pièce unique. Leur répartition comme leurs dimensions (tab. 1) distinguent nettement le corps central des ailes nord et sud. Cette réalité architecturale traduit, nous le verrons, des fonctions différentes.
Tab. 1 - Principales caractéristiques des espaces du bâtiment B.
Espace | Superficie | Altitude du sol | |
Aile nord | B1 | 18,70 m² | 376,51 m NGF |
B2 | 6,85 m² | 376,45 m NGF | |
B3 | 10,40 m² | ? | |
B4 | 5,20 m² | 376,51 m NGF | |
Aile centrale | B5 | 54 m² | 376,25 m NGF |
B6 | 5,80 m² | 376,33 à 376,50 m NGF | |
B7 | 16,75 m² | 376,26 m NGF | |
B8 | 13,40 m² | 376,42 m NGF | |
B9 | 35,50 m² | 376,51 m NGF | |
Aile sud | B10 | 15,60 m² | 376,06 m NGF |
B11 | 6,40 m² | 376,21 m NGF | |
B12 | 15,10 m² | 376,14 m NGF | |
Espaces extérieurs | B13 | > 250 m² | ? |
B14 | > 165 m² | 375,94 à 376,26 m NGF | |
B15 | 110 m² environ | 375,82 m NGF |
33Les murs périmétraux sont tous construits en maçonnerie concrète. Fondations et élévations sont bâties à l’aide de moellons d’origine volcanique – principalement du basalte, mais également de la pouzzolane – liés au mortier généralement gris et systématiquement plus violacé en élévation, ce qui indique une part plus importante de sable de pouzzolane. Seuls les chaînages d’angle font appel à des blocs taillés en arkose, qui sont disposés en besace et parfois enduits, comme à l’angle sud-est des ailes méridionale et centrale (fig. 28). La largeur des constructions varie entre 0,38 et 0,45 m, pour une élévation maximale conservée de 0,94 m dans le cas du mur ouest de la salle B12. La découverte de pans de murs effondrés, qui correspondent à la façade occidentale et au mur sud de l’aile centrale, a permis de prouver que les élévations étaient maçonnées sur au moins 3 m de haut. Différentes techniques ont par ailleurs été employées pour protéger les ouvrages de l’humidité. En fondation, les constructions méridionales, les plus proches du cours d’eau et donc potentiellement les plus vulnérables sur ce point, présentent un débord plus important qu’ailleurs (jusqu’à 0,13 m par rapport au nu du mur) afin de garantir leur stabilité. Pour sa part, le mur de clôture occidental présente des joints regarnis en fondation et sur l’élévation de sa face ouest, située en extérieur.
Fig. 28 - Vue en direction du nord-est du chaînage à l’angle sud-est de l’aile centrale du bâtiment B.

34Les cloisons sont, en revanche, principalement bâties en matériaux légers, selon différentes formules (Blondel, Martinez, Ollivier 2019 : 56-57).
35L’unique exception concerne la partie sud, où les murs de refend sont construits en dur, du moins pour la partie inférieure de leur élévation, seule conservée. Leur largeur est de 0,30 m en moyenne et ils sont bâtis en moellons de basalte liés au mortier gris, disposés selon un appareillage régulier.
36En partie nord, les cloisons reposaient sur des solins larges de 0,23 m en fondation. Celle-ci est formée de moellons d’origine volcanique pris dans un mortier de chaux gris, comme pour la partie inférieure de l’élévation du mur nord de l’espace B2. En face, le solin est mieux conservé et se présente sous la forme de quatre assises de fragments de terre cuite architecturale. Sa largeur (0,20 m) suppose nécessairement des parties hautes en terre et bois. À ce titre, l’effondrement du parement sud dans la pièce B3 fournit de précieuses informations sur sa mise en œuvre et permet de comprendre le système d’accrochage des enduits (fig. 29, 30). Il était formé de lattes verticales en sapin armant un maillage serré de pièces horizontales aux dimensions plus réduites (fig. 31). Au sein de la partie effondrée, les premières sont longues de 0,94 à 1,34 m, larges de 5 cm et épaisses de 1,5 cm. Les lattes horizontales sont larges de 2 cm et épaisses de 2 mm en moyenne, la plus longue mesurant 1,30 m. Aucune trace de peinture n’a été détectée sur l’enduit en mortier sableux et blanc qui les recouvrait. Enfin, entre les salles B3 et B4, une sablière basse en sapin a été dégagée. Elle présente une rainure longitudinale de 2 à 2,5 cm de large, qui accueillait des planches verticales dont un exemplaire en sapin gisait encore au pied de la paroi. Compte tenu de l’exiguïté des deux salles et de la configuration générale de l’édifice, il s’agissait probablement de panneaux amovibles ou coulissants qui ne devaient constituer qu’une séparation temporaire et facilement démontable. Une autre solution consiste à restituer des parois en terre appliquées contre les planches verticales puis enduites, comme cela a pu être mis en évidence rue de la Mésange à Strasbourg (Baudoux 2006 : 73-77 et 81).
Fig. 29 - Paroi effondrée dans l’espace B3/B4 avec, au premier plan, le seuil en bois de la porte et la base de la cloison.

Fig. 30 - Relevé en plan de la paroi effondrée dans l’espace B3/B4.

Fig. 31 - Détail de la paroi effondrée dans l’espace B3/B4.

37Dans l’aile centrale, les cloisonnements se présentent sous une forme encore différente. Il s’agit cette fois de sablières basses, apparues en négatif entre les sols en béton des pièces ainsi délimitées. Leur largeur était comprise entre 0,19 et 0,27 m et quelques fragments ligneux, trop dégradés pour autoriser une identification des essences, ont été découverts au fond de ce qui apparaît ainsi comme un coffrage pour la mise en place des sols. Entre les espaces B7 et B8, une planche disposée verticalement a d’ailleurs été mise en évidence côté ouest. Le mur séparant la pièce B5 des salles B6 et B7 n’a pas pu être identifié, mais il est probable qu’il faisait appel à une technique de construction analogue.
38Les ouvertures ont également fait l’objet d’un traitement différent en fonction des secteurs et le bois occupe, une nouvelle fois, une place importante dans la construction. Nombre d’entre elles sont suffisamment bien conservées pour permettre de restituer les systèmes de fermeture.
39Quatre baies reliaient des espaces intérieurs et extérieurs. Les deux premières donnaient accès aux couloirs desservant les ailes nord et sud et les deux autres sont situées aux extrémités nord et sud de la salle B8 de l’aile centrale. Le seuil de la pièce B2 (fig. 32) présente une crapaudine au nord et deux trous de gâche au centre et au sud (fig. 33, no 1). L’unique vantail pivotait donc sur un axe fixe au nord et la porte s’ouvrait vers l’intérieur en dégageant un passage de 0,97 m de large (fig. 34). Elle pouvait être fermée grâce à deux verrous verticaux placés, pour l’un, dans l’épaisseur du vantail au sud et, pour l’autre, au centre. Ce dernier devait être mis en place depuis l’intérieur. La porte permettant d’accéder à l’aile sud fonctionnait suivant les mêmes principes, malgré quelques différences dans sa conception (fig. 33, no 3). Ici, deux blocs d’arkose sont en partie engagés sous la tête des murs formant piédroit, qui se développent en direction du nord et du sud (fig. 35). Ils comportent des mortaises rectangulaires servant à fixer le bâti dormant de la baie, dont l’emplacement est marqué en surface des blocs par des incisions. Leur négatif apparaît également à travers l’interruption des enduits recouvrant les piédroits maçonnés. L’emplacement des cavités montre que la porte s’ouvrait là encore vers l’intérieur et le pivot, partiellement conservé, était placé au nord (fig. 36). Le seuil était pour sa part constitué d’une pièce de bois, extrêmement dégradée, reposant sur un lit de mortier. L’accès à l’aile centrale du bâtiment B pouvait s’effectuer par les deux extrémités de l’espace B8. Au nord, la base des piédroits est formée de blocs en basalte et en arkose, qui encadrent un seuil en planches de chêne, disposées sur un lit de mortier (fig. 33, no 2). En face, le seuil était un bloc d’arkose présentant une feuillure à l’est, peut-être destinée à accueillir le chambranle de la porte. Nous n’avons cependant aucune certitude sur ce point puisque la baie, obturée à la fin du IIIe siècle (phase 3a), n’a été que partiellement dégagée lors de la fouille.
Fig. 32 - Vue en direction de l’ouest du couloir B2.

Fig. 33 - Seuils du bâtiment B (phase 1a).

Fig. 34 - Principe de fonctionnement des ouvertures de l’aile nord du bâtiment B (phase 1a).

Fig. 35 - Vue en direction de l’ouest du couloir B11.

Fig. 36 - Principe de fonctionnement des ouvertures de l’aile sud du bâtiment B (phase 1a).

40Pour les portes assurant la communication entre espaces intérieurs, trois exemples sont conservés dans chacune des ailes de l’édifice. Au nord, le seuil situé entre les espaces B2 et B3 est une pièce en sapin, à la surface de laquelle différentes traces permettent de comprendre le fonctionnement de cette ouverture (fig. 33, no 4). Il présente au nord un pas large de 6 cm, qui forme une butée située 3 à 4 cm plus haut que la feuillure occupant les trois quarts sud du seuil (fig. 29). Sur cette partie, deux cavités invitent à restituer un vantail fermé par un verrou vertical. Compte tenu de la présence d’un foyer immédiatement à l’arrière, dans la pièce B3, il est probable que le pivot était placé à l’est (fig. 34). Le système de fermeture de la pièce B10 était sans doute identique, même si une seule cavité est ici conservée (fig. 33, no 6). Il s’agit d’une crapaudine rectangulaire ménagée dans le lit de pose en mortier du seuil, formé d’une planche en bois, et autour de laquelle sont disposés des fragments de terre cuite architecturale probablement destinés à assurer le calage du pivot. En face, l’accès à la salle B12 n’est matérialisé que par un fragment de bois subsistant en surface d’un lit de pose en mortier. Dans les deux cas, et pour les mêmes raisons que dans l’aile nord, les pivots étaient très vraisemblablement situés en partie est (fig. 36). Enfin, dans le corps central de l’édifice B, l’accès à la salle B9 depuis le couloir B8 était situé en partie nord de ce dernier. Il est matérialisé par un radier de fragments de terre cuite architecturale liées à l’argile, recouvert par une planche en sapin (fig. 33, no 5). La découverte de petits bourrelets de mortier au fond du négatif de la sablière basse témoigne de l’installation des pièces de bois sur un mortier encore frais.
41Ces observations montrent ainsi que, comme pour les cloisonnements, différentes solutions techniques ont été retenues pour la conception des ouvertures. Les plus complexes sont localisées au niveau des accès à l’édifice depuis l’extérieur. La base des piédroits est généralement constituée de blocs d’arkose, matériau nettement plus facile à tailler que les roches volcaniques. Les systèmes de fermeture des espaces internes sont plus simples, avec des piédroits formés par la tête des murs encadrant la baie. L’une des portes au moins (B3/B4) pouvait cependant être verrouillée, au même titre que les accès aux couloirs B2 et B11, ce qui n’est pas sans conséquences pour l’interprétation de l’édifice (voir infra, chap. 2.2.6).
42L’analyse des maçonneries permet enfin de déterminer quelles ont été les différentes étapes du chantier de construction (fig. 37). Le premier mur bâti fut, logiquement, celui qui définissait non seulement les limites de l’édifice, mais également celles de la parcelle, c’est-à-dire la clôture occidentale (1). Les murs périmétraux de l’aile centrale ont ensuite été montés (2), avant ceux des ailes nord et sud (3). Pour cette dernière, le chaînage d’angle avec le mur de clôture a été construit durant cette étape. La jonction a en effet été observée dans la pièce B12, mais il s’agit bien d’une phase de chantier puisque le premier sol de la salle a été mis en place contre les deux portions de maçonnerie. Ce sont ensuite les murs de refend qui ont été construits (4), puis les seuils (5), à l’exception des blocs supportant les piédroits de la porte permettant d’accéder à l’aile sud, engagés sous les murs délimitant cette dernière et donc construits dans le même temps (3). Les derniers aménagements furent les différents équipements de la salle B5 et les foyers assurant le chauffage des salles B3/B4, B7, B10 et B12. En ce qui concerne les sols, la situation est différente entre l’aile centrale, où ils ont été coulés avant l’érection des murs de refend, et les ailes nord et sud, où ils ont été mis en place contre les cloisons, mais avant la pose des seuils.
Fig. 37 - Les étapes du chantier de construction du bâtiment B (phase 1a).

2.2.2. L’aile centrale
43L’aile centrale totalise environ 155 m² hors-œuvre et se développe sur 19,40 m d’est en ouest, pour une largeur de 8 m du nord au sud.
44La salle B5, à l’ouest, est la plus grande pièce de cette partie du bâtiment (54 m²). Le sol correspondant au premier état est conservé sous la forme d’un lambeau de mortier jaune et sableux, disposé en surface des niveaux tourbeux sous-jacents aux premières occupations du site. Il est contemporain de plusieurs aménagements occupant, pour l’essentiel, la moitié occidentale de la pièce (fig. 38). Le premier est localisé dans l’angle nord-ouest et s’étend sur 2,80 m dans l’axe nord-sud et 1,63 m d’est en ouest. Il se compose de deux maçonneries de pierres volcaniques liées au mortier de chaux blanc. Le muret sud est large de 0,44 m et recouvert sur ses deux faces d’un enduit blanc-gris, tandis que le muret est n’est large que de 0,34 m. Ce dernier est percé de trois ouvertures habillées, sur le fond et les parois, de fragments de terre cuite architecturale portant des traces de combustion. Le tout délimite un espace dallé de tegulae retournées et disposées en trois rangs dans le sens de la longueur (nord-sud), chaque rang étant composé de cinq tuiles, sur un lit de mortier semblable à celui ayant servi à la construction des murets. Les maçonneries contre lesquelles sont adossés ces derniers sont percées de deux encoches de 0,23 à 0,25 m de large pour 0,10 à 0,14 m de haut, dont le sommet est formé de fragments de terre cuite architecturale. Cet ensemble est flanqué au sud d’une base maçonnée et enduite sur ses trois faces (L : 1,53 m ; l : 1 m) avec, dans le prolongement, un foyer formé de dalles de terre cuite en guise de sole et délimité par divers matériaux (basalte, pouzzolane, terre cuite architecturale). Un deuxième foyer composé de six tegulae, jointives et retournées, est localisé plus à l’est. Le dernier équipement de la salle est un dispositif d’évacuation situé en partie orientale, qui traverse le mur nord. Il est construit en blocs d’arkose, dont les six exemplaires sont placés bout à bout et évidés en partie supérieure, de manière à former une rigole de 0,17 m de large pour une profondeur de 0,10 m. À l’est, le creusement nécessaire à leur installation a été habillé de planches en bois.
Fig. 38 - Plan et coupe de la partie occidentale de la pièce B5.

45La salle B5 est selon toute vraisemblance un espace technique. C’est ce qu’indiquent l’aspect fruste de son sol ainsi que la présence des multiples aménagements qui viennent d’être décrits. Les foyers et la base maçonnée, qui pourrait constituer un plan de travail, nous incitent à y voir une cuisine. Cette hypothèse est appuyée par la mise en évidence, dans les prélèvements sédimentaires, de macro-restes de céréales, de légumes, d’aromates et, peut-être, de restes de préparations alimentaires telles que du pain ou des galettes. Elle est également étayée par la découverte de deux meules de moulin domestique et, pour le mobilier céramique, d’une importante proportion de vases liés au service ou à la consommation, ainsi que de nombreux vases de stockage. Le lot comporte en revanche peu de pots à cuire, mais ce constat a également été dressé pour les cuisines de la Maison aux Xenia de Lyon (Delaval et al. 1995 : 91) et d’un édifice de Javols (Ferdière, Trintignac 2013 : 51-55). L’ensemble dallé au nord-ouest ne peut cependant pas être interprété comme un four ni comme une table à feu. En effet, celle-ci aurait été bâtie sur un support plein, comme dans l’édifice de la rue des Bouquets à Périgueux (Girardy 2013 : 95, fig. 27), ou sur des arcs, les espaces vides étant utilisés comme réserves à bois (Kastenmeier 2007 : 57-67 ; Monteix 2010 : 97-102 et fig. 38 ; Poux 2013 : 138-142). La taille des ouvertures est ici trop réduite et elles présentent, en outre, les traces de feux allumés dans les conduits ou en avant de ces derniers. Ces indices nous incitent à proposer l’hypothèse d’un fumoir/séchoir à chambre surélevée (Van Ossel 1992 : 137-151), compte tenu de la découverte d’une importante quantité de fragments de terre cuite architecturale appartenant à une superstructure effondrée sur le dallage. La présence de fumoirs ou de séchoirs dans une cuisine n’est pas courante, mais elle est attestée à Augst (Desbat, Forest, Batigne-Vallet 2006 : 184-185) ou encore au sein de l’auberge de la Cité judiciaire de Bordeaux (Sireix dir. 2008 : 57-59). L’espace B5 était donc potentiellement un lieu dédié à la préparation des repas et au stockage de la vaisselle et des denrées. Son importante superficie permettait sans doute de pratiquer d’autres activités qui n’ont pas laissé de traces ou qui n’ont pas été détectées. Le système d’évacuation situé à l’est doit sans doute être compris comme un moyen de faciliter le nettoyage de cette pièce. À Clermont-Ferrand, des aménagements comparables peuvent aussi avoir été utilisés dans des latrines (Alfonso 2013 : 75-76), dont la présence ne doit pas surprendre dans une cuisine (Bouet 2009 : 177, notes 179 et 480), mais aucune fosse ou dispositif assurant la gestion des déjections ne permet ici d’étayer cette hypothèse.
46L’accès à cette pièce n’a pas été reconnu. Il est certain qu’il ne se trouvait ni au sud, ni à l’ouest, et l’ouverture pratiquée dans le mur nord pour le passage de l’évacuation est trop étroite pour avoir rempli cette fonction. La porte ne pouvait donc être positionnée qu’à l’est et il est probable qu’elle ouvrait sur l’espace B6. En effet, ce dernier apparaît comme un couloir de distribution pour la moitié ouest du corps central de l’édifice. Suivant ce schéma, il aurait ainsi relié le passage B8 à la salle B5, mais également à la pièce B7. Le sol de la pièce B6 se compose de deux portions distinctes à l’est et à l’ouest. Le premier est constitué d’un simple mortier blanchâtre, qui sert d’appui au sol de mortier orangé qui recouvre la partie occidentale.
47Au sud de cet espace, la salle B7 était probablement accessible depuis une baie percée dans son mur nord, même si la fouille n’a pas permis d’en apporter la preuve. Le plus ancien sol était couvert par une couche de mortier blanc-beige, extrêmement dégradée par l’humidité du sous-sol. Ainsi, son lien stratigraphique avec le foyer situé contre le mur sud n’a pas pu être reconnu, mais leur contemporanéité est probable. Cet ouvrage, formé de fragments de terre cuite architecturale, est établi sur une dalle en béton (L : 1,55 m ; l : 1,15 m) coulée contre les enduits du mur méridional. Le très mauvais état de conservation de l’ensemble ne permet pas d’en restituer l’agencement. Il est cependant probable que ce foyer s’apparentait à ceux mis au jour par ailleurs dans le bâtiment B (B3/B4, B9, B10 et B11). Cet équipement comme sa faible superficie en font vraisemblablement une chambre à coucher.
48La pièce B8, à l’est, constitue le principal lieu de passage de cette partie de l’édifice. Il ouvrait en effet sur l’extérieur à ses deux extrémités et permettait d’accéder à la salle B9 comme, très probablement, au couloir B6. Son sol est un solide béton de 0,20 m d’épaisseur, de couleur blanche et parsemé d’éclats de roches volcaniques (basalte, pouzzolane).
49Un sol comparable, épais de 0,18 m, couvre la pièce voisine (B9). Coulé dans le même temps – les sablières des murs qui encadrent le passage B8 constituant les seules interruptions d’une même dalle –, il comporte pour sa part de nombreux fragments de terre cuite architecturale, particulièrement abondants à proximité des murs (fig. 39). Il est aussi celui qui a été mesuré à l’altitude la plus élevée du corps central de l’édifice B (tab. 1). Dans la couche scellant le sol de cette pièce, une grande quantité de fragments d’enduits peints a été découverte. Ces peintures pourraient néanmoins appartenir à une période plus récente puisque ce niveau de destruction a été daté du début du IVe siècle (phase 3b). La pièce a en effet été occupée sur la longue durée et ses décors ont dû être refaits à plusieurs reprises. L’équipement de la pièce était complété par un foyer en partie encastré dans son mur nord (fig. 40). La sole est constituée de fragments de terre cuite architecturale assemblés au mortier blanc-gris et l’âtre, très dégradé, est un hémicycle entouré par les mêmes matériaux.
Fig. 39 - Vue en direction de l’ouest de l’aile centrale du bâtiment B.

Fig. 40 - Foyer de la pièce B9.

50Ce foyer s’apparente à de nombreux exemplaires reconnus à plusieurs reprises en Gaule, notamment dans la province d’Aquitaine où un recensement effectué il y a quelques années a révélé que 16 sites d’habitat (rural ou urbain) en comportaient au moins un (Marchet 2003-2004 : 110-112). Le plus proche a été découvert au 49 boulevard Gergovia (Liegard, Fourvel 1996 : 66-67 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 71), à quelque 250 m plus à l’est, et celui de la rue des Bouquets à Périgueux (Girardy 2013 : 102, fig. 43) figure parmi les mieux conservés. Les plus anciens datent de la première moitié du Ier siècle, comme les exemplaires de la maison PC1 à Bibracte (Paunier, Luginbühl dir. 2004 : 112-113) ou de la maison à la cheminée murale de Limoges (Loustaud 2000 : 206), et les plus récents de la fin du IIe siècle, comme à Carhaix (Le Cloirec 2008 : 71-72), voire du IIIe siècle (Marchet 2003-2004 : 107). Parfois qualifiés de cheminées, même si nous ne savons rien de l’évacuation des fumées, ils sont généralement interprétés comme des systèmes de chauffage, même si une fonction culinaire a également pu leur être attribuée (Blanchard-Lemée, Olivier, Rebourg 1986 : 141 ; Desbat 2013 : 35-36 ; Marchet 2003-2004 : 107 ; Petit 2005 : 130). L’âtre est en effet ouvert sur la pièce, contrairement aux petits fours en fer à cheval que l’on rencontre dans les espaces de cuisine clermontois (Alfonso 2013 : 81 ; Martinez dir. 2021 : 57 et fig. 61 : Sauget, Claval 1989 : 36) et dans de nombreux autres sites de Gaule romaine. La position dominante de cette pièce, sa surface importante (35,50 m²) et les équipements dont elle est pourvue en font très vraisemblablement un espace privilégié au sein de l’édifice.
2.2.3. Les ailes nord et sud (avec SG)
51Les ailes nord et sud, qui se développent de part et d’autre du corps central du bâtiment B et contre son mur de clôture occidental, adoptent un plan presque identique. Malgré quelques nuances de détail, leur agencement comme la fonction des différents espaces sont similaires.
52L’entrée dans l’aile nord se faisait par le passage B2 qui ouvrait, immédiatement derrière la porte, sur les espaces B1 au nord et B3/B4 au sud (fig. 32). Le sol de la partie orientale de cette pièce est un béton gris violacé, très riche en inclusions volcaniques et parfaitement lissé. Il s’interrompt à 3 m de l’entrée et forme à cet endroit un léger bourrelet qui montre que cette limite était prévue dès l’origine. Au-delà, un simple mortier blanc-gris à la surface irrégulière et contemporain du chantier de construction recouvre les vases fluvio-lacustres sur une longueur de 2 m. Cette bipartition ainsi que la position des seuils indiquent que la circulation était limitée à l’extrémité est de l’espace B2. La zone située à l’ouest avait une autre fonction et le manque de soin apporté au sol suggère qu’il était masqué par un aménagement disparu. Ces différents indices nous incitent à y restituer un accès à l’étage, probablement une échelle de meunier compte tenu de la faible surface disponible. Dans l’hypothèse d’une échelle inclinée à 55° – la limite étant fixée à 65° pour ce type d’aménagement (Ginouvès 1992 : 202) –, la hauteur sous plafond de l’espace B2 serait de 2,40 m (fig. 41).
Fig. 41 - Hypothèse de restitution d’un accès à l’étage dans l’aile nord du bâtiment B.

53La pièce située au nord (B1) présente la surface la plus importante de cette partie de l’édifice (18,70 m²). Elle est pourvue d’un sol en béton gris violacé parsemé d’éclats de terre cuite et de roche volcanique, coulé sur un radier de pierres mêlées à du gravier de pouzzolane (fig. 42). L’angle nord-est, le seul à être conservé en élévation, a révélé des traces de peinture noire recouvrant un enduit beige, lui-même appliqué sur un parement aux joints préalablement regarnis. Il s’agissait en effet de régulariser la paroi, mais peut-être aussi de la protéger de l’humidité.
Fig. 42 - Vue en direction de l’ouest de la pièce B1.

54L’ensemble B3/B4, de plus faibles dimensions (environ 15,80 m²), est partitionné en deux par une cloison. Nous considérons cependant ces deux unités comme un espace unique, sans quoi il serait difficile d’expliquer la présence d’un foyer dans un espace aussi exigu que la salle B4 (fig. 43). Il s’agit une nouvelle fois d’un foyer en fragments de terre cuite architecturale, adossé au mur oriental de la pièce et établi à la surface d’un sol en béton gris-blanc, riche en inclusions millimétriques de roche volcanique et en éclats de terre cuite. Ce niveau est très dégradé et aucun sol n’a été détecté de l’autre côté de la cloison (B3), malgré une fouille menée jusqu’au niveau des fondations des murs. Les raisons de la division de cet espace nous échappent et le plan au sol est peut-être trompeur. Nous l’avons vu, la cloison devait en réalité prendre la forme de panneaux amovibles ou coulissants et il est donc possible que ces derniers n’atteignaient pas le plafond. Selon cette hypothèse, la séparation aurait servi à isoler temporairement les deux parties de la pièce.
Fig. 43 - La pièce B4.

55L’aile sud est la partie la mieux conservée de l’édifice (fig. 44). Malgré son abandon précoce, à la fin du IIIe siècle (phase 3a), elle a en effet bénéficié de sa proximité avec le cours d’eau puisque, dès la fin du IIe siècle (phase 2a), cet espace a été significativement remblayé pour le mettre à l’abri des crues, ses sols étant à l’origine situés, en moyenne, à une trentaine de centimètres plus bas que ceux de l’aile nord (tab. 1). Elle adopte un plan analogue, dans ses grandes lignes, à celui de cette dernière.
Fig. 44 - Coupes de l’aile sud du bâtiment B.

56Il était possible d’y accéder par le couloir B11 (fig. 35) qui, comme son pendant septentrional, permettait de pénétrer immédiatement dans les espaces B10 au nord et B12 au sud, grâce à des portes situées à l’extrémité est de la salle. Au même titre que B2, une distinction assez nette apparaît dans le traitement du sol et des murs. En partie est, le sol est un béton blanc lissé et parsemé d’éclats centimétriques de basalte, de pouzzolane et de terre cuite, associé à des parois peintes d’un mouchetis rouge et noir sur fond blanc, surmonté d’un filet noir. Plus à l’ouest, les murs ne portent pas de décor et l’espace est divisé transversalement par trois saignées. La première, située côté est à 3,30 m de l’entrée et au-delà de laquelle le sol est un mortier gris-blanc à la surface irrégulière, est large de 8 cm et profonde de 7 cm. Les deux autres ont une largeur de 15 cm pour une profondeur de 8 cm. Ces trois encoches marquent l’emplacement d’une installation en bois qui, si l’on suit les propositions formulées précédemment pour le couloir B2, aurait permis de rejoindre un étage. Ce profond ancrage au sol paraît en effet exclure l’hypothèse de simples meubles, parfois relégués au fond des couloirs comme dans la maison de la place Formigé à Fréjus (Rivet 2010 : 260-261) ou dans plusieurs édifices pompéiens (Kastenmeier 2007 : 46-51). Par ailleurs, de telles étagères ont le plus souvent laissé des empreintes horizontales sur les parois. Dans l’édifice clermontois, les marques verticales qui apparaissent sur les murs au niveau de la saignée orientale sont, en revanche, difficilement attribuables à une échelle de meunier. Peut-être faut-il plutôt y voir les marques des supports verticaux d’un aménagement plus massif, comme un escalier, qui aurait pris naissance plus à l’est, à moins qu’il ne s’agisse de l’empreinte d’un dispositif destiné à obturer l’extrémité occidentale de l’espace B11 (et donc l’accès à l’étage ?).
57Au nord, la salle B10 couvre une superficie d’une quinzaine de mètres carrés. Elle présente un sol de béton lissé de couleur blanc crème, à la surface duquel apparaît un semis d’éclats centimétriques de basalte, de pouzzolane et de céramique sigillée. Il repose sur un radier de pierres volcaniques disposé directement sur les vases fluvio-lacustres. La pièce est équipée d’un foyer en dalles de terre cuite, adossé au mur est. Son élévation a disparu à l’occasion des réaménagements de l’aile sud à la fin du IIe siècle (phase 2a), mais les traces de combustion permettent de restituer un âtre en hémicycle. Son démontage a révélé des incisions sur le sol (fig. 45) qui, à cet endroit, comporte en outre une moindre quantité d’inclusions utilisées pour sa décoration. Cela indique sans ambiguïté que cet équipement était prévu lors de la mise en place du sol. L’espace B10 a par ailleurs livré des peintures murales en très bon état de conservation (encart 1), dont la hauteur atteint 0,84 m sur le mur nord.
Fig. 45- Détail de l’incision marquant l’emplacement du foyer de la pièce B10.

58Le décor (pour plus de détails, voir Ollivier, Amadei-Kwifati, Groetembril 2017), dont aucun fragment n’a été découvert dans les couches de destruction, est identique sur les quatre murs (fig. 46). Les seules différences tiennent à la présence, à l’est, du foyer et, au sud, de la porte ouvrant sur le couloir B11. Une plinthe grise de 0,25 m de hauteur environ est surmontée d’une partie basse, haute d’environ 0,48 m et couronnée d’une corniche fictive. Compartiments et inter-compartiments y alternent et sont bordés par de simples filets blancs. Les compartiments, dont la longueur varie entre 1,20 et 1,40 m selon les murs, présentent un fond rouge foncé, sur lequel se développent de larges touffes végétales constituées de feuilles oblongues, traitées en trois tons de vert pour un rendu illusionniste, et qui semblent posées sur la plinthe. Elles donnent naissance à deux longues tiges symétriques qui se déploient dans le compartiment et qui se terminent par une fleur, formée de trois pétales jaunes et de deux feuilles. Les inter-compartiments, dont la largeur varie entre 0,24 et 0,31 m, sont pour leur part constitués d’un fond rouge orangé. L’espace est occupé par une plante à feuilles épaisses, là encore traitées en différents tons de vert, qui se superposent et se déploient de manière symétrique, en éventail. De fines tiges ornées d’une fleur vert clair apparaissent entre les grandes feuilles. L’ensemble est couronné d’une bande blanche sur laquelle deux filets rouges créent l’illusion d’une corniche. Au-dessus, la zone médiane présente un champ rouge ocre conservé sur quelques centimètres. Un pied de candélabre beige et vert à rehauts roses apparaît sur le mur nord, posé sur la corniche fictive dans l’axe de l’inter-compartiment de droite. Plus à droite, un champ noir bordé d’un filet blanc a pu être observé. Il pourrait s’agir d’un panneau noir posé sur un champ rouge ocre et qui, selon une composition répandue en Gaule, alternerait avec des inter-panneaux à candélabre. Les touffes végétales constituent un motif récurrent du Ier au IIIe siècle (Eristov, Monier 2013), et ce dans des contextes aussi bien publics que privés. On citera, pour la première catégorie, le décor du péristyle de la maison du quai Riondet à Vienne, daté de la deuxième moitié du Ier siècle (Eristov 1987 : 47), ou encore celui de la maison D4 du quartier Saint-Florent à Orange, daté des années 60-70 (Barbet 2008 : 114-115). À la fin du IIe siècle, des touffes plus schématiques sont également représentées dans les cryptoportiques du forum de Bavay (Vibert-Guigue 2011). L’alternance des deux tonalités de rouge est peu fréquente, on la rencontre notamment dans un décor du troisième quart du Ier siècle boulevard de la République à Aix-en-Provence (Allag, Huguet, Nin 2014).
Fig. 46 - Les peintures murales de la pièce B10.

Encart n° 1. La dépose des peintures murales (BAK, JO)
La découverte de peintures murales au sein des pièces B10 et, dans une moindre mesure, B12 a incité le service régional de l’archéologie à demander leur dépose. Ce travail a été réalisé en mai 2014 par une équipe de l’APPA-CEPMR. Il a concerné le décor de cinq murs pour un total d’environ 16 m linéaires et 10 m², prélevés en 14 plaques qui ont été déposées, dans l’attente de leur stabilisation et de leur éventuelle restauration, dans les locaux de l’opérateur Hadès puis au Centre de conservation et d’étude du SRA Auvergne-Rhône-Alpes aux Martres-de-Veyre.
La principale difficulté rencontrée lors de cette opération fut la présence de la nappe phréatique, dont le niveau moyen a été mesuré à une cinquantaine de centimètres au-dessus du sol de la pièce B10 (ill. 1). Même si, dans cet espace, l’eau a fait l’objet d’un pompage en continu, les murs subissaient des infiltrations depuis les espaces voisins. Les peintures étaient gorgées d’eau et il a donc fallu procéder à un séchage superficiel, à l’aide d’un chauffage à gaz à air soufflé, de manière à pouvoir réaliser l’encollage de surface ou facing. Les battements de la nappe phréatique ont également entraîné le dépôt d’oxydes de fer dans les maçonneries et les enduits (induration). Ces derniers étaient particulièrement durs en partie inférieure tandis que, par ailleurs, la chaux des mortiers avait été presque complètement dissoute par l’humidité.
En outre, le mur oriental de la pièce B10 était en partie masqué par un foyer-cheminée. Un premier état, conservé sous la forme de la sole en briques de terre cuite, reposait sur le sol en béton de la pièce. Le second, bâti à la fin du IIe siècle ou au début du IIIe siècle après remblayage de cet espace (phase 2a), était nettement mieux conservé. Il a lui aussi été déposé par une équipe de la SOCRA durant la même semaine d’intervention.
La couche picturale a ainsi été localement altérée par l’humidité, les oxydes de fer ou encore la chaleur émanant des foyers. Si les fonds colorés présentent un assez bon état de conservation, les surpeints, en revanche, s’écaillent fortement. De plus, des déplacements, des fissurations, des fragmentations et des lacunes sont à l’origine d’importants défauts de planéité en partie supérieure des parois.
Malgré ces contraintes, la totalité du décor de la salle B10 et une partie de celui de la pièce B12 a pu être prélevée. La première étape a consisté à nettoyer finement la couche picturale à l’éponge humide et, lorsque cela était nécessaire, au bistouri (ill. 2). Les décors ont ensuite été relevés à l’échelle 1/1 sur film polyane et une couverture photographique exhaustive a complété ce relevé graphique (fig. 46 et fig. 49). Après séchage, la surface a été encollée avec du papier Japon et du Paraloïd B72 dissout dans l’acétone, avant la mise en place d’une gaze en coton, puis d’une toile de coton débordant largement sur les côtés (ill. 3). La toile a ensuite été rabattue et agrafée sur des planches en bois disposées contre les parois, avant la dépose des peintures à l’aide de lames métalliques glissées entre les murs et les enduits.
Le prélèvement des peintures a permis de montrer qu’une première couche d’enduit recouvrait directement la paroi (ill. 4). Il s’agit en réalité d’un enduit de finition apposé avant la réalisation du décor afin de régulariser les parements, constitués de matériaux volcaniques – principalement du basalte – difficiles à tailler. Cette couche préparatoire a ensuite été piquetée pour favoriser l’adhérence des enduits (pour un cas comparable, voir Ginouvès, Martin 1985 : pl. 39, no 3). Les traces de peinture rouge relevées à la surface du premier sol en béton de la pièce semblent corroborer cette hypothèse.
Ill. 1 - Pompage en cours dans la salle B10.

Ill. 2 - Nettoyage des peintures de la salle B10.

Ill. 3 - Encollage des peintures du mur est de la salle B10.

Ill. 4 - Enduits du mur ouest de la salle B10.

59La pièce B12, au sud, est presque identique. Le radier du sol et son revêtement sont les mêmes, à l’exception du décor qui orne sa partie centrale. À cet endroit, deux cercles de 0,10 m de diamètre chacun sont représentés par sept tessons de céramique sigillée, avec un huitième fragment en position centrale (fig. 47). Un foyer est également placé contre le mur oriental. Comme son homologue de la salle B10, son emplacement a fait l’objet d’un marquage au fer dans le mortier encore frais du sol. Il est légèrement mieux conservé puisque le muret délimitant l’âtre comporte quatre assises de fragments de terre cuite architecturale (fig. 48). Les murs étaient eux aussi couverts de peintures murales, mais le décor est différent. Il est partiellement conservé en partie droite du mur sud, sur une quarantaine de centimètres de hauteur (fig. 49). Une plinthe grise à mouchetis blanc, noir et rouge ocre, d’environ 0,20 m de hauteur, est surmontée d’une partie basse compartimentée. Le compartiment à fond rouge ocre, long de 1,30 m, est divisé horizontalement par une fine tige végétale, agrémentée de tigelles ondulantes et de larges fleurs jaunes qui alternent avec de petites grappes composées de trois points. Ces motifs sont tantôt orientés vers le haut, tantôt vers le bas. L’inter-compartiment est noir et semble vierge de motif. Pour sa part, l’angle est occupé par un demi inter-compartiment rouge.
Fig. 47 - Détail du décor du sol de la pièce B12.

Fig. 48 - Foyer de la pièce B12.

Fig. 49 - Les peintures murales de la pièce B12.

60Construites sur un modèle semblable, les ailes nord et sud de l’édifice B peuvent être analysées de la même manière.
61Les salles B2 et B11 sont des espaces de distribution. On entrait dans le bâtiment par leur intermédiaire et on pouvait ensuite accéder directement aux salles disposées de part et d’autre. Toute la partie occidentale était dès lors rendue inutile par cette logique de circulation. C’est pourquoi il est possible de leur attribuer une fonction supplémentaire qui pourrait être celle de cages d’escalier, comme le suggère le traitement différentiel du sol et des parois. Le faible espace disponible plaide en faveur d’échelles de meunier, même si les traces d’ancrage au sol du couloir B11 ne sauraient s’expliquer uniquement par ce dispositif.
62Les quatre autres salles ont une superficie comprise en 15,10 et 18,70 m². Elles présentent un décor soigné – peintures murales et sols décorés – ainsi que, pour trois d’entre elles au moins, un foyer destiné à en assurer le chauffage. Ces caractéristiques en font assurément des lieux de vie, mais leurs faibles dimensions ne les rendent pas propices à la réunion de plusieurs personnes, comme on pourrait l’attendre, par exemple, d’une salle de réception. Leur nombre paraît également s’opposer à cette interprétation. C’est pourquoi il paraît plus raisonnable de les considérer comme des chambres à coucher.
2.2.4. Les espaces ouverts
63L’édifice B était bordé, au nord et au sud, par des espaces à ciel ouvert. L’importante superficie de ces derniers constitue là encore un trait spécifique de cet établissement.
64En partie nord, aucune construction n’est attestée avant la fin du IIIe siècle (phase 3a). C’est à cette période qu’est bâti un portique dans le prolongement septentrional de l’aile nord du bâtiment B, avec un retour au sud, le long de son aile centrale. Il est cependant possible d’envisager la présence d’une première cour agencée de cette manière durant les périodes précédentes. En effet, différents sols ont été identifiés au nord de l’édifice, mais aucun d’entre eux ne semble se développer au-delà de la tranchée de récupération (phase 3b) du système d’évacuation bordant le portique de la fin du IIIe siècle. Cela signifie probablement qu’une limite existait antérieurement au même endroit et nous proposons donc, par hypothèse, de restituer un schéma identique pour la cour septentrionale du bâtiment B dans son premier état (espaces B13 et B14). Aucune fouille extensive des niveaux inférieurs de la stratigraphie n’ayant pu être menée dans cette zone en raison du niveau élevé de la nappe phréatique, les sols extérieurs ont été mis au jour dans plusieurs sondages (fig. 50). Les premiers niveaux de circulation sont établis directement sur les vases fluvio-lacustres ou sur des remblais permettant de les isoler de ces dernières. C’est le cas du sol en mortier identifié à l’extrémité nord de l’emprise, contre le mur de clôture de la parcelle. Lissé en surface, il présente une couleur blanc-gris et sa surface est parsemée de tesselles noires et blanches, avec des fragments de terre cuite. Ce sol repose sur une argile sableuse jaune, étalée sur le terrain naturel, et équivaut à un niveau identique détecté plus au sud, le long de la limite orientale du portique. À cet endroit, il recouvre un paléosol ainsi que deux fins niveaux de mortier très dégradés. Il n’a en revanche pas été rencontré à l’angle formé par le mur de clôture et le mur septentrional de l’aile nord, où seuls des niveaux contemporains du chantier de construction sont apparus. Il en va de même le long de l’aile centrale, visiblement bordée par des remblais d’assainissement riches en gravats.
Fig. 50 - Coupes de l’espace B14.

65En partie sud, à l’angle formé par les ailes centrale et méridionale et en bordure du cours d’eau, une deuxième cour a été identifiée (B15). Les plus anciens sols y sont construits à l’aide de sable et de gravier de pouzzolane, établis sur des radiers de pierres volcaniques. À Augustonemetum, la pouzzolane est largement employée dans la construction, notamment dans les mortiers auxquels elle confère une teinte rosée à violacée, tout en assurant une prise rapide en milieu humide et une bonne résistance à l’eau (Vitruve, II, 6, 1). Elle est aussi utilisée pour l’aménagement des espaces extérieurs, notamment les chaussées des rues (Ollivier et al. 2016a : § 118, 122). D’une manière générale, les sols en gravier ou en sable issus de ce matériau sont donc caractéristiques des espaces extérieurs.
2.2.5. Les réaménagements de l’édifice à la fin du IIe siècle
66Plusieurs modifications sont effectuées au cours d’une deuxième phase de travaux (fig. 51). Elles ont été rassemblées au sein d’une même période (phase 1b) en raison de leur chronologie relative, mais il est impossible de certifier leur contemporanéité, faute de preuve stratigraphique. Nos outils de datation atteignent eux aussi leurs limites puisque cette étape dans l’évolution du site semble précéder de très peu les grands bouleversements de la phase 2a.
Fig. 51 - Plan détaillé du bâtiment B (phase 1b).

67Les réaménagements les plus importants touchent la partie sud de l’édifice, où quatre nouveaux espaces sont adossés à l’angle que forment les ailes centrale et méridionale de l’établissement. Les murs qui les délimitent sont systématiquement appuyés contre les enduits de la phase 1a, ce qui prouve leur appartenance à une deuxième phase de construction.
68Contre l’aile centrale, deux espaces au moins semblent créés au sud. Les informations les concernant sont cependant très limitées car la zone a fait l’objet de multiples reconstructions, notamment à partir de la fin du IIIe siècle (phase 3a). Un premier mur est bâti contre l’angle sud-est du corps central de l’édifice et constitue la limite orientale du nouvel ensemble qui lui est accolé. Il est formé de pierres volcaniques assemblées au mortier gris-blanc et conservé sur deux assises en élévation, en retrait de 6 cm par rapport à la fondation. Le deuxième mur est pour sa part construit immédiatement à l’ouest de la porte sud de la pièce B8. Entre les deux (B20), aucun niveau de sol n’a été reconnu. L’unique aménagement attribué à cette phase est un ouvrage en bois, disposé parallèlement au mur oriental (fig. 52). Il est constitué de planches en sapin épaisses de 2 à 2,5 cm et clouées, qui forment l’extrémité nord d’un conduit large de 0,21 m. Son prolongement méridional n’a pas été retrouvé, malgré une fouille menée en profondeur. L’espace situé à l’ouest (B19) a pour sa part livré un premier sol en terre battue, peu épais (1 cm) et recouvert d’un niveau de mortier rosâtre limité à quelques centimètres carrés. Ils sont associés à des enduits, eux aussi rudimentaires et sans trace de peinture apparente. La limite sud des pièces B19 et B20 n’a, en revanche, pas été formellement identifiée. Il est probable qu’elle se situait dans l’axe du mur sud de la pièce B10, comme le suggèrent à la fois l’absence de traces d’occupation au-delà de cette construction restituée et la nécessité de maintenir un accès à l’aile méridionale, dans l’axe du couloir B11.
Fig. 52 - Conduit de la pièce B20.

69L’aile sud est également doublée par l’ajout de deux petits espaces d’environ 2,80 m² au sud (B17) et 3,80 m² au nord (B18) (fig. 53). Les murs définissant ces nouvelles salles sont bâtis en pierres volcaniques liées au mortier gris-blanc en fondation, gris rosé – et donc plus riche en pouzzolane – en élévation. La première assise de cette dernière est chaînée au radier supportant la poutre en chêne qui sépare B17 et B18. Elle s’apparente à un seuil doté d’une rainure longitudinale, large de 2,6 cm (fig. 54, no 1), qui correspond au type D2 d’A. Bouet (Bouet 1994-1995 : 34), généralement caractéristique des façades de boutique (Schoevaert 2018 : 30-34, qui montre que ce n’est cependant pas toujours le cas). On retrouve néanmoins ce type de seuil dans d’autres contextes, comme l’habitat des Hespérides à Nîmes (Garmy, Monteil dir. 2000 : 146). Dans le cas clermontois, l’exiguïté des deux espaces situés de part et d’autre invite à restituer un système de panneaux constituant avant tout une cloison amovible. La salle B17 est couverte d’un sol en mortier, contemporain du badigeon blanc appliqué sur les murs. Le sol de la pièce voisine (B18) est identique et établi sur un radier de pierres volcaniques. Il est scellé par des niveaux de destruction au sein desquels de nombreux fragments d’enduit portant au revers des traces de clayonnage ont été découverts.
Fig. 53 - Pièces B17 et B18.

Fig. 54 - Seuils du bâtiment B (phase 1b).

70Dans le même temps, les seuils des portes ouvrant sur les salles B11 et B10 sont refaits. Le premier est exhaussé grâce à l’ajout d’un radier dans lequel a été inséré un gobelet en parois fines de forme Bet 331, avant la pose du nouveau seuil, constitué de planches en bois (fig. 54, no 3). La porte de la pièce B10 est elle aussi équipée d’un nouveau seuil, également formé d’une planche chevillée à ses extrémités (fig. 54, no 2). Dans les deux cas, le mauvais état de conservation des différents éléments n’autorise aucune restitution des systèmes de fermeture.
71Dans l’aile centrale, les seules modifications apportées au bâtiment concernent l’espace B5. Le dispositif d’évacuation n’est plus utilisé et l’ouverture pratiquée dans le mur nord pour son passage est condamnée. Un nouveau foyer est bâti dans le prolongement méridional des installations qui occupent l’angle nord-ouest de la pièce, à l’emplacement du premier foyer situé immédiatement au sud de la base maçonnée et dont certains éléments sont réutilisés. Sa sole est formée de quatre tegulae retournées. Trois piquets en bois sont fichés plus à l’est. Ils participent d’un aménagement qui n’a pas été identifié, mais qui doit probablement être lié à l’utilisation de ce foyer.
72Dans le couloir B6, de nouveaux sols sont établis en partie occidentale, maintenant de fait la bipartition de cet espace. Le premier, au sud-ouest, est pour l’essentiel composé de fragments de terre cuite, tandis que le second, au nord-ouest, est en mortier blanchâtre.
73Au nord, une réfection ponctuelle est effectuée dans le couloir B2. Son extrémité occidentale est couverte d’un nouveau sol en mortier mêlé à des graviers et des fragments roulés en terre cuite. Cet aspect grossier s’explique là encore par le fait qu’il était masqué par un dispositif d’accès à l’étage.
74Des travaux plus conséquents sont enfin entrepris à l’extrémité nord de l’espace B14, avec la construction d’un mur d’orientation est-ouest adossé à la clôture de la parcelle. Il est bâti contre les enduits de cette dernière et se présente sous la forme d’une maçonnerie de pierres volcaniques liées à un mortier particulièrement chargé en poudre de pouzzolane. Sa localisation en limite d’emprise nous prive d’un certain nombre d’informations, en particulier sur la nature de l’espace dont il forme la limite sud (B16). De la même manière, son attribution à la phase 1b demeure hypothétique.
2.2.6. Chronologie et interprétation
75L’édifice B semble avoir été construit, nous l’avons vu, en même temps que le bâtiment A, daté de la fin du Ier siècle ou du début du IIe siècle. L’emploi de techniques différentes et la légère divergence observée dans l’orientation des maçonneries traduit avant tout l’existence de deux programmes architecturaux distincts.
76La chronologie absolue n’est accessible que grâce à un ensemble de données extrêmement ténues. Les niveaux antérieurs aux fondations des murs livrent du mobilier céramique du Ier siècle, mais également des productions des phases 4 à 7 de Lezoux, soit entre les Flaviens et la première moitié du IIIe siècle (bol Bet 15/Drag. 35-36). Les informations issues des niveaux liés au chantier de construction sont plus fiables grâce à un mobilier plus abondant. C’est en particulier le cas du remblai d’assainissement de la cour et du radier du sol de la salle B10, qui, outre de nouveaux fragments de bols de forme Bet 15/Drag. 35-36, contenaient plusieurs productions de la fin du Ier siècle et de la première moitié du IIe siècle, comme des parois fines engobées. Les analyses dendrochronologiques confirment ces données. En effet, le seuil en sapin de la pièce B3/B4 provient d’un arbre abattu après 89 et les derniers cernes de croissance du seuil en chêne de la porte nord de l’espace B8 ont été datés de l’année 111. Comme l’édifice A, le bâtiment B paraît donc avoir été construit à la charnière des Ier et IIe siècles.
77Une chronologie analogue peut également être avancée pour les réaménagements dont les bâtiments A et B ont fait l’objet et c’est pour cette raison qu’ils ont été rassemblés au sein d’une même phase 1b, malgré l’absence de liaisons stratigraphiques. L’essentiel des données fournies par l’analyse du mobilier céramique provient des couches de destruction de la salle B5, dont la formation n’est pas antérieure à la décennie 170 (céramique métallescente, bols Bet 42-43/Curle 23). Un tesson attribuable au IIIe siècle (céramique peinte de Bourgogne) a également été découvert dans une couche interprétée, de manière incertaine, comme un niveau d’occupation de cette période. Enfin, les planches du conduit mis au jour en partie est de la salle B20 sont issues d’arbres respectivement abattus après les années 173, 185 et 191. On proposera donc de dater ces travaux de la fin du IIe siècle, voire du début du siècle suivant.
78L’identification du bâtiment B peut s’appuyer sur différents indices recueillis grâce à la très bonne conservation générale des vestiges. Malgré quelques incertitudes de détail, le plan est en effet restituable dans ses grandes lignes et la plupart des pièces ont livré suffisamment d’informations pour être caractérisées. L’ensemble de ces données nous incite à interpréter l’édifice comme une auberge (Ollivier et al. 2016b) qui offrait aux voyageurs différentes prestations : prise en charge des véhicules et des montures, hébergement et restauration.
79Le premier élément à prendre en considération est sa localisation au sein de l’agglomération clermontoise (fig. 7, 8). Il est situé immédiatement au sud d’une voie de contournement de la butte, qui constitue, en l’état actuel de nos connaissances, la limite méridionale du quadrillage urbain originel (decumanus K). Le site est par ailleurs distant d’un peu plus de 100 m vers l’ouest de la rue de Rabanesse, dont le tracé fossilise l’axe de la principale desserte méridionale d’Augustonemetum (voie 1). Il s’agit donc d’une position de carrefour, à l’entrée de la ville, particulièrement propice à l’installation des lieux d’accueil des voyageurs en milieu urbain (Leveau 2014 : 36-40), comme l’illustrent l’exemple déjà mentionné de la Cité judiciaire à Bordeaux (Sireix dir. 2008 : 61-62 ; Sireix 2014) ou encore celui de Martigny en Suisse (Leveau, Wiblé 2014).
80L’édifice dégagé au nord du cours d’eau ne représente en réalité qu’une partie d’un établissement bien plus vaste. Sa limite nord doit probablement correspondre à la rue K, mais nous ignorons l’ampleur de son développement en direction de l’est. Quoi qu’il en soit, l’îlot est pourvu d’espaces découverts de grandes dimensions. La partie nord est occupée par une grande cour de plus de 250 m² (B13), encadrée par un espace de circulation extérieur d’au moins 165 m² (B14). Au sud, la zone située entre le paléochenal et le bâtiment B est également aménagée (B15). Des prélèvements effectués à proximité du cours d’eau ont révélé une importante proportion de spores coprophiles dont le développement pourrait s’expliquer par une présence animale. L’hypothèse d’une aire de stabulation est renforcée par la mise en évidence de pollens issus d’une végétation qui se développe, malgré le piétinement, dans des sols riches en azote.
81Le plan du bâtiment B adopte par ailleurs une configuration atypique en contexte résidentiel. Les espaces que nous interprétons comme des chambres à coucher (B1, B3/B4, B7, B10 et B12) sont en effet surreprésentés puisqu’on en dénombre cinq sur un total de sept salles, couloirs et passages exclus. Ces derniers donnaient vraisemblablement accès, pour certains (B2 et B11) à un étage qui comportait sans doute d’autres appartements, compte tenu de la faible surface disponible. Il convient en outre de souligner l’autonomie de chacune de ces chambres, pour la plupart presque directement accessibles depuis l’extérieur2. La possibilité de verrouiller l’une d’entre elles (B3/B4) est même attestée par la présence d’un trou de gâche sur le seuil en bois de sa porte, renforçant un peu plus l’indépendance et la sécurité de ses occupants (voir, sur ce point, Le Guennec 2019 : 129-130). À l’exception de la pièce B1, toutes les chambres ont livré un foyer-cheminée, avec parfois un décor soigné. La salle B9 est dotée des mêmes équipements, mais ses dimensions nettement supérieures la désignent peut-être plutôt comme une salle destinée à la prise des repas en commun. À l’autre extrémité du corps central, la pièce B5 présente pour sa part toutes les caractéristiques d’un local technique, au moins en partie utilisé pour la préparation des repas. Au même titre que pour l’auberge de la Cité judiciaire de Bordeaux (Sireix dir. 2008 : 57-59) ou encore l’édifice 1 du complexe commercial de Schmidmatt à Augst (Berger 2012 : 306-309), interprété comme une auberge ou un commerce de bouche, la présence d’un fumoir/séchoir semble ici particulièrement adaptée à la restauration collective. Une distinction fonctionnelle apparaît ainsi entre les ailes dédiées à l’hébergement de la clientèle, au nord et au sud, et celle qui abritait les installations utiles pour la préparation et le service des repas. Dans la même logique, les circulations internes et externes semblent répondre à une volonté d’éviter que les chemins des clients et du personnel de l’établissement ne se croisent, le passage B8 occupant une place centrale dans ce dispositif (fig. 55). Suivant cette lecture, la seule anomalie semble être l’espace B7 qui s’apparente à une chambre à coucher. Si cette interprétation est correcte, peut-être faut-il y voir un logement de moindre qualité, compte tenu de sa localisation, ou un local à l’usage du personnel.
Fig. 55 - La circulation au sein du bâtiment B (phase 1a).

82S’ils ne bouleversent pas fondamentalement la configuration générale de l’édifice, les travaux réalisés à la fin du IIe siècle modifient quelque peu ce schéma. Les adjonctions de la partie sud semblent correspondre, pour autant que nous puissions en juger, à des locaux techniques. Il est cependant difficile d’aller plus loin dans leur interprétation, notamment pour les salles B19 et B20 qui ont considérablement pâti des réaménagements ultérieurs.
83Le mobilier fournit quelques arguments, complémentaires pour certains, décisifs pour d’autres. L’étude de la céramique a par exemple mis en évidence une importante proportion de vaisselle liée au service et à la consommation. Certains secteurs, comme la partie sud de l’édifice, ont par ailleurs livré une grande quantité de vases de stockage. Dans cette dernière catégorie ont également été classés des exemplaires dont la fonction était peut-être différente. En effet, plusieurs récipients ovales à parois droites et bord éversé, bien connus en Auvergne pour leur réutilisation funéraire (Blaizot dir. 2009 : 77), ont pu faire office de bassine pour la toilette ou de pot d’aisance (lasanum : Bouet 2009 : 68-75) à l’usage de la clientèle. Cette utilisation se justifierait d’autant plus ici que l’établissement semble dépourvu de latrines construites. Mais la découverte qui constitue sans conteste l’argument le plus remarquable pour établir la fonction du bâtiment B est l’inscription peinte (encart 2) mise au jour au sein d’un dépotoir en rive droite du cours d’eau – dépotoir dont l’analyse révèle qu’il est principalement constitué de bâtiments démantelés, et donc probablement situés à proximité. Ce texte, dont seule une ligne est conservée, fait référence à un ou plusieurs voyageurs (uiator, sous la forme du génitif uiatoris, ou uiatores), qui représentent les principaux clients des auberges (Le Guennec 2019 : 352-388, en particulier 353-355). Il couvre la partie droite de ce qui constituait probablement, à l’origine, l’habillage d’une façade et peut donc, à ce titre, être considéré comme une enseigne signalant la fonction de l’établissement.
84La question de l’accueil mercantile et des conditions matérielles dans lesquelles il s’exerçait à l’époque romaine a récemment fait l’objet de plusieurs publications (France, Nélis-Clément dir. 2014 ; Colleoni dir. 2016 ; Le Guennec 2019). Celles-ci ont notamment permis de faire un point critique sur la documentation existante et de renouveler le corpus des lieux d’hébergement connus en Italie et en contexte provincial. Dans les Trois Gaules, la plupart ont été identifiés en milieu rural et peuvent, pour certains, être liés à la création et au développement du système de transport d’État (uehiculatio / cursus publicus). Certaines similitudes dans les plans de ces établissements suggèrent même l’existence de cartons architecturaux ayant présidé à leur conception (Colleoni 2016 : 87-88). D’autres ont pu profiter, de manière plus prosaïque, de la proximité d’une voie de communication pour offrir aux voyageurs une halte au sein d’un domaine et, par là même, assurer à ce dernier des ressources supplémentaires. C’est déjà ce que conseillait Varron au Ier siècle av. J.-C. (rust., I, 2, 23) et l’établissement de Soumaltre à Aspiran peut, selon toute vraisemblance, être interprété dans cette optique (Thernot, Bel, Mauné 2004 : 101-103).
85En milieu urbain, la situation est différente et les données sont nettement moins faciles à démêler. En effet, le développement de ce type d’établissements y est contraint par la densité de l’occupation et la lecture des plans au sol ne permet pas toujours de les distinguer d’une habitation classique. L’accueil mercantile est une activité qui ne nécessite pas d’installations particulièrement discriminantes – sauf peut-être dans le cas des commerces alimentaires –, ou du moins aisément détectables par les archéologues, et c’est pour cette raison que l’essentiel du corpus provient d’Italie et notamment de Pompéi, qui a livré un certain nombre d’inscriptions certifiant leur destination hôtelière (Le Guennec 2019 : annexe V.2). Au-delà du critère topographique, qui semble avoir été déterminant pour leur implantation, quelques traits communs peuvent être dégagés, même s’ils dépendent évidemment de l’offre de services proposés aux clients (Le Guennec 2019 : 125-152). La restauration ou le débit de boissons sont ainsi matérialisés par la présence des installations nécessaires à la cuisson des aliments ou, en Italie au moins, par des comptoirs maçonnés. La prise en charge des véhicules et des montures nécessitait, pour sa part, des accès suffisamment larges pour leur passage ainsi que des cours pour les accueillir. Enfin, la juxtaposition d’espaces conçus selon un même module peut laisser présager l’existence de pièces de repos pour les voyageurs. L’auberge du site de l’ancienne Gare routière de Clermont-Ferrand réunit l’ensemble de ces caractéristiques et doit donc, à ce titre, être considérée comme un établissement polyvalent. Son succès commercial, qui traduit indirectement l’attractivité du chef-lieu de cité, semble suffisamment important pour que, dès la fin du IIe siècle, ses capacités d’accueil soient considérablement renforcées.
Encart 2. L’enseigne peinte de l’auberge (FB, MALG)
Cette pièce exceptionnelle a été découverte dans un dépotoir de la deuxième moitié du IIIe siècle, en rive droite du cours d’eau au sein de la salle F2.
Elle se compose de différents éléments (ill. 1). Une planche en sapin débitée sur dosse par sciage, peinte et inscrite, longue de 245 cm, large de 19,4 cm et de 3 cm d’épaisseur, présente une découpe en arc de cercle en son centre. Quatre trous de tourillons, disposés sur un seul côté, suggèrent l’assemblage avec d’autres planches. Deux languettes en queue d’aronde sur la face interne, partiellement conservées et aménagées à égale distance dans la largeur de la planche, servaient à renforcer l’ensemble. Les extrémités et le bord extérieur de la planche sont profilés en languette. Cet aménagement servait à recevoir des cornières rainurées, dont seule celle de la partie haute, également en sapin, est conservée. Cette dernière mesure 250 cm de long pour une section de 4,5 à 7 cm, moulurée sur sa face extérieure. Les extrémités découpées en onglet incitent à restituer un aménagement similaire pour les cornières latérales qui ceinturaient toutes les planches renforcées par clouage.
L’étude dendrochronologique a permis de dater de l’année 115 le dernier cerne de croissance conservé.
Il est possible, à partir de ces éléments, de restituer une grande enseigne, habillant probablement un mur, dont l’ouverture centrale pouvait correspondre à une fenêtre ou à une niche (ill. 2). Le caractère exceptionnel de la découverte du linteau ne réside pas seulement dans la conservation d’un artefact en bois et de son inscription peinte. Son intérêt consiste aussi dans le libellé de l’inscription qui, mis en relation avec les vestiges de l’édifice B au Haut-Empire, permet d’identifier dans ce linteau une enseigne commerciale vantant les mérites de l’auberge. C’est du moins ce vers quoi tendent les hypothèses de restitution du texte peint, dont seule la ligne initiale a été conservée, à l’exception de sa première lettre – nous ignorons sur combien de lignes l’inscription courait au total, mais il est certain qu’elle en comptait au moins une supplémentaire.
Dans notre étude initiale, nous avions proposé de lire le texte conservé de la manière suivante : H (ou Ṇ) VIATORỊ (ou Ẹ)S OMNIBVS, en privilégiant comme principale hypothèse de restitution [in] ou [en] uiatoris (ou uiatores) omnibus (Ollivier et al. 2016b). La restauration de l’objet n’a pas démenti cette interprétation, sans toutefois apporter d’éléments supplémentaires.
Le texte conservé place en position centrale le terme de uiator, qui constitue un argument de poids en faveur de l’identification d’une enseigne d’auberge : en effet, ce terme, désignant un voyageur en latin, renvoie dans les sources textuelles, notamment dans le corpus épigraphique, à la clientèle-type des établissements hôteliers romains (Le Guennec 2019 : 352-365). Les hypothèses de restitution invitent à faire des voyageurs les destinataires des services de l’auberge d’Augustonemetum, en particulier si l’on interprète uiatores comme un accusatif pluriel régi par la préposition in ou comme un vocatif qui ferait suite à l’exclamatif en (la dernière hypothèse, celle du génitif uiatoris complétant un substantif aujourd’hui perdu, irait dans le même sens, même si l’adresse aux voyageurs s’en trouverait moins directe). L’adjectif omnibus, vraisemblablement un ablatif pluriel, se rapportait à un nom à la deuxième ligne, disparu désormais.
En outre, le texte comportait peut-être un verbe conjugué. En tenant compte de ces incertitudes, la structure de l’ensemble se rapproche de celles de certaines inscriptions publicitaires d’auberges attestées ailleurs dans le monde romain. On pensera en particulier à une enseigne hôtelière de Pompéi (CIL IV, 807 = ILS 6036 : Hospitium hic locatur / triclinium com tribus lectis / et comm(odis) [omnibus ?)]) : soulignons toutefois que l’adjectif omnibus, qui pourrait sembler un trait commun entre les deux textes, ne constitue, dans le cas pompéien, qu’une hypothèse de restitution parmi d’autres.
Les aléas de la conservation de l’objet ne permettent donc d’aboutir a minima qu’à la traduction suivante : « Tous les… du voyageur (ou les voyageurs)… ». Nous n’en saurons pas davantage sur les arguments publicitaires mis à profit par l’aubergiste d’Augustonemetum pour séduire des hôtes potentiels. De même, on ignore si le texte était assorti d’une image, comme c’est fréquemment le cas pour les enseignes commerciales romaines connues (Baratta 2009 ; les aubergistes font preuve d’une prédilection pour les représentations d’animaux et de divinités).
En somme, si l’enseigne clermontoise ouvre peut-être plus de questions qu’elle n’en résout, elle n’en constitue pas moins un témoignage documentaire rare, en soi et du fait de sa découverte in situ. Dans le cas des auberges d’époque romaine, la mise en relation directe d’une inscription et de vestiges matériels n’était en effet attestée jusque-là que pour l’Italie (Le Guennec 2019). La mention des uiatores offre en outre un argument supplémentaire, et sans doute définitif, en faveur de l’hypothèse qui invite à voir dans l’édifice B une auberge de périphérie urbaine à destination d’une clientèle de passage.
Ill. 1 - Modes d’assemblage des différentes pièces de l’enseigne.

Ill. 2 - Cliché et relevé de l’enseigne.

Notes de bas de page
1 Nous employons ce terme dans le sens générique de conduit « destiné au transport des fluides » (Le Petit Robert 2001, s. v. canalisation), sans préjuger de sa fonction. Le cas échéant, celle-ci sera précisée par l’utilisation des expressions « conduit d’adduction » dans le cas des dispositifs d’alimentation et « conduit d’évacuation » lorsqu’il s’agit de canaux destinés aux eaux sales.
2 Ces couloirs rappellent ceux du site des Hauts de Saint-Just à Lyon, qui ouvrent sur des espaces latéraux et donnent accès, au fond, à une terrasse supérieure. Cet établissement est également interprété comme une auberge (Lenoble dir. 2018 : 451-452 et 462).
Auteurs
Drac-SRA Occitanie, UMR 5608 TRACES
APPA-CEPMR étude des peintures murales
Post-doctorant - FNS - Université de Genève / C-CIA, UMR 6249 Chrono-Environnement étude des bois
APPA-CEPMR étude des peintures murales
Professeure régulière d’histoire romaine, Université du Québec à Montréal, chercheuse associée, UMR 5189 HISoMA étude de l’enseigne peinte
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