Chapitre 1. Contexte géographique, historique et archéologique

Christèle Ballut et Julien Ollivier

p. 17-29


Texte intégral

1La parcelle fouillée en 2013-2014 est située en partie sud de Clermont-Ferrand. Il s’agit d’un secteur de fond de vallée, traversé par plusieurs bras de la Tiretaine du Sud – aujourd’hui canalisée –, et progressivement intégré à l’agglomération antique.

1.1. Environnement et nature du sous-sol (CB) (JO)

2La prise en compte du contexte environnemental permet non seulement de comprendre la nature de certaines infrastructures mises en place pour assainir un secteur marécageux situé en marge du premier noyau urbain, mais également d’éclairer l’évolution générale du site, dont l’histoire est étroitement liée à celle du cours d’eau identifié lors de la fouille.

1.1.1. Le cadre environnemental (CB)

1.1.1.1. Présentation générale

3Le site se trouve dans la Limagne de Clermont-Ferrand. Elle s’étend depuis Coudes au sud jusqu’à Randan au nord sur 60 km, à des altitudes comprises entre 300 et 500 m. Cette plaine sédimentaire est bordée à l’ouest et à l’est de hauts plateaux cristallins et volcaniques (800-1 000 m), boisés ou recouverts de prairies. Elle est aussi traversée par l’Allier et se compose de biotopes et terroirs variés. M. Derruau la décrivait en trois ensembles distincts : la Limagne des Marais au centre, le Pays des Buttes au sud et à l’ouest, et le pays des Varennes et Chambonnages au contact des massifs orientaux (Derruau 1949).

4La fouille est située en bordure occidentale de la plaine, non loin de l’escarpement de ligne de faille qui sépare la plaine du plateau, entre les hauteurs de la Limagne des Buttes (fig. 1). Ces buttes calcaires et volcaniques sont formées de reliefs isolés de taille variable, dont les altitudes dépassent fréquemment 500 m. Elles possèdent souvent une allure tabulaire et leurs pentes, parfois assez raides, peuvent atteindre plus de 20 %. D’autres reliefs marno-calcaires, souvent d’altitude moindre, sont aussi armés par des alluvions anciennes. Céréales, vignes et vergers dominaient un riche paysage agricole, aujourd’hui grignoté par l’urbanisation et la friche.

Fig. 1 - La Limagne clermontoise.

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5À environ 5 km à l’est du site, la Limagne des Marais, de nature marno-calcaire et comprise entre 300 et 350 m, est caractérisée par l’absence de reliefs marqués. Cette partie est ainsi nommée en raison de l’existence ancienne de bassins palustres de taille variable aujourd’hui asséchés. Réputée pour la fertilité de ses sols, elle est devenue le domaine de la grande culture (blé, maïs, etc.). Quant au pays des Varennes et Chambonnages, bien plus à l’est, il est constitué de dépôts sableux provenant de l’érosion des massifs cristallins orientaux. Les terres sont moins fertiles que dans la Limagne humide et le Pays des Buttes. Le paysage est composé de prairies, de cultures céréalières et de quelques espaces boisés.

6Par ailleurs, la Limagne, abritée des influences océaniques par l’orientation méridienne des reliefs occidentaux, possède un climat à nette tendance semi-continentale. Les précipitations sont de l’ordre de 600 à 700 mm/an en moyenne à Clermont-Ferrand. La plaine est globalement peu arrosée, bien que le régime des pluies soit irrégulier et excessif (orages fréquents). La température moyenne annuelle est de 10 à 11 °C, avec des écarts à la moyenne très importants et une amplitude annuelle élevée. Les gelées sont fortes et fréquentes avec, en moyenne, 100 jours de gel par an. Malgré ces quelques excès, la plaine bénéficie d’un climat plus doux et moins humide que celui des massifs bordiers, qui reste relativement agréable.

7Au sein de cet espace attractif depuis le Néolithique par le climat d’abri et la fertilité des sols, la ville de Clermont-Ferrand occupe une position de contact entre plaine et plateau, terroirs différents autant que complémentaires.

8Le bassin qui accueille la ville antique d’Augustonemetum se présente tel un amphithéâtre bordé de hauteurs. À l’ouest, il est fermé par le plateau cristallin des Dômes qui porte la Chaîne des Puys (700 à 1 464 m). Au nord et au sud, il est délimité par deux plateaux-buttes armés par des coulées volcaniques tertiaires venues de l’ouest, les Côtes de Clermont (609 m) et Gergovie (717 m). Ces coulées, qui ont atteint la Limagne ayant mieux résisté à l’érosion différentielle des ruisseaux que les marno-calcaires oligocènes du bassin clermontois, se trouvent aujourd’hui en position dominante. À l’est, l’amphithéâtre est ouvert sur la plaine de Limagne et ses anciens marais.

9Outre ces hauteurs majeures dans le paysage, l’amphithéâtre est également jonché de collines plus modestes ayant elles aussi résisté à l’érosion. La plupart de ces reliefs sont d’origine volcanique, calcaire ou correspondent à d’anciennes terrasses aujourd’hui souvent dégradées par l’érosion. Le site originel d’Augustonemetum se trouve sur une de ces buttes, d’origine marno-calcaire mais recouverte de produits volcaniques issus de l’explosion d’un maar adjacent.

10Cette butte où est née la ville est bordée de plusieurs zones humides d’origines diverses :

  • un maar humide à l’ouest daté par thermoluminescence à 156 000 années BP (Miallier 1982 ; Boivin et al. 2004) ;

  • des zones d’émergences hydrominérales essentiellement au sud-ouest ;

  • des résurgences de sources sous des coulées volcaniques ;

  • les fonds de vallée de deux cours d’eau, les Tiretaines, orientées globalement ouest-est, qui bordent aujourd’hui la butte à l’ouest et au nord pour l’une et au sud pour l’autre ;

  • et les cônes fluviatiles de ces deux cours d’eau largement étendus à l’est de la ville.

11Si la ville romaine a bénéficié de remontées hydrothermales et se trouve en position de contact entre deux unités paysagères aussi distinctes sur le plan physique que complémentaires sur le plan humain, elle possède la particularité de s’être développée à plus de 10 km à l’ouest de la principale artère fluviale de la région, qui représente une voie de communication naturelle permettant de pénétrer le Massif central et d’ouvrir les échanges avec la vallée de la Loire et le Bassin parisien. En France, rares sont les villes de la taille de Clermont-Ferrand qui se sont développées à distance d’un fleuve ou d’une rivière navigable.

1.1.1.2. Le site de l’ancienne Gare routière et la question des Tiretaines

12Le site de l’ancienne Gare routière (377 m d’altitude) s’étend 800 m au sud du sommet de la butte du site originel occupé aujourd’hui par la cathédrale (409 m), soit à quelques encablures du cœur de la ville antique (fig. 2). À moins d’un kilomètre à l’ouest et au sud-est, se trouvent des coulées basaltiques (Chamalières 400-450 m et Saint-Jacques 406 m) au contact desquelles surgissent de nombreuses sources. Au sud-ouest, entre ces coulées, s’étendent des formations marno-calcaires oligocènes dominées par le puy de Montaudoux (589 m), site d’un théâtre antique (à 3 km).

Fig. 2 - Carte géologique des environs de Clermont-Ferrand.

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13Le secteur fouillé se trouve lui dans une zone humide. Il s’étend sur des dépôts colluviaux et alluviaux entre les deux Tiretaines et non loin du maar (300 m au nord-ouest). La Tiretaine du Sud, aujourd’hui canalisée, passe au sud du site, mais d’anciens bras de ces ruisseaux ont divagué dans ce secteur, comme l’illustrent les découvertes de 2013-2014. Par ailleurs, le site est aussi adjacent à une zone de remontées hydrominérales liées au maar (à l’ouest notamment). La question de l’humidité et/ou du risque d’inondation au moment de l’occupation du site est donc posée. Elle s’explique par la configuration des bassins versants, l’histoire du climat et celle des aménagements hydrauliques.

14D’abord, la configuration des lieux est propice aux inondations. Les Tiretaines prennent leur source sur le plateau des Dômes (La Font-de-l’Arbre, à 800-850 m d’altitude). Les formations sur lesquelles s’étendent leurs bassins versants sont le plus souvent de nature cristalline et dans une moindre mesure volcanique (projections volcaniques et roches basaltiques et trachyandésitiques au nord). Lors du franchissement de l’escarpement de ligne de faille qui sépare la plaine du plateau, la pente des cours d’eau atteint près de 30 % dans des gorges incisées. Les ruisseaux possèdent alors un régime quasi torrentiel. À leur arrivée en plaine, les pentes se réduisent progressivement et les ruisseaux, perdant de leur compétence, ont déposé leur charge fluviatile et édifié de larges cônes d’épandage en noyant de vastes zones.

15Les observations réalisées dans l’ensemble des bassins versants de la rive gauche de l’Allier depuis la fin des années 1990, en particulier dans le cadre de l’opération A710 (Guichard 2000), ont permis de retracer l’histoire hydrologique des cours d’eau clermontois depuis l’Atlantique (Ballut 2000 ; 2001). Même si cette histoire est mieux connue à l’aval de la ville que dans le secteur de l’ancienne Gare routière, la période romaine semble épargnée par les inondations majeures et/ou fréquentes au moins jusqu’aux IIe-IIIe siècles. Un climat plus favorable et, depuis La Tène, un système de drainage ont participé à la maîtrise des écoulements. Succède à cette période une élévation du niveau des nappes phréatiques et une augmentation de la récurrence des crues. Celles-ci sont sensibles en aval des bassins versants à partir des IVe-Ve siècles. Le secteur de la Gare routière, plus exposé car plus proche de l’escarpement et des torrents saisonniers, a pu enregistrer des déséquilibres mal répercutés à l’aval.

1.1.2. Les observations réalisées lors de l’opération archéologique (JO, avec CB)

16La fouille de l’ancienne Gare routière a apporté des données supplémentaires sur l’évolution de l’environnement en partie sud de la ville antique. Il est, en la matière, difficile d’atteindre une précision chronologique satisfaisante, mais quelques grandes lignes peuvent être tracées.

1.1.2.1. Les formations sous-jacentes à l’occupation

17Les niveaux les plus profonds ont fait l’objet d’observations ponctuelles par l’intermédiaire de sondages manuels et mécaniques, seule technique de fouille envisageable en raison des constantes remontées d’eau.

18Le substrat est constitué d’argiles gris clair extrêmement indurées par les battements de la nappe phréatique (travertin). Mis au jour en partie sud-ouest de l’emprise à une altitude de 375,85 m NGF, le travertin est recouvert de vases fluvio-lacustres qui observent un léger pendage d’ouest en est et du nord vers le sud. Les sondages profonds effectués au sud-est de l’emprise ont permis de distinguer une première couche de couleur gris clair en partie inférieure, surmontée par une autre légèrement plus sombre. La couche gris clair traduit une submersion prolongée du secteur, qui entraîne la réduction du fer et donne cette couleur caractéristique (horizon réductique). Progressivement, la nappe d’eau s’est réduite et le secteur est devenu plus tourbeux. Au-dessus, un troisième niveau presque noir (fig. 3), rencontré sur l’ensemble de l’emprise de la fouille, est particulièrement riche en éléments organiques (brindilles et autres végétaux). Cette tourbe minéralisée atteste de l’assèchement du secteur.

Fig. 3 - Les niveaux inférieurs de la stratigraphie en partie sud-est de l’emprise.

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19Aucune occupation antérieure à l’époque romaine n’a été mise en évidence sur le site, malgré la présence anecdotique de quelques tessons – tous antiques – en surface du niveau tourbeux. Ce dernier témoigne de l’environnement humide dans lequel ont pris place les premières installations humaines, à la fin du Ier siècle ou au début du IIe siècle.

1.1.2.2. Le cours d’eau et la nappe phréatique

20Malgré cette tendance à l’assèchement observée avant l’occupation du site, la contrainte hydrologique s’est manifestée par l’activité d’un bras de la Tiretaine du Sud, repéré en partie méridionale de l’emprise, et par les remontées de la nappe phréatique durant l’occupation du site. Toute implantation humaine dans le secteur était ainsi soumise aux risques d’inondations et de divagation du paléochenal.

21Dans le tiers sud de l’emprise de la fouille, le cours d’eau a été mis en évidence sur environ 70 m de long. Il est délicat d’en proposer une cartographie précise en raison des différents épisodes de débordement qui ont quelque peu modifié son tracé au cours de l’Antiquité. Son évolution générale a néanmoins pu être appréhendée au travers de trois sondages mécaniques (fig. 4).

Fig. 4 - Coupes du cours d’eau.

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22En partie inférieure, les vases fluvio-lacustres sont légèrement entaillées par la circulation de l’eau, qui s’écoulait d’ouest en est. Les plus anciens comblements montrent une alternance de sables grossiers, parfois mêlés à des gravillons, et de niveaux tourbeux. Les premiers résultent de la circulation du chenal alors que les seconds témoignent d’un milieu humide aux eaux stagnantes (le ruisseau ayant sans doute changé de tracé à la suite d’une crue), ce qui indique que la Tiretaine présentait un régime hydrologique instable et relativement tourmenté. Le mobilier découvert – en très faible quantité – dans ces contextes n’est pas antérieur aux Flaviens et les pollens conservés dans les sédiments prélevés montrent la large ouverture du milieu durant la première période d’occupation du site (voir infra, chap. 10.2.3.1.).

23Le cours d’eau est canalisé à la fin du IIe siècle ou au début du IIIe siècle. L’ouvrage maçonné assure le drainage de toute la zone et permet ainsi l’investissement de la rive droite par de nouvelles constructions. Il constitue sans doute aussi une réponse à des épisodes de crue, dont quelques indices ont été détectés aux abords des édifices A et B pour la fin du IIe siècle. Dès le IIIe siècle, sans qu’il soit possible d’être plus précis en raison de l’indigence du mobilier recueilli dans les couches correspondantes, le canal est progressivement comblé et semble détruit à la fin du siècle. De multiples tranchées témoignent des ultimes efforts d’assainissement, mais toute la partie méridionale de l’emprise est ensablée au début du IVe siècle.

24Parallèlement aux interventions anthropiques sur le lit du ruisseau, qui seront détaillées plus loin, l’évolution des Tiretaines et celle des nappes phréatiques sont liées au climat et à une présence humaine intense dans les bassins versants, qui a accéléré le ruissellement et l’érosion et a augmenté la charge des ruisseaux en cas de précipitations (Ballut 2001), diminuant leur capacité de drainage. Ce contexte, peut-être encore accru par un défaut d’entretien des installations destinées à assurer l’assainissement du quartier, a probablement contribué à la multiplication de crues de plus en plus violentes aux IIe et IIIe siècles.

25S’il est délicat d’avoir une perception directe des fluctuations de la contrainte hydrologique pour la période d’occupation du site, les conséquences des battements de la nappe phréatique après son abandon sont en revanche nettement visibles au nord de l’emprise de la fouille. Dans cette zone, ils ont entraîné le dépôt d’oxydes de fer et de carbonates dans les sédiments. C’est ainsi que la partie supérieure de la stratigraphie a été indurée sur plusieurs dizaines de centimètres, rendant de fait la fouille impossible, si ce n’est au percuteur électrique. Ce phénomène d’induration a principalement concerné les niveaux de l’Antiquité tardive (fig. 5), mais il a également affecté certaines constructions plus anciennes, comme le bâtiment A (fig. 6).

Fig. 5 - Induration de la stratigraphie supérieure d’une coupe réalisée au niveau du bâtiment A.

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Fig. 6 - Parement ouest du mur délimitant le bâtiment A à l’est.

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1.2. Augustonemetum et la périphérie sud de l’agglomération (JO)

26Les résultats de l’opération de 2013-2014 sont, malgré les importantes surprises réservées par la partie supérieure de la stratigraphie, principalement centrés sur l’Antiquité au sens large. C’est pour cette raison que les chapitres qui suivent seront consacrés au contexte pour cette période, les informations relatives aux époques plus récentes étant par ailleurs traitées par E. Grélois (voir infra, chap. 5.1.).

1.2.1. Données générales

27La mise en place du réseau routier par Agrippa (Strabon, IV, 6, 11) est probablement à l’origine de la création d’Augustonemetum. Le nouveau chef-lieu de la cité des Arvernes, intégrée à la province d’Aquitaine, est situé sur la voie reliant Lyon à Saintes. La ville couvre initialement un peu moins d’une centaine d’hectares (fig. 7), ce qui la place dans la moyenne haute des agglomérations de statut comparable en Aquitaine (Bouet 2015 : 27), avant de s’étendre progressivement dans le courant du IIe siècle (165 ha selon Dousteyssier 2011 : 8).

Fig. 7 - La ville antique d’Augustonemetum/Clermont-Ferrand.

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28Les nombreuses opérations d’archéologie préventive effectuées ces dernières années ont considérablement renouvelé nos connaissances sur la ville antique. Elles ont été compilées et analysées dans l’Atlas topographique de Clermont-Ferrand (Dartevelle dir. 2022). Nous nous contenterons donc de quelques informations générales, pour nous concentrer plus spécifiquement sur le contexte immédiat.

29Les monuments publics clermontois sont partiellement connus (Dartevelle, Le Barrier 2016 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 327-366). Le sommet de la butte de Clermont abritait le centre politique et religieux de la ville, établi sur de puissantes substructions visibles dans certaines caves bordant la place de la Victoire. Un deuxième ensemble public de grande envergure a été construit au milieu du IIe siècle dans le secteur de Jaude, au pied de la butte à l’ouest (Alfonso, Arnaud, Le Barrier 2011). Probablement associé au Vasso Galate, temple dont le mur nord de la cella est conservé en élévation rue Rameau – le « Mur des Sarrasins » –, cet espace correspond à un vaste programme édilitaire qui traduit le dynamisme de l’agglomération clermontoise durant cette période. Il comporte une place trapézoïdale encadrée de portiques et de bâtiments commerciaux avec, en partie occidentale, un édifice interprété par ses fouilleurs comme le siège d’une association (Alfonso 2013).

30Le réseau des rues, vraisemblablement mis en place à l’époque tibérienne (Dartevelle dir. 2022 : tome II, 288-289), est organisé selon un quadrillage orthogonal orienté sur les points cardinaux, qui définit une soixantaine d’îlots rectangulaires de 92 m nord-sud sur 95 à 105 m est-ouest de part et d’autre du cardo maximus et de 92 x 125 m par ailleurs (Dartevelle dir. 2022 : tome II, 284). La trame s’infléchit légèrement en partie nord-ouest, où son organisation est tributaire du tracé de la voie d’Agrippa. C’est également le long de cet axe que se développait, à son arrivée en ville, l’aqueduc du Colombier, dont la construction semble remonter au début du Ier siècle (Dartevelle dir. 2022 : tome II, 316).

31Les quartiers résidentiels sont, pour leur part, principalement localisés sur le versant oriental de la butte (Jouquand, Sauget, Wittmann 1994 ; Provost, Mennessier-Jouannet 1994 : 162-170, 174-175, 181-183 ; Ollivier et al. 2016a). Les constructions sont établies sur des terrasses étagées d’est en ouest et paraissent plus luxueuses à proximité du forum, suivant un phénomène courant durant le Haut-Empire (Vipard 2007 : 263-265). Ce quartier connaît également d’importantes transformations au cours du IIe siècle. Certains îlots sont complètement réaménagés, avec une modification parfois substantielle des limites de propriété ainsi qu’une refonte des systèmes de soutènement. Plusieurs demeures sont détruites et abandonnées à la fin du IIIe siècle (rue Audollent, École supérieure de Commerce, rue de l’Oratoire), voire au siècle suivant (îlot Neyron).

32Comme de nombreuses villes de Gaule romaine, Augustonemetum connaît alors une phase de réorganisation de ses infrastructures et voit la construction d’une enceinte réduite au sommet de la butte (Martinez 2017 : vol. 1, 313-327 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 273-278). Les dernières datations proposées suggèrent qu’elle fut édifiée à la fin du IIIe siècle ou au début du IVe siècle (Dartevelle dir. 2022 : tome II, 277-278).

1.2.2. La périphérie sud de l’agglomération

33Le terrain d’assiette du projet à l’origine de l’opération de 2013-2014 est situé en périphérie immédiate du premier noyau urbain (voir la feuille « Gare routière » dans Dartevelle dir. 2022 : tome II, 89-120). Ce dernier est quadrillé par un réseau de rues délimité, au sud, par une voie de contournement mise au jour lors des fouilles du Rectorat en 1995 (dénommée decumanus K dans Dartevelle dir. 2022 : tome II, 284), au 49 boulevard Gergovia (fig. 8, no 6 ; Liegard, Fourvel 1996 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 68-69). Le site de l’ancienne Gare routière est également localisé à proximité de la rue de Rabanesse, dont le tracé reprend approximativement celui de l’accès méridional à la ville antique (voie 1), à l’intérieur de laquelle il se prolonge et constitue le cardo maximus (cardo III). Cet axe et ses abords immédiats ont été récemment étudiés à l’occasion de deux fouilles archéologiques préventives menées à l’angle que forme la rue de Rabanesse avec, d’une part, la rue Raynaud et, d’autre part, le boulevard Jean-Jaurès (fig. 8, nos 10 et 14).

Fig. 8 - Découvertes archéologiques à proximité du site de l’ancienne Gare routière.

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34Celles-ci ont également permis de détecter les plus anciennes traces d’occupation dans le secteur. Il s’agit d’une sépulture datée du Néolithique moyen pour la première (Martinez 2016 : 246 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 114), mise au jour à l’angle du boulevard Jean-Jaurès (fig. 8, no 14) et, pour la seconde, à l’angle de la rue Raynaud (fig. 8, no 10), d’un ponton en bois attribué aux IIIe-IIe siècles av. J.-C. (Mitton 2016 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 111). La fouille menée à l’angle des rues Kessler, Ledru et Raynaud (fig. 8, no 9) a elle aussi livré des indices d’une fréquentation probable des lieux au cours de l’âge du Fer (Alfonso 2007b : vol. 1, 32 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 124).

35Les premiers aménagements d’envergure ne sont cependant pas antérieurs à la création de la ville romaine et à la mise en place de la voie 1, reliant Augustonemetum à Gergovie. Sur l’emprise des trois fouilles citées plus haut, des travaux d’assainissement de cette zone humide ont tout d’abord été entrepris, avec la création de réseaux de canalisations et de drains ou encore l’installation de sols drainants en pouzzolane. La caractérisation des occupations au cours du Ier siècle est en revanche plus délicate à établir. Des ateliers métallurgiques sont signalés avenue Marx-Dormoy (fig. 8, no 2 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 85-86) ainsi qu’à l’angle de la rue de Rabanesse et du boulevard Jean-Jaurès (fig. 8, no 14). Diverses activités (travail du cuir, corderie, métallurgie, tabletterie) sont également attestées, de manière indirecte, à travers les rejets découverts dans un des fossés identifiés lors de la fouille réalisée à l’angle des rues Kessler, Ledru et Raynaud (fig. 8, no 9). Ailleurs, les édifices mis au jour sont le plus souvent qualifiés d’habitats.

36Les travaux d’assainissement semblent s’intensifier au IIe siècle, sans doute à cause de la pression foncière induite par la croissance urbaine durant cette période. Un grand canal voûté est ainsi construit sur le site de l’ancienne confiturerie Humbert (fig. 8, no 3 ; Sauget, Claval 1989 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 92-94) afin de drainer cette zone marécageuse. L’ouvrage maçonné découvert en 1967 au niveau de la Clinique des Dômes (fig. 8, no 13 ; Dartevelle dir. 2022 : tome II, 92) avait sans doute une fonction comparable, mais les conditions de sa découverte nous privent d’informations précises le concernant, notamment en termes de chronologie. La densification urbaine se traduit par la mise en place, au cours des IIe et IIIe siècles, de nouvelles constructions (maisons de l’ancienne confiturerie Humbert ; fig. 8, no 3) ou par des réaménagements du bâti antérieur (fouilles de la rue de Rabanesse ; fig. 8, nos 10 et 14). Le quartier accueille alors aussi bien des maisons, plus ou moins cossues, que des édifices à caractère commercial et/ou artisanal. Il abrite également des constructions monumentales comme celles de la gendarmerie Fontfrède (fig. 8, no 1). Ce site, étudié dans des conditions difficiles, a ainsi livré des bases de pilastre ou de pilier en grand appareil d’arkose, attribuées à la deuxième moitié du IIe siècle (Dartevelle dir. 2022 : tome II, 82). La nature de cet espace probablement public est néanmoins inconnue.

37Bien que la partie supérieure de la stratigraphie ne soit pas toujours la mieux documentée, la fin de l’occupation antique du quartier est généralement datée des IIIe et IVe siècles. Les remontées de la nappe phréatique semblent, par endroits, avoir joué un rôle important dans l’abandon de certains sites (angle de la rue de Rabanesse et de la rue Raynaud ; fig. 8, no 10). Il s’agit néanmoins d’une chronologie globalement conforme à celle retenue pour les phénomènes de déprise urbaine constatés ailleurs dans l’ensemble de l’agglomération clermontoise.

1.2.3. Les résultats du diagnostic et les problématiques de l’intervention

38La prescription du service régional de l’archéologie portait sur une superficie de 4 500 m², à l’emplacement du parking de l’ancienne Gare routière, et s’appuyait sur les résultats du diagnostic dirigé en 2007 par G. Alfonso de l’Inrap (Alfonso 2007a). Les six sondages mécaniques ouverts lors de cette première intervention (fig. 8) avaient révélé des vestiges datés d’une période comprise entre le IIe et le IVe siècle et enfouis sous 2,50 m de sédiments. Ils sont apparus à la surface d’un niveau de tourbe minéralisée et présentaient par endroits, en particulier au nord (sondage 3), un excellent état de conservation. C’est tout particulièrement le cas des matières organiques, préservées grâce à la forte humidité du sous-sol. Trois états au moins avaient pu être distingués.

39La nature des découvertes et le contexte archéologique immédiat – notamment la proximité des maisons de l’ancienne confiturerie Humbert (fig. 8, no 3) – permettaient alors d’interpréter les vestiges comme relevant d’une occupation à caractère résidentiel. En effet, les édifices étaient équipés de sols en dur et de peintures murales.

40Mais l’intérêt archéologique de ces vestiges avait cependant été quelque peu éclipsé par la découverte – il est vrai spectaculaire – d’un pied de statue monumentale en bronze (Darbalde-Audoin, Mille 2008a ; Darbalde-Audoin, Mille 2008b ; Mille, Darbalde 2012 ; Alfonso, Darbalde-Audoin, Mille 2014). Mis au jour dans le sondage 2, il correspond à une œuvre plus grande que nature – dont la taille a été estimée à 3,30-3,50 m –, vraisemblablement datée du début du IIe siècle. Le pied est chaussé d’une botte lacée (mulleus), décorée de rinceaux d’acanthe et de palmettes avec, sur une lanière, un aigle aux ailes déployées. Ce dernier indice permet d’envisager la représentation d’un empereur, qui devait sans nul doute prendre place dans un des grands monuments publics de la ville.

41Le cahier des charges scientifique de la fouille préventive prévoyait de débuter l’intervention après un décapage pleine masse des niveaux supérieurs. Un terrassement plus fin devait ensuite être entrepris sous surveillance archéologique, afin d’atteindre le sommet des vestiges antiques.

42Leur étude allait permettre de préciser la ou les fonctions du site ainsi que sa chronologie. Son évolution devait être mise en relation avec celle de l’environnement naturel, marqué par la proximité de la Tiretaine du Sud. Ce volet de l’analyse pouvait notamment bénéficier, a priori, des excellentes conditions de conservation offertes par le milieu d’enfouissement des vestiges.

1.2.4. L’opération archéologique de 2013-2014 et la restitution de ses résultats

43L’emprise était délimitée au nord, à l’est et au sud par des pieux sécants qui ont permis de procéder à une fouille en profondeur sur toute la surface prescrite, sans palier de sécurité. Le premier décapage a révélé des traces agricoles postérieures à l’abandon des édifices d’époque romaine, qui n’avaient pas été repérées lors du diagnostic. La recherche des constructions antiques a par conséquent été remise à une date ultérieure afin de traiter le site médiéval aussi finement que possible (dégagement intégral, sondages systématiques, relevés en plan et en coupe). Le calendrier initial de l’opération en a nécessairement été affecté, puisque la première phase de fouille s’est achevée à la fin du mois de mai. Par la suite, la principale contrainte rencontrée fut la présence constante de l’eau de la nappe phréatique1 , qui a nécessité la mise en œuvre d’un pompage continu durant toute la durée de l’opération.

44Le site antique a été étudié selon les méthodes classiques appliquées aux fouilles en aire ouverte. Toutes les constructions ont été dégagées et relevées, tandis que les espaces qu’elles déterminaient ont été sondés manuellement puis, pour la plupart, fouillés intégralement. Dans la mesure du possible, les vases fluvio-lacustres sous-jacentes ont été atteintes pour s’assurer que les niveaux les plus anciens avaient été identifiés. Les deux tiers nord de l’emprise ont ainsi été étudiés de manière exhaustive. Au sud, en revanche, la nappe phréatique a plus sérieusement entravé l’analyse des vestiges et certains secteurs n’ont ainsi pu être traités que par sondages, du moins pour les parties inférieures de la stratigraphie.

45Quelques-unes des questions soulevées par les vestiges et leur interprétation ont déjà pu être abordées dans des publications préliminaires. C’est le cas de l’auberge (Ollivier et al. 2016b), de ses peintures murales (Ollivier, Amadei-Kwifati, Groetembril 2017), du moulin hydraulique (Martinez, Ollivier 2018) ou encore de l’architecture en bois (Blondel, Martinez, Olliver 2019), articles auxquels il convient d’ajouter plusieurs notices réalisées pour le deuxième volume des Éclats arvernes (Bet, Dousteyssier dir. 2021). Mais, dans la mesure où les fouilles préventives en milieu urbain concernent la plupart du temps de faibles superficies, il nous a paru nécessaire de rendre accessibles l’ensemble des résultats obtenus.

46De manière classique, nous avons opté pour une présentation en deux temps, qui distingue les descriptions archéologiques des analyses spécialisées. Celle-ci s’appuie principalement sur la chronologie, qui distingue sept phases principales (fig. 9). L’objectif de ce découpage était de mettre en évidence les principales dynamiques d’évolution du site et il comporte donc, nécessairement, une part de simplification. Les plans présentés ont ainsi un caractère diachronique qui ne permet pas toujours de saisir le détail et la complexité des différents réaménagements, parfois distants de plusieurs dizaines de mètres et qui ont pu être réalisés à quelques années d’intervalle.

Fig. 9 - Plan général des vestiges sur fond cadastral et chronologie du site.

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Notes de bas de page

1 Des mesures régulières tout au long de l’opération ont établi son niveau moyen à 376,54 m NGF.


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