2. Le long chemin de l’interdisciplinarité à la MMSH et à la MISHA
p. 113-129
Texte intégral
La naissance de deux Maisons des sciences de l’homme, levier de la pluridisciplinarité
Entre monodisciplinarité et interdisciplinarité : la construction de la démarche scientifique de la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme
1La MMSH, à l’aube de sa création par Robert Ilbert en 1995, a pratiqué et pensé une première forme d’interdisciplinarité, qualifiée alors de pluridisciplinarité, sur une thématique spécifique, la Méditerranée, autour de laquelle se retrouvaient des chercheurs de disciplines et d’horizons différents : archéologues, historiens, anthropologues, sociologues, géographes, spécialistes d’aires culturelles propres à la Méditerranée. Elle défendait un rapprochement interne aux sciences humaines et sociales et posait la nécessité d’une démarche comparatiste en tenant la Méditerranée comme un laboratoire de méthodes et d’expériences. À charge pour les chercheurs qui se lançaient dans l’aventure de construire de nouveaux savoirs, en cherchant les variables, les continuités ou les ruptures des évolutions et phénomènes méditerranéens, en s’interrogeant sur les sources et les méthodes mobilisées par les différentes disciplines. Les leviers mis en place pour faciliter cette pluridisciplinarité consistaient en séminaires et programmes inter-laboratoires. Au terme d’appels à projets, le conseil scientifique sélectionnait telle ou telle proposition sur des thématiques méditerranéennes. Cette pluridisciplinarité n’a pas été un chemin de roses.
2Si l’on prend l’exemple d’un des premiers séminaires inter-laboratoires de la MMSH, consacré aux alimentations en Méditerranée (2000-2004), on a pu pointer quelques difficultés. D’abord les problèmes de vocabulaire et de concept, l’alimentation méditerranéenne n’était pas entendue, ni conceptualisée de la même manière par toutes les disciplines. Les termes utilisés renvoyaient à des réalités conceptuelles différentes, comme cela fut le cas à partir de 2009 sur d’autres champs devenus des thématiques clés de la MMSH, les migrations ou le genre. On observait ensuite une incompréhension générale entre les disciplines : les archéologues se déplaçaient pour les archéologues, les sociologues pour les sociologues, les anthropologues pour les anthropologues… On s’interrogeait également sur la publication : où la répertorier ? Où la classer dans la bibliographie, dans la bibliothèque ? Et aussi dans quelle bibliothèque ? Celle d’antiquité et d’archéologie ou celle de sciences sociales ?
3Parallèlement, cette pluridisciplinarité nécessitait des outils, piliers de la recherche interdisciplinaire à venir : une bibliothèque, une iconothèque et une phonothèque furent créées au sein d’une médiathèque multisupports et pluridisciplinaire, qui allait progressivement donner naissance à des plateformes documentaires et programmes européens (European sounds1 pour la phonothèque). Pour alimenter ces thématiques, furent créés des pôles de compétence et d'expertise avec des outils propres : un pôle son, image, et sciences sociales ; un pôle villes ; un pôle informatisation et traduction. À ces pôles furent associés des outils propres, précurseurs des plateformes (caméras numériques pour le pôle Son et Image, outils cartographiques pour le pôle Villes, outils de développement informatique pour le pôle Traduction). L’une des plateformes de ressources les plus importantes de la MMSH a été mise en place, la Cité numérique de la Méditerranée, Cinumed2, plateforme de ressources numériques multimédia, résultat de cette recherche pluridisciplinaire.
De la pluridisciplinarité à l’interdisciplinarité
4Comme le soulignait Robert Ilbert dans son premier rapport d’évaluation, et citant un vers d’Antonio Machado, « toi qui marches, il n’existe pas de chemin, le chemin se fait en marchant » (Solitudes 1902 ou Champs de Castille, 1912). Progressivement, certaines des opérations soutenues ont donné naissance à des réseaux, comme GenderMed, réseau à l’origine sur les femmes de Méditerranée, qui est encore un des axes majeurs de la MMSH, mais qui a évolué pour traiter aujourd’hui les problématiques de genre en général avec toutes les transformations épistémologiques que cette notion a subies. S’est mise en place une co-construction des questionnements et des savoirs, ainsi que les premiers partenariats SHS / autres sciences. On peut citer un autre programme, précurseur des problématiques de notre temps, intitulé « Risques naturels dans le sud-est » et qui associait des chercheurs de la MMSH, de la MSH Alpes, de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée dans le cadre de l’Action Concertée Incitative (ACI) « Réseau des MSH ». La MMSH a poursuivi dès lors sa politique d’appel à projets, de séminaires et de programmes transversaux, de réseaux et d’Observatoires, dans le domaine méditerranéen, sur des thématiques sélectionnées à partir de celles des dix équipes hébergées.
De l’« interinstitutionnalité » à l’interdisciplinarité : la construction de la démarche scientifique de la MISHA
5La MSH de Strasbourg est parmi les plus anciennes en France, à l’instar de celles de Lyon ou de Bordeaux nées, évidemment, bien après la FMSH de Paris, boulevard Raspail. Elle appartient aux MSH de la première génération. La MSH s’appelait originellement MSHS pour « Maison des Sciences de l’Homme de Strasbourg ». C’était alors une maison sans mur. Elle n’est devenue MISHA pour « Maison Interuniversitaire des Sciences de l’Homme – Alsace » qu’en 1999 sous forme d’un projet d’abord, et inaugurée en juillet 2002, toujours sans murs, le temps de la sortie de terre d’un bâtiment dédié, situé sur le Campus de l’Esplanade et inauguré en 2008. Pour reprendre les mots d’Alain Chauvot parus dans l’ouvrage consacré aux 10 ans de la MISHA3, il fallait passer « d’une Maison de la recherche essentiellement « hôtelière », désormais dépassée, à une structure de recherche interdisciplinaire insérée dans un Réseau et abritant des services et équipements communs : une Maison des sciences de l’Homme ». Il précisait alors que « Le choix de l’adjectif « interuniversitaire » traduit la volonté d’insérer le projet au cœur des structures universitaires et d’associer les forces des quatre universités alsaciennes ». Au moment de sa création en 2002, la MISHA était implantée à l’université Marc Bloch, université de sciences humaines et sociales, mais orpheline des économistes, des géographes, des psychologues et des sciences de l’éducation (université Louis Pasteur), des gestionnaires, des politistes et des juristes (Université Robert Schuman). La création d’une structure rassemblant les disciplines des sciences humaines et sociales alsaciennes éclatées dans trois universités strasbourgeoises et l’université mulhousienne (UHA) a joué un rôle dans l’émergence de l’interdisciplinarité sur le site alsacien et ce jusqu’en 2009, année de la fusion et création de l’Université de Strasbourg, l’unique. Toutefois l’héritage de cette dispersion demeure relativement lourd et explique par exemple le peu d’importance de certaines disciplines comme la psychologie et dans une moindre mesure la géographie ou l’économie dans les activités et programmes inter et pluridisciplinaires incubés à la MISHA, tout du moins en comparaison de ce que l’on peut observer dans d’autres sites et cela malgré l’existence d’équipes de grande qualité dans ce domaine, qui ont de plus une culture de la pluridisciplinarité, de l’interdisciplinarité et l’intersectorialité, en lien avec leur appartenance à la grande université de science fondamentale qu’était Louis Pasteur.
6Dès sa création la MISHA a rempli l’exigence des 5 « i » si chers aux MSH4, dont celui de l’interdisciplinarité. Au départ, le ministère et/ou le CNRS ont privilégié deux grandes thématiques qui devaient définir l’identité scientifique de la MISHA : les sciences de l’Antiquité et les « études européennes ». Ce choix initial a créé, à en croire les témoins de l’époque, un sentiment d’exclusion pour certaines disciplines et cela d’autant que conjointement à ce choix de grandes thématiques ont été discutées et désignées les équipes et unités qui seraient hébergées dans le futur bâtiment. La configuration arrêtée à l’époque perdure en partie. Aujourd’hui seules des UMR sont hébergées tout ou partie – 4 au total – : le DRES (Droit, religion, entreprise et société) et SAGE (Sociétés, Acteurs, Gouvernement en Europe), fruit de fusions et éclatements d’unités, l’UMR Dyname devenue LINCS (Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles) et ARCHIMEDE (Archéologie et histoire ancienne : Méditerranée – Europe) dans leur forme presque originale encore aujourd’hui.
7Il en est de même à la MMSH où l’orientation méditerranéenne a exclu d’emblée, avant la fusion des trois universités en 2012, les autres équipes du site d’Aix-Marseille ne travaillant pas sur cette aire culturelle. La MMSH n’a hébergé et associé que des UMR, dix au total, d’archéologie, d’histoire, de sociologie, d’anthropologie et d’aires culturelles (études arabes et musulmanes, mondes africains), en cohérence avec son projet scientifique sur la Méditerranée et l’Afrique, et la stratégie de l’université unique a maintenu cette ligne.
Des dispositifs de soutien à l’interdisciplinarité dans deux MSH localisées dans des sites Idex
De l’incubation de projets à la création de plateformes de soutien à la recherche en SHS
À la MMSH, les programmes du Plan d’Investissement d’avenir, boosters de l’interdisciplinarité
8Comme ailleurs sur le territoire national (par exemple le labex de Nanterre Les passés dans le présent), le Programme d’Investissement d’avenir 2011-2020 a offert un formidable tremplin à l’interdisciplinarité. C’est d’abord le succès du programme LabexMed5, « Les sciences humaines et sociales au cœur de l’interdisciplinarité pour la Méditerranée », coordonné par la MMSH, qui a permis de franchir définitivement le passage de la pluri à l’interdisciplinarité. Certaines actions ont favorisé l’essor de l’interdisciplinarité :
- la création d’un Observatoire des Pratiques Interdisciplinaires (OPI), qui avait pour objectifs d’apprécier l’interdisciplinarité des projets de recherche soutenus par LabexMed et d’aider à leur mise en œuvre. Constitué d’un comité pluridisciplinaire chargé d’évaluer l’interdisciplinarité des projets soutenus, il avait la charge de promouvoir la culture de l’interdisciplinarité auprès de la communauté de LabexMed et de proposer de nouvelles pistes de recherche. Il avait mis en place un cycle de conférences interdisciplinaires qui furent l’occasion d’un retour réflexif et de débats sur la conduite de projets interdisciplinaires et sur les collaborations entre chercheurs, enseignants-chercheurs et étudiants venus d’horizons différents. Il avait ainsi défini des indicateurs destinés à évaluer la progression des pratiques interdisciplinaires, comme par exemple, l’augmentation du degré de connaissance de la discipline de l’autre, le maillage de compétences, la réintégration dans la problématique d’objets propres à chaque discipline mais de manière commune, la transformation du projet de départ au fur et à mesure des rencontres, l’intégration des différents temps des disciplines, la construction d’un objet interdisciplinaire.
- LabexMed avait également développé des dispositifs propres : soutien de projets exploratoires et structurants sur les processus socio-économiques, politiques, juridiques, culturels, les dynamiques patrimoniales et les interactions hommes-milieux en Méditerranée, dont certains ont ensuite été lauréats de la Fondation A*Midex ou de l’ANR ; une chaire d’excellence interdisciplinaire consacrée à la thématique « Frontières, sociétés et Droit en mouvement : Dynamiques autour des mobilités en Méditerranée » ; des partenariats extérieurs : des post-doctorats avec le Mucem, avec la Fondation Camargo ; l’accompagnement de projets numériques et le soutien à l’essor de plateformes documentaires pérennes centrées sur la Méditerranée, comme Cinumed, la Cité numérique de la Méditerranée développée par la MMSH.
9Au total, ce programme du Plan d’Investissement d’avenir a fait passer les équipes et les chercheurs qui le souhaitaient à d’autres formes de collaboration scientifique, plus intersectorielles. Si l’on regarde l’un des axes privilégiés, Dynamiques socio-environnementales, il a largement encouragé les partenariats avec des équipes du site en sciences de l’environnement : CEREGE (géosciences de l’environnement), IMBE (Institut Méditerranéen de Biodiversité et d'Écologie marine et continentale), LPED (Laboratoire Population Environnement développement). Il a également ouvert de nouvelles pistes notamment sur le volet Arts/Sciences en direction de l’ESAAIX (École supérieure d’art d’Aix-en-Provence). Aujourd’hui, ces ouvertures ont gagné pignon sur rue et font partie des pratiques courantes de certains archéologues, anthropologues ou historiens.
Le rôle des pôles de compétence et des plateformes
10Ceux-ci ont joué et continuent de jouer un rôle structurant dans la construction de l’interdisciplinarité. On peut en citer deux exemples à la MMSH : la création d’une phonothèque et d’un pôle images/son en 1998 qui a cristallisé la recherche sur l’image, animée ou fixe, et les documents sonores conservés à la médiathèque de la MMSH, et le pôle Villes. On retiendra plusieurs aspects caractéristiques de ces pôles de compétence. En ce qui concerne le pôle images/son :
- La mise en commun des compétences de chercheurs, d’enseignants-chercheurs, de documentalistes, d’archivistes et d’ingénieurs informaticiens ;
- La volonté de mettre en œuvre une politique de recherche cohérente autour de l’image et du son, le développement d’une réflexion et d’une production scientifique à partir de documents iconographiques ou sonores ;
- La réflexion sur les modalités d’édition électronique et la mise en œuvre d’une expérience de ce type dès la fin des années 90 mais qui a fait long feu, car incomprise de la plupart des collègues à ce moment-là.
- Le développement de partenariats non académiques : avec l’Institut National de l’Audiovisuel, l’école de photographie d’Arles… ouvrant vers la valorisation des résultats scientifiques.
11Dans ce cadre-là aussi, la MMSH avait bénéficié du soutien de l’Action Concertée Incitative ACI « Réseau des MSH » et engagé une réflexion collective sur l’édition électronique à partir d’ateliers de travail sur des expériences déjà réalisées en SHS en 2001 [Les revues électroniques] ou [Expériences d’édition électronique en SHS]. En ont résulté la création d’un site d’édition électronique et la mise en œuvre d’un programme d’études théoriques et méthodologiques (journées d’études et colloques), outils de travail commun aux chercheurs de la MMSH. Un autre domaine fondamentalement interdisciplinaire qu’a traité ce pôle images/son est la recherche sur les écritures d’écran. « Histoire, pratiques et espaces sur le Web », qui avaient donné lieu à un colloque en 2005 et à plusieurs publications. L’objectif était de rassembler SHS et sciences audiovisuelles, académiques ou non, pour réfléchir sur les nouvelles pratiques de production, de circulation, d’organisation et d’interprétation des savoirs ou des idées. Aujourd’hui, le pôle prolonge sa réflexion épistémologique sur ces nouvelles pratiques d’écriture en renforçant les liens entre les sociologues, les historiens et les spécialistes de l’audiovisuel de l’UMR PRISM (Perception Représentations Image Son Musique) qui coécrivent des webdocumentaires et des films.
12Deuxième exemple : le Pôle villes, qui fédérait la plupart des chercheurs de la MMSH, a développé, outre des réflexions sur différentes thématiques urbaines, des outils destinés à faciliter leur travail : atelier de cartographie, avec la mise à disposition d’équipements techniques pour le traitement d’informations géographiques ainsi que des formations par l’UFR des sciences géographiques et d’aménagement. Il s’est transformé assez naturellement en pôle Espace, représentations et usages qui a développé la plateforme Cartomundi, aujourd’hui devenue programme national par le biais du CollEx-Persée.
13Sont venues se greffer à cet ensemble les TGIR (aujourd’hui IR*), qui, nous semble-t-il, n’ont pas encore contribué de manière massive à l’intersectorialité. Huma-Num a essentiellement favorisé l’essor de nouvelles pratiques et des orientations vers la science ouverte, en particulier sur des programmes de recherche SHS. La plateforme universitaire de données PUD AMU, en sensibilisant et en formant les chercheurs aux données quantitatives pour l’aire méditerranéenne, reste, selon les missions telles qu’elles sont affirmées par Progedo, une structure destinée à impulser et structurer la politique des données d’enquêtes pour la recherche en sciences sociales. Il n’est guère question d’interdisciplinarité, mais l’objectif n’est pas de faire de l’interdisciplinarité partout et toujours…
La MISHA un lieu d’incubation de projets interdisciplinaires depuis plus de 20 ans
14Le principal levier de l’interdisciplinarité a été, dès 2002, la sélection de projets pluridisciplinaires hébergés temporairement au sein de la MISHA. Au départ ces projets avaient une durée de cinq années contre deux aujourd’hui. De plus, ils disposaient de bureaux dédiés de sorte que des chercheurs et chercheuses de différentes disciplines étaient censés confronter leur pratique autour d’un objet au sein même de la MISHA. Les projets ne sont plus hébergés depuis 2019 – par manque de place et sous-utilisation des espaces dédiés.
15Compte tenu de l’historique et de la configuration strasbourgeoise des SHS, les premiers appels à projets mettaient l’accent sur la dimension interdisciplinaire mais aussi interuniversitaire de ceux-ci ainsi que sur la collaboration d’équipes, sans opérer de fléchage particulier. On peut ainsi reprendre certains paragraphes du texte de M. A. Chauvot précédemment cité «la MISHA (devait) être un levier pour insuffler une nouvelle dynamique à l’ensemble des SHS par-delà le noyau central constitué par les deux axes forts». Tous les programmes devaient impliquer plusieurs équipes du site alsacien.
16Entre 2005 et 2008, ce sont 14 projets pluridisciplinaires qui ont été accueillis à la MISHA, regroupés en quatre axes : Histoire et épistémologie des savoirs (4 projets), Mondes germaniques (3 projets), Institutions et sociétés (2 projets), Science de l’Antiquité (2 projets), Sciences du langage (2 projets), Arts et Lettres (1 projet).
17Entre 2009 et 2012, 14 projets ont été soutenus : des programmes blancs mais aussi liés à l’européanisation, les formes et enjeux du pluralisme religieux et un programme Junior.
18À partir de 2013, les axes ont disparu.
19À partir de 2017, le nombre de projets soutenus a diminué, tout comme la durée de ces projets.
Les autres leviers de l’interdisciplinarité à la MISHA
20Le dialogue entre les disciplines et la naissance de nouveaux savoirs et nouvelles pratiques de la recherche prennent d’autres formes. La MISHA demeure, comme à ses débuts un lieu de rencontres, un lieu de décloisonnement. Les chercheurs s’y croisent, échangent – même si le bâtiment est organisé selon les unités : à chacun une aile… Mais c’est un endroit où l’on vient pour une conférence, pour un séminaire, pour une pause à la cafétéria, ou pour travailler, échanger avec une des plateformes et un des pôles.
21Ce rôle de décloisonnement et de croisement agit tout particulièrement une fois par an à l’occasion du colloque annuel pluridisciplinaire qui se déroule généralement en octobre ou novembre. À chaque fois un comité d’organisation scientifique est constitué de personnes issues de diverses disciplines. Ces colloques durent deux ou trois jours et sont l’occasion de discussions entre les disciplines et autour d’un objet au cœur du projet scientifique de la MISHA.
22La création de pôles pluridisciplinaires par l’Université de Strasbourg. Il en existe maintenant trois à la MISHA dont deux ne sont pas thématiques et un troisième qui l’est par la force de l’histoire, et de la géographie : le pôle « Données numériques et Savoirs » lequel abrite deux et bientôt trois plateformes, le pôle OUVROIR (soutien à l’Edition ouverte) et sa pépinière de revues PAREO, et le GERMANOPOLE ou pôle « Espace germanophone », pôle thématique et interdisciplinaire présent à Strasbourg (MISHA) et en Lorraine (MSH-L).
23En quoi ces pôles et ces plateformes sont-ils des leviers de l’interdisciplinarité et la pluridisciplinarité ?
24D’abord en partageant des outils de traitement et d’organisation de données, des solutions de visualisation, d’édition par l’entremise des Ingénieurs d’études qui sont au cœur de ces plateformes et qui sont forces de propositions. Cela vient ré-interroger des pratiques de la recherche et créer des liens.
25Ensuite en proposant des actions de formation pour les étudiants ou les chercheurs, issus de disciplines différentes : c’est par exemple le cas des formations dispensées par la Plateforme universitaire de données de l’Université de Strasbourg au sein de l’Institut Thématique et Interdisciplinaire Makers ou des Écoles doctorales ; de la création d’une UE d’introduction aux Humanités numériques dispensée par la Plateforme Humanités Numériques de la MISHA (PHUN) et ouverte à des étudiants de plusieurs UFR et à des étudiants en archéologie, en histoire, en histoire de l’art ; de la création d’une UE par et avec la PUD sur le traitement de données massives et aspiration de données pour des sociologues, politistes, démographes, archéologues et géographes.
26Cette dimension formation à la recherche, comme levier de l’Interdisciplinarité nous apparaît trop peu soulignée. Or elle revêt une importance centrale dans le développement d’une culture et d’une pratique interdisciplinaire, pluridisciplinaire, intra ou inter sectorielle. Il faut ainsi espérer que les futurs Ateliers de la donnée, dans lesquels les MSH joueront un rôle important, y contribuent fortement.
Les évolutions institutionnelles sur les sites
27Sur le site d’Aix-Marseille, la fusion des trois universités et la pérennisation de l’Initiative d’excellence d’Aix-Marseille, A*Midex, ont conforté l’interdisciplinarité. Depuis 2020, AMU a mis en place des instituts d’établissement interdisciplinaires et inter-composantes sur des thématiques dites d’excellence. Ils sont chargés de promouvoir la formation par la recherche. La MMSH a été à l’origine de deux instituts œuvrant aux études méditerranéennes, l’un Arkaia, Institut d’archéologie méditerranéenne, l’autre SoMuM, Sociétés en mutation en Méditerranée, les deux programmes prolongeant les terrains d’action de la MMSH dans des domaines différents et complémentaires. Arkaia interroge les espaces méditerranéens en diachronie, de la Préhistoire aux périodes récentes, en mettant en synergie les capacités matérielles et humaines des laboratoires d’archéologie de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme et des équipes du site développant des approches innovantes en bio- et géosciences (paléoenvironnements et paléoclimats, géochimie, datation…), en anthropologie biologique et en sciences et techniques de l’ingénieur (3D, acoustique, robotique...). SoMuM fédère plusieurs laboratoires d’Aix-Marseille Université en sciences sociales pour penser les mutations des sociétés, d’hier, d’aujourd’hui et de demain, autour de la Méditerranée, de l’Europe à l’Afrique et au Moyen-Orient. Enfin en 2021, AMU a mis en place une mission interdisciplinarité qui organise des rencontres thématiques entre ses chercheurs des différents domaines scientifiques, destinées à fédérer sa communauté autour des grands enjeux de société. Une large panoplie de mesures et de dispositifs est donc en œuvre sur le site d’une université fusionnée comme celle d’Aix-Marseille.
28Comme pour tous les sites IDEX, à Strasbourg, les Labex n’ont pas été reconduits en tant que tels, mais sanctuarisés au même titre que les Écoles Universitaires de Recherche sous une forme inédite. L’Unistra a ainsi fait le choix de lancer un grand Appel à Projet avec jury international pour financer des Instituts Thématiques et Interdisciplinaires (ITI). En janvier 2021, les quinze lauréats de l’AAP ITI ont alors été lancés. Ils sont au cœur de l’Interdisciplinarité en action au sein de l’établissement – à l’articulation entre Recherche et Formation. Pour reprendre le texte de présentation institutionnelle de ces ITI « ce sont des structures favorisant l’interdisciplinarité pour créer, en croisant les connaissances scientifiques, des concepts innovants et, à travers l'accumulation et le partage des savoirs, développer une expertise interdisciplinaire : diffuser et identifier les pratiques interdisciplinaires pour favoriser les nouvelles collaborations, l’émergence de nouvelles thématiques, encourager l’audace et l’innovation ». Avec une ambition thématique, interdisciplinaire, mais aussi l’objectif d’une attractivité Internationale et la volonté de restructurer l’offre de formation et de la recherche localement – on retrouve quatre des 5 « i » présents dans l’ADN des MSH et du RnMSH. Il ne manquait que l’Implantation régionale qui est là de facto. Ces ITI doivent et vont devenir des partenaires de la MISHA pour le développement de l’Interdisciplinarité en SHS. Toutefois, l’ambition d’interdisciplinarité au sein de ces ITI est pour le moment relativement limitée, du fait d’un périmètre figé dès le départ, défini par les unités qui les composent et associent rarement sciences humaines et sciences sociales. Il n’en reste pas moins de très belles réussites sur bien d’autres points. Tout ceci n’est pas étonnant, compte tenu de la dimension « Formation » de l’université, qui relève de la responsabilité des Facultés, toujours disciplinaires, même si des formations pluridisciplinaires fleurissent actuellement, comme en témoignent les Bachelor et Licence renforcées, les doubles ou triples Licences ou encore les formations en Santé restructurés ces dernières années.
29Ainsi l’interdisciplinarité, que ce soit à la MMSH ou à la MISHA, se construit au quotidien depuis plus de vingt-cinq ans avec ses avancées et ses freins, au rythme de leurs tutelles qui soutiennent leur progression et leur spécificité. Pour poursuivre le poème de Machado, « En marchant on fait le chemin et lorsqu’on se retourne on voit le sentier que jamais on n’empruntera à nouveau ». L’interdisciplinarité n’est pas acquise et ne doit pas nécessairement l’être. Elle se nourrit de la monodisciplinarité, préambule à toutes recherches. Parallèlement, ce qu’on peut observer dans cet essor de l’interdisciplinarité voulue ou subie, c’est l’évolution épistémologique et méthodologique même du chercheur. Dans le cas des programmes et dispositifs cités plus haut, on trouve un géographe, une sociologue, des archéologues qui ont modifié la pratique et le sens mêmes de leur discipline ; on pourrait donner d’autres exemples, en particulier chez des anthropologues de l’image, ou des historiens. On ne peut pas les citer tous. En fait les spécialistes d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier et les disciplines se reconstruisent au fur et à mesure qu’elles dialoguent avec les autres. Les Maisons des sciences de l’homme ont la mission de les accompagner dans ces mutations.
Notes de bas de page
1 https://pro.europeana.eu/organisation/europeana-sounds
2 https://cinumed.mmsh.univ-aix.fr/
3 https://www.misha.fr/websites/misha/documents/MISHA/GeneseMisha__AlainChauvot.pdf
4 Soit les « i » d’Interdisciplinarité, de dynamique Interinstitutionnelle, d’orientation vers l’International, d’Implantation régionale, d’Indentité scientifique. Guibentif, Pierre, « Les principes fondateurs du Réseau national des Maisons des sciences de l’homme », in Commaille, J.(dir) Avenir de la recherche et Maisons des sciences de l'Homme, éditions A. Athéna 2006, réédition 2020. https://books.openedition.org/allianceathena/352?lang=fr
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Avenir de la recherche et Maisons des sciences de l’Homme
Réédition 2020
Jacques Commaille (dir.)
2020
Mutations des sciences humaines et sociales
Les Maisons des Sciences de l'Homme et leur réseau
Françoise Thibault (dir.)
2021
Les thèses Cifre en sciences humaines et sociales
Ouvrir le champ des possibles
Clarisse Angelier et Françoise Thibault (dir.)
2023
L’interdisciplinarité sans concession
Réseau national des Maisons des sciences de l’homme (dir.)
2023