4. Retours d’expérience
Entretien1 avec deux doctorants de l’association ADCifre
p. 83-88
Texte intégral
Pouvez-vous exposer la nature de vos relations avec les structures qui vous accueillent ?
Doctorant 1: Je réalise ma thèse dans une association, la relation se construit dès le processus de recrutement. C’est un moment important pour comprendre les attentes des uns et des autres. Quand j’ai commencé ma thèse, j’ai eu l’impression que l’association dans laquelle je travaille avait des attentes énormes sur ce que devait apporter un doctorant Cifre. Pour elle, cette recherche présentait un enjeu important de reconnaissance, de légitimité et d’expertise. Elle est perçue comme un processus de développement important dans les petites structures. Il peut alors en naître une ambiance spéciale, notamment par le biais d’une relation de subordination qui se met en place rapidement. Une fois le recrutement terminé, il m’a semblé que la structure manquait de préparation pour m’accueillir. Cela ne s’improvise pas. Un doctorant est certes un salarié, mais il a un statut particulier : il faut attendre de lui des choses mais être capable de lui fournir un soutien. Les structures ne sont pas toujours prêtes, surtout quand c’est la première fois qu’elles ont recours à ce dispositif. Les attentes qu’elles mettent dans l’accueil du doctorant sont parfois très grandes et elles n’ont pas toujours les moyens de leur ambition, ce qui peut créer un double sentiment de frustration, pour le thésard et pour la structure. Il peut exister des situations complexes en termes de management et de gestion des ressources humaines. La structure doit s’assurer au quotidien que les échanges soient fluides. J’ai ressenti un déficit de formation et de préparation au sein de la structure, qui pouvait créer des situations difficiles de conflit ou de doute.
Doctorant 2: Je partage cette expérience. Je réalise également la première thèse Cifre dans mon association. Celle-ci aurait eu besoin de formation ou d’accompagnement pour construire l’accueil du doctorant Cifre, tant du côté du responsable, qui n’a pas forcément une culture scientifique suffisante pour comprendre mon travail, que de celui de la structure, peinant à me faire la place suffisante. En termes de hiérarchie de l’entreprise, je n’étais pas placée au bon endroit. La recherche doit permettre de prendre des décisions, et non pas se limiter à de l’opérationnel. Penser à la manière de situer le doctorant dans une structure est vraiment important pour construire un espace de travail sain et efficace. J’ai dû fournir beaucoup d’efforts pour légitimer mes recherches, de nombreux efforts de médiation pour expliquer que ce qui semble facile représente en réalité un vrai travail de recherche et que les sciences sociales ne sont pas si simples. J’avais du mal à trouver de la motivation dans mon travail. Je pense que je ne l’ai pas assez vulgarisé au départ. Il y avait donc une incompréhension entre mes collègues et moi. Ils ressentaient une forme de méfiance à mon égard parce qu’ils ne comprennent pas ce que je fais. Une confusion des rôles s’instaurait parfois.
D1: Oui, c’est cela que j’ai ressenti aussi, une confusion sur la place et le rôle du doctorant. On ne fait pas uniquement de la recherche au sein de la structure. Je travaille aussi au développement de projets. Cela fait partie de la fiche de poste, il n’y a aucun problème, mais quel est le rôle et la légitimité de ce travail ? Tout le monde s’intéresse à mes travaux, mais quel usage en fait l’entreprise ? Quelle réelle plus-value tire-t-elle de ma recherche ? C’est cela qu’il faut réussir à faire comprendre à ses collègues. Ce n’est pas toujours simple.
Vous venez de mentionner les activités parallèles à la recherche au sein de la structure qui vous accueille. Estimez-vous que vous disposez d’assez de temps pour mener à bien votre thèse ?
D2: C’était compliqué au départ. L’ANRT a dû intervenir pour rappeler le cadre de la relation de travail. L’entreprise pensait que le contrat Cifre était une forme d’alternance pour payer pas cher un bac + 8. Au bout de plusieurs mois, l’ANRT est intervenue pour rappeler que le doctorat devait occuper cent pour cent de l’activité du chercheur et que l’entreprise devait me laisser faire de la recherche. Depuis, ils ne savent pas vraiment quoi me confier parce qu’ils ne connaissent pas très bien le milieu de la recherche. Je pense qu’ils avaient au départ une vision erronée du poste. Comme ils ne me confient pas de tâches particulières, j’ai la chance d’orienter mon projet comme un contrat doctoral classique. Il y a parfois des glissements vers des activités de terrain qui sont déconnectées de la recherche, quelle qu’elle soit. Les retours dont je dispose montrent que beaucoup de doctorants Cifre n’ont pas conscience que le contrat est censé nous permettre de consacrer l’intégralité de notre temps à des activités de recherche. Il faut donc parfois lutter avec l’employeur car les entreprises peuvent avoir du mal avec cela. Mais de mon point de vue, il faut aussi se retenir, quand on est en thèse, d’aller faire du terrain : on a parfois envie de quitter ses livres pour des choses plus concrètes.
D1: Malgré une certaine confusion, les responsables sont conscients des enjeux. Je passe parfois du temps sur des activités éloignées de la recherche. Disons qu’il s’agit d’une pirouette intellectuelle, on essaye de faire ressembler à la recherche des activités qui ne s’y apparentent pas mais il y a une certaine liberté dans le travail. Mon activité de recherche plus classique est assez solitaire. Je ne suis pas complètement démuni, les enjeux sont assez maitrisés de la part de mon responsable quotidien, même s’il y a peut-être un écart vis-à-vis de la structure.
Comment ont été conçues vos thèses respectives ? Quelle est la nature des relations qu’entretiennent vos structures d’accueil et l’université ?
D1: Le cadre thématique de ma thèse a été conçu par la structure hébergeant la Cifre, accompagnée par mon directeur de recherche. Les choses ont été cadrées par un appel à projet en amont de la Cifre. Les deux parties de la convention étaient déjà en relation avant que j’arrive, puisqu’ils ont conçu cette thèse. Au quotidien, les relations sont complexes : il faut faire la différence entre le directeur de recherche, qui est présent lors des comités de pilotage, et la relation qui peut exister entre le labo et l’entreprise. Autant il arrive que directeur et responsable échangent, autant la relation entre la structure d’accueil et le laboratoire est inexistante. Je fais donc office d’intermédiaire. Le doctorant est le lieu de la relation, mais au-delà de cela, les deux structures ne communiquent pas, sauf pour régler des détails contractuels. L’entreprise cherche à se doter d’une légitimité scientifique dans le développement de ses actions et je représente le laboratoire auprès de l’association.
D2: J’ai presque la même expérience. Cela fait plus d’un an que mon directeur et ma responsable au sein de l’entreprise ne se sont pas rencontrés.
D1: Cela dit, ça ne veut pas dire que les deux ne communiquent pas. Il peut leur arriver d’échanger parfois sans passer par moi. C’est assez rare mais ça arrive, surtout au début.
Existe-t-il une forme d’expérience standard de la thèse Cifre ?
D2: Je dirais plutôt que l’expérience dépend de chacun. Comme je suis le premier doctorant Cifre accueilli au sein de cette association, je pense que notre relation est un peu particulière. La mairie de Paris embauche beaucoup de Cifre en SHS, par exemple. Cela doit jouer dans l’expérience, notamment parce que cela fluidifie les échanges avec l’université. Tous les doctorants ne vivent pas la même expérience, donc, mais tous ceux qui inaugurent le dispositif dans une structure vivent la même chose que moi, surtout si la personne qui les accueille n’a pas de profil académique.
D1: Je suis d’accord avec toi. Il y a vraiment quelque chose en jeu au moment d’un premier accueil.
Pensez-vous qu’il existe un apport réciproque entre les SHS et la structure d’accueil ?
D1: Oui, il y a vraiment un intérêt. Il est temps d’être un peu plus positif. Cela permet de faire de la recherche appliquée. En sociologie, par exemple, il peut être assez fatigant de se limiter à la lecture. L’abstraction n’est pas toujours accessible, notamment au niveau des enjeux, alors qu’être sur le terrain permet de voir ce qui se passe concrètement et donne une application aux lectures. C’est en fait assez enrichissant et satisfaisant intellectuellement. Au-delà de cet aspect, c’est aussi une chance d’avoir un terrain ouvert en Cifre. Ce sont des opportunités de recherche différentes. La Cifre s’inscrit bien dans un principe d’échange fécond entre l’académique et le milieu économique. Ce dispositif a beaucoup de sens lorsqu’il est mis en place correctement.
D2: Je ne peux évidemment pas dire que les thèses Cifre sont inutiles. Pour nous, cela fait sens, on ne fait pas un doctorat pour rien, même si le projet a été conçu en amont et que l’on n’a pas pris part à sa définition. On ne se lance pas sans réfléchir. J’ai toujours pensé à faire une thèse Cifre pour donner du sens à ce que je fais. Cela apporte de la richesse à mes recherches et me donne une clairvoyance supplémentaire sur le terrain. Chaque comité de pilotage en reconnait l’intérêt, d’ailleurs. Tout le monde a l’impression que ce que je fais n’est pas scientifique, mais en réalité, ils sont satisfaits de voir que cela fait écho à ce que l’on connaît pour améliorer des choses.
Notes de bas de page
1 Entretien du 24. 11. 2022, conduit par Thomas Perroud.
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