3. Un exemple de Cifre
Entretien1 avec Thierry Gricourt2 et Katarina Pavic3
p. 77-81
Texte intégral
1Thierry Gricourt, président fondateur de la société SocialDream, et Katarina Pavic, doctorante en convention dans l’entreprise, reviennent sur leur expérience commune de la Cifre pour montrer comment s’est construit le projet de thèse et illustrer la nature des relations possibles entre une recherche en SHS et ses applications concrètes dans le développement d’une technologie innovante.
Pouvez-vous nous présenter cette thèse et la façon dont elle a été conçue ? A-t-elle un intérêt seulement pour Social Dream ou présente-t-elle de vraies perspectives d’avancées scientifiques ?
Katarina Pavic: Ma thèse porte sur l’usage de la réalité virtuelle dans le domaine de la santé. Je suis rattachée administrativement à deux laboratoires, un laboratoire de psychologie cognitive et un autre d’ingénierie affective. Je m’intéresse à la manière dont la réalité virtuelle peut aider à susciter des émotions positives. Je suis actuellement dans ma deuxième année de Cifre au sein de la société SocialDream.
Thierry Gricourt: Cette thèse a évidemment un intérêt scientifique. Cela a toujours été un objectif lorsque nous avons lancé ce projet. Elle apporte une forme de crédibilité scientifique qui renforce la pertinence de notre approche. Il n’était donc pas question de négliger son versant académique.
K. P.: Quand nous avons construit ensemble cette thèse, il y’avait peu de recherches sur l’induction d’émotions positives en lien avec la réalité virtuelle. Il existait cependant des fondements théoriques : nous voulions en prouver la base, notamment sur son aspect bien-être, et fournir la preuve que la réalité virtuelle apporte quelque chose.
T. G.: Du côté de l’innovation, le casque de réalité virtuelle ne correspondait pas aux besoins de nos usagers. On l’utilise, mais nous développons plutôt un casque spécifique pour faire de la projection de vidéos. Cette approche présente moins de contraintes et plus d’ergonomie, notamment parce qu’elle a recours à de la projection, plutôt qu’à des lentilles. Pour mener à bien le développement de ce produit, nous avions besoin de mesures physiologiques et comportementales afin de démontrer l’évolution de l’état des personnes. Ce besoin de données nous a conduit à utiliser des capteurs sur les personnes afin de construire des contenus personnalisés.
Comment décririez-vous l’influence de la structure d’accueil sur l’activité de recherche menée dans le cadre de cette thèse ?
T. G.: Notre relation de travail est très flexible. Une fois le projet déposé à l’ANRT, notre collaboration n’a pas changé : il était important pour nous de conserver la rigueur scientifique même si parfois des problèmes de conflit d’intérêt apparaissent lors de publications. Ce risque qui pèse sur la recherche de Katarina nous oblige à la plus grande prudence, et, je l’ai déjà dit, à faire preuve d’une extrême rigueur. Je remarque à cet égard que ces problèmes de conflit d’intérêt nous touchent à chaque fois parce que la thèse de Katarina est rattachée à SocialDream. Je pense qu’il y a eu un durcissement des comités de lecture qui surveillent la publication dans les journaux. Cela pourrait nous être préjudiciable, car nous avons besoin qu’elle soit reconnue par le monde académique.
Quelle est la nature de vos échanges avec l’université ?
T. G.: Nos rapports sont bons, mais nous ne nous voyons pas assez. Katarina fait le lien. Nous avons des échanges réguliers sur des messageries en ligne. C’est un travail positif, nous avançons en équipe.
Comment l’activité de recherche s’inscrit-elle dans le temps de travail au sein de la structure d’accueil ?
K. P.: L’objectif de la thèse est primordial. Je dirais que 20% de mon temps est occupé au sein de SocialDream à des interventions dans de nombreux projets qui dépassent le cadre de ma thèse. Les 80% restant sont consacrés à ma thèse. J’interviens également dans toutes les études conduites par SocialDream.
T. G.: Dès le début de sa thèse, il était prévu que la collaboration de Katarina se prolonge. Elle devrait prendre la direction scientifique sur d’autres études.
K.P.: J’ai par ailleurs vivement été encouragée à rester au sein de l’université et à conserver des liens avec la recherche académique. C’est pour cela que j’ai une charge de cours, une heure trente ou deux heures de travaux dirigés par semaine. C’est moins conséquent que certains collègues qui ont un contrat doctoral avec l’université ; mais cela me permet de rester intégrée au sein de mon laboratoire.
Comment inciter les chercheurs ou les entreprises à s’engager dans le dispositif Cifre ?
K. P.: Je pense qu’il faut continuer à communiquer à propos de se dispositif auprès des étudiants en SHS. Ce n’est pas forcément un financement auquel on pense. On a besoin de plus d’information à ce sujet. À l’origine, je suis neuropsychologue ; c’est un domaine avec une orientation clinique forte, et faire une thèse CIFRE en collaboration avec une entreprise reste rare.
Quel serait selon vous le point fort d’une thèse Cifre en SHS pour une entreprise ?
T. G.: Ce qui nous intéresse dans cette thèse, c’elle qu’elle apporte de la hauteur dans une application concrète. Il ne faut pas perdre de vue le côté fondamental et scientifique, bien entendu, mais il doit nourrir une application. C’est précisément la possibilité d’être dans les deux mondes, celui de l’entreprise et de l’université, qui constitue la richesse du dispositif car les temporalités sont différentes. Une thèse Cifre est une interface précieuse entre plusieurs univers qui ne communiquent pas forcément.
K. P.: Elle permet aussi de nombreux apports scientifiques qui dépassent l’application, comme le développement d’une forme de culture de la recherche ou la création de contacts avec de nombreux spécialistes : elle crée du lien. Du point de vue de la recherche, quand les relations de travail sont bonnes comme les nôtres, elle permet aussi d’enrichir les protocoles de travail et d’améliorer la portée de la recherche.
Et son point faible ?
T. G.: Une thèse Cifre présente une forme de pesanteur administrative. Elle implique de nombreux acteurs. Notre dossier avait été soumis à l’ANRT avant l’été pour septembre, mais n’a abouti qu’au début du mois de mars.
K. P.: De mon côté, la plus grosse difficulté se situe au niveau de l’expertise fournie pour évaluer la pertinence des sujets. L’expert qui a évalué mon projet avait une connaissance pointue du sujet : pour un étudiant venant de terminer un master et qui n’a pas été prévenu qu’il était attendu de rédiger un projet de recherche très complet et pointu, ces questions sur la justification méthodologique de ma recherche m’ont un peu désarçonnée car je manquais encore d’expérience. On attendrait plutôt cette maîtrise de chercheurs plus avancés.
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