1Dans sa formulation princeps, le développement durable visait à combiner la production de richesses assurant de meilleures conditions de vie (dimension économique), leur équitable redistribution (aspect social) et le respect des écosystèmes (volet environnemental). Contrairement aux acteurs de l’action publique, y compris ceux intervenant dans le champ du sport, peu de chercheurs prenant le sport pour objet s’en sont saisis comme d’un concept dans le cadre de leurs travaux : d’une part, parce que le développement durable, notion à la fois composite et mouvante, demeure un « mot valise » ; du fait, d’autre part, qu’il constitue conjointement un outil analytique et un projet politique. Pour autant, et sans s’y réduire, les problématiques touchant au tourisme et à l’emploi dans le domaine sportif soulèvent des enjeux qu’il est possible de rapprocher des trois piliers du développement durable. Surtout, ces recherches illustrent les tensions et contradictions se logeant à l’intersection des visées économiques, environnementales et sociales.

2S’intéressant à la dynamique économique (sous l’angle par exemple du développement territorial, de la création d’emploi ou de l’impact des événements), ces travaux scientifiques sur le sport n’occultent ni le volet social (inégalités d’accès à l’emploi et à certaines formes de tourisme, précarité professionnelle, etc.), ni les questions environnementales (controverses au sujet des relations homme-nature, par exemple). D’abord abordées sous l’angle de l’aménagement, ces dernières tendent à faire l’objet d’approches en termes de reconversion et de transition, pour faire face aux enjeux de raréfaction des ressources, de changement climatique et de protection de la biodiversité.

Sport et tourisme : des réalités sociales plurielles donnant lieu à un foisonnement de travaux

3Au-delà de la pratique d’une activité physique récréative ou compétitive, le tourisme sportif peut aussi consister à assister à des spectacles ou à visiter des hauts-lieux du patrimoine sportif. L’ensemble de ces entrées a suscité des productions scientifiques, particulièrement denses concernant les deux premières.

4Dans sa dimension historique, le tourisme sportif a d’abord poussé à s’intéresser à la mise en place de formes d’aménagement spécifiques, à la mer comme à la montagne, notamment à travers le cas des stations de sports d’hiver et balnéaires. Nombre de travaux portent par exemple sur le rôle joué par les hôteliers dans le développement conjoint du sport et du tourisme en montagne ou en bord de mer. Creuser les aspects historiques a aussi consisté à interroger le rôle que le tourisme sportif a pu jouer à propos des grands événements, tels que les Jeux olympiques ou les coupes du monde. D’autres catégories d’acteurs du tourisme sportif ont par la suite été étudiés, qu’il s’agisse des collectivités locales, des organismes d’État, des associations, d’investisseurs privés, des organisations sportives nationales ou internationales, des mouvements de jeunesse ou encore des entreprises spécialisées dans le tourisme sportif. Les articulations complexes entre les échelles locale, nationale et internationale ont aussi questionné les historiens qui ont souligné la non-linéarité des trajectoires du tourisme sportif et les conflits de différentes natures qu’il a générés. Du fait de son lien marqué avec les activités de nature, le tourisme sportif a également été abordé à travers le rôle qu’il joue dans le partage de l’espace, la transformation de l’environnement naturel en « produit de consommation touristique », puis l’équilibre à trouver entre des activités anthropiques et la préservation de la nature. En quelque sorte, logiques économiques et sociales se conjuguent alors. En effet, quand bien même les objectifs de création de nouvelles destinations touristiques prévalent, donnant lieu à des démarches aménagistes alors faiblement contestées, cette visée économique n’écarte pas complètement le volet social ; il convient en effet de socialiser une partie de la jeunesse à ces espaces et à des pratiques ne pouvant demeurer strictement élitaires ; il importe par ailleurs de considérer les changements que l’arrivée de touristes engendre auprès de ceux qui étaient présents avant ces « mises en tourisme ».

5Ce tropisme du tourisme de plein-air ne doit pas conduire à occulter les travaux portant sur la diversification des pratiques, leur relocalisation, leur artificialisation voire la reconversion de sites qui vont conjointement conduire à ce que de nouveaux espaces s’ouvrent au tourisme sportif et à des populations jusqu’alors pas ou peu pratiquantes (quand l’entrée touristique retenue ne se fait pas au détriment des populations locales). Un autre fait marquant émerge : l’extension de l’intérêt pour le spectacle sportif, en dehors de la temporalité spécifique de l’événement, transforme certains sites et équipements en lieux de mémoire constitutifs d’un patrimoine (musées, hauts-lieux, etc.), quitte pour ce faire à inventer ou exagérer un passé sportif.

6Pour autant, bien que le tourisme sportif embrasse aussi des pratiques se déroulant dans les métropoles et les villes – notamment pour ce qui est des grands événements sportifs internationaux – ses espaces de développement privilégiés restent la ruralité, la montagne et les littoraux. Les chercheurs en sciences sociales ont ainsi effectué de nombreuses recherches sur les pratiques sportives de nature, composante essentielle du tourisme.

7Différentes disciplines scientifiques sont convoquées. Que ce soit en géographie, en sociologie, en droit, en économie, en science politique, en histoire, en sciences de l’éducation ou de gestion, des éclairages pluriels ont été mobilisés pour étudier ces pratiques et leur devenir sous différents angles : financier, juridique, politique, marketing, éducatif, entrepreneurial, genre, innovation, accessibilité, etc. L’ensemble permet d’interroger ce secteur d’activité mais aussi les pratiques sociales qui s’y déploient. L’enjeu a en effet consisté à étudier conjointement les pratiques évolutives de tourisme sportif, telles qu’elles sont vécues, appropriées et renouvelées par les publics, et les formes de gestion des espaces concernés (montagneux, littoraux, ruraux, urbains, etc.). Plurielles, les cultures sportives se recomposent en fonction d’enjeux sociétaux présents et à venir : adaptation à des demandes et technologies évolutives, aménagement de l’espace et développement territorial, préservation et protection de l’environnement et de la biodiversité, durabilité, mais aussi sécurité.

8Cette multitude d’éclairages permet désormais de disposer de solides connaissances, inscrites à la fois dans des perspectives fondamentales, appliquées et finalisées. Au-delà d’une approche de la recherche attachée à une épistémologie classique, prenant ses distances avec les implications produites, ce champ de recherche présente en effet la particularité d’être souvent relié à des enjeux contemporains faisant en partie écho au développement durable. Ainsi, à travers le tourisme sportif, les transformations des pratiques récréatives donnent à voir certaines transitions sociétales. Vus sous cet angle, ces travaux participent à envisager autrement l’avenir de nos sociétés face à de multiples formes de vulnérabilité (énergétique, sanitaire, en termes de biodiversité, de bien-être, d’emploi et de production). À ce propos, bon nombre de collectifs de recherche s’engagent dans une pratique de la science ouverte aux problématiques concrètes des parties prenantes, à l’exemple des travaux de chercheurs de l’arc alpin visant à accompagner la transition protéiforme des stations de montagne. D’autres travaux approfondissent les appropriations socialement différenciées des espaces touristiques, voire les concurrences entre groupes sociaux dont ils deviennent le théâtre.

9La conciliation du développement des pratiques touristiques, d’enjeux socio-économiques locaux et de la préservation de l’environnement (et en particulier des espaces protégés) figure depuis plus de vingt ans au cœur des problématiques de recherche, faisant des terrains abordés des observatoires privilégiés de déséquilibres, mais aussi d’initiatives originales et de transitions engagées de longue date. Les multiples formes d’adaptation et d’innovation, au sein d’environnements sensibles et sous tension, impactés notamment par la sur-fréquentation et le réchauffement climatique, peuvent alimenter les débats et réflexions contemporains portant de manière élargie sur la transition, voire la bifurcation écologique et sociale.

10Là où le développement durable aurait globalement échoué à trouver une traduction concrète dans les politiques publiques, du fait de son manque de précision et d’opérationnalité, mais aussi du fait d’une vision globalisante rendant difficile une approche spatiale ou territoriale sérieuse, les questions d’impact environnemental, de développement maîtrisé, soutenable et équilibré ont été travaillées à propos du tourisme sportif de nature. Ce souci a très tôt pris le relais des seules dimensions productives et aménagistes, à travers des travaux bénéficiant désormais de solides étayages théoriques et empiriques. Ils portent notamment sur la gouvernance, la concertation et la médiation territoriale, et conduisent à l’examen des caractéristiques du développement à partir de critères de soutenabilité (du milieu, de l’emploi, des usages sportifs des espaces de nature).

11Enfin, la question de l’impact des événements sportifs de grande ampleur dépasse à présent la seule dimension économique. Elle est abordée dans sa multidimensionnalité, en intégrant les aspects sociaux, écologiques, voire mémoriels : impact carbone de la construction et du fonctionnement des infrastructures sportives ; pollutions et enjeux de sécurisation liés aux déplacements massifs (événements sportifs, compétitions internationales) ; « effets de levier » en termes de maillage d’équipements sportifs, d’engagement dans la pratique, de santé publique, d’inclusion, d’insertion professionnelle ou encore d’« héritage ».

12Parmi les nombreuses questions abordées à propos du tourisme sportif figure celle de l’emploi ; ce secteur socio-économique a en effet suscité bien des initiatives et politiques publiques de développement, en partant du postulat qu’il y avait là un gisement potentiel d’emploi, ou des emplois à préserver. Pour autant, les nombreux travaux portant sur l’emploi dans le domaine sportif sont loin de se cantonner au seul secteur touristique.

Sport, emploi et travail : des prismes d’analyse diversifiés et féconds

13En sciences sociales, plusieurs orientations se dessinent quant aux relations pouvant être établies entre sport, emploi et travail. Bien que des économistes, des historiens et des juristes se soient emparés de ce domaine de recherche, ce sont essentiellement les sociologues qui nourrissent, autant qu’ils mobilisent les apports de différentes spécialités disciplinaires : sociologies du travail, de l’emploi, des groupes professionnels, du genre et des rapports sociaux de sexe, des discriminations, des dispositions ou encore des organisations. Dès lors, traiter des relations entre sport, emploi et travail peut être envisagé selon différents prismes.

14Analyser le sport comme secteur de création d’emploi constitue une préoccupation conduisant à s’intéresser aux divers métiers du sport : sportifs professionnels, « encadrants » des pratiques sportives dans les mondes fédéral, scolaire et périscolaire, salariés du secteur privé marchand, industriel, etc. Au-delà de ces premières catégories d’emplois, qui viennent spontanément à l’esprit quand on dresse un inventaire des métiers du sport, il convient aussi d’en couvrir d’autres : les emplois qui requièrent un « capital sportif » (l’équitation, les sports de montagne, etc.) ou un « capital corporel » (l’armée, la police, la sécurité, le secteur du bâtiment et des travaux publics, le travail du « care », etc.), sans délaisser ceux qui exigent des connaissances du monde sportif (journalistes sportifs, agents sportifs, etc.). Certains travaux prennent aussi pour objet les spécificités du « travail passion » et questionnent les processus d’identification professionnelle, au fil des évolutions qui traversent le sport et selon les différents sous-secteurs d’emploi.

15Analyser le sport dans les parcours d’orientation et d’insertion peut aussi amener à questionner le sport en tant qu’outil de valorisation des parcours d’orientation et professionnels (étude des bacheliers pro, place du travail corporel dans les stratégies d’insertion professionnelle par exemple), quand d’autres travaux interrogent l’employabilité des diplômés en sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS). Ce pan de recherche intègre également la dimension genrée des parcours d’orientation, dans un domaine social historiquement construit autour d’une domination masculine.

16Analyser les carrières sur le marché du travail sportif permet de renseigner l’entrée dans la carrière, son exercice (incluant les périodes de chômage ou d’arrêt) ainsi que la reconversion, de manière segmentée ou dans son entièreté. Sur ce point, différentes figures sont analysées : sportifs professionnels ou de haut niveau, étudiants en STAPS, mais aussi arbitres, dirigeants/employeurs, professionnels de services sportifs, adjoints aux sports, entrepreneurs, entraîneurs, médecins, bénévoles, etc. Ces travaux s’intéressent à la dimension organisationnelle de la carrière sportive ou professionnelle dans le domaine des activités physiques et sportives, au travers des acteurs et/ou instances qui peuvent intervenir sur telle ou telle étape de la carrière. Certains chercheurs questionnent aussi les conditions de travail des professionnels du sport et leurs effets sur les parcours professionnels (et la santé).

17Analyser le sport lors de l’accès à l’emploi conduit à l’émergence de travaux de recherche qui tentent d’objectiver le rôle et le poids du « sport » dans le processus de sélection (il est parfois considéré comme une modalité innovante de remédiation à des freins à l’employabilité, parfois comme un outil contribuant à des discriminations directes et indirectes à l’embauche), dans les représentations des « recruteurs » et des intermédiaires de l’emploi.

18Analyser le sport comme levier pour l’insertion est une autre voie mobilisée dans les travaux de recherche. Elle vise à considérer et caractériser spécifiquement les usages du sport en direction des publics en situation de vulnérabilité (chômeurs de longue durée, « invisibles », jeunes issus de quartiers populaires, etc.). Au-delà du fait de repérer les effets sur les « publics cibles » concernés par ces dispositifs, ce prisme permet de s’intéresser aux différentes institutions socialisatrices qui les portent, ainsi qu’à leurs agents chargés de l’élaboration et de la mise en œuvre. Il y est dès lors question, notamment, de concurrence, d’« invention » de métier, de cultures professionnelles ou encore de perceptions différenciées du sport.

19Analyser le sport à travers la gestion des ressources humaines revient à explorer, au-delà de la seule question du « sport en entreprise », très en vogue, la place du sport dans la mobilisation des équipes et dans les contenus de la marque-employeur de certaines entreprises. Ces recherches permettent d’interroger autant les objectifs poursuivis par les employeurs que les effets recherchés du côté des salariés et des organisations.

20Enfin, analyser les stratégies et dynamiques des groupes professionnels autour du sport conduit à investiguer les métiers sous l’angle des collectifs professionnels : syndicats, branche sport, associations professionnelles, etc. Les travaux menés cherchent à identifier les mécanismes de clôture, de régulation, de différenciation et de légitimation des activités assumées par différents professionnels du sport, en lien avec les acteurs qui les entourent (publics, pouvoirs publics, autres professions, etc.). Une partie de ces recherches s’intéresse aussi aux relations professionnelles internes à ce secteur et aux profils des employeurs et salariés, dans un contexte où les organisations sportives comptent historiquement une part importante d’associations et où une convention collective a été édictée tardivement.

21Au-delà des seuls volumes d’emplois et de l’insertion professionnelle au sein de différents sous-secteurs d’activité, ces travaux sur le sport abordent un large périmètre de questions : formations aux métiers du sport et conditions d’accès à l’emploi sportif, dispositifs de soutien de l’État, inégalités sociales et genrées dans l’exercice des métiers du sport, problèmes de soutenabilité, de précarité et de santé au travail et, plus largement, pérennité des organisations sportives elles-mêmes… Ce panorama certainement très incomplet souligne la richesse des recherches menées lors des deux dernières décennies.

22Produire des connaissances à propos du tourisme et de l’emploi sportifs nécessite de la part des chercheurs qu’ils « creusent leur sillon » en se spécialisant. En éveillant l’intérêt de décideurs soucieux d’éclairer ou de justifier leurs choix, ces thématiques ont aussi donné lieu à des travaux tournés vers le diagnostic et l’accompagnement du changement. La transversalité des politiques publiques, que celles-ci concernent l’emploi, le développement touristique ou l’environnement, requiert dès lors des approches horizontales faisant le lien avec des problématiques connexes (formation, santé, transports ou encore aménagement).

23Les demandes d’expertise émanant de décideurs publics comme privés, combinées à la part croissante prise par le financement de la recherche sur projet, ont conduit à des partenariats visant à mieux connaître les publics, les impacts des pratiques, les compétences professionnelles mises en œuvre, ainsi que, de manière plus prosaïque, les perspectives de création de valeur et de développement des activités (effets socio-économiques, compétitivité, emploi, mais aussi externalités négatives).

24Aux côtés des travaux fondamentaux qui demeurent essentiels et structurants, le transfert de connaissances vers la société civile, les entreprises, les décideurs politiques et les organisations sportives a évolué. Les recherches appliquées, censées déboucher sur des recommandations, ont fait adopter à plusieurs chercheurs une posture d’expert, proche de l’activité de conseil, pour optimiser l’action ou adosser la décision. Au sein des sciences sociales, plusieurs communautés disciplinaires restent cependant frileuses à l’idée d’édicter de « bonnes pratiques ». Même dans l’intervention, comprendre une situation n’implique pas, en effet, que l’on dispose de solutions ; dans bien des cas, les recherches se bornent à reformuler et mettre en perspective des problèmes vécus par les parties prenantes. Ces réticences épistémologiques se doublent de considérations d’ordre éthique, liées au souhait de cultiver moins la pertinence sociétale des travaux que leur impertinence, l’indépendance étant garante de possibilités d’expression critique.

25En dépit d’expériences vécues positivement par de nombreux chercheurs (à qui il est de plus en plus demandé de faire état de l’utilité, voire de l’impact de leurs travaux), basculer de la recherche « sur » à la recherche « pour » n’est pas dénué de difficultés, ni de potentielles dérives. La recherche « avec » les acteurs constitue une autre manière d’envisager ces partenariats, renvoyant à la recherche action collaborative (RAC). Celle-ci vise à produire des savoirs pratiques pour résoudre des problèmes co-identifiés entre chercheurs et usagers à partir de la double pertinence (pratique et scientifique) des questionnements.

26Les chercheurs impliqués dans ces différents dispositifs ont bien entendu conscience de servir, d’une manière ou d’une autre, de caution pour incarner et renforcer les projets de leurs partenaires. L’enjeu consiste dès lors à accepter des compromis, tout en évitant les compromissions quand les logiques d’action politique ou commerciale tendent à trop fortement orienter, voire cadrer le travail. Les relations partenariales au long cours avec des fédérations sportives, des fondations d’entreprise, des collectivités, des administrations, des entreprises ou des syndicats permettent de réaliser ces ajustements et de lever certaines ambiguïtés inhérentes à la coprésence d’objectifs pluriels et de temporalités distinctes (entre le faire à court et moyen termes, d’une part, et le temps long nécessaire à la minutie d’autre part). Des épreuves successives, décisives pour la pérennisation des coopérations, marquent les différentes phases de ces processus collaboratifs : acceptabilité de la traduction de la demande ou du besoin initiaux en problématique ; accessibilité des analyses et synthèses produites ; crédibilité lors des restitutions auprès des usagers ou bénéficiaires, etc. Concernant le premier aspect, l’implication de chercheurs dans des projets finalisés a parfois tendance à leur faire perdre leur capacité de recul critique, notamment quand l’innovation ou l’acte de création tend à exercer sur eux une certaine fascination. Un autre aspect sensible est celui des « livrables », qui doivent être des facilitateurs de la réception du projet par les partenaires. De même, leur éventuelle diffusion auprès d’un public élargi appelle un style compréhensible qui ne doit pas pour autant sacrifier à un niveau minimal d’exigence de scientificité.

27Dans bien des cas, honorer une commande ou être partie prenante d’une RAC n’empêche pas, « à côté », de mettre à profit les données recueillies, les relations construites et les positions occupées pour réaliser des travaux à plus forte teneur académique ; voire de transformer les conditions d’enquête en matériaux pour s’adonner à une recherche d’ordre réflexif. Il est ainsi fréquent d’instrumentaliser, partiellement, une collaboration, en profitant d’un accès négocié à certains terrains et informations pour être en mesure de déconstruire des discours et/ou représentations communes sur des sujets sensibles : conciliations d’usages des espaces, cohabitations entre divers professionnels d’un secteur d’activité, perspectives contrastées de développement territorial, enjeux de sécurité des publics ou de préservation des écosystèmes, etc.

28L’utilité sociale de l’ensemble de ces travaux est indéniable, mais elle contraint certains chercheurs à un exercice d’équilibrisme entre exigences de rigueur scientifique et finalités étrangères à la recherche de l’objectivité. Dans les relations tissées avec des acteurs politiques et le tissu socio-économique, les chercheurs ne sont pas pour autant démunis et peuvent faire de leur participation à des recherches partenariales un tremplin vers des travaux scientifiques protéiformes.

29Enfin, les attentes formulées à travers l’action publique et les résultats de la recherche sont parfois en tension, comme l’illustrent les politiques visant à résorber le chômage via l’emploi sportif. Souscrivant aux discours teintés de connotations positives (sur le sport pourvoyeur de valeurs et illustrant l’idéologie compétitive), demeurant pour une large part convaincues du transfert des compétences de l’univers sportif au marché du travail, ces politiques commanditent, sont attentives à, et soutiennent les travaux qui montrent dans quelles mesures « le sport » peut contribuer à une socialisation de transformation visant l’accès et/ou le maintien dans l’emploi (par le travail du corps dans le but d’atteindre les esprits, par l’incorporation des normes liées au physique de l’emploi, etc.). Or, les travaux de recherche menés dans cette perspective montrent plutôt un transfert problématique, non mécanique, et dévoilent les processus de stigmatisation et/ou de discrimination qui en découlent, asseyant encore davantage le problème initialement posé.