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Les métiers d’appui à la recherche en SHS : du singulier au collectif
p. 135-140
Texte intégral
1Comment parler de recherche aujourd’hui sans évoquer les ingénieurs et les techniciens qui œuvrent en appui à la recherche, en collaboration souvent étroite avec les chercheurs ? En sciences humaines et sociales comme pour les autres sciences, c’est une réalité en pleine mutation. Évoquons ici quelques singularités des métiers d’ingénieurs-techniciens en SHS et les transformations qui les traversent depuis ces dernières décennies. Les réflexions qui sont présentées ici n’épuisent pas la question mais constituent un témoignage d’acteurs impliqués.
La Branche d’activité professionnelle (BAP) constitue le niveau supérieur de l’arborescence du référentiel des emplois-types de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (RéFérens III). Elle regroupe tous les emploi-types qui contribuent au développement du secteur professionnel. Les BAP sont au nombre de 8 : BAP A : Sciences du vivant, de la terre et de l’environnement ; BAP B : Sciences chimiques et Sciences des matériaux ; BAP C : Sciences de l’Ingénieur et instrumentation scientifique ; BAP D : Sciences Humaines et Sociales ; BAP E : Informatique, Statistiques et Calcul scientifique ; BAP F : Culture, Communication, Production et diffusion des savoirs ; BAP G : Patrimoine immobilier, Logistique, Restauration et Prévention ; BAP J : Gestion et Pilotage.
Les métiers d’appui à la recherche en SHS et leurs singularités
2Les métiers d’appui à la recherche en SHS sont très variés et issus de branches d’activités professionnelles (BAP) différentes, même s’il en existe une spécifique aux SHS : la BAP D, dont il faut reconnaître la faiblesse des effectifs notamment dans les universités1, phénomène qui s’est plutôt accentué depuis vingt ans alors que les besoins se sont accrus. La BAP D regroupe les compétences en production, traitement et analyse de données, d’enquêtes, ou de sources historiques et culturelles ou archéologiques. Cette BAP a fait l’objet d’une étude fort intéressante2 qui insiste notamment sur les questions de polyvalence des profils.
3Les chercheurs en SHS, à l’aune notamment de l’informatisation de nombreuses pratiques scientifiques, ont exprimé des besoins d’une diversité croissante en matière d’instrumentation. La demande vis-à-vis des personnels d’appui a été de ce fait de plus en plus hétérogène, incitant ces personnels à déployer de nouvelles compétences pour faire face à une diversification des tâches. Cette multi-compétence, bien qu’appréciée au quotidien dans les unités, a tardé à être reconnue par les commissions d’évaluation dans le cadre du processus de promotion des agents. Le rapport d’étude « Interdisciplinarité des ingénieur-e-s et des technicien-ne-s au CNRS »3 a signalé cette situation et a formulé des recommandations en faveur de la cohérence du métier, de la répartition de la polyvalence sur un collectif plutôt que sur un agent, de la reconnaissance et de l’évaluation des carrières avec des critères appropriés ainsi que la mise en œuvre d’actions de sensibilisation des instances d’évaluation et l’accompagnement à la professionnalisation des agents.
Effectif par BAP au sein des MSH au 31/12/20

4Un autre phénomène qui vient conforter le précédent est celui de la porosité des métiers d’ingénieur à l’heure du numérique. Ainsi par exemple, l’administrateur d’une base de données SHS aura à composer avec des savoir-faire en informatique (BAP E), en documentation scientifique (BAP F) et en traitement des données (BAP D). Dans un monde idéal où le nombre de personnels d’appui serait moins limité, il s’agirait de créer les conditions de collaboration entre ces différents métiers décrits par leur référentiel. Dans les faits, il s’agit souvent pour un personnel de monter en compétences dans des domaines parfois fort éloignés de son métier d’origine.
Des réseaux professionnels pour faire face à ces changements
5L’ouverture des données de la recherche, la promulgation de la loi sur la République numérique, plus largement la science ouverte4 sont les derniers vecteurs de transformation des métiers d’ingénierie de recherche. Pour y faire face, ingénieurs et techniciens ont éprouvé la nécessité de partager leurs savoirs. Plusieurs réseaux professionnels «spontanés» se sont créés. Au CNRS, l’Observatoire des Métiers et de l’Emploi Scientifique précise que les réseaux métiers « ont pour objectif de participer au maintien et au développement des compétences entre agents partageant des compétences communes et de limiter l’isolement professionnel »5. Plusieurs réseaux ont déjà fait preuve de leur utilité. Le monde de l’édition scientifique, particulièrement concerné, a été par exemple à l’origine de plusieurs initiatives. En SHS, le réseau baptisé REPÈRES (REseau de PEpinières de REvues Scientifiques) est le fruit d’une initiative portée par une trentaine de professionnels de l’information scientifique soucieux d’apporter des réponses concrètes aux responsables de revues : hébergement des publications, référencement, structuration des données et interopérabilité, accompagnement éditorial, transition vers l’accès ouvert pour les revues sur abonnement, etc. Citons encore le réseau Médici (réseau, interdisciplinaire et inter-organismes, des métiers de l’édition scientifique publique) qui est devenu une structure de référence pour l’ensemble des professionnels de l’édition publique. Ce réseau a pour mission d’engager une action transversale qui rassemble les connaissances et les techniques spécifiques à l’édition scientifique publique afin qu’elles soient partagées par tous. Il offre en outre un programme de formations. Au sein des MSH, cela a pu se traduire par la création de pôles éditoriaux regroupant plusieurs revues permettant aux professionnels de l’édition de partager expériences et compétences, voire de se spécialiser sur certaines missions.
6Le partage de bonnes pratiques, le travail collaboratif et interdisciplinaire sont ainsi depuis plusieurs années des incontournables de la dynamique et des pratiques des professionnels d’appui à la recherche en SHS. En ce sens, le Réseau national des Maisons des Sciences de l’Homme a constitué et constitue toujours un cadre indispensable pour le déploiement et l’expérimentation de multiples compétences qui vont de l’administration des plateformes techniques, à la mise en place d’actions de valorisation, à la concrétisation de partenariats avec des acteurs publics et privés, à la réalisation d’actions de médiation scientifique, à l’aide à la gestion de projets… Sans revenir sur la complexité de toutes ces opérations, mentionnons par exemple qu’en matière de valorisation, le « dénominateur commun de la valorisation de la recherche en SHS pratiquée dans les MSH est l’innovation sociale, définie avec une terminologie différente : innovation ouverte et participative (MSHB) ; valorisation sociale (MSHS, Poitiers) ; Innovation par l’usage (MSHB) ; valorisation « native » (MSH Paris Nord). 6»
7Les 22 MSH pensées comme des « laboratoires expérimentaux des SHS » constituent de ce fait un lieu idéal d’observation des nouveaux métiers d’appui à la recherche en sciences humaines et sociales.
Quelques expérimentations collectives au sein des MSH.
8En lien avec la crise sanitaire actuelle, trois actions peuvent être mentionnées : la coordination nationale HS3P-CriSE Crises sanitaires et environnementales - Humanités, sciences sociales, santé publique, mise en place par le CNRS et l’Inserm7, à laquelle le RnMSH contribue ; la base de données « Analyses et débats : Les SHS face au Covid 19 »8 mise en place par la MSH Paris-Saclay ; ou encore un programme commun de webinaires scientifiques autour des crises sanitaires et environnementales, impulsé par la MSH Sud - qui toutes ont impliqué de nombreux ingénieurs de différents horizons travaillant au partage d’informations, à la construction de bases de données ou encore à la mise en place de dispositifs de communication.
9Au terme de ce témoignage, et en ayant pour horizon la nouvelle Charte des MSH, nous tenons à insister une nouvelle fois sur l’indispensable collaboration étroite entre techniciens, ingénieurs et chercheurs, chacun contribuant à la réussite de l’entreprise avec son expertise et son expérience, enrichie par le regard de l’autre. Le projet des MSH est ambitieux et bien qu’il soit fondé sur une mutualisation qui n’a cessé d’être affirmée, il exige des recrutements de personnels d’appui adaptés aux objectifs, des réseaux d’échange de compétences actifs, une offre de formation diversifiée et l’adaptation des critères d’évaluation des personnels. L’effort de certaines tutelles est incontestable, il mérite sans aucun doute d’être amplifié dans les années à venir.
Notes de bas de page
1 Cf. les rapports d’Alain Supiot et de Maurice Godelier notamment : Supiot, A. Pour une politique des sciences de l’homme et de la société, PUF, coll. Quadrige, Paris 2001 ; Godelier, M. L’état des Sciences de l’Homme et de la Société en France et leur rôle dans la construction de l’Espace Européen de la Recherche, rapport au Premier Ministre, Paris, 2002.
2 Rapport d’étude sur la BAP D au CNRS : Entre savoirs et savoir-faire, compétences disciplinaires et compétences techniques, les métiers des ingénieurs et techniciens en sciences humaines et sociales, présenté au COS (Comité d’orientation et de surveillance) du 13 décembre 2012. Rapport coordonné par Damien Cartron, Monique Bigoteau, Florence Bouyer, Annick Kieffer, Odile Le Brun, Marie-Laure Savoye, Séverine Sanz, Béatrice Simpson et Richard Walter. [http://metiersit.dsi.cnrs.fr/documentations/Correspbapx/EtudeBAPD2012.pdf].
3 « Interdisciplinarité des ingénieur-e-s et des technicien-ne-s au CNRS », mars 2017, étude pilotée par Béatrice Simpson-Monnin, Elsa Cortijo et Muriel Périer. [https://blog-rh.cnrs.fr/wp-content/uploads/2017/03/Etude_interdisciplinarit%C3%A9-IT-2.pdf].
4 Feuille de route Science Ouverte du CNRS : [https://www.cnrs.fr/sites/default/files/press_info/2019-11/Plaquette_ScienceOuverte.pdf].
5 Visibilité et reconnaissance des réseaux professionnels du CNRS-DRH-OMES-Juin2014.
6 https://www.msh-reseau.fr/actualites/les-premiers-pas-de-latelier-valorisation-anime-par-le-rnmsh-comment-les-resultats-de
Auteurs
Secrétaire générale du Réseau national des MSH et directrice de l’unité mixte de service 3603 adossée au GiS RnMSH.
Secrétaire générale de la MSH Paris Nord.
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