1La construction d’une politique de sites universitaires a reconfiguré le paysage de la recherche autour de grands ensembles, dans lesquels les SHS sont en général confortées. Un des objectifs poursuivis est que les infrastructures de recherche en SHS (notamment dans le numérique) permettent à tous les chercheurs et enseignants-chercheurs d’accéder aux données, où qu’ils soient sur le territoire. Et les MSH, chacune sur son site, jouent alors un rôle-clé de creuset interdisciplinaire, encourageant les accès aux infrastructures et constituant un facteur d’innovation. Dans cette perspective, le Réseau national des MSH favorise des synergies, des partages de compétences et des échanges territoriaux. Et ce, en s’appuyant en particulier sur le conseil scientifique national du Réseau, qui a une composition pluridisciplinaire large et internationale. Le conseil scientifique joue un rôle de gardien des principes en même temps qu’il est un go between et un passeur d’expérimentations entre MSH.

2Initialement, lors de la première construction du Réseau national des MSH, avait été mis en place un « Conseil d’orientation scientifique ». A travers trois générations de structuration des MSH, ce conseil, tout en changeant partiellement de nom, a conservé un rôle d’impulsion en même temps que d’évaluation. Ce rôle est caractérisé à la fois par la pérennité des objectifs et par une adaptation à l’évolution des contextes du monde universitaire.

3Le conseil scientifique du Réseau national des MSH réunit actuellement 16 membres, proposés par le Comité directeur, en veillant à une bonne représentativité des différents secteurs des SHS. Sur proposition du CNRS (1/3), de la CPU (1/3) et de l’assemblée des directrices et directeurs des MSH (1/3), les membres de ce conseil scientifique (chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs) sont choisis en fonction de leurs compétences dans les domaines des SHS et de leurs interfaces avec d’autres sciences. La moitié d’entre eux (8) est en poste à l’étranger. C’est donc un conseil mobilisant des références internationales, avec des compétences pluridisciplinaires et intersectorielles.

Un rôle multiforme

4Actualisé par la convention constitutive de 2019, le rôle du conseil scientifique du Réseau est à plusieurs facettes. Il donne en particulier son avis, transmis au Comité directeur ainsi qu’au Conseil des tutelles, sur les demandes d’adhésion (et, symétriquement, sur la suspension ou le retrait du label MSH), demandes qu’il évalue conformément aux principes de la Charte des MSH. Par le biais de ses membres, qui sont également présents comme correspondants au sein de chaque conseil scientifique de MSH, il apporte par ailleurs son soutien et son expertise aux MSH et il assure le suivi de leurs orientations dans le cadre du Réseau. C’est là une fonction importante de circulation de l’information et de suivi des activités scientifiques. En plus de ces fonctions d’évaluation et de pilotage, il a l’initiative de formuler des avis et des propositions sur les orientations générales et les priorités stratégiques du Réseau. Il peut intervenir ainsi comme catalyseur et diffuseur d’expérimentations, ainsi que le montre le projet de colloque national sur le thème « Interdiciplinarité(s) ».

5Durant ces dernières années, l’activité du conseil a concerné largement l’instruction des demandes d’adhésion et/ou de validation de nouveaux projets d’action proposés par des MSH préexistantes. Il a suivi par ailleurs l’expérience de jumelage du Réseau avec des dispositifs interdisciplinaires existants ou émergeants sur des sites à l’étranger (Belgique, Tunisie). Enfin, il a formulé des initiatives nouvelles en matière de valorisation des recherches dans les MSH et d’encouragement à l’interdisciplinarité.

6Ainsi, l’activité du Réseau se situe dans un contexte universitaire marqué par de profondes et rapides évolutions qui ont amené ces dernières années son conseil scientifique à prendre des initiatives que l’on va présenter synthétiquement ici.

7Rappelons d’abord l’évolution profonde du contexte. Il est dorénavant important de prendre en compte la structuration renforcée de sites universitaires en lien avec l’autonomie de gestion et de politique scientifique récemment conférée par la loi. Mais il convient de noter également le rôle stratégique de la valorisation des travaux des MSH, non seulement en direction des entreprises présentes sur leur périmètre mais, tout autant, vers la société civile et les acteurs publics. Car ces derniers contribuent à la définition des priorités de recherche régionales et locales et, pour une bonne part, au financement des MSH.

8Ces évolutions institutionnelles vont en réalité dans le même sens que l’émergence, tout aussi décisive, de nouvelles priorités scientifiques. En effet, le déploiement à travers la société et l’entreprise des technologies de l’information et de la communication, les questions vives de santé publique et de biotechnologie, les enjeux climatiques et environnementaux, correspondent, chacun à leur manière, à de nouveaux « grands défis de société ». Et en termes de pilotage scientifique, il ne faut pas oublier non plus des évolutions moins médiatiques et visibles, comme le risque de marginalisation de « sciences rares », celles à petits effectifs et à faibles ressources contractuelles, mais qui restent garantes en SHS d’un capital d’érudition et de réflexion.

9Le conseil scientifique du Réseau s’est saisi depuis 2016 de ces questions émergeantes, qui ont fait l’objet d’initiatives et de propositions validées par les instances de décision du Réseau. Faisons une évocation rapide des deux principales d’entre elles : la valorisation vers l’action publique et l’organisation, en 2021, d’un colloque sur le thème « Interdisciplinarité(s) ».

La valorisation vers l’action publique : les MSH sur leurs territoires

10Le conseil scientifique est parti d’un bilan. Des autorités locales sont déjà présentes dans les instances de pilotage des MSH, telles leurs conseils scientifiques ; elles peuvent donc y faire valoir leurs attentes. En retour des directeurs de MSH participent aux instances consultatives de certains Conseils régionaux. Cependant, les MSH sont encore insuffisamment visibles aux yeux de responsables locaux, qui s’adresseront plus volontiers à tel ou tel laboratoire spécifique ou, s’ils sont dans l’hésitation, au niveau général d’une présidence d’université.

11C’est là un paradoxe préjudiciable, alors que les MSH sont en réalité placées au mieux pour favoriser des coordinations entre plusieurs centres de recherche et pour nourrir les éclairages interdisciplinaires qui sont aujourd’hui nécessaires à la plupart des choix de l’action publique. Il convient donc de valoriser le rôle des MSH et de les conforter comme interlocuteurs interdisciplinaires sur leurs sites.

12Certes, la Charte des MSH avait appelé, dès 1999, à « la meilleure diffusion possible des recherches auprès des institutions publiques ou privées, à l’échelle locale, nationale ou internationale ». Et la valorisation locale des recherches avait fait partie d’emblée des priorités de plusieurs MSH, comme le soulignait le rapport Commaille « Avenir de la recherche et MSH » dès 2006. Cette préoccupation a été ensuite actualisée par l’un des cinq grands principes d’action des MSH : « l’implantation territoriale ». Cela s’est concrétisé par la valorisation engagée principalement vers les acteurs socio-économiques, puisque les collectivités locales sont parties prenantes du développement économique territorial. Néanmoins, s’il convient de « visibiliser la recherche des MSH sur leurs territoires », c’est aussi vers la diversité des politiques publiques des autorités locales, Régions, Départements, Métropoles, agglomérations et villes qu’il faut se tourner. C’est là un enjeu intellectuel autant qu’institutionnel. L’important est de stimuler l’inscription politique et sociale des travaux de recherche et d’assurer un ancrage local et régional des MSH dans des domaines aussi divers que l’archéologie, l’aide sociale, la culture, la sécurité des personnes, la santé, l’emploi, les transports, l’éducation ou le patrimoine.

13Il apparaît essentiel de valoriser les expériences menées et de systématiser des partenariats entre les MSH et ces médiateurs publics des intérêts et populations que sont les collectivités locales. La valeur ajoutée de ces partenariats de veille et/ou d’analyse avec les MSH tient notamment à une contextualisation scientifique large et à une capacité à formaliser la complexité, c’est-à-dire à comprendre l’interdépendance entre divers enjeux. Les SHS ont ainsi vocation à être mobilisées « en interdisciplinaire » mais aussi « en intersectoriel », notamment avec les sciences de l’ingénieur, les TIC, la médecine, etc.

14De ce point de vue, bien des atouts sont déjà présents dans les MSH. La structuration des plateformes et le déploiement des TGIR permettent d’alimenter des travaux allant à la rencontre des attentes d’autorités locales. On pense également à la diversité des dispositifs d’analyse qui peuvent y être liés : les indicateurs locaux, à portée sociale ou environnementale ; les Observatoires et diagnostics territoriaux ; les SIG et la cartographie analytique (archéologie, réseaux urbains) ; les diagnostics décisionnels ; les enquêtes qualitatives (notamment sur les questions patrimoniales et culturelles) ; les traitements des données et les Big Data.

15Il peut s’agir dans ces situations d’accompagner, de critiquer parfois, et d’évaluer la commande publique. Au-delà des recettes d’action habituelles, c’est l’occasion grâce à la recherche, d’une analyse des résistances, des échecs, ou des blocages de politiques publiques. Les SHS permettent ainsi de comprendre et d’approfondir les situations de controverse, d’incertitude et de risques, en se situant en amont des agendas de court terme. Il faut donc ajouter à la valorisation ex-post de travaux de recherche, pour lesquels est demandé aux MSH de faire connaître et mettre en valeur des résultats préalables, la possibilité d’une co-construction avec un commanditaire d’une programmation de recherche, proche ou non d’une démarche d’expertise. Les deux formes de valorisation impliquent des modalités différentes, pour que les démarches des SHS ne se limitent pas à des mesures « d’acceptabilité » ou d’« impact social » des politiques.

16Pour conforter ces différentes démarches de valorisation, le conseil scientifique a mis en avant deux propositions en 2018 :

1 - Des montages partenariaux de valorisation

17Loin des lourdeurs organisationnelles, le Réseau pourrait inciter des partenariats entre MSH et collectivités territoriales. Mais ceux-ci doivent cependant respecter la temporalité longue de projets de recherche, co-définis et soutenus financièrement avec des collectivités locales. Il s’agirait donc de partenariats mis en œuvre à travers des formes de conventions cadres englobant plusieurs actions, et de conventions CIFRE pour des doctorants sur des sujets concernant les politiques publiques locales, ou bien encore de contrats conseil, conclus directement entre collectivités territoriales et MSH-Universités.

18Cela peut servir de support à des expériences de « prix de valorisation » et à des « salons régionaux de mise en valeur » des travaux de recherche, en relation avec des évènements locaux ou des agendas politiques et sociaux sur site.

19Dans ces rapports de coopération entre pouvoirs locaux et MSH, il faut bien entendu éviter les risques du localisme et veiller à préserver l’indépendance des équipes de recherche. Ceci passe par une pluralisation des interlocuteurs. Il est important de diversifier les collectivités locales interlocutrices et d’impliquer dans ces montages partenariaux des associations ou ONG concernées. Il convient également d’élargir le cercle des parties prenantes, chaque fois que possible, à des établissements publics locaux (tels les FRAC, Musées, acteurs culturels et sociaux, etc.)

2- Des « profils dédiés » à la valorisation dans chaque MSH

20Des conventions partenariales avec les acteurs publics locaux (par exemple sous forme de marchés publics sans mise en concurrence) seraient à accompagner par la désignation de chefs de projets et de comités spécifiques de suivi et d’évaluation. Les personnels des MSH ont ici toute leur expérience à faire valoir. Il faudrait aussi pouvoir définir les « profils de fonction » et désigner des responsables de la valorisation territoriale, systématiquement au sein de chaque MSH. Complémentairement, le conseil scientifique de chacune des MSH devrait pouvoir contribuer au pilotage de ces partenariats et à leur évaluation en continu. On pourrait aussi envisager d’assurer la représentation d’une ou de plusieurs collectivités territoriales dans le comité de suivi, avec voix consultative.

21Sur la base de ces propositions, le Comité directeur du Réseau a décidé la création d’un groupe de travail ad hoc réunissant à la fois des directeurs de MSH, des membres du conseil scientifique et du CVT Athéna, pour cerner plus précisément les contours de la valorisation en SHS, et pour évaluer les forces et opportunités des expériences déjà menées et faire des propositions pratiques. Ce groupe a travaillé au long de l’année 2018 et a réuni trois ateliers autour des chargés de valorisation en fonction dans certaines des MSH. Le rapport final, remis en juin 2019 par Francis Aubert, souligne la diversité, voire la profusion des démarches déjà menées par les MSH et la difficulté de les situer dans un cadre d’ensemble. Mais en plus de favoriser des échanges d’expériences entre MSH, ce groupe de travail s’est intéressé à la question des indicateurs de suivi des activités de valorisation. S’ils ont leur intérêt en tant que « tableaux de bord » de suivi des fonctions qui sont assurées par les MSH, le rapport souligne aussi leurs limites en tant que mesures d’impact social des activités de valorisation. Il suggère donc plutôt de raisonner en termes d’analyses de processus, ce qui serait également important pour construire une politique d’ensemble de la valorisation dans le Réseau des MSH.

Un Colloque national du Réseau sur le thème « Interdisciplinarité(s) »

22Le conseil scientifique a été très attentif aux nouveaux contextes du développement de la connaissance pour la dynamique des SHS :

• d’abord la possibilité d’une capitalisation plus forte sur les développements passés de la connaissance grâce aux nouvelles technologies d’investigation et de traitement des données, encourageant une évolution très rapide des paradigmes et des méthodes.
• Ensuite, depuis la création de la première MSH à Paris et la diffusion du « modèle MSH » en France, l’ajout à la construction d’une interdisciplinarité interne aux SHS d’une ambition plus large d’« intersectorialité ». C’est-à-dire la favorisation des échanges et des collaborations des SHS avec les sciences de la nature et des techniques. Certains défis de société y conduisent particulièrement : la question des « risques », celle du climat, celle des biotechnologies.
• La volonté pour les SHS de ne pas être assignées à l’étude de « l’acceptabilité » sociale des évolutions technoscientifiques, mais bien de permettre d’interroger les préalables des demandes de recherche, et donc les prérequis ou les implicites des politiques publiques.
• Enfin, une attention renouvelée pour la « recherche-action » qu’on nomme aujourd’hui recherche participative, nécessitant de trouver des équilibres entre la vision large des publics (ou des acteurs politiques) et des recherches très pointues, souvent segmentées par la spécialisation scientifique.

23Ces éléments ont conduit à proposer un colloque national, organisé en 2021 autour du thème « Interdisciplinarité(s) », dont l’objectif serait d’articuler étroitement les réflexions sur les aspects fondamentaux de l’interdisciplinarité avec l’analyse des expériences interdisciplinaires déjà conduites dans les MSH. C’est pourquoi l’emploi du pluriel a été privilégié dans le titre de ce colloque, ouvrant au maximum le champ des analyses et des réflexions.

24Certes, l’interdisciplinarité n’est pas un problème nouveau mais elle reste une question-clé, toujours à retravailler, pour approfondir les conditions de la production scientifique. En proposant un colloque sur ce thème, le conseil scientifique du Réseau a souhaité notamment être un acteur de l’intensification des relations et de l’échange d’expériences entre les différentes MSH. C’est cette perspective de rencontre scientifique au plan national et international qui a reçu l’assentiment du Comité directeur et des tutelles.

25Les multiples « demandes » ou attentes actuelles d’interdisciplinarité(s), laissent apparaître trois grandes dynamiques :

• La mise en forme par les milieux scientifiques de nouveaux objets de recherche qui relativisent les structurations disciplinaires préétablies (par exemple les liens santé-environnement-alimentation, l’intelligence collective appliquée aux actions publiques, ou encore la diffusion des systèmes d’information géographique).
• L’émergence d’importants champs scientifiques autour de structurations théoriques renouvelées (par exemple les sciences cognitives, les théories de la complexité ou l’intelligence artificielle).
• L’affirmation de défis de société « transversaux », ayant chacun des enjeux éducatifs forts (par exemple le climat, la protection des ressources naturelles, les migrations, la globalisation de la sécurité, la durabilité économique, ou encore la métropolisation).

26Pour faire place à ces dynamiques d’ensemble et, en même temps, mettre en valeur l’expérience spécifique des MSH, le colloque proposé sera organisé autour de deux agencements complémentaires de réflexions et de débats. D’une part les expériences d’interdisciplinarité menées par les MSH (terminées ou en cours ; bons exemples ou bien échecs instructifs), ceci pour valoriser l’interdisciplinarité « en acte » et les acquis des MSH, mais aussi pour identifier les principales difficultés et obstacles auxquels peuvent se heurter, et se heurtent de fait, les formes d’interdisciplinarité(s) et d’intersectorialité développées. D’autre part des éléments de réflexion plus généraux concernant notamment l’épistémologie de l’interdisciplinarité, et surtout l’évolution de son statut et de son rôle dans le système universitaire actuel et face aux grands défis de société, ainsi que des formes de comparaisons internationales dans ce domaine.

27Ces propositions ont été validées par le Comité directeur fin 2019. En dépit de l’exceptionnalité de l’année 2020, un comité d’organisation a commencé à fonctionner et fait un appel à contributions auprès des différentes MSH souhaitant présenter et discuter collectivement leurs expériences d’interdisciplinarité, au regard des évolutions des enjeux théoriques actuels des interdisciplinarité(s). L’organisation des contributions et la préfiguration des ateliers thématiques du colloque prévu en 2021 sont en cours.

Pour conclure

28Ces différents éléments rapides concernant les fonctions et les initiatives du conseil scientifique illustrent son rôle garant des principes fondateurs des MSH dans un dispositif comportant une multitude de tutelles, de partenaires des milieux académiques mais aussi sociaux, économiques, culturels et politiques. Dans un tel contexte, le conseil scientifique du RnMSH est une sorte de gardien des principes en même temps qu’un go between et un passeur d’innovations.