1On pouvait craindre qu’un nouvel ouvrage consacré aux Maisons des Sciences de l’Homme (MSH) soit une occasion de s’en tenir à assurer leur promotion, à ré-éclairer « quinze ans après », sous une lumière avantageuse, le dispositif que nous décrivions en 2006, aux premiers temps de sa mise en place. Mais, comme le lecteur pourra l’observer, la tonalité générale des propos tenus et des analyses proposées dans ce livre n’est pas celle de l’autocélébration. Outre la présentation de ce qu’est la réalité actuelle de ces MSH dans ses diverses déclinaisons, ce qui importe à l’ensemble des contributeurs réunis pour ce volume ce sont également les potentialités de ce type de structure et les enjeux que ses modes originaux de fonctionnement comportent non seulement pour son propre avenir mais pour celui de l’ensemble de la recherche en sciences humaines et sociales.

2Ce dispositif institutionnel a un destin hors du commun. Il a pour genèse une « utopie braudélienne », comme le rappelle si justement Maurice Garden, l’un des acteurs importants dans l’histoire contemporaine de la politique de développement des MSH, avec ce que tout cela signifie d’imagination créatrice en faveur d’une activité de recherche qui se propose d’abaisser toutes les divisions établies dont on ne sait plus si elles sont pertinentes pour le travail de connaissance ou seulement utiles pour la défense de territoires académiques, notamment celles entre disciplines et spécialisations, celles entre pays et régions du monde, ou encore celles entre la recherche et la société. Les MSH sont donc un creuset particulier d’interdisciplinarité. Elles sont devenues le lieu d’approfondissement des questions les plus transversales et des nouveaux sujets émergents. Au risque, mais aussi au bénéfice de « l’indiscipline », elles peuvent favoriser plus encore la fluidité des frontières entre les savoirs.

3Ce qui est remarquable dans cette aventure, c’est que l’ambition qui l’inspire n’a pas ensuite sombré, victime des pesanteurs institutionnelles ou de celles de la bureaucratie académique. Elle va, au contraire, remarquablement prospérer jusqu’à connaître sa configuration actuelle, c’est-à-dire un essaimage sur le territoire français qui a cette superbe particularité de concilier un ancrage dans le local et des échanges nationaux via son réseau (le Réseau national des Maisons des Sciences de l’Homme – RnMSH). L’institutionnalisation n’a pas affaibli le projet initial et il faut saluer ici l’exceptionnelle conjonction des volontés : celles des acteurs mêmes des MSH, celles du CNRS, celles des universités, et, dans beaucoup de cas, celles des Régions et du ministère en charge de la recherche. Les MSH en réseau contribuent ainsi à une nouvelle structuration territoriale des laboratoires des sciences de l’homme et de la société propice à la politique de site, au renforcement des moyens de l’interdisciplinarité, ainsi qu’à une circulation accrue des expériences et des modes de faire.

4Au fil des analyses qui sont offertes dans cet ouvrage, la présentation des dispositifs, des instruments, des infrastructures, fournit la matière nécessaire à un retour réflexif sur les MSH et à l’examen des enjeux pour l’avenir, tels qu’ils se dessinent aujourd’hui dans la continuité et dans la réactualisation des principes fondateurs : interinstitutionnalité, interdisciplinarité, international, insertion dans son environnement, identité scientifique. Les MSH sont ainsi devenues de véritables « laboratoires expérimentaux » où sont avancées des réponses à des questions majeures pour les sciences humaines et sociales.

5Pour rendre compte de la vie de ces lieux originaux, le présent volume développe d’abord divers aspects de ce que nous avons désigné, en titre de première partie, sous le terme d’ « utopie concrétisée » : les circonstances dans lesquelles les Maisons ont été créées, leur adaptation au changement d’esprit de la recherche, les formes nouvelles d’implication du niveau local associées à la recherche de nouveaux équilibres avec le niveau national, les enjeux relatifs à la recherche partenariale, et ceux impliqués par les différentes modalités de la recherche dite « participative ». Une part de l’activité des MSH renvoie en effet à un débat d’une importance particulière touchant la place du citoyen dans la recherche, les exigences qu’il est en droit de formuler, le rôle dans lequel il est susceptible d’être sollicité. Après un texte abordant la question de l’internationalité des Maisons, de ses formes et de ses finalités, la partie se clôt sur un point de vue étranger, exposant le système riche et original des MSH tel qu’il peut apparaître aux yeux d’un observateur extérieur, depuis l’Amérique du Nord.

6La deuxième partie livre un ensemble d’analyses et d’expériences relatives aux structures, au fonctionnement concret du dispositif et à ses potentialités. La troisième partie aborde la question des grands équipements des SHS pour lesquels les MSH sont devenues de véritables nœuds d’accès ; la quatrième est l’occasion de revenir sur les formes de la pluri et de l’interdisciplinarité. Enfin, la dernière partie du livre expose quelques exemples de recherches conduites au sein des MSH ou conjointement entre plusieurs Maisons.

7Par ces différentes perspectives, se dessine également l’avenir de l’ensemble de la recherche en sciences humaines et sociales