50 ans d’archéologie française au Soudan
|Bien plus qu’une coopération archéologique et patrimoniale
Texte intégral
1La coopération archéologique et patrimoniale développée par la France au Soudan est, à plus d’un égard, exemplaire. Elle a su, depuis l’indépendance du pays déclarée fin 1955, prendre sans à-coups le relais de l’administration britannique — qui avait créé, un demi-siècle plus tôt, les cadres généraux, non seulement de l’archéologie, mais, plus généralement, de la gestion du patrimoine historique du pays.
2Le début des années cinquante marque un tournant dans l’étude et la protection des civilisations antiques de la vallée du Nil. Au Soudan, le départ de l’administration britannique provoque un mouvement comparable à celui qui porta les Français à administrer les antiquités d’Égypte dans le dernier quart du xixe siècle, un peu pour la même raison. S’y ajoutait, pour l’Égypte, naturellement, l’antériorité de la découverte de Champollion et des travaux qui s’ensuivirent, dans la lignée de l’expédition de Bonaparte. Cette suprématie française dans la gestion des antiquités et du patrimoine ne survécut pas longtemps à la révolution nassérienne et laissa la place à une gestion purement nationale au cours de ces mêmes années cinquante, ramenant les Français au même niveau que les autres nationalités intervenant en Égypte.
3Sans qu’il y ait eu de remplacement de l’un des terrains par l’autre, ce sont essentiellement des égyptologues qui se sont tournés vers le Soudan, apportant les stratégies et les problématiques de recherches qu’ils mettaient déjà en œuvre au nord de la première cataracte. L’archéologie du Soudan a donc été, dans les premiers temps, très semblable à celle d’Égypte, s’attachant de préférence aux sites monumentaux et aux nécropoles contemporaines des pharaons. Mais la réalité de la longue histoire du pays s’est imposée rapidement : les méthodes d’investigation des préhistoriens, associées aux techniques de laboratoire, ont permis une évaluation plus fine des sociétés réellement autochtones, des plus hautes origines aux riches témoignages chrétiens et médiévaux.
4Dans ce curieux chassé-croisé, c’est, dans les deux cas, la personnalité d’un homme qui a permis d’ancrer ce choix politique dans la réalité. En Égypte, ce fut Auguste Mariette ; au Soudan, Jean Vercoutter. L’un comme l’autre créèrent le service des Antiquités et surent l’asseoir sur des bases scientifiques et humaines profitables aux deux parties.
5Pour ce qui est du Soudan, enfin, un autre événement fut déterminant : la décision prise par Gamal Abdel Nasser en 1954 de faire construire le haut barrage d’Assouan, qui devait, vingt ans plus tard, amener les eaux du Nil à noyer toute la Basse Nubie. Fort de son expérience du terrain et des contacts qu’il avait noués avec ses collègues d’autres pays, Jean Vercoutter sut concentrer les énergies sur les objectifs de la campagne de sauvetage des monuments de Nubie menée par l’Unesco : il permit de réaliser, en particulier, des surveys, moins spectaculaires peut-être que les démontages et déplacements des grands temples, mais tout aussi fondamentaux. Au cours de ces vingt années, le réseau scientifique se resserra ainsi, et le nombre de missions archéologiques augmenta, si bien qu’en 1967 la section française de la direction des Antiquités du Soudan fut créée ; son existence fut ratifiée, deux ans plus tard, dans le cadre de l’accord de coopération entre la France et le Soudan, signé en décembre 1969.
6Partie prenante de la National Corporation for Antiquities and Museums, elle joue depuis un rôle central dans toutes les activités archéologiques et patrimoniales du pays, mais également dans la publication des divers travaux réalisés. Bien souvent intermédiaire avec les missions étrangères, forte de la confiance toujours renouvelée des autorités soudanaises, elle joue pleinement son rôle de recherche et de formation, en coordination avec les services culturels et de coopération de l’ambassade de France à Khartoum et forte de l’appui de la direction des Sciences humaines et sociales du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
7La Sfdas, en effet, fait partie aujourd’hui du réseau des vingt-sept Instituts français de recherche à l’étranger (Umifre), placés sous la tutelle du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et du Centre national de la recherche scientifique. Ses liens étroits avec le monde universitaire, jusque récemment plus particulièrement avec l’université Lille-III-Charles-de-Gaulle (où avait été créée pour Jean Vercoutter en 1961 une chaire d’égyptologie et de papyrologie), mais également son orientation vers l’archéologie soudanaise — aujourd’hui avec l’Umr 8167 « Orient & Méditerranée », basée à la Sorbonne —, lui permettent une action continue entre coopération et formation, et ce dans tous ses domaines d’activité.
8Vincent Francigny, directeur de la Sfdas de 2014 à 2018 et désormais rattaché à cette équipe, a repris la direction des fouilles de Saï en 2015, avec l’appui de la Commission consultative des fouilles française à l’étranger du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Celle-ci s’implique également directement dans d’autres missions, qui travaillent en relation avec la Sfdas : la mission archéologique de Sedeinga, dirigée par Claude Rilly, lui aussi directeur de la Sfdas de 2009 à 2014, également la mission de Kerma/Doukki Gel, fondée par Charles Bonnet, membre de l’Institut, et dirigée aujourd’hui sur le terrain par Séverine Marchi. — Tout cela sans compter la mission du Louvre sur les sites de Mouweiss puis d’el-Hassa ou les activités de l’antenne de Khartoum du Cedej, qui travaille sur le monde contemporain en étroite collaboration avec la Sfdas.
9Le but de cette courte évocation n’est pas de retracer l’histoire de la Sfdas, présentée dans cet ouvrage par Hatim el-Nour Ogeil, mais plus de tenter de mettre en lumière son rôle dans l’action diplomatique d’influence de notre pays. Le Soudan a été pendant longtemps tenu à l’écart de la scène politique internationale : à cause de son histoire récente et des conflits qu’elle a générés, jusqu’à la partition du pays en deux, mais également à cause des liens établis par ses gouvernements successifs, volontairement ou non, avec l’islam le plus radical. C’est ainsi que de grands États, au premier rang desquels les États-Unis d’Amérique, mais suivis par de nombreux autres, l’ont mis au ban des relations internationales et coupé, en particulier, de certains programmes d’aide humanitaire, culturelle et sociale. Une fois de plus, la population civile a eu à souffrir des choix politiques de ses dirigeants. La révolution commencée en décembre 2018 semble avoir inauguré une nouvelle ère — en tout cas, elle permet au moins à la société civile d’exister dans le système politique. Ces mouvements, nés avec les « printemps arabes », de 2010 à 2012, ont connu des succès divers, même si la révolution naissante au Liban montre clairement qu’il y a des limites au soutenable…
10Face à de telles situations, les exhortations politiques sont certainement de moindre poids que l’aide apportée aux pays pour comprendre, protéger et valoriser ce qui les définit bien mieux que les théories politiques : leur patrimoine historique et culturel, bien plus profondément enraciné que les idéologies. En cela aussi et surtout, la coopération que notre pays mène à travers son réseau scientifique est exemplaire : la Sfdas y joue avec brio son rôle dans cette partie du monde où les tensions sont si fortes et la solidarité internationale bien rare.
© Africae, 2020