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Gassendi et l’Europe (1592-1792)

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Sylvia Murr

B. Gassendi et sa postérité

Blégny et Gassendi

Nicolas de Blégny and Gassendi

Olivier Bloch

Résumé

A close study of the texts published in Holland between 1679 and 1681 by the physician Nicolas de Blégny (1646-1722) shows that his physics, although blending Cartesian and Gassendian elements, may be labelled Gassendist for two reasons: 1. he acknowledges the concept and reality of void, and 2. he considers matter and pure space to be mutually exclusive.

Textual comparison yields evidence that Blégny owes whatever he knows of Gassendi’s doctrine to Bernier’s 1674 Abrégé, and that his reading is more deliberately materialistic than his source. He thus prepares the ground for a further step towards the materialistic philosophy of the French Enlightenment, namely the doctrine of the sensibility of matter developed in 1714 by another french physician, Abraham Gaultier.

Texte intégral

  • 1  Cf. l’article Blégny (Nicolas de), dans le Dictionnaire de biographie française de M. Prevost et R (...)
  • 2  Voir sur ce point, outre les articles biographiques cités dans la note précédente : Albert G. Nich (...)

1Nicolas de Blégny (1646-1722) est ce médecin, maltraité par les biographes après l’avoir été par ses confrères de Paris1, qui a publié de 1679 à 1681 une série de journaux de médecine considérés comme les premiers du genre2.

2Il s’agit, successivement, de :

    • 3  Paris, chez Laurent d’Hourry, 1679. On le trouve à la B.N. sous la cote : T33. 2 (1).

    Les Nouvelles Descouvertes sur toutes les parties de la Medecine, Recueillies en l’année 1679. Par N.D.B. Chirurgien du Roy, Maistre et Juré à Paris3 (en abrégé ci-dessous : ND) ;

    • 4  Par Nicolas de Blegny, chirurgien du Roy, Maistre et Iuré à Paris. A Paris, chez l’Autheur, chez C (...)

    Le Temple d’Esculape ou le dépositaire des Nouvelles Découvertes Qui se font journellement dans toutes les parties de la Medecine, – Tome deuxieme, Contenant celles qui ont esté recueillies durant le cours de l’année 1680 4 (en abrégé : TE) – ce titre couvre en fait une partie du premier semestre seulement (de janvier à mai), et le journal s’intitule pour les mois suivants.

    • 5  Par Nicolas de Blegny, chirurgien ordinaire du Corps de Monsieur Pendant les Années 1680 & 1681 [s (...)

    Nouveautez Journalieres concernant les Sciences et les Arts qui font partie de la Medecine5 (en abrégé : NJ) (du 1er juin au 5 octobre), – enfin, après quelques semaines d’interruption,

    • 6  Par Nicolas de Blegny, à present Chirurgien ordinaire du Corps de Monsieur, et Juré à Paris, Paris (...)

    Journal des Nouvelles Découvertes concernant les Sciences et les Arts, qui font partie de la Medecine, – Tome III contenant toutes celles qui ont esté recueillies durant le cours de l’année 16816 (en abrégé : JND).

  • 7  Voir sur cette affaire mon ouvrage Parité de la Vie et de la Mort – La Réponse du médecin Gaultier(...)

3Cette publication heurtée, et la succession des titres, reflètent les difficultés rencontrées par l’auteur, l’hostilité à laquelle il se heurtait de la part du corps des médecins de Paris et de la rédaction du Journal des Savants, et autres intrigues dont l’histoire objective reste apparemment à faire. La tentative de reprendre la publication de ses journaux, sur un plan élargi qu’annonçaient les sous-titres des deux derniers, se traduira au début de 1684 par la parution éphémère, chez Henri Desbordes à Amsterdam, en collaboration avec son confrère le médecin protestant niortais Abraham Gaultier qui s’y trouvait alors, des deux numéros du Mercure Sçavant, remplacé immédiatement par les Nouvelles de la République des Lettres de Pierre Bayle7.

4À côté des considérations, observations et prescriptions proprement médicales et pharmaceutiques qui en occupent la majeure partie, ou avec elles, le texte des journaux de Blégny témoigne du désir de se montrer au courant des idées à la mode, et d’une certaine familiarité avec les milieux intellectuels parisiens, en particulier ceux qui sont dans le prolongement de l’ancien libertinage érudit.

  • 8  En particulier une lettre adressée par Bourdelot au premier médecin du roi, lettre que son auteur (...)

5On y trouve en particulier diverses mentions de Bourdelot, et plusieurs lettres de celui-ci, qui paraissent établir l’existence de relations d’estime assez poussées entre les deux médecins8, plusieurs mentions de Bernier, l’une au moins de Gilles de Launay, ainsi que plusieurs références à Guillaume Lamy, dont le Journal des Nouvelles Découvertes (numéro d’août 1681, p. 381) annonce la réimpression de l’ Explication mécanique et physique des fonctions de l’âme sensitive.

6Gassendi est mentionné dans les numéros de septembre (p. 405-406) et de décembre (pp. 546-547) du même journal à propos de l’utilité du binocle, la seconde mention étant, il est vrai, consacrée à rectifier l’opinion qui lui avait été prêtée sur ce point par la première...

7Mais ce sont essentiellement les Nouvelles recherches sur la nature des corps mixtes que Blégny avait présentées dans plusieurs numéros des journaux de 1679 et 1680 qui doivent ici retenir notre attention.

8Ces « Recherches », qui sont l’œuvre de Blégny lui-même, sont distribuées en cinq « Reflexions ».

  • 9  « Je prevoy bien que vous ne manquerez pas de vous plaindre de ce que je vous propose des remedes, (...)
  • 10  Celles des Péripatéticiens (p. 151), de « ceux qui reconnoissent la matiere, l’esprit & la lumiere (...)

9La première, qui figure dans la Lettre IV, datée du 28 avril 1679, des Nouvelles Découvertes (pp. 150-160), y est précédée d’une justification par la nécessité de fonder, dirions-nous, la thérapeutique sur une étiologie, et celle-ci sur la science de la nature9 ; elle part des divergences entre philosophes sur l’explication des principes des Estres corporels, dont Blégny critique sommairement quelques doctrines10, pour en venir aux fondements que propose l’auteur.

  • 11  Pour juger de la « subordination » de ces deux principes, « il suffit de poser », nous dit-on, « I (...)

10Son premier principe est le « premier estre, qui est la cause, & par consequent le principe universel de tout ce que nous voyons », que l’on nomme Dieu et à qui, sans pour autant connaître son essence, nous avons raison de rapporter « la creation du Monde, & tout ce qu’il y a de plus universel dans sa composition » (p. 154). À ce premier principe efficient il faut ajouter un second principe, qui « concourt à la production des Etres réels » à titre de « sujet » sur lequel s’exerce le premier, et qui peut être nommé « cause ou principe essentiel, & de composition » (p. 155). Suit une série d’axiomes11, d’où Blégny fait sortir un principe efficient de second rang, agent universel des corps, qu’il appelle d’abord Esprit, pour préciser bientôt qu’il est « ce que tous les Philosophes appellent Nature, ou encore intellect, feu & esprit universel » (p. 157), sans qu’on soit éclairé pour autant sur son essence.

  • 12  « [...] lors par exemple qu’on nous dit dans les Escolles, que la Nature est la cause du mouvement (...)

11C’est pour faire la lumière sur ce point qu’on en appelle alors aux « nouveaux Philosophes »12, sous la figure d’abord de « M. Gassendi », qui

« nous assure que c’est une substance purement corporelle, qui peut estre considerée comme matiere, en temps qu’elle entre dans la composition des estres materiels, & comme cause en temps qu’elle y produit les effets que nous voyons ; ce qu’il pretend de montrer, en soutenant que les actions phisiques estant corporelles, un estre incorporel ne peut pas estre appliqué à un corps pour le faire agir, parce qu’en temps que tel il ne peut toucher ny estre touché » (pp. 157-158).

12Cette thèse est toutefois immédiatement écartée, au nom en particulier de l’incorporéité de l’âme raisonnable, dont « personne ne doute », pour revenir à l’idée de Nature, dont

« nous sommes assurez qu’elle est immediatement aprés Dieu, le principe efficient des estres corporels, c’est à dire celuy qui les informe, en donnant à leurs parties le mouvement, le repos, la grandeur, la figure, & la situation qu’elles doivent avoir, pour que les corps soient tels que nous les connoissons » (p. 159),

  • 13  « Mais puisqu’en considerant la Nature comme un estre réel, j’ay dû supposer que Dieu qui en est l (...)

et renvoyer à une seconde « Reflexion » la question de savoir quel est le « sujet » sur lequel s’exerce l’action efficiente (de Dieu, ou de la Nature ? Le texte est peu clair sur ce point13) pour produire « les modifications qu’on remarque dans les corps ».

13Cette Réflexion II (ND, lettre V du 28 juin 1679, 202-218), ainsi consacrée à ce sujet « que la nature employe pour la formation de tous les corps » (202), ne tarde pas à le nommer « matière » (203).

14Après le rejet de quelques définitions traditionnelles de celle-ci (203-205), on en revient aux opinions des nouveaux philosophes : Descartes, qui la définit par l’étendue (206-207), et Gassendi, qui la définit par la solidité (207-208). La contradiction entre ces deux définitions reposant sur la possibilité du vide, c’est sur celle-ci que porte la discussion qui suit (208-214). Au terme de cette discussion, Blégny donne raison pour l’essentiel à Gassendi :

« Ie croy donc, avec M. Gassendi, que la matière doit estre distinguée de l’espace, & qu’ainsi on ne peut pas dire absolument que la seule estenduë soit l’essence de la matiere premiere » (215),

définit la matière première comme

« une substance solide, estenduë, divisible & figurée, de laquelle tous les corps sont premierement & immediatement composez, & en laquelle ils se resolvent aprés leur détermination » (216),

et termine sa « Réflexion » sur la question de la divisibilité de la matière, à laquelle il donne une réponse corpusculaire :

« les parties de la matière qui forment les corps palpables par leur assemblage, ont une petitesse déterminée en laquelle ils se resolvent en dernier lieu »– 217),

  • 14  « [...] je croy que cette opinion sera d’autant mieux receuë, qu’elle s’accorde avec celle des Per (...)

qu’il présente en fin de compte comme de nature à réconcilier atomistes, cartésiens et péripatéticiens14.

15Les trois « Réflexions » qui suivent sont plus brèves.

  • 15  « La Nature devant donner le mouvement, la [sic] repos, la grandeur, la figure & la situation aux (...)
  • 16  « Ce principe qui a toujours esté reconnu sous le nom de forme, a esté définy par M. Descartes dan (...)
  • 17  Si, dans le cas de l’homme, « la qualité de raisonnable marque ensemble son espece & sa forme, [.. (...)
  • 18  « [...] la forme estant un principe aussi universel que la matiere, on peut bien en donner une not (...)

16La troisième (ND, lettre X du 28 octobre 1679, -453-460) introduit la notion de forme, présentée d’emblée en termes mécanistes15, présentation qui, aussitôt placée sous la caution de Descartes16, exclut le recours aux formes substantielles (455). Blégny va ici jusqu’à « douter mesme si on doit recevoir l’exemple de l’ame raisonnable » (ibid.) à l’appui de l’usage de cette notion, et s’il est vrai que la discussion qui suit (456-458) concernant le corps, l’âme et la puissance de raisonner est rien moins que claire, l’orientation générale en est essentiellement critique et sceptique, voire matérialiste17, de même que celle de l’application qui en est faite à la nature en général (459), et de la conclusion de cette « Réflexion »18.

  • 19  « [...] tout de mesme que la diversité des estres matériels, marque la necessité qu’il y a que la (...)

17Plus brève encore, la « Reflexion IV » (Temple d’Esculape, Lettre III du 4 mars 1680, pp. 89-95) précise cette orientation mécaniste en établissant que « la consideration de toutes les formes particulieres » qu’exige la connaissance des corps ne peut faire voir en eux « qu’un assemblage de plusieurs parties de la matière diversement figurées & formées » (90), diversité qui ne peut être introduite dans la matière unique qui les constitue que par le mouvement19, sur lequel portera donc la Réflexion suivante.

18Celle-ci (Temple d’Esculape, Lettre VI du 15 avril 1680, pp. 254-259) part de la définition aristotélicienne du mouvement comme « acte d’un estre en puissance, en temps qu’il est en puissance » (254), à laquelle on accorde qu’elle

« ne laisse pas de contenir tout ce qui peut estre attribué au mouvement, en ce qu’elle peut également convenir à l’agent & au patient, à ce qui meut & à ce qui est meû » (255),

pour accorder bientôt

« avec tous les Philosophes modernes, que cette définition est obscure, & convenir suivant le sentiment de Messieurs Descartes & Gassendi, qu’il n’y a point d’autre mouvement que le local, parce qu’en effet un corps ne peut-estre meû sans changer tout entier, ou en partie de lieu » (256),

sans pour autant accepter la définition qu’en donne le premier comme « application successive de l’exterieur d’un corps, aux diverses parties de la matière qui l’avoisine » (256-257), ni celle qu’en donne le second comme « passage d’un lieu dans un autre » (257), définitions qui auraient le tort de méconnaître l’inséparabilité du mouvement et de l’action. Moyennant quoi Blégny trouve en fin de compte plus clair et plus juste de le définir comme

« l’acte d’un estre par lequel son tout, ou quelques unes de ses parties sont tranportées du lieu qu’elles occupoient, dans un autre lieu, ou si l’on veut dans une autre partie de l’estenduë ou de l’espace ; car ces mots ne peuvent signifier icy que la mesme chose » (258).

  • 20  « Pour mieux comprendre l’exactitude de cette définition, il s’agiroit maintenant d’en examiner to (...)

19J’ai dit « en fin de compte », car cette réflexion s’interrompt aussitôt sur une prétérition20, et avec elle ces Nouvelles recherches sur la nature des corps mixtes ; on n’en saura donc pas plus sur la nature en question que ces généralités parfois quelque peu fumeuses.

20Du moins sont-elles d’intention nettement mécaniste. De ce mécanisme – et l’on ne saurait s’en étonner en 1679-1680- Descartes et Gassendi sont donc les deux représentants qu’invoque Blégny, à la fois pour s’en réclamer et s’en démarquer.

  • 21  C’est-à-dire le chapitre VII de la Première partie (dans la troisième édition du Traité, Paris, 16 (...)

21En ce qui concerne Descartes, on montrerait aisément qu’en dehors des lieux communs de la vulgate cartésienne, les quelques précisions qu’il fournit sont tirées, ce qui n’a rien non plus pour surprendre en ces années, du Traité de Physique de Rohault, essentiellement du chapitre « De la Matiere »21.

  • 22  Il est difficile de dire s’il s’agit de la première édition, partielle, parue en 1674 chez Jacques (...)

22On ne s’étonnera pas non plus que ce qui est dit de Gassendi vienne, au moins pour l’essentiel, de ce qui est alors à son œuvre ce que la Physique de Rohault est à celle de Descartes, à savoir l’Abrégé de la philosophie de Gassendi de François Bernier22.

  • 23  Ce chapitre correspond au chapitre XIV, de même titre, du Traité premier : « Des Principes Physiqu (...)

23La première occurrence du nom, et de la pensée de Gassendi dans le texte de Blégny, celle qui figure dans la Réflexion I et que j’ai citée tout-à-l’heure (ND, 157- 158), est tirée du chapitre de Bernier : « Quel est l’Interne, & Premier Principe d’agir dans les causes secondes », qui dans l’édition de 1678 est le chapitre XIX (tome I, pp. 279-287) du Livre I : « Des premiers principes »23.

24Bernier y partait de la divergence entre ceux qui voient dans le principe en quetion une substance incorporelle, et ceux qui y voient

  • 24  1674 : appellée.
  • 25  1674 : & être dite cause.

« une substance purement corporelle, tres-subtile, tres-mobile, & tres-active, qui peut estre dite24 Matiere entant que les choses en sont composées, & cause25 entant qu’elle produit quelque effet » (p. 280).

25Puis, après avoir rappelé en premier lieu que Dieu, cause première, est assurément incorporel, et ne peut être assimilé à l’âme du monde, il enchaînait (p. 281) :

  • 26  1674 : qui est.
  • 27  1674 : [...] corporelles, elles ne peuvent estre faites que [...].
  • 28  1674 : [...] Principe corporel. Et certes, puisque ce Principe s’excite luy-mesme pour pousser le (...)
  • 29  1674 : qu’un Principe estant supposé incorporel [...].
  • 30  1674 : [...] pousser ; parce qu’il ne le sçauroit toucher, n’ayant pas luy-mesme de Toucher, ni de (...)

« Nous dirons en second lieu que le Principe interne d’agir que nous concevons estre26 dans les causes secondes est une substance corporelle ; parce que les actions Physiques estant corporelles, l’on ne peut pas concevoir qu’elles puissent estre faites autrement que27 par un Principe corporel ; n’estant pas possible28 de comprendre qu’un Principe incorporel29 puisse estre de telle maniere appliqué au corps, qu’il le puisse pousser ; parce que rien ne peut pousser qu’en touchant, & rien ne peut toucher ou estre touché que ce qui est corps »30.

26Le passage de la Réflexion II où Blégny oppose à la conception cartésienne (exposée d’après Rohault) qui réduit à la seule étendue l’essence de la matière, celle de Gassendi qui trouve cette essence dans la solidité, est tiré d’un passage antérieur de l’ Abrégé de Bernier.

27Lors en effet que Blégny y écrit :

« M. Gassendi qui est en beaucoup de choses opposé à M. Descartes, l’est particulièrement en cecy : Il soûtient que la solidité est l’essence de la matiere, & il le prouve premierement en ce que la matière n’est estenduë que parce qu’elle est solide, c’est à dire parce qu’une de ses parties ne peut pas penetrer l’autre, & qu’ainsi chacune occupant son lieu, elles forment l’estenduë, c’est à dire ce qui a longueur, largeur & profondeur, d’où il conclud que l’estenduë n’est qu’une suite necessaire de la solidité.
Secondement, en ce que la solidité, ou ce qui est le mesme l’impenetrabilité, distingue précisément la matière de l’espace ; & qu’au contraire la seule estenduë convient également à la matière & à l’espace. »
ND, pp. 207-208,

  • 31  Dans l’édition de 1674, chapitre IV, de même titre, du Traité premier, pp. 26-28.

il résume de toute évidence les pages de Bernier au chapitre « De l’essence de la Matiere » (chapitre IX du même livre I dans l’édition de 1678, pp. 126-12931) :

  • 32  1674 : un Mode ou maniere [...].
  • 33  1674 : ses parties resistant [...].
  • 34  1674 : elles occupent chacune leur [...]. Cette variante pourrait constituer un indice conduisant (...)
  • 35  1674 : leur.
  • 36  1614 : D’où.
  • 37  1674 : que deux partie, s resistent l’une à l’autre sans se penetrer, & sans se confondre dans un (...)
  • 38  1674 : et qu’ainsi la solidité est comme la cause primitive, [...].
  • 39  La fin de la phrase, depuis de mesme que le Raisonnable [...] est une adjonction de 1678.

« Si nous considerons les Choses selon les Loix ordinaires de la Nature, l’Etenduë des Corps semble n’estre qu’un Mode ou une maniere32 d’estre de la matiere, ou plustost n’estre autre chose que la matiere mesme, entant que ses parties se resistant33 l’une à l’autre, & s’opposant mutuellement à ce que l’une ne s’introduise pas dans la place de l’autre, chacune occupe son34 lieu particulier, & proportionné à sa35 grandeur, d’où il resulte un certain arrangement de ces parties, & cette diffusion qu’on appelle Etenduë de la matiere.
De là36 je conclus qu’on devroit bien plutost faire consister l’Essence de la matière dans la Solidité ou Dureté, que dans l’Etenduë ; puisque nous concevons que deux parties ne demeurent étenduës sans se penetrer, & sans se confondre en un seul & mesme lieu, que parce qu’elles se resistent l’une à l’autre, & qu’elles ne se resistent que parce qu’elles37 sont solides, dures, & massives, & qu’ainsi la solidité doit estre considerée comme ce qui est Premier dans la matiere, et comme la Cause premiere38, & l’Origine de l’Etenduë, de mesme que le Raisonnable est consideré comme ce qu’il y a de Premier dans l’Homme, & comme la Cause ou la Source du risible, & des autres proprietez de l’Homme39.
D’ailleurs, nous comprenons bien mieux ce que c’est que d’estre Corps, & l’opposition entre le Corps, & l’Espace par la Solidité qui convient uniquement au Corps, que par l’Etenduë precisement prise comme une simple longueur, largeur & profondeur, qui convient au Corps, & à l’Espace. D’où je conclus pareillement que la Solidité estant ce qui distingue la Matiere de l’Espace, & non pas l’Etenduë, la Solidité doit bien plutost estre censée constituer l’Essence de la Matiere, que l’Etenduë. » (pp. 126-128).

28Comme on voit, le résumé de Blégny, s’il porte la marque indubitable de sa dépendance aux termes et à la structure de l’argumentation de Bernier, en constitue assurément une réécriture relativement personnelle, et en l’occurrence assez bien tournée.

29Le début du développement sur le vide, qui suit dans la même Réflexion II (pp. 208-214), et qui est le plus étendu de ceux qui se réfèrent à Gassendi, ne manifeste quoi qu’il en soit pas une dépendance aussi étroite à l’ Abrégé de Bernier.

  • 40  « La contradiction qui se remarque entre ces deux Philosophes naist principalement de ce que M. De (...)
  • 41  Dans l’édition de 1678, tome II, livre II (« De la Generation et de la Corruption »), chapitre I ( (...)
  • 42  Loc. cit., dans l’édition de 1674, p. 481 – voir aussi la fin du chapitre, p. 485, où est mentionn (...)
  • 43  « Pour sçavoir donc si c’est l’estenduë ou si c’est la solidité qui est l’essence de la matiere, i (...)
  • 44  Dans l’édition de 1678, tome I, livre I, chapitre XIV pp. 193-217 (dans l’édition de 1674, chapitr (...)

30La fin du premier alinéa40 de ce développement peut pourtant paraître faire écho aux formules dont use Bernier en son chapitre « En quoy la Generation, & la Corruption sont differentes de l’Alteration »41 pour faire voir en quel sens les adversaires d’Aristote, comme Démocrite, veulent que la génération soit, non la production d’une nouvelle substance, mais un processus qui « se termine seulement à quelque qualité, c’est à dire à quelque mode, ou façon d’estre de la matière qui se produise et paraisse par la generation, & s’évanoüisse par la corruption »42. Et l’alinéa qui suit43, sans aller jusqu’au démarquage, porte des traces évidentes du chapitre « De la necessité des petits vuides entre les Corps »44.

  • 45  Passage pp. 211-212, qui fait écho à ce qu’on trouve chez Bernier dans le chapitre cité, pp. 77 sq (...)
  • 46  « Mais ce n’est pas encore icy la plus grande difficulté ; car M. Descartes semble la resoudre, en (...)

31Mais c’est surtout, après l’évocation de l’argument épicurien et gassendiste de l’impossibilité du mouvement dans le plein45, et de la réponse qu’y apporte Descartes par le mouvement tourbillonnaire46, que le développement de Blégny manifeste à nouveau son étroite dépendance à l’égard de Bernier. Lorsqu’il écrit (pp. 213-214) :

« Cependant il ne faut que lire ce que M. Gassendi propose pour combattre cet argument, si l’on veut estre absolument convaincu de la necessité du vuide : Il dit que si on suppose dans l’air un corps sur le point de se mouvoir, on concevra en mesme temps que son mouvement ne se peut faire, qu’en poussant quelques-unes des parties de l’air qui l’environnent, que pour les pousser il doit avancer vers elles sinon de l’épaisseur d’un cheveux [sic], au moins de la centiesme ou de la milliéme partie de celle d’un filet de toille d’araignée, qui est toûjours parcourir un espace pour petit qu’il soit, & qui doit estre absolument vuide, si l’on avoüe que les corps ne se peuvent pas pousser l’un l’autre jusqu’à l’infiny ; & quand mesme on voudroit distinguer l’effort du mouvement, ce qui ne se peut raisonnablement faire, en ce que l’effort est du moins un mouvement intérieur : Il faudrait toûjours dire ou que l’effort de ce corps serait inutile, faute de trouver devant luy un petit espace dans lequel il se puisse placer pour commencer son mouvement, & pour donner lieu aux parties de l’air qui l’environnent laterallement, de se glisser dans le lieu qu’il aurait laissé derriere luy, & qu’ainsi il n’y aurait point de mouvement dans la nature, ce qui n’est pas veritable ; ou que cet effort suffit pour presser les parties de l’air qui occupent l’espace où il veut aller, qui est autant que si l’on avoüoit que l’effort est le mouvement mesme, & que ces parties ainsi pressées se retirent dans de petits espaces vuides, puisqu’elles ne se peuvent pas penetrer, en sorte que deux n’occupent qu’un mesme lieu, selon ceux mesmes qui nient le vuide [...] »,

on retrouve, en particulier dans les images du cheveu et de la toile d’araignée, ce qu’écrivait Bernier dans la suite du même chapitre « De la necessité des petits vuides entre les Corps » (pp. 200-201) :

  • 47  1674 : il y a du vuide repandu, lequel estant penetrable, & sans resistance, cede, & donne ainsi m (...)
  • 48  1674 : supposons.
  • 49  1674 : d’estre meu.
  • 50  1674 : pour pousser, ou chasser l’air qui luy est contigu, il avance vers luy, comme ils disent, a (...)
  • 51  1674 : Or.
  • 52  1674 : qu’il soit, & mesme encore un bien plus petit, [...].
  • 53  1674 : il ne peut s’en emparer s’il n’en a premierement chassé l’air ;.
  • 54  1674 : mais.
  • 55  1674 : Il le chassera par [...].
  • 56  1674 : derriere, veu qu ’il n ’a pas encore esté meu en avant ;
  • 57  1674 : aucunement aller en avant, non pas mesme par un espace qui ne seroit que de la grandeur, ou (...)
  • 58  1674 : il ne sera par consequent jamais en estat de pousser [...].
  • 59  1674 : toûjours attaché.
  • 60  1674 : sans pouvoir faire le moindre effort pour en sortir, entant qu’il n’y a aucun effort sans m (...)

« Ou il faut donc priver tous les corps de mouvement, ou il faut dire qu’entre les choses il y a des vuides repandus, qui en cedant donnent moyen aux mobiles de commencer de se mouvoir »47.
Pour expliquer cecy un peu plus amplement, supposez48 qu’un corps soit sur le point de se mouvoir49 dans l’air ; ne faut-il pas que pour pousser l’air contigu il avance tant soit peu vers luy, quand ce ne serait que de l’epaisseur50 d’un cheveu, ou de la centieme, ou millieme partie de celle d’une toile d’Araignée ? Mais51 cet espace, quelque petit qu’il soit52, est occupé, & partant il ne peut s’y placer si auparavant il n’en a chassé l’Air53. Or54 où pourra-t’il, je vous prie, chasser cet air ? Par55 les costez, direz-vous, au lieu qui est en derriere ; mais souvenez-vous qu’il n’y a point encore de lieu derriere, puis qu’il n’a point encore avancé56 ; & partant puis qu’il ne peut aucunement avancer, pas mesme de l’epaisseur d’un poil, parce qu’il n’y a point de lieu où57 il puisse pousser ou faire avancer l’air qui l’occupe, il ne pourra par consequent point aussi pousser58 l’Air anterieur ; mais il demeurera toujours comme attaché59 dans le mesme lieu par une nécessité invicible, &, ce qui est digne d’estre remarqué, sans pouvoir mesme faire le moindre effort, n’y ayant aucun effort sans mouvement »60.

  • 61  On en entendra encore un écho dans la Réflexion IV à propos du mouvement – comparer : « On voit do (...)
  • 62  Je pense, concernant les passages que l’on vient de citer, au livre II : « Du lieu, du temps et du (...)

32L’Abrégé de Bernier61 paraît donc une source suffisante pour rendre compte de l’ensemble des formulations de Blégny concernant Gassendi, sans qu’il soit besoin de supposer une improbable référence directe au Syntagma ou aux Animadversiones, ni de faire appel à un auteur comme Gilles de Launay, dont la notoriété à l’époque de Blégny, et la connaissance que celui-ci manifeste effectivement de ses « conférences », pourraient a priori faire une autre source vraisemblable62.

33De ce bref aperçu sur un texte mineur, je tirerai les conclusions suivantes.

34Blégny possède assurément un vernis de connaissance des nouvelles philosophies mécanistes, pour lesquelles il entend marquer ses sympathies, dans l’esprit de cet éclectisme, courant à l’époque, dont un Rohault, sa source en matière de cartésianisme, pouvait lui donner l’exemple.

35À considérer la tournure de ses développements, il apparaît cependant que la balance penche en fin de compte davantage en faveur du gassendisme que du cartésianisme, et d’un gassendisme réduit pour l’essentiel au matérialisme mécaniste marqué par les deux thèses corrélatives qui sont le propre de l’atomisme : la différence entre espace pur et matière solide, et l’adoption du vide.

36Ce gassendisme-là, Blégny le tire, au moins pour l’essentiel, de ce qu’il a pu lire dans l’ Abrégé de Bernier, version 1674 ou version 1678, et ce d’une façon qui ne paraît ni simplement occasionnelle, ni purement superficielle, puisqu’il en utilise plusieurs passages dispersés, et les transcrit sans erreur grossière, voire avec une certaine élégance dans l’adaptation.

37Ces quelques pages peuvent dès lors constituer un spécimen des étapes par lesquelles s’opère le passage du gassendisme francisé par Bernier au matérialisme du siècle suivant.

  • 63  Voir l’ouvrage cité ci-dessus note 7, où l’on trouvera intégralement reproduits, en Appendices au (...)

38Et ce d’autant plus que Blégny nous ouvre la voie vers une autre de ces étapes, à savoir l’opuscule d’Abraham Gaultier, Réponse en forme de dissertation à un théologien [...] (Niort, 1714), devenu sous forme d’extraits le traité matérialiste clandestin Parité de la vie et de la mort 63. Gaultier, ami de jeunesse d’un des correspondants provinciaux de Blégny, son confrère, concitoyen et coreligionnaire Pinet, avait été en effet, comme on l’a vu, associé à Blégny en 1684 pour publier à Amsterdam l’éphémère Mercure Sçavant, et il semble bien y être personnellement l’auteur de deux textes philosophiques : une recension des Méditations sur la métaphysique de l’abbé de Lanion republiées par Bayle, recension de style caustique, et d’esprit empiriste et matérialiste, – et une Lettre de [...] à M.D.B., qui est un plaidoyer en faveur de l’attribution à la matière de la faculté de sentir, et constitue comme telle une expression très précoce d’un des thèmes majeurs du matérialisme des Lumières...

Notes

1  Cf. l’article Blégny (Nicolas de), dans le Dictionnaire de biographie française de M. Prevost et Roman d’Amat, tome VI, Paris, 1954, 662 b-663 a, et antérieurement l’article de même titre dans la Biographie Universelle, Ancienne et Moderne, Paris, chez Michaud Frères, 1811, tome IV, 577 b- 578 a. Voir aussi l’article qui lui est consacré dans le Dictionnaire des Journalistes (1600-1789), sous la direction de Jean Sgard, Grenoble, 1976, p. 42 b.

2  Voir sur ce point, outre les articles biographiques cités dans la note précédente : Albert G. Nicholls, « Nicolas de Blegny and the first medical periodical », The Canadian Medical Association Journal, Toronto, n° 31, 2 août 1934, 198-202 ; Lévy-Valensi, « Les journaux de Nicolas de Blégny », Paris Médical, VII, 17, 31 juillet 1937 ; et maintenant le Dictionnaire des Journaux – 1600-1789, sous la direction de Jean Sgard, Paris, 1991, t. 2, n° 994 (p. 923 b) et n° 1022 (p. 949 a-b).

3  Paris, chez Laurent d’Hourry, 1679. On le trouve à la B.N. sous la cote : T33. 2 (1).

4  Par Nicolas de Blegny, chirurgien du Roy, Maistre et Iuré à Paris. A Paris, chez l’Autheur, chez Claude Blageart, et chez Laurent d’Hourry, 1680 – B.N. : T33. 2 (2).

5  Par Nicolas de Blegny, chirurgien ordinaire du Corps de Monsieur Pendant les Années 1680 & 1681 [sic], chez l’Autheur, chez Claude Blageart, et chez Laurent d’Hourry, 1680 – B.N. : T33. 3.

6  Par Nicolas de Blegny, à present Chirurgien ordinaire du Corps de Monsieur, et Juré à Paris, Paris, 1681, – B.N. : T33. 2 (3).

7  Voir sur cette affaire mon ouvrage Parité de la Vie et de la Mort – La Réponse du médecin Gaultier, Paris, Universitas, 1993, première partie, chapitre III.

8  En particulier une lettre adressée par Bourdelot au premier médecin du roi, lettre que son auteur avait chargéé personnellement Blégny de porter à Versailles, et où il faisait l’éloge de l’entreprise de celui-ci aux dépens des « Médecins de Paris » critiqués pour leur conservatisme (JND, pp. 26-37 ; – n° de janvier 1681).

9  « Je prevoy bien que vous ne manquerez pas de vous plaindre de ce que je vous propose des remedes, sans vous expliquer les causes des effets qu’ils produisent ; mais comme il serait difficile de vous satisfaire pleinement sur cet article, avant que d’avoir étably des principes certains, je croy que vous trouverez bon que je vous envoyé de temps en temps, les reflexions que j’ay faites sur la nature des Corps terrestres, afin qu’ayant generalement determiné leur composition, il soit plus facile de rendre raison de tout ce qu’il y a de remarquable dans chaque Mixte en particulier, par exemple, dans l’homme qui est le principal objet de la Medecine, & dans tout ce qui peut faire sa destruction ou sa conservation. » (ND, pp. 148-149).

10  Celles des Péripatéticiens (p. 151), de « ceux qui reconnoissent la matiere, l’esprit & la lumiere pour les principes universels des Estres » (151-152), de « ces Philosophes qui ont reconnu le point immobile, les parties similaires, l’eau, l’air & quelques semblables choses pour principes des sujets phisiques » (152), et enfin des « Philosophes hermetiques » (152-153).

11  Pour juger de la « subordination » de ces deux principes, « il suffit de poser », nous dit-on, « I. que l’Esprit est un des Estres réels, puis qu’il est connu ; II qu’il est le plus universel de ces Estres, puisqu’il est par tout où il y en a d’autres tels qu’ils soient, III. que c’est un pur effet de l’action du principe efficient, & de la passion du principe essentiel, puis qu’il est réellemment & actuellement dans le monde, IV. qu’il est le principe agent dans la generation des estres corporels, puisqu’il est celuy des mouvemens de qui elle dépend. Car ces choses estant présuposées, on doit conclure que Dieu est le principe efficient de l’esprit ; que la substance dont il luy a plû de le faire telle qu’elle soit, en est le principe essentiel, mais que cet esprit en temps qu’il est agent universel, est le second principe efficient des corps, qui sont à son égard des estres particuliers. » (pp. 155-156).

12  « [...] lors par exemple qu’on nous dit dans les Escolles, que la Nature est la cause du mouvement & du repos, on ne nous fait pas comprendre pour cela l’essence de cette cause : Il est vray que les nouveaux Philosophes se sont efforcez de l’expliquer, & que M. Gassendi nous assure » etc. (p. 157).

13  « Mais puisqu’en considerant la Nature comme un estre réel, j’ay dû supposer que Dieu qui en est le principe efficient, l’a produite au moyen de quelque substance qui en a esté le principe essentiel & de composition : On ne peut expliquer la generation des estres corporels, qu’en supposant qu’elle ne se fait qu’au moyen d’un sujet, capable de de [sic] recevoir toutes les modifications qu’on remarque dans les corps, ou du moins qu’on sçait estre dans les plus simples ; » (pp. 159-160).

14  « [...] je croy que cette opinion sera d’autant mieux receuë, qu’elle s’accorde avec celle des Peripateticiens, qui soûtiennent à la vérité que la matière est potentiellement divisible à l’infiny, mais qui avoüent toutefois qu’elle n’est pas actuellement & réellement infinie, avec celle de Democrite, d’Epicure, de M. Gassendi, & generalement de ceux qui soûtiennent que les atomes qu’ils disent estre des points indivisibles, sont la matiere premiere, & par consequent qui pensent comme moy qu’elle est finie ; enfin avec celle de M. Descartes, qui veut qu’elle soit indefinie, & qui semble s’accorder en cela avec Aristote, parce qu’il croit qu’elle peut estre divisible à l’infiny, quoy que sa division lui semble en effet estre finie. » (pp. 217-218).

15  « La Nature devant donner le mouvement, la [sic] repos, la grandeur, la figure & la situation aux parties de la matière pour la generation des corps, mesme des plus simples ; & ces choses devant avoir quelques différences dans chaque corps en particulier, pour qu’il soit précisément distingué des autres, il s’ensuit que toutes les fois qu’elle travaille à la production de quelque corps que ce soit, il doit necessairement resulter de son action un mode, ou une façon d’estre, sans quoy ce corps ne pourroit subsister un moment tel qu’il a esté premierement fait ; d’où il faut conclure que la modification est aussi bien que la matière un principe propre & interne des corps. » (pp. 453-454).

16  « Ce principe qui a toujours esté reconnu sous le nom de forme, a esté définy par M. Descartes dans le sens que je viens de prendre ; » (p. 454, immédiatement à la suite du passage cité dans la note précédente).

17  Si, dans le cas de l’homme, « la qualité de raisonnable marque ensemble son espece & sa forme, [...] je ne croy pas neantmoins que pour déterminer cette forme, il soit necessaire de rechercher qu’elle [sic] est l’essence de l’ame, puisqu’elle est incomprehensible, & qu’il est plus naturel de dire que le raisonnement, ou la faculté de raisonner, est proprement la forme de l’homme vivant, puisque c’est ce qui resulte necessairement de l’assemblage du corps & de l’ame, en sorte que quand on voudrait le rapporter simplement aux organes de l’un ou aux mouvemens de l’autre, il faudrait toujours distinguer la cause de l’effet, & reconnoistre par consequent que la cause informante de l’homme, ne peut estre que le corps ou l’ame, mais que la puissance de raisonner est la forme propre que l’un ou l’autre y aurait imprimée ; » (pp. 457-458).

18  « [...] la forme estant un principe aussi universel que la matiere, on peut bien en donner une notion aussi générale, puisque si l’une est le sujet universel dont tous les corps sont composez, & qui donne l’existence aux plus simples ; l’autre est la disposition que la substance reçoit toujours dans leur composition, & qui leur insinue des proprietez, sans quoy ils ne seraient pas ce qu’ils sont ; adjoûtez que comme on conçoit la matiere premiere simple & homogesne, on peut aussi imaginer une forme premiere, par tout semblable à elle-mesme, & qui suit necessairement de ce que la matière est solide, estenduë, divisible & figurée. » (p. 460).

19  « [...] tout de mesme que la diversité des estres matériels, marque la necessité qu’il y a que la matière soit divisible, la divisibilité prouve qu’aucun corps ne peut estre fait sans mouvement, puisqu’elle ne peut estre divisée sans estre meuë, d’où il suit que la Nature doit necessairement & premierement mouvoir la matière qu’elle veut informer. On voit donc qu’encore que la matière soit d’elle-mesme divisible, elle ne peut neantmoins estre divisée en effet si le mouvement n’intervient ; d’où il suit qu’il est le premier des accidens qui arrivent à la matière dans la production des corps ; » (pp. 92-93).

20  « Pour mieux comprendre l’exactitude de cette définition, il s’agiroit maintenant d’en examiner toutes les parties, mais comme les matieres de Physique demandent une tres-grande application, j’aime mieux remettre cet examen à un autre temps, que de m’engager icy dans une discussion ennuyeuse. » (pp. 258-259).

21  C’est-à-dire le chapitre VII de la Première partie (dans la troisième édition du Traité, Paris, 1675, pp. 38-44) : comparer le texte de la Réflexion 1 de Blégny – ND, pp. 206-207, avec les pp. 38-40 de Rohault, et Blégny ibid., p. 215 avec Rohault ibid., p. 40.

22  Il est difficile de dire s’il s’agit de la première édition, partielle, parue en 1674 chez Jacques et Emmanuel Langlois sous le titre Abrégé de la Philosophie de Mr Gassendi (retirée en 1675 chez Estienne Michallet), ou de la première édition complète, celle de 1678 (Abrégé de la Philosophie de Gassendi), le texte de ces deux éditions différant par des variantes relativement nombreuses, mais essentiellement rédactionnelles.

23  Ce chapitre correspond au chapitre XIV, de même titre, du Traité premier : « Des Principes Physiques », de l’édition de 1674 (pp. 141-146). Je donne dans les notes suivantes les variantes de cette édition (sans retenir celles qui relèvent seulement de la ponctuation ou de la graphie, telles qu’usage ou non des majuscules, coupure des mots, par ex. puis que au lieu de puisque, etc.) Comme on verra, elles ne paraissent pas permettre de trancher nettement la question de l’édition utilisée par Blégny.

24  1674 : appellée.

25  1674 : & être dite cause.

26  1674 : qui est.

27  1674 : [...] corporelles, elles ne peuvent estre faites que [...].

28  1674 : [...] Principe corporel. Et certes, puisque ce Principe s’excite luy-mesme pour pousser le corps dans lequel il est, afin qu’il soit luy-mesme meu, & que souvent il meut encore quelque chose hors de luy, il n ’est pas possible [...].

29  1674 : qu’un Principe estant supposé incorporel [...].

30  1674 : [...] pousser ; parce qu’il ne le sçauroit toucher, n’ayant pas luy-mesme de Toucher, ni de masse de quoy toucher, ou estre touché.

31  Dans l’édition de 1674, chapitre IV, de même titre, du Traité premier, pp. 26-28.

32  1674 : un Mode ou maniere [...].

33  1674 : ses parties resistant [...].

34  1674 : elles occupent chacune leur [...]. Cette variante pourrait constituer un indice conduisant à donner l’édition de 1678 pour source de Blégny ; indice bien ténu toutefois.

35  1674 : leur.

36  1614 : D’où.

37  1674 : que deux partie, s resistent l’une à l’autre sans se penetrer, & sans se confondre dans un mesme lieu, parce qu’elles [...]

38  1674 : et qu’ainsi la solidité est comme la cause primitive, [...].

39  La fin de la phrase, depuis de mesme que le Raisonnable [...] est une adjonction de 1678.

40  « La contradiction qui se remarque entre ces deux Philosophes naist principalement de ce que M. Descartes ne reconnoist point de vuide dans la Nature ; & qu’ainsi selon luy, la premiere matiere, l’espace & l’estenduë ne sont qu’une mesme chose, qu’il regarde toûjours comme tres-simple, jusqu’à ce que la forme y soit intervenuë, pour en faire un ou plusieurs Estres corporels : M. Gassendi au contraire appuye le sentiment de Democrite & d’Epicure touchant le vuide ; & selon eux il prouve que l’espace doit estre absolument distinguée [sic] de la matiere, à laquelle il n’adjoûte la forme que comme un accident ou une façon d’estre, qui luy arrive quand la Nature en prend une portion pour en faire un Estre particulier. » (pp. 208-209).

41  Dans l’édition de 1678, tome II, livre II (« De la Generation et de la Corruption »), chapitre I (pp. 339-346), – dans celle de 1674, chapitre I du Traité III « De la generation et de la Corruption » (pp. 481-485).

42  Loc. cit., dans l’édition de 1674, p. 481 – voir aussi la fin du chapitre, p. 485, où est mentionné, entre autres, Démocrite.

43  « Pour sçavoir donc si c’est l’estenduë ou si c’est la solidité qui est l’essence de la matiere, il s’agiroit principalement d’examiner laquelle de ces deux opinions touchant le vuide est la plus probable ; mais dautant qu’il y a une infinité de raisons & d’experiences en faveur de l’une & de l’autre, & qu’à peine un volume entier pourrait suffire pour les rapporter toutes, les plus curieux peuvent avoir recours à la lecture de ces deux Autheurs ; & je me contenteray de dire icy, qu’aprés les avoir examinées sans préocupation, je conclurais volontiers avec M. Descartes, que le monde est tout plein, pourveu que selon M. Gassendi, sa plenitude soit seulement considerée à la façon que l’on conçoit celle d’un boisseau qu’on aurait remply de grains de millet, ou de quelque autre chose semblable, & qui après cela ne laisserait pas d’estre encore capable de contenir une autre quantité de matiere, sans en paroistre plus plein, pourveu que les parties de cette matiere soient assez menuës, pour se glisser dans les petits vuides qui sont interceptez entre les points speriques [sic] dont les grains de millet se touchent ; car enfin quand on ne voudrait pas avoir égard à toutes les expériences & à tous les raisonnemens, par lesquels on prouve qu’il y a du vuide dans la Nature ? n’avoura-t’on pas qu’il est impossible de concevoir que les parties mesmes de la matiere premiere (que ces deux Philosophes reconnoissent figurées) se puisse [sic] toucher de telle sorte, qu’elles ne laissent pas entre-elles le moindre petit vuide, puisqu’outre leurs differentes figures, elles doivent encore selon eux se mouvoir continuellement. » (pp. 209-212).

44  Dans l’édition de 1678, tome I, livre I, chapitre XIV pp. 193-217 (dans l’édition de 1674, chapitre IX du Traité premier, pp. 75-96). Voir en particulier le début du chapitre, p. 195 (pp. 75-76 en 1674), pour l’image des grains de millet et la position du problème, la page 209 (pp. 85-86 en 1674) pour celle du boisseau (dans lequel, cette fois, ce sont des « grains de bled » que l’on verse...).

45  Passage pp. 211-212, qui fait écho à ce qu’on trouve chez Bernier dans le chapitre cité, pp. 77 sqq. en 1674, – pp. 195 sqq. en 1678.

46  « Mais ce n’est pas encore icy la plus grande difficulté ; car M. Descartes semble la resoudre, en disant que lors qu’un corps se meut, les autres corps qui l’environnent se meuvent circulairement à l’entour de luy, en sorte que ceux qui estoient devant se trouvent derriere » (p. 212).

47  1674 : il y a du vuide repandu, lequel estant penetrable, & sans resistance, cede, & donne ainsi moyen à chaque chose de commencer à se mouvoir.

48  1674 : supposons.

49  1674 : d’estre meu.

50  1674 : pour pousser, ou chasser l’air qui luy est contigu, il avance vers luy, comme ils disent, au moins de l’epaisseur [...].

51  1674 : Or.

52  1674 : qu’il soit, & mesme encore un bien plus petit, [...].

53  1674 : il ne peut s’en emparer s’il n’en a premierement chassé l’air ;.

54  1674 : mais.

55  1674 : Il le chassera par [...].

56  1674 : derriere, veu qu ’il n ’a pas encore esté meu en avant ;

57  1674 : aucunement aller en avant, non pas mesme par un espace qui ne seroit que de la grandeur, ou de l’epaisseur d’un poil, n ’y ayant point de place où [...].

58  1674 : il ne sera par consequent jamais en estat de pousser [...].

59  1674 : toûjours attaché.

60  1674 : sans pouvoir faire le moindre effort pour en sortir, entant qu’il n’y a aucun effort sans mouvement.

61  On en entendra encore un écho dans la Réflexion IV à propos du mouvement – comparer : « On voit donc qu’encore que la matière soit d’elle-mesme divisible, elle ne peut neantmoins estre divisée en effet si le mouvement n’intervient ; d’où il suit qu’il est le premier des accidens qui arrivent à la matière dans la production des corps : C’est ce qui a fait dire à plusieurs Philosophes, que celuy qui veut sçavoir la Phisique, doit apprendre en premier lieu ce que c’est que le mouvement, jusques là mesme qu’Aristote a pensé qu’en l’ignorant, on devoit necessairement ignorer la Nature. » (TE, pp. 92-93), et Bernier « Ce n’est pas sans raison qu’Aristote dit qu’il appartient proprement au Physicien de traiter du mouvement, en ce qu’il est nécessaire que le mouvement estant ignoré, la Nature soit ignorée ; la Nature, dis-je, qui ne se fait paroître en rien davantage que par le mouvement qui est comme l’effort, & le premier fruit par lequel elle donne à connoître ce qu’elle est. C’est pourquoy il dit que la Nature est le principe du mouvement, [...] » (édition de 1678, p. 288-289, au début du chapitre I : « Ce que c’est que Mouvement », du livre II : » Du mouvement », – chapitre qui dans l’édition de 1674 était le chapitre XV du premier Traité).

62  Je pense, concernant les passages que l’on vient de citer, au livre II : « Du lieu, du temps et du vuide », de ses Essais physiques (Paris, 1667), – et, pour la Réflexion I de Blégny, à la IIIe dissertation : « De la science générale concernant le traité des causes », particulièrement son chapitre IV : « De la cause efficiente », de ses Essais Métaphysiques (Paris, 1672) : je n’y ai pas trouvé de ressemblance textuelle, même approximative, avec les textes qui nous intéressent.

63  Voir l’ouvrage cité ci-dessus note 7, où l’on trouvera intégralement reproduits, en Appendices au Chapitre III de la Ière partie, les deux textes que je mentionne dans les lignes qui suivent.

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