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Figures contemporaines

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Bernard Lazare

Henri de Régnier

Texte intégral

1M. Henri de Régnier est un écrivain élégant, un prosateur sûr de lui-même, un lyrique plein de somptuosité à la fois et de discrétion. Il connaît et emploie à merveille les secrets de la rythmique et de la métrique classique ; mais il sait aussi pratiquer le vers libre et la polyphonie prosodique, bien qu’il y montre moins de maîtrise et de puissance qu’à manier l’alexandrin.

  • 117 Poèmes anciens et romanesques (1890), Tel qu’en songe (1892).

2Si quelqu’un, parmi les poètes de trente ans, a droit au titre de symboliste, c’est certainement l’auteur des Poèmes anciens et romanesques et de Tel qu’en Songe117, car, si l’on a pu dire que tout poète était symboliste, on peut admettre qu’il y a des degrés, degrés que pourrait nous fournir la comparaison sagace des Nuits et de la Maison du Berger, et il sera permis de trouver plus spécialement le symbolisme dans l’art de se servir d’images analogiques et d’exprimer des idées abstraites par des mythes, sinon par des allégories.

3C’est ainsi qu’a procédé M. Henri de Régnier. Son œuvre est d’une beauté mystérieuse et précieuse. Elle procède, en les conciliant, des romantiques de 1830 et des analystes affétés du xviiie siècle. Elle évoque les visions lointaines et significatives ; elle suscite des pays vêtus de brumes, estompés de pâles vapeurs, dont les habitants sont épris de soleils inconnus ; elle montre des paysages pompeusement moroses, des cités merveilleuses, parmi lesquelles errent des êtres fantomatiques : cavaliers, pèlerins, vierges et guerriers, que tourmentent parfois des cas de conscience.

4Tous ces personnages répercutent ou représentent les sentiments de celui qui les rêva. Ils ont l’air de vivre en des contrées que les destins ensevelirent sous les eaux. On les aperçoit au travers des ondes opaques, la pâleur des ondes ternit leur face, l’épaisseur du miroir liquide assourdit leur voix, le sable deviné éteint le bruit de leurs pas, et c’est l’éclat de leurs vêtements, la splendeur des armures et des pierreries, dont le poète les revêt, qui précise leur réalité.

5M. de Régnier se plaît, d’ailleurs, au faste des mots ; il s’y plaît trop même, et donne souvent à ses vers l’aspect de petites idoles orientales chargées de joyaux, vêtues de lourdes étoffes lamées d’or et d’argent. Mais, malgré la recherche des épithètes métalliques, malgré l’abus des gemmes, malgré ce hiératisme un peu guindé, il se dégage des légendes de M. de Régnier une touchante et indicible mélancolie, car l’âme de ses héros est dolente ; on les aime à cause des douleurs qu’ils décèlent, à cause de leur morne et élégante tristesse, et on aime aussi celui qui les rêva, le poète qui a réalisé une magnifique et douloureuse vision de la terre éternelle du rêve, du pays des songes nostalgiques et attirants.

Notes

117 Poèmes anciens et romanesques (1890), Tel qu’en songe (1892).

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