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Journal d’un curé de campagne au XVIIe siècle

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Alexandre Dubois

I. Un village sous la crosse Rumegies

Texte intégral

L’abbaye de Saint-Amand2

  • 2 Actuellement Saint-Amand-les-Eaux, Nord, arr. Valenciennes, chef-lieu de canton.
  • 3 Cf. J. Desilve, Nicolas Dubois, soixante-seizième abbé de Saint-Amand, Valenciennes, 1899.

1A l’extrême nord du royaume de France, dans le Tournaisis récemment annexé, se dressait ves les années 1680 l’abbaye de Saint-Amand. Fondée par le roi Dagobert (mort en 639), elle gardait de son passé millénaire des souvenirs illustres, un riche domaine et une étonnante faculté de renouvellement. Elle venait précisément de connaître de 1622 à 1673 la prélature grandiose et tumultueuse de l’abbé Nicolas Dubois, qui consacra un demi-siècle d’efforts à la réforme de l’abbaye, à la défense de son exemption et à la reconstruction intégrale de ses bâtiments3.

2Au moment où débute cette histoire, on commençait à oublier les mille péripéties, parfois burlesques, de la guerre que l’abbé Dubois avait soutenue contre l’évêque de Tournai dans l’affaire de l’exemption. Après avoir été successivement suspendu de ses fonctions, arrêté, remplacé, rétabli, excommunié, puis rétabli à nouveau, l’impérieux abbé – dont la devise était pourtant pacifice – avait finalement triomphé et fait reconnaître par Rome une exemption, douteuse dans son principe (17 mai 1672). D’autres résultats, à nos yeux plus importants, demeuraient heureusement de son gouvernement. Tout d’abord la régularité des moines était devenue parfaite, au point de faire l’admiration de Dom Martène, le célèbre mauriste, venu en 1713 consulter les manuscrits de la bibliothèque. Et, d’autre part, un monastère tout neuf, presque princier, se dressait maintenant sur les bords de la Scarpe. Le joyau de cet ensemble de constructions, distribuées sur un carré de 180 m de côté, était évidemment l’église abbatiale. Avec ses 120 m de long, son double transept, son chœur surélevé, auquel on accédait par quarante-trois degrés, sa tour-portail de 80 m – sans parler de la richesse de la décoration intérieure, à laquelle contribua Rubens – cette blanche cathédrale dominait la région comme le symbole même de l’autorité de l’abbaye et de la puissance d’une tradition. Tout cela a péri dans les années qui suivirent la Révolution, à l’exception pourtant de la tour, sauvée par sa masse même. Toujours visible de loin dans ce pays très plat, elle continue à suggérer avec force le rôle spirituel et temporel des abbés de Saint-Amand.

  • 4 Lecelles, Nivelles, Rosult, Rumegies, Sars-et-Rsoières, Thun et Maulde sont situés dans l’arrondis (...)

3Du haut de cette tour, on pouvait embrasser du regard ce qu’on appelait « la ville et terre de Saint-Amand », autrement dit la seigneurie abbatiale, où l’abbé détenait le droit de haute et basse justice. Elle comprenait, en plus de la ville même de Saint-Amand, un ensemble de neuf villages groupés en une masse compacte. Citons ici ces noms qui reviendront souvent dans ce récit : Lecelles, Nivelles, Rosult, Rumegies, Saméon, Sars-et-Rosières et Thun, qui appartenaient à l’abbaye pour la totalité de leur territoire, tandis que Bléharies et Maulde n’étaient terre abbatiale que pour une partie de leur superficie4. Le tout couvrait environ neuf mille hectares, reste de la donation primitive des temps mérovingiens, sauvegardé par l’admirable permanence de l’institution monastique. Naturellement, les droits politiques et judiciaires de l’abbé, hérités du Moyen Age, s’étaient lentement vidés de leur substance au fur et à mesure que l’Etat se reconstituait. Néanmoins, les formes extérieures subsistaient. L’abbé, en tant que seigneur de la terre, était entouré de grands honneurs ; il nommait les magistrats de Saint-Amand ainsi que les dignitaires chargés de les présider (prévôt et grand maire) ; et c’était cet échevinage aux rouages assez complexes qui, au nom de l’abbé, administrait la seigneurie et y rendait la justice au civil et au criminel.

4Avant d’en venir au cas particulier de Rumegies, il reste à préciser quelle était, sur un plan supérieur, l’appartenance politique de la région. La seigneurie de Saint-Amand, qui appartenait au Tournaisis, avait été, jusqu’en 1521, terre française. A cette date, la conquête de Charles Quint l’avait fait passer pour un siècle et demi dans les Pays-Bas espagnols. En 1668, le traité d’Aix-la-Chapelle, mettant fin à la guerre dite de Dévolution, attribua à la France Tournai et son bailliage, ainsi que ses dépendances. Ces territoires furent alors incorporés à l’intendance de la Flandre wallonne, dont le chef-lieu était Lille. Il en fut ainsi pendant une quarantaine d’années. En 1709, au cours de la désastreuse guerre de Succession d’Espagne, Tournai fut enlevé par les adversaires de Louis XIV et au traité d’Utrecht en 1713, le roi de France dut abandonner Tournai et le Tournaisis, à l’exception toutefois de Saint-Amand et de ses dépendances, ainsi que de Mortagne sans ses dépendances. La frontière était désormais fixée à peu près à l’endroit où elle se trouve aujourd’hui. Seuls les ajustements de détail furent opérés au XVIIIe siècle grâce à des « conventions des limites » (1769, 1779). La situation de la seigneurie abbatiale est donc bien claire. Terre espagnole jusqu’en 1668, elle passa alors sous la domination française et y resta malgré les aléas de la guerre et de la politique internationale.

Le village de Rumegies

5Si nous pénétrons maintenant dans le village de Rumegies, à huit kilomètres de Saint-Amand, notre premier souci sera évidemment d’en compter les habitants. Par une chance extraordinaire, nous pouvons satisfaire cette curiosité grâce à un dénombrement à but fiscal effectué dans tout le Tournaisis, en 1673. A Rumegies, le relevé fut fait avec grand soin par le mayeur, Pierre Du Gaucquier, et les « commis » du lieu ; il fut ensuite corrigé par le curé Antoine Le Grand qui raya une famille de vagabonds et ajouta les noms des enfants nés dans l’intervalle. Le décompte a donc toutes les chances d’être exact. Il fait ressortir une population de 754 habitants distribuée en 166 articles correspondant à des familles ou ménages. D’après ce dénombrement, la ville de Saint-Amand n’avait à cette date que 3 010 habitants et l’ensemble de la seigneurie ne s’élevait qu’au modeste total de 6 011 habitants. Mais il n’est pas sûr que tous les relevés aient été faits avec autant de soin qu’à Rumegies.

6En somme, Rumegies était, pour l’époque, un village assez important ; mais cette population était très vulnérable. Il suffit pour s’en rendre compte de consulter les registres paroissiaux dont la série couvre à peu près cent cinquante ans. Voici ce qu’écrit un curé de la fin du XVIe siècle pour les années 1577-1584, époque de la reconquête des Pays-Bas du Sud par Alexandre Farnèse (1579, prise de Saint-Amand ; 1581, prise de Tournai). « Il est certain que, depuis l’an 1577 jusques au Noël 1584, sont morts cent quatre-vingt-quinze grandes personnes allant à l’autel, les uns de leur belle mort, les uns par famine, les autres par peste, les autres à raison des guerres et tous paroissiens de Rumegies, sans compter les enfants en bas âge. Sont morts plus de 300 durant les années susdites. »

7Famine, peste et guerre, ce sinistre trio, dont l’Eglise dans ses prières demande l’éloignement, ne cessèrent d’être présentes à l’arrière-plan durant le XVIIe siècle dans ces régions. C’est qu’elles étaient devenues le champ de bataille de l’Europe, comme nous le verrons plus loin. En conséquence, la moyenne des décès à Rumegies connaît des soubresauts tragiques. Alors qu’elle était de 13 à 15 en temps normal, on enterra 42 personnes en 1676 et 180 en la seule année 1709 au cours de la guerre de Succession d’Espagne. Sur ces malheurs, le journal du curé Alexandre Dubois nous donnera tous les renseignements désirables. Ne relevons ici qu’une conséquence : l’instabilité du chiffre d’une population aussi exposée.

8En prenant pour base ce dénombrement, mais en élargissant notre documentation à tout le XVIIe siècle, nous pouvons faire plus ample connaissance avec les habitants du village.

Le curé

9L’article initial est consacré au curé, qui est indiscutablement le personnage le plus important de la paroisse. Grâce aux registres paroissiaux, il est facile d’établir une liste pour le XVIIe et le début du XVIIIe siècle :

François Lefebvre

1613-1634

Gilles Waterloop

1634-1659

Antoine le Grand

1659-1686

Alexandre Dubois

1686-1739

10Cette liste est courte : quatre noms pour une période de cent vingt-six ans. Le curé le plus éphémère est resté vingt et un ans et Alexandre Dubois a passé dans sa paroisse plus d’un demi-siècle. Ce fait prend encore plus de valeur quand on le rapproche de quelques autres. Tout d’abord, trois de ces curés avaient, avant de venir à Rumegies, occupé un poste dans les environs immédiats : François Lefebvre avait été pasteur de Nivelles pendant trois ans (1610-1613), Antoine Le Grand avait exercé le ministère pendant près de dix ans à Rosult (1650-1659) et Alexandre Dubois avait été titulaire d’une chapellenie à Saint-Amand durant deux ans.

11D’autre part, deux de ces curés au moins avaient de la parenté dans le village où ils exerçaient leur charge. Les registres paroissiaux en effet nous apprennent que Antoine Le Grand perdit à Rumegies en 1660 son frère, Philippe Le Grand, et en 1666 sa mère, Sainte Cardon, qui furent tous deux enterrés dans l’église. Par la même source, nous savons que, sous le pastorat d’Alexandre Dubois, moururent à Rumegies sa mère, Marie-Catherine Henniqueau (1691), son frère (1691) et trois de ses neveux (1689, 1690, 1695). Il est difficile de croire que toute cette parenté habitait le presbytère. On voit donc combien, par leur carrière et leurs attaches familiales, les curés de l’époque étaient enracinés dans le pays.

12Pour parvenir à cette charge, tous ces desservants avaient dû franchir trois étapes. Ils s’étaient d’abord présentés à un concours organisé par l’évêque pour les bénéfices vacants ; une fois admis, ils avaient reçu leur nomination du collateur de la cure, en l’espèce l’abbé de Saint-Amand ; après quoi l’évêque de Tournai leur avait donné l’investiture spirituelle, la cura animarum. Comme on le voit, le rôle essentiel revenait au patron-collateur ; mais, par les concours, l’évêque obtenait une certaine garantie de compétence.

Les registres paroissiaux

13Nous aurons l’occasion d’étudier, à travers le cas d’Alexandre Dubois, le rôle du curé au sein de sa paroisse. Soulignons simplement ici ses fonctions d’officier d’état civil (tout en reconnaissant le caractère anachronique de cette formule) : cela nous permettra du même coup de juger de la valeur des registres paroissiaux, source de cette étude.

  • 5 Sur les registres paroissiaux en général, cf. R. Mols, Introduction à la démographie historique de (...)

14Noter les baptêmes, les mariages et les sépultures était pour le curé l’un de ses devoirs essentiels5. Mais comment s’y prenait-il ? Les registres paroissiaux conservés à la mairie de Rumegies ont la forme de rectangles très allongés, du format calepin. Ils couvrent chacun de très longues périodes, puisque trois séries seulement nous mènent de 1614 à 1739. L’ordonnance du contenu pouvait varier : tantôt les trois sortes d’actes se trouvent réunis dans le même volume ; tantôt il existe deux recueils différents, l’un pour les baptêmes, l’autre pour les mariages et décès. Jamais on ne rencontre la signature des témoins à côté des actes de baptême ou de mariage. Le curé lui-même se contente – et encore seulement à partir de 1659 – d’apposer sa griffe au bas des pages. Ces registres se présentent donc comme des sortes de memoranda que seule la parole ou la signature du pasteur rend authentiques.

15Ces documents sont loin de présenter le caractère anonyme et rigoureux de leurs équivalents modernes ; et c’est à la fois heureux et malheureux pour l’historien. On y trouve souvent des additions en fin de volume ou dans les pages blanches intercalaires : c’est la que le curé Dubois écrira son journal. En outre, beaucoup de notices comportent des indications de détail sur le personnage en question : on nous dit, par exemple, qu’il a été « homicidé » ou condamné ou qu’il est entré en religion. Enfin, parfois le curé consacre de longs couplets à quelqu’un qui lui est très cher. Tout cela est fort précieux ; mais cette fantaisie ne va pas sans inconvénients. Les relevés sont-ils exhaustifs ? Le curé a-t-il vraiment noté tous les baptêmes, mariages et décès ? Ce n’est pas certain, en particulier pour les décès des jeunes enfants – et l’on sait combien la mortalité infantile était sévère en ces temps-là.

  • 6 Cf. J. Le Groux, Summa statutorum synodalium, Lille, 1726, pp. 375, 383, 411, 420, 503.

16On constate aussi une surprenante désinvolture dans la tenue des doubles. Depuis longtemps, l’autorité diocésaine alarmée par la perte des registres du fait des guerres voulait obliger les curés à tenir des doubles. Les statuts synodaux de Tournai en 1649, 1660, 1663, 1664, 1688 exigent que les pasteurs recopient annuellement sur un petit registre destiné aux archives de l’évêché tout le contenu de leur grand registre6. Mais la répétition de ces prescriptions et la colère croissante qui s’y manifeste prouvent à l’évidence la négligence obstinée des curés. A Rumegies, un effort fut pourtant tenté en ce sens. A partir de 1662, on trouve sur le registre du curé Antoine Le Grand des indications du genre de celle-ci : « Huc usque jussu Reverendissimi registrati sunt in parvo registro juxta synodum » (jusqu’à cet endroit les noms ont été enregistrés dans le petit registre sur ordre de Monseigneur conformément au synode), ce qui est en parfait accord avec la législation énoncée plus haut. Mais comme ces indications disparaissent après 1665, on peut penser que l’effort ne fut pas poursuivi.

  • 7 Voir le texte de cet édit dans Recueil des actes, titres et mémoires concernant les affaires du cl (...)

17C’est à partir de 1694 que des doubles furent établis chaque année ; on n’ose dire « régulièrement tenus », car la comparaison des deux séries pose de bien curieux problèmes. La réforme intervenue était en tout cas le résultat d’une ordonnance royale de 1691 créant un office nouveau, celui de « greffier-garde et conservateur des registres paroissiaux7 ». Ce personnage devait fournir chaque année aux curés deux registres identiques cotés et paraphés, c’est-à-dire foliotés et signés à chaque page. L’un devait servir de minute (ou d’original) et l’autre de grosse (ou de copie). L’année suivante, il retirait le registre de grosse des douze mois écoulés. Cet édit fut appliqué à partir de 1694. C’est l’année où le curé Dubois clôture le registre III en raison de la décision royale et se met à écrire sur les pages blanches en surnombre ; c’est aussi Tannée ou commence la série des registres de grosse conservés aux Archives départementales du Nord. Mais, en fait, il s’agit d’une application bien négligente, qui laisse subsister beaucoup d’anomalies. Tout d’abord, les deux registres – en dépit des ordres officiels – ne sont pas identiques dans la forme : registre annuel d’un côté, registre embrassant une très vaste période de l’autre (1694-1737). Et de plus, chose beaucoup plus grave, le contenu n’est pas toujours le même de part et d’autre. Si l’on additionne les décès et les mariages pour chaque année, on aboutit souvent à des totaux différents dans les deux recueils. La seule conclusion certaine qui se dégage d’un tel examen, c’est que les curés, comme tous les gens de cette époque, avaient beaucoup de mal à se plier aux règles d’une administration rigoureuse.

18Précisons, en terminant, que la cure de Rumegies appartenait au doyenné de Saint-Amand, où cependant le titre de doyen n’était pas toujours l’apanage du curé de la ville. Ainsi, au moment du recensement de 1673, le doyen de chrétienté était le curé de Rongy, Pierre Hergo.

Le mayeur

  • 8 Entendons par-là les décisions relatives aux servitudes collectives qui pesaient sur toute communa (...)

19L’autre personnage important du village était le mayeur ou maire, mais il faut bien s’entendre sur ce titre. Le maire, nommé par l’abbé de Saint-Amand, n’était que l’auxiliaire de l’échevinage de Saint-Amand, et un auxiliaire modeste. Sa tâche la plus délicate consistait à répartir la taille au prorata des ressources de chacun, de manière à parfaire la somme exigée du village. Il publiait les ordonnances du Magistrat de la ville, ainsi que les bans saisonniers8, d’ailleurs fréquemment retardés. Il présidait à la reddition des comptes des marguilliers et, lorsque l’église menaçait ruine, demandait un secours à l’abbé, seigneur du village. A son niveau, il contribuait donc à diriger toute la vie rurale, avec l’aide de quelques « commis », également choisis par l’autorité seigneuriale.

  • 9 A.C.St.A., FF 1, f° 45 v° 46. La Terre contentieuse était la partie de la seigneurie située sur la (...)

20En 1673, le mayeur s’appelait Pierre Du Gaucquier. Sa carrière avait été quelque peu mouvementée. En 1666, il était déjà en fonction, quand au cours d’une dispute familiale, il eut le malheur de tuer son beau-frère, Nicolas Simon. Naturellement, il fut banni pour cet « accident », mais il obtint, le 15 janvier 1667, le droit de résider pendant six mois sur la Terre contentieuse9. Ce délai devait lui permettre d’obtenir la grâce du roi, ce qui d’ailleurs entraînait des frais notables.

  • 10 A.C.St.A., FF 1, f° 92-93.
  • 11 La superficie des terres se mesurait à Saint-Amand en bonnier (1 ha 22), en quartier (30 a 50), et (...)

21Pendant ce temps de purgatoire, Du Gaucquier fut évidemment démis de sa charge et le prévôt de Saint-Amand, représentant du seigneur, désigna pour le remplacer un nommé Hubert Couteau. Ce choix souleva une indignation générale, qui s’exprima dans une pétition adressée à l’abbé Dubois, en 166910. Au dire des habitants, ce Couteau était un personnage de mauvaise réputation, incliné à la chicane, qui, de plus, n’occupait qu’une simple chambre au village et ne cultivait pas un « cent » de terre11. Sa nomination produirait « la ruine des habitants et une dissension parmi eux et une entière confusion des affaires ». Et les plaignants finissaient en demandant le rétablissement de leur ancien maire ou la désignation d’un autre « bon censier » du lieu.

22Apparemment, les habitants de Rumegies obtinrent satisfaction, puisque, en 1673, nous l’avons dit, Pierre Du Gaucquier était à nouveau en charge. Sa carrière connut encore au moins une éclipse. Peu après 1673, il fut remplacé dans sa fonction par Léon Du Gaucquier, peut-être un parent. En effet, le registre des décès qualifie ce dernier de « major » en rapportant sa mort tragique : blessé d’un coup de « bombarde » par un vaurien, il mourut le 9 juillet 1677. Est-ce après ce drame que Pierre Du Gaucquier reprit son poste. En tout cas, il était à nouveau maire, quand il mourut en 1686.

  • 12 Episode raconté par notre journal, cf. p. 109.

23Son successeur, Arnoul Demory, exerça sa charge pendant trente-deux ans (1686-1718), à la satisfaction générale. Les temps pourtant étaient durs, marqués par des guerres interminables et leur cortège de misères que le journal du curé Dubois nous fait connaître dans le détail. A ces malheurs publics s’ajouta une tragédie privée : en 1696, le fils du mayeur, Pierre Demory, fut assassiné au cours d’une rixe par son meilleur ami : nouvel exemple des habitudes de violence sur lesquelles il nous faudra revenir12.

Les habitants du village

24Les qualifications que le dénombrement de 1673 met en face de chaque article, c’est-à-dire de chaque famille, permettent de se faire une idée des activités des habitants. La majeure partie vit évidemment de la terre : nous pouvons ranger dans cette catégorie les censiers ou laboureurs (25), les ménagers (15), les manouvriers (35), les bergers (4), les « cartons » ou charretiers (3), les maréchaux (2). Cela fait en tout 84 familles, à quoi on pourrait encore ajouter les serviteurs ou servantes au nombre de 6, soit, en tout, nettement plus de la moitié des foyers recensés (166).

  • 13 Voir à ce sujet, H. Platelle, Le temporel de l’abbaye de Saint-Amand, Paris, 1962.

25Les censiers ou laboureurs sont évidemment les cultivateurs les plus importants, ceux qui sont propriétaires ou fermiers de terres assez étendues. Parmi ces grosses fermes, on peut signaler celles que possédait l’abbaye de Saint-Amand : la cense des Metz (42 ha au XVIe siècle), la cense des Ris (34 ha au XVe siècle), la cense de la Bougrie (22 ha au XVe siècle), les terres de l’Argenterie (18 ha au XVIe siècle)13. D’autres censes, comme celle du Praïel, appartenaient à des propriétaires particuliers. Chez le censier habitait parfois tout un personnel : un berger, un carton, une servante, sans compter naturellement les manouvriers logés dans le village qui venaient travailler chez lui.

26Si ces manouvriers sont évidemment les ouvriers agricoles qui n’ont que leurs bras pour travailler, le terme « ménagers » est moins explicite. Un texte du journal du curé Dubois met une opposition entre eux et les censiers : « Cette année (1693) fut le tombeau de presque tous les ménagers qui n’avaient point de grain à vendre. Ce fut l’enrichissement des gros censiers. » On peut donc voir dans ces ménagers que le dénombrement distingue des manouvriers, de tout petits cultivateurs qui n’exploitent que quelques lopins de terre et n’ont pas d’excédents de récolte à vendre.

27Le renseignement le plus curieux fourni par notre recensement, c’est de nous montrer qu’une partie de la population vit du filage de la laine. Il y a trente-deux « filleu » ou « filloire » (c’est-à-dire fileurs ou fileuses). L’un d’entre eux est même dit fileur de sayette : il préparait donc le fil pour la fabrication de cette étoffe assez grossière. On voit aussi un « pigneur de laine ». Tous ces gens travaillaient pour une industrie textile de la région, peut-être même de Saint-Amand.

28Signalons enfin que dix-sept familles n’ont pas d’autre qualification que « pauvres » ou « mendiants », soit environ le dixième du total.

Notes

2 Actuellement Saint-Amand-les-Eaux, Nord, arr. Valenciennes, chef-lieu de canton.

3 Cf. J. Desilve, Nicolas Dubois, soixante-seizième abbé de Saint-Amand, Valenciennes, 1899.

4 Lecelles, Nivelles, Rosult, Rumegies, Sars-et-Rsoières, Thun et Maulde sont situés dans l’arrondissement de Valenciennes, canton de Saint-Amand, rive gauche ; Saméon relève de l’arrondissement de Douai, canton d’Orchies ; Bléharies est en Belgique, dans l’arrondissement de Tournai. Cf. H. Platelle, La Justice seigneuriale de l’abbaye de Saint-Amand du XIe au XVIe siècle, Bibliothèque de la Revue d’Histoire ecclésiastique, fasc. 41, Louvain, 1965.

5 Sur les registres paroissiaux en général, cf. R. Mols, Introduction à la démographie historique des villes d’Europe du XIVe au XVIIIe siècle, t. I, pp. 96-98.

6 Cf. J. Le Groux, Summa statutorum synodalium, Lille, 1726, pp. 375, 383, 411, 420, 503.

7 Voir le texte de cet édit dans Recueil des actes, titres et mémoires concernant les affaires du clergé de France, t. V 1769), c. 48.52.

8 Entendons par-là les décisions relatives aux servitudes collectives qui pesaient sur toute communauté rurale, par exemple la clôture des champs, la dépaissance des bestiaux, la date de la moisson, le glanage...

9 A.C.St.A., FF 1, f° 45 v° 46. La Terre contentieuse était la partie de la seigneurie située sur la rive droite de la Scarpe. Son statut politique longtemps indécis au Moyen Age lui avait valu ce nom. L’abbé y possédait un curieux privilège : il avait le droit d’y accueillir les bannis pendant un certain temps, à charge pour ceux-ci d’obtenir du roi une lettre de rémission. Voir pp. 29-30.

10 A.C.St.A., FF 1, f° 92-93.

11 La superficie des terres se mesurait à Saint-Amand en bonnier (1 ha 22), en quartier (30 a 50), et en cent de terre (7 a 62).

12 Episode raconté par notre journal, cf. p. 109.

13 Voir à ce sujet, H. Platelle, Le temporel de l’abbaye de Saint-Amand, Paris, 1962.

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